Inscription: Mar 4 Sep 2012 18:38 Messages: 30987 Localisation: Gwadh
|
Les ouvrages sont présentés dans l'ordre dans lequel je conseille de les découvrir (il y a une cohérence d'ensemble). Cogitamus, six lettres sur les humanités scientifiques, Bruno Latour Introduction à une réflexion sur les sciences dites dures conçues comme sociales, et faisant donc part de ce que l'on appelle les humanités. Six lettres d'un professeur à une élève ne pouvant assister à un de ses cours ; format pratique pour une lecture progressive, 220 pages, plus sous forme de cours que d'ouvrage théorique. Moyen de s'intéresser, de découvrir, d'approfondir comment dans notre monde contemporain, le développement et la diffusion des sciences et techniques les a conduites à s'emmêler dans les grands questionnements politiques et sociaux qui nous agitent. Plutôt que de chercher à les démêler et à les remettre à leur place, il est possible de les intégrer dans cette pensée du monde politique et social, pour qu'elles aient leur place pleine et entière, et que le monde soit fait avec elles, consciemment. D'où le passage, pour l'auteur, du "cogito" (je pense) de Descartes au "cogitamus" (nous pensons), parce que la prise en compte des sciences et technique doit être une question collective, et non la prérogatives de ceux qui les pratiquent, des experts. La science en action, Bruno Latour Ouvrage plus long, plus dense, de sociologie destiné à des non sociologues : curieux des sciences et techniques, ou praticiens de celles-ci, ce livre est le moyen d'une découverte, d'une redécouverte ou d'une prise de conscience de leur caractère humain, social. Le tout non pas pour douter de la science, la mettre en question, mais au contraire mieux comprendre son fonctionnement pour en appréhender les enjeux, les résultats, et les intégrer dans notre société. La bibliographie permettra d'ouvrir un peu plus largement que cette modeste liste. L'ouvrage se veut didactique, et amène progressivement celui qui n'y connait rien dans les sciences, en suivant d'abord le parcours d'un sceptique face à un résultat : d'abord, l'objet, puis les machines pour mesurer les résultats, puis les laboratoires, et les publications, et enfin tous les liens que la recherche, la production d'objets, vont entretenir avec le monde social. Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique, Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe Les deux précédents ouvrages ayant permis de poser la question des liens sciences/société, et de l'entremêlement, celui entre dans le vif du sujet : comment fait-on ? Les trois auteurs s'appuient sur l'étude des polémiques qui font jour autour des questions où sont mobilisés les experts scientifiques pour montrer le rôle que peuvent et doivent avoir à jouer les différents concernés : traitement de maladies, enfouissement de déchets nucléaires, passage de lignes à haute tension, nouvelles technologies, etc. Le coeur de l'ouvrage s'appuie sur la question de la discussion, de l'échange, et de l'enrichissement collectif dans la discussion. Un apport majeur de cette réflexion est selon moi la théorisation des forums hybrides : "Les deux cas qui viennent d’être exposés présentent des similitudes frappantes. Dans l’exemple des déchets radioactifs comme dans celui des lignes à haute tension, les incertitudes concernant les dangers encourus (qu’ils se situent à long terme ou à court terme) sont patentes. Dans les deux cas, malgré les incertitudes, voire à cause d’elles, il est pourtant nécessaire de prendre des décisions ou, comme on dit, de « faire quelque chose ». Dans les deux cas, les controverses portent à la fois sur la caractérisation des dangers et sur la procédure à mettre en place pour aboutir à une caractérisation des dangers qui soit considérée comme crédible et légitime. Dans les deux cas, les controverses prennent place dans des espaces publics que l’on propose de nommer des « forums hybrides ». Forums, parce qu’il s’agit d’espaces ouverts où des groupes peuvent se mobiliser pour débattre de choix techniques qui engagent le collectif. Hybrides, parce que les groupes engagés et les porte-parole qui prétendent les représenter sont hétérogènes : on y trouve à la fois des experts, des hommes politiques, des techniciens et des profanes qui s’estiment concernés. Hybrides, également, parce que les questions abordées et les problèmes soulevés s’inscrivent dans des registres variés qui vont de l’éthique à l’économie en passant pas la physiologie, la physique atomique et l’électromagnétisme. » Nous n'avons jamais été moderne, essai d'anthropologie symétrique, Bruno Latour Passage de la sociologie à une question plus philosophique : sommes nous modernes ? Et si nous sommes modernes, le sommes nous par comparaison avec les anciens ? les sauvages ? les obscurs ? Que deviennent les débats sur la post-modernité, les méfaits de la modernité, etc. lorsque le postulat de la modernité est attaqué ? Ici, Bruno Latour opère un travail de description de ce qu'est être moderne, du projet de la modernité. Au terme de cette description, il examine les éléments pour montrer que ce projet, sitôt posé, a été abandonné, parce qu'il n'a pas été suivi. Sommes nous pour autant restés des Anciens ? Non, pas tout à fait. La conclusion est que nous sommes amodernes : pas modernes, mais pas ce que nous étions avant. J'aime cette perspective, parce qu'elle me semble permettre d'enrichir le débat sur le devenir de la modernité d'une façon un peu plus intéressante que de se focaliser sur un "avant" et un "après", dont on va essayer de dire s'ils étaient mieux ou moins bien. Et n'ayant jamais été modernes, nous pouvons nous inscrire dans une plus grande continuité, et requestionner notre projet, plutôt que de le considérer comme un acquis. Sur le culte moderne des dieux faitiches, Bruno Latour Le bouquin le plus difficile à aborder selon moi, parce que plein de vocabulaire, jargon, notions philosophiques et autres assez pointues. Mais pose une idée intéressante, avec la création du mot "faitiche", homophonie du "fétiche" : les anciens croyaient à leurs fétiches, d'une manière bien particulière, et cette fois dont les modernes ont pu se moquer, ils n'ont fait que la transposer sur aux faits, leurs nouvelles idoles.
_________________
* * *
C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ; par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables. Proverbes, 24, 3-4
|
|