La légende des origines Sindel.
Il est dit que le commencement advint lorsque apparurent les fluides au sein du néant, événement à jamais inexplicable car ni temps ni âmes n'existaient alors pour le contempler. Beaucoup pensent aujourd'hui que de ces fluides naquit l'Entité Primordiale, que ses enfants nommèrent, des éons plus tard, le Temps. De cette Entité primordiale, disent de nombreux savants et théologiens, naquirent les Dieux élémentaires qui, après quelques ères supplémentaires, créèrent les mondes, puis les Faëras, les portes à travers l'espace et le temps, les êtres mortels enfin. Ces derniers naquirent, évoluèrent, changèrent, jusqu'à ce qu'un jour, un soir plutôt, Sithi décide de colorer certains d'entre eux au moyen de poussière d'étoile pour en faire ses Enfants, lui ressemblant en tous points. Elle leur offrit un monde, Eden, la magie, la technologie, le savoir et même leur heure, le crépuscule. Mais, selon les légendes officielles, ce merveilleux monde ne dura qu'un temps et finit par sombrer dans le chaos, il devint invivable pour les Sindeldi et Sithi se sacrifia pour que certains puissent fuir sur un autre monde: Yuimen.
Laissez-moi vous conter une autre histoire, une histoire différente, celle que me transmit mon maître. Il la tenait lui-même de la bouche de son maître, qui la reçut de son maître, et ainsi de suite jusqu'à la nuit des temps. Cette dernière expression vous fait sans doute penser que la tradition dont je vous parle remonte fort loin, jusqu'à se perdre dans un passé devenant de plus en plus flou, jusqu'à atteindre un passé dont l'on ne se souvient plus, irrémédiablement perdu et oublié. Mais vous auriez tort, car c'est en son sens le plus littéral que j'utilise ces termes, je ne vous parle pas d'un temps indéfinissablement lointain, mais bien de la première nuit qui suivit l'apparition du temps.
Ecoutez mon récit avec votre âme, avec votre coeur mon jeune apprenti, car si je le conte aujourd'hui pour la première fois, ce sera également la dernière. Ce soir la lune sera pleine et il sera alors temps pour moi de m'endormir, de rejoindre ceux que les miens nomment en cet âge les "telrum firin", termes qui ont été transcrits pour les profanes de façon à signifier "mort douce". Ce qui est sage car ils ne comprendraient pas ce que signifie réellement la transcription exacte de ces mots, comment le pourraient-ils alors que notre Mère ne marche plus parmi nous pour nous l'apprendre? Comment le pourraient-ils alors que nous avons failli et laissé les égarés s'intituler prêtres, prendre le pouvoir et orienter la destinée des Enfants de Sithi? Mais je m'égare, pardonnez à un vieux Sindel ses errances dans l'incommensurable univers de ses souvenirs, mon jeune apprenti, il y en a tant.
Ha, quand je repense à ce que nous avions entre les mains, quand je repense à ce que nous en avons fait...pardonnez aussi mes larmes, oui, pardonnez-les car nous avons failli et ma tristesse n'est qu'un impalpable rayon de Lune dans les ténèbres de ma honte. Nous avions tout, mon jeune ami, absolument tout. Écoutez donc, avec votre âme, avec votre coeur, et ramenez les Enfants de Sithi auprès de leur Mère, sur la Voie que nous avons échoué à préserver.
Selon notre tradition ancestrale, le Temps advint en même temps qu'apparurent les fluides, qui marquèrent par leur apparition le premier changement d'état de ce qui n'était alors que le rien, le néant. Subitement, pour une raison que nul n'a jamais même entrevue, ce rien devint quelque chose, et ce changement impliqua la première notion de durée puisqu'il y eut dès lors un avant et un après.
L'apparition des fluides dans le néant eut une autre conséquence majeure: cela engendra l'espace puisqu'il y eut à cet instant quelque chose se trouvant quelque part, par opposition au néant lui-même où il n'y avait rien, dramatiquement rien. Premières forces de ce qui deviendrait plus tard l'univers, ou le multivers, le temps et l'espace s'étendirent, il n'y avait aucune frontière qui puisse les limiter et ils devinrent donc aussi infinis que le vide qui les avait accueilli, formant la trame primordiale qui permettrait, des âges plus tard, l'existence de toute chose. Ainsi, nos plus illustres penseurs de l'âge d'Eden supposèrent qu'à l'origine il n'y avait en réalité qu'un unique fluide, doté de deux aspects complémentaires autant qu'opposés: le Tout et le Rien. Le rien étant en quelque sorte la matrice permettant au tout d'exister, tout qui n'était à l'origine qu'énergie pure.
