Alors que j’attendais une réponse du forgeron, mon regard émeraude se posa sur l’orque à qui j’avais parlé juste avant, afin de voir sa réaction après un instant de réflexion. Son regard respirait le doute et le cheminement complexe de ses pensées. Il ne savait pas s’il pouvait me faire confiance, mais avait tout de même eu face à lui un possesseur de la lumière, souvent généralisé un peu mièvrement sous le terme générique de ‘gentils’. Et en plus, il ignorait s’il pouvait ou non se fier pleinement aux autres. Le doute semblait s’insinuer en lui, comme s’il n’arrivait pas à choisir, ou à prendre une décision mentale. C’était le seul but de mon initiative, faire douter Epardo afin qu’il n’acquiert pas trop aisément la confiance des deux autres arrivants, et qu’il partage, dans le futur, une sorte de reconnaissance envers moi. Un hochement bref, furtif et discret termina de me confirmer la réussite de ma manipulation. Je ne voulais aucun mal à cet orque, je voulais juste qu’il évite de se retourner contre moi, ou de se laisser manipuler par les autres… Après tout, il semblait l’être le plus fort et doué au combat de ce petit groupe. Mieux valait s’en faire un allié dès le départ… Il ne s’agissait bien entendu pas là de psychose, ou de paranoïa, mais seulement de prudence élémentaire dans un environnement inconnu, et apparemment hostile…
Mais ce court intermède satisfaisant fut bien vite rabroué au second plan de mes pensées par l’intervention bourrue du forgeron, qui nous ordonnait presque de revêtir les armures de cuir vertes qu’il avait si vaillamment astiquées l’instant d’avant. Erow et moi-même étions pourvus des cuirasses verdâtres, et le nouveau venu, qui ne s’était même pas présenté, reçut des brassards de peau tannée. Epardo le Grand, quant à lui, se vit offrir un simple foulard, qu’il noua sans l’ombre d’une hésitation autour de son bras terriblement musclé. Le point commun de tous ces artefacts étaient leur couleur : le vert. Je n’allais certes pas m’en plaindre, cette couleur ne pouvant que faire ressortir le coloris de mes iris, mais cette récurrence visuelle ne m’inspirait guère confiance.
Fortuitement, le fait de porter un tel signe distinctif me rappela ma cité d’origine, Tulorim, ou plus particulièrement le quartier de l’arène, où des guerriers massacraient non seulement des monstres ignobles pour le plus grand plaisir sadique de la foule spectatrice, mais se battaient quelques fois entre eux, arborant les couleurs d’une équipe… Je tournai mes yeux vers mes compagnons, peu enclin à faire partie d’une équipée de gladiateurs parés à s’affronter dans une arène au sable rougi de sang, face à des ennemis certainement aussi impressionnant que le musclé Epardo. Mon arme la plus efficace avait toujours été ma langue, et je doutais sincèrement pouvoir me servir de pouvoirs suggestifs au beau milieu d’une lutte brutale et sans raison autre que la gloire, la victoire…
Ainsi, sans mot dire, et restant d’une neutralité surprenante, j’opinai du chef, un peu perdu dans mes pensées, avant d’écouter la suite du message du forgeron. Il affirmait pouvoir nous fournir de toutes sortes d’équipements, tant magiques que défensifs ou offensifs. Une sorte d’exaltation passionnée transparaissait dans sa manière d’expliquer brièvement ce que contenait son inventaire, et je m’amusai intérieurement en imaginant un plan machiavélique qui m’attirerait peut-être les faveurs commerçantes de cet artisan absorbé par son boulot. Machinalement, j’enfilai la cuirasse verte qui serait sans doute ma protection la plus efficace contre les armes ennemies…
Mais alors que je me fondais dans mes plans internes pour parfaire mon équation mentale, je ne pus réprimer un sursaut en apercevant une hache d’une taille impressionnante dans les mains de l’orque. Il fallait certainement avoir autant de muscles que lui pour pouvoir la manier avec aisance et sans difficulté. Et même pourvu d’une telle musculature, cette arme ne devait pas être des plus simples à diriger contre un ennemi précis, préférant certainement faire le maximum de dégâts au maximum de monde plutôt que de viser la précision d’une frappe chirurgicale et assassine. Il ne fallait pas avoir peur de se souiller du sang de ses ennemis, en arborant pareil instrument martial. Intérieurement, je me félicitai d’avoir engagé une procédure d’approche amicale envers ce mastodonte surarmé.
Je remarquai alors que mes rêveries m’avaient fait manquer le détail de la transaction d’Erow. Je ne pus que voir deux parchemins qu’il tendait au marchand, sans que je puisse en déceler le contenu. J’avais légèrement failli à mon rôle d’observation, mais j’espérais que le jeu en vaudrait la chandelle, et je me promis intérieurement de remédier à ce petit manquement passager, pour la bonne cause : la mienne.
