Brytha la Purificatrice
Extrait du rapport du mage Niran à la milice de Yarthiss
Tout s’est déroulé en bordure du Lac Brumeux, au Sud-Ouest de Yarthiss. Je m’y étais rendu pour cueillir quelques fleurs de Selav, dont les propriétés magiques ne sont plus à démontrer. Les abords du lac sont connus pour en cacher de beaux spécimens. J’étais donc occupé à cueillir avec moult précautions ces fleurs blanches, lorsque soudain retendit un bruit curieux, progressivement de plus en plus sonore. Comme le bruit d’une armée en marche. Prudent et curieux de nature, je me suis baissé derrière un buisson feuillu pour ne pas me faire voir, et par les espaces entre les feuilles, j’ai pu voir un spectacle qui ne m’avait jamais été donné de contempler.
Sortant de la brume, presque ton sur ton, une multitude d’hommes et de femmes étranges marchaient aussi silencieusement qu’une troupe de cette ampleur pouvait le faire. Tous vêtus de gris, comme s’ils étaient nés du brouillard lui-même, ils avançaient pour former petit à petit un arc de cercle autour de l’une des bordures du lac, que j’avais en ligne de mire. Tous étaient armés, sans exception. J’étais trop loin pour discerner les détails de ces curieux personnages, aussi décidai-je de m’approcher un peu, prudemment, pour voir ce qui se passait là. De cachette en cachette, je parvins à me faufiler plus près. Mais mon avancée m’avait fait louper, et je m’en rendis seulement compte en reluquant de nouveau à travers un buis feuillu, l’arrivée de nouveaux gens. Des chevaliers sans visage, qui reflétaient les images de tous ceux qui les regardaient former une nouvelle ligne, devant la piétaille. Leur armure entière comme celle de leurs chevaux reluisaient d’une lumière sans vie. Lisses et polies, elles étaient comme des miroirs. Impressionné par une arrivée si impromptue, je restai désormais immobile, de peur d’être remarqué.
D’autant que bien vite, d’autres êtres arrivèrent, pèlerins gris aux yeux d’argent, vêtus de robes et de capes se fondant dans la brume. Ils se placèrent devant les chevaliers et leurs montures, et lancèrent en chœur une sorte de cri silencieux. Un appel psalmodié paisible, mais porté par toutes leurs voix réunies. Rapidement, les autres personnes présentes se joignirent progressivement à l’appel, si bien que très vite, une ferveur certaine habitait l’endroit, qui restait néanmoins calme, aussi curieux que ça puisse paraître. Leur voix, qui me donna alors des vertiges, résonne encore dans mon esprit, ainsi que le nom qu’ils invoquaient ensemble : Brytha. Brytha. Brytha. Inlassablement, ils se répétaient.
Et puis, d’une seule et même voix, tout le monde se tut. Et aussitôt, je compris pourquoi. Je sentis quelque chose changer en moi, une présence apparaître. Et communément à cette présence, tout l’air semblait saturé de magie. Une magie comme je ne l’avais jamais perçue, comme si tous les pouvoirs et fluides avaient subis une fluctuation improbable et imprévue. Je sentis mes propres sortilèges muter, mes fluides se déformer légèrement, comme s’ils s’affinaient, comme s’ils revenaient à leur propre essence initiale. J’en avais le cœur au bord des lèvres, tant cette modification était intense, et différente de ce que j’avais toujours connu. Néanmoins, je tins bon et pus regarder la suite du spectacle. Le clou de ces apparitions étranges. Car je la sentis avant de la voir. Elle était là. Brytha.
Les images de mes souvenirs sont plus floues, plus évanescentes, à partir de cet instant. Elle sembla sortir des eaux et de la brume à la fois, sans être mouillée. Elle flottait au-dessus de la masse de mortels qui l’entouraient, cernée d’une aura qui n’était ni d’ombre, ni de lumière. Elle était vêtue d’une robe aux formes imprécises, et couronnée d’une tiare d’argent formant une auréole à la forme curieuse autour de son visage d’opale aux yeux argentés. Ils se posaient sur le monde sans distinction du bien ou du mal, sans l’expression du moindre sentiment de colère ou de satisfaction. Une mine neutre, des lèvres closes, et des ailes grises… A moins que ce n’en fut pas. Elle était belle, mais repoussante. Lumineuse et sombre à la fois. Déesse, mais si physiquement présente… Sitôt, elle m’inspira la sagesse de Rana, la beauté de Yuia, la justice de Gaïa, la force de Moura, mais sans qu’aucune de ces caractéristiques ne soit suffisamment dominante pour l’identifier. C’était un être tout autre, qui se tenait là, immobile, dans cette brume et au milieu de cette armée grise. Au milieu d’un silence presque douloureux.
Et soudain je pris peur. Car elle était une menace réconfortante. Une entité pleine de puissance, que l’on ne pouvait rallier ni au bien, ni au mal. Et le dernier souvenir que je gardai d’Elle, de Brytha, fut sa voix, qui s’adressa à tous ses sbires gris sans qu’elle ne dût remuer les lèvres. À moins que ce ne fut ma propre voix intérieure qui me susurra ces paroles…
« Ainsi Brytha arrive sur Yuimen, planète décadente à l’équilibre instable. Que l’Ordre soit ramené, par la Pureté et la Foi, par la magie et l’acier. »
N’en pouvant plus, je me détournai pour fuir discrètement cette Déesse purificatrice, et son armée grise sortie de la Brume.