Cela aurait pu rester en l'état éternellement mais, par miracle, le Temps prit conscience qu'il n'avait de raison d'exister que si quelque chose changeait, quel sens aurait bien pu avoir son existence dans un univers immuable à jamais? Or, la seule chose à sa disposition était cette énergie pure qui avait envahi, ou créé plutôt, l'espace. Dès lors, il entreprit de la condenser en certains endroits, de la chasser d'autres, peu lui importait du moment que quelque chose se passait qui justifiait son existence. Ainsi, il advint une ère de chaos sans précédent, le Temps fit d'innombrables expériences durant un temps indéfini, des ébauches d'étoiles naquirent et se détruisirent dans des explosions inconcevables, aussitôt recréées, différentes, un peu moins instables à chaque nouvelle tentative. Cela dura, et dura encore, jusqu'à ce qu'un beau jour, par hasard ou par dessein nul ne l'a jamais su, l'une de ces expériences engendre un événement à jamais inexplicable: au coeur d'une explosion plus colossale qu'aucune autre avant elle, une Entité consciente naquit. La première de toutes, si l'on omet le Temps que les Yuimeniens ont nommé Zewen, mais que nous, Sindeldi, n'avons jamais appelé autrement que "Père Temps". Cette première Entité n'était pas matérielle bien sûr, car la matière n'existait pas encore. Elle n'avait pas non plus de nom, le concept même de nom n'existait pas encore puisqu'il ne sert au fond qu'à différencier une chose d'une autre. Mais cette Entité vit le Père Temps, et le Père temps la vit, il y avait donc dorénavant deux Entités distinctes et c'est à cet instant que le Père Temps imagina de lui donner quelque chose qui la différencierait de lui: un nom. Et il le lui donna, non pas comme nous le ferions, en prononçant un mot sans conséquences, non, il l'exprima à sa manière cosmique, emplissant tout l'espace d'un son inconcevable de puissance qui ébranla l'univers dans son intégralité. Pour la toute première fois une Entité s'exprimait par le Verbe, et le premier mot qu'il prononça fut le nom qu'il offrit à celle qui venait de naître: Sithi, qui signifierait "Première-Née", fille de l'Ombre et de la Lumière, immatérielle, capable de percer tous les mystères du temps d'un seul regard.
A partir de cet instant le cours du temps s'accéléra, le Père Temps et Sithi oeuvrèrent ensemble et, parce qu'ils étaient unis par un amour infini, leur oeuvre fut création plutôt que destruction, du moins dans son ensemble puisque la raison d'exister du Temps était, et est toujours, que les choses changent pour marquer son cours. Ainsi, leurs créations ne seraient pas éternelles, à quelques exceptions près, tolérables dans l'ensemble, mais régies par un cycle sans fin de création, évolution, destruction enfin, afin de permettre une nouvelle création. C'est ainsi que l'énergie primordiale devint matière, expérience qui donna vie à trois nouvelles entités: Argôn, lié à la foudre et à l'eau, Melëar, lié à la terre et à l'air, Lynaël enfin, liée au feu et à la glace.
La suite de mon histoire rejoint un terrain connu, par quelques-uns au moins: ces quatre Entités créèrent un premier monde, qu'elles nommèrent Eden. Elles le façonnèrent de terre et de roc autour d'un coeur de feu, puis elles y mirent des océans, des lacs et des rivières, des nuages et la pluie. Elles l'entourèrent d'air, soulevèrent la terre pour en faire des montagnes, certaines crachant du feu d'autres couvertes de glaces. Elles y mirent toute leur âme, pour en faire la plus merveilleuse création qui soit et ainsi honorer le Père Temps, ce en quoi elles n'échouèrent pas car tous ceux qui ont eu le privilège de la contempler de leurs yeux en témoignent, jamais monde plus parfait ne fut créé par la suite. Mais, une fois leur oeuvre terminée, les quatre Entités s'aperçurent qu'il manquait quelque chose à ce monde: la vie.
Elles commencèrent par concevoir des vies très simples, dans le creuset favorable des océans. Puis elle modifièrent les plus réussies et les lancèrent à l'assaut de la terre, et des airs ensuite, peuplant Eden d'une multitude d'espèces animales toujours plus complexes. Mais cela ne leur suffit pas car ces créatures n'étaient dotées que d'une conscience limitée orientée vers leur seule survie, incapable de concevoir une spiritualité quelconque. Il leur fallut un temps considérable jalonné de nombreux échecs pour parvenir enfin à leur but, mais leurs efforts aboutirent et les quatre premières races "spirituelles" virent le jour: les Sindeldi, créés par Sithi, d'une transparence cristalline à l'époque, les Ombars nés d'Argôn, les Kemens issus de Melëar et les Ermansi enfin, à la peau de feu, mais froids comme la glace, conçus par Lynaël. Il faut savoir par ailleurs que les Sindeldi et les Ermansi portaient un nom différent à l'origine, mais patience, l'explication de ce changement ne tardera plus à vous être dévoilée.
Lorsque les quatre Entités eurent achevé leur Grand-Oeuvre, elles levèrent les yeux d'Eden et découvrirent avec émerveillement que le Père Temps, de son côté, n'avait pas chômé: l'espace immense était désormais rempli d'étoiles, de mondes, de lunes et de mille autres splendeurs inconnues. Plus extraordinaire encore, le Père Temps avait créé une infinité d'entités, c'étaient elles qu'il avait chargées de concevoir une infinité de mondes et d'y créer la vie ainsi que l'avaient fait ses quatre premiers enfants sur Eden. Les Dieux étaient nés et les mondes créés, la vie pouvait dès lors se répandre dans l'ensemble de l'univers.