Ainsi, à mon tour, je m’approchai de la collection du marchand pour l’analyser en détail. La première chose qui attira mon regard fut une ligne de fioles remplies de liquides aux couleurs diversifiées, qui semblaient se mouvoir de leur propre volonté à l’intérieur du contenant de verre. J’en dénombrai huit sortes, chacune subdivisée en deux tailles rigoureusement respectées. Je ne pus que me baser sur ma logique instinctive pour me rappeler les essais infructueux des prêtres tulorains de Gaïa pour m’inculquer une magie que je possédais déjà de manière innée, se disant plus aptes que moi pour déceler mes pouvoirs… Je les avais toujours remballés de manière assez abrupte, mais je n’avais pas refoulé le savoir qu’ils m’offraient pour autant : ils essayaient de me faire ingurgiter ce qu’ils appelaient des fluides, essence même du pouvoir arcanique qui vivait en chaque être humain, ceux-là même que je sentais en moi à chaque instant, mêlés à mon sang, à mes organes, et que je pouvais se faire manifester en me concentrant. Ainsi, ces fioles contenaient de la puissance magique, et j’en fus ravi. Je m’emparai de la plus grosse fiole contenant un liquide blanc, presque lumineux, et la posai sur l’établi du commerçant.
Je pris alors quelque temps pour observer les parchemins qu’il possédait. Nombre de ces écrits magiques détenaient un pouvoir puissant, mais je savais qu’ils n’étaient pas à mettre entre toutes les mains, et que tous les sortilèges y paraissant n’étaient pas appréhensibles par tout type de magie. Je me concentrai donc sur les symboles que revêtaient ces toiles roulées, excluant toutes celles qui n’avaient pas de rapport avec la lumière. Cela élimina une bonne première partie des parchemins, et dans ceux restants, j’en choisis un dont le titre se déclinait de manière calligraphiée sur un petit bandeau blanc qui en dépassait : « Calme Animal ». Jugeant de l’efficacité de ce sortilège, je le déposai à côté de la fiole de fluide et m’adressai à l’artisan d’une voix polie et intéressée…
« Forgeron, j’ai ici un marché à vous proposer, qui, j’en suis certain, vous plaira. Comme vous vous en doutez, je m’apprête à me faire votre client, chose aisée à deviner en apercevant la qualité de vos marchandises. Je gage de ma bonne foi par ce parchemin et cette fiole, que je vous achète. Cependant, il est autre chose que j’aimerais vous proposer… »
Je laissai un instant le silence se faire entre nous, puis poursuivis…
« Je suis persuadé que vous trouvez un grand intérêt à ce que l’un de nous remporte cette épreuve, n’est-ce pas ? Cela garantirait la qualité sans faille de votre équipement ! C’est donc dans cette ordre d’idée que j’aimerais que vous me fassiez cadeau d’une arme suffisamment efficace pour me servir par delà cette porte, comme une sorte de prime de fidélité… Je m’explique, vous allez vite comprendre où je veux en venir. Vous ne serez en RIEN lésé sur cette affaire, je vous en fais la promesse. Car cette arme que vous me confierez, je tiens à la payer, plus tard, quand ma bourse sera plus gonflée d’or qu’actuellement… Ce qui arrivera certainement si je suis le vainqueur de ce test, vous en convenez… Mais le mieux, pour vous, c’est que même si j’échoue vous ne perdez rien ! Il ne fait nul doute que les organisateurs de tout ceci vous confieront l’arme pour la prochaine ‘fournée’ d’aventuriers qui se présenterait ici… Elle vous reviendrait donc, sans doute un peu émoussée, mais je suis persuadé que vous vous ferez une joie de la rendre plus acérée encore qu’avant. Vous semblez réellement passionné par votre travail… »
Cette logorrhée argumentative n’avait d’autre but que de perdre le forgeron sous une masse d’arguments irréfutables qu’il ne pourrait contrecarrer, et par là, peut-être, me donner raison… Je tendis vers lui la main d’un geste commercial, pour qu’il concrétise notre accord. L’autre main glissai le long de ma bourse pour en faire tinter furtivement l’or qu’elle contenait, comme un argument de plus en ma faveur…
« Marché conclu ? »
(Pour résumer: - Achat d'un fluide 1/8 de lumière - Achat du sort "Calme animal" : sort niveau 1 (Vous parvenez à apaiser une créature non pensante qui stoppe toute action agressive envers vous et vos alliés. (Niveau de la créature maximum = Votre niveau + 2 - Tentative de persuasion pour obtenir une arme...) ) )
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- Selen Adhenor -
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