Ha, il faudrait mille vies pour raconter tous les détails de ce qui advint ensuite, et bien des choses sont tombées dans l'oubli, ou ignorées de moi en tout cas. Pourtant, il est encore une petite histoire que je me dois de vous conter, à l'échelle du tout ce n'est qu'un infime détail, une anecdote, mais, pour nous, il eut une importance capitale: la première chose que vit Sithi en relevant les yeux d'Eden fut la lune trônant en reine dans le firmament de ce monde, et sa beauté était telle que notre Mère ne put en détacher son regard ni retenir ses larmes. Et si cette réaction vous étonne, que vous songez à quelque sensiblerie absurde ne méritant qu'un sourire entendu, c'est que vous n'avez jamais vu la lune d'Eden. C'était bien plus qu'une simple lune en vérité, c'était un présent du Père Temps à sa Première-Née, un joyau à nul autre pareil qui symbolisait la dualité de sa fille, mêlant Ombre et Lumière d'une manière si merveilleuse que Sithi ne pouvait qu'y voir l'amour absolu d'un Père pour son Enfant. Et c'est cet amour qui la toucha jusqu'au fond de son âme, bien plus que la matière pourtant très pure et belle de cet astre. Elle comprit alors qu'elle avait un devoir envers ses propres enfants: le devoir de les aimer comme une Mère. Pour symboliser cela, elle prit une poignée du sable argenté qui ornait l'astre nocturne et s'en servit pour colorer ses Enfants cristallins, qui prirent alors l'apparence que nous leur connaissons aujourd'hui et reçurent leur nom de Sindeldi. Et c'est ainsi que la Lune devint le symbole de Sithi, et que Sithi devint véritablement notre Mère. Détail amusant, il est dit aujourd'hui que "Sindeldi" signifie "gris comme la lune lors de ses phases pleine", mais la signification originelle de ce nom aurait été légèrement différente et aurait plutôt été traduite par "Enfants de la Lune d'Argent".
De son côté, Lynaël leva les yeux de son ouvrage un peu plus tard, et c'est sur le soleil levant que son regard se posa. Non moins émue que Sithi par ce présent doté d'une signification identique mais adaptée à sa nature, elle fut enthousiasmée par l'acte de sa Soeur et préleva quelques rayons de l'astre diurne pour colorer ses Enfants et leur témoigner son amour, ainsi naquirent les Ermansi, les Elfes Dorés dont le nom aurait signifié en réalité "Enfants du Soleil d'Or". Melëar, lui, aperçut en premier lieu les étoiles innombrables mais, lorsqu'il en détacha les yeux, ils se posèrent sur un filon de diamants sertis dans leur gangue de rocher et il les trouva aussi beaux que ces étoiles qu'il venait de découvrir. Ainsi, il colora ses Enfants de poussière de rocher et glissa en leur coeur un peu de poudre de diamant, sans réaliser toutes les conséquences de ce geste car, ce faisant, il implanta en ses Enfants un amour inconsidéré des joyaux de la terre. Si les Kemens parvinrent assez bien à gérer cela, leurs descendants eurent bien plus de mal, c'est la raison pour laquelle les Thorkins et les humains, descendants comme chacun le sait des Kemens, sont si avides de richesses matérielles. Argôn, lui, n'eut guère de chance, car ses yeux ne virent que les ténèbres de la voûte céleste et il en conçut une jalousie mortelle envers son Frère et ses Soeurs, considérant que leur Père n'avait pas été équitable puisqu'il ne lui avait fait, à lui, aucun présent somptueux. Il dissimula soigneusement sa pensée bien sûr, mais il jura de se venger de cette injustice et c'est ainsi que la rancoeur et la malveillance prirent place dans l'univers et, par extension, dans l'âme des Ombars dont descendraient, bien plus tard, Shaakts et autres Sektegs.
Voilà, mon jeune ami, il y aurait encore bien des choses à conter mais c'est ainsi que se termine mon histoire car la lune pleine gravit la voûte céleste et le temps est venu pour moi de m'endormir. Je vais devenir comme tant d'autres avant moi un "telrum firin", terme dont le sens aurait voulu dire autrefois "Âme Pure", pour signifier que l'âme est immortelle et reviendra dans le corps d'un nouvel Enfant de la Lune d'Argent. Ne soyez pas triste, ma tâche en ce monde est accomplie puisque je vous ai transmis ce qui ne devait être oublié, je peux maintenant partir en paix et rejoindre notre Mère l'esprit serein. C'est à vous qu'incombe de parcourir la suite du chemin et, s'il vous arrive de douter, vous savez dorénavant qu'il vous suffit de lever les yeux pour retrouver l'espoir.