Bon, bon, bon, heureusement, contrairement à ce que j’avais craint, personne ne sembla trouver mon intervention pertinente particulièrement étrange de la part d’un chiard qui avait apparemment à peine assez de jugeote pour lier deux pensées ensemble, même si je détectai de la part du jeune homme de noir vêtu un regard qui en disait long sur les soupçons qui pouvaient lui être venus à l’esprit, regard que je pris soin de ne pas lui rendre, gardant les yeux fixés sur le blond et la main dans celle de la blonde en attendant que ce dernier répondît à mes interrogations. Mais avant que cela pût se faire, Kal prit la parole avec un air que je ne pus m’empêcher d’interpréter comme étant celui d’un conspirateur, recommandant que nous exposassions ce en quoi nous avions quelque habileté avant de lui-même donner l’exemple, déclinant ses qualités d’assassin Tulorien avec une fierté manifeste dans la voix qui tendait à faire penser que, décidément, les humains étaient des barbares. Cela dit, barbare ou pas barbare, ce gaillard à la courte longévité n’avait pas là une mauvaise idée tant il était vrai que tant qu’à faire, plus nous en saurions les uns sur les autres, plus nous saurions à quoi nous en tenir quant à ce dont nous pourrions être capables à nous cinq. En même temps qu’il nous divulguait ses intentions, la taurion se sépara de moi (sans même se préoccuper de ce que je venais de lui dire, la pimbêche) afin de s’en aller discuter avec sa comparse, me laissant méditer sur ce que j’allais pouvoir décider de dévoiler sur ma personne : j’avais sans conteste de considérables capacités, même si celles-ci étaient loin d’être percutantes, mais l’ennui était qu’elles pouvaient hélas difficilement coller avec le rôle que je m’étais taillé, aussi la question était de définir non seulement les informations que je fournirais mais aussi à quelle sauce je les servirais à ces gens qui n’avaient pour le moment pas l’air d’avoir éventé ma ruse.
Pendant que je réfléchissais à cet épineux problème, celle qui se présenta présentement sous le nom de Meredith s’avança et s’introduisit auprès de nous de même qu’elle le fit pour celle que l’on connaissait déjà comme étant Malehën, apportant également à notre attention le but de ses pérégrinations qui était apparemment de vaincre une malédiction ; malédiction dont je ne voyais nulle trace physique ni magique conventionnelle, à moins qu’il ne s’agît d’un maléfice la condamnant à une terrifiante surcharge mammaire et à des vêtements à la petitesse que la pudeur déconseillait. Mais je divaguais, et j’en oubliais notre compère qui était apparemment une « mangeuse de feuilles » (qu’on me pardonne, mais c’était comme cela que certains sindeldi nommaient les elfes verts d’après Aenigal qui m’avait au passage fortement déconseillé cette appellation péjorative) prônant le pacifisme à tous crins. Enfin bon, je n’avais pas de quoi me montrer médisant, car, grosso modo, j’adhérais à ses idées, et je dus avouer qu’elle apportait au passage un élément de réflexion des plus intéressants puisqu’elle mentionnait la présence probable d’autres groupes semblables au nôtre, considération absolument pas dénuée de sens que je notai dans un coin de ma mémoire alors que, mon tour venu, je me dandinais d’un pied sur l’autre à la façon d’un culbuto en tortillant mes mains d’un air embarrassé :
« Bah moi, je sais faire du feu…un peu. » Finis-je par dire, ayant décidé de mettre au grand jour ma prédilection pour la pyromancie de toute façon plutôt flagrante tout en modérant la portée de mes capacités de manière à ce qu’il ne vînt pas à l’esprit de mes équipiers de trop m’en demander. « Et je suis très intelligent ! » Ajoutai-je après quelques minutes d’hésitation feinte, préférant décidément me laisser une certaine marge de manœuvre au niveau aptitudes réflexives et cognitives, précisant : « Je connais un tas de choses, vous savez ! »
Mais je n’eus qu’à peine le loisir de refermer la bouche qu’Arhos avait déjà embrayé, se montrant pour sa part aussi modeste qu’un prodige porté aux nues étant donné qu’il fanfaronna à la manière d’un coq, ses paroles s’avérant aussi éclaircissantes et constructives que les gloussements du gallinacé susmentionné vu qu’il ne partagea absolument rien d’exact ou même de significatif sur lui ce corniaud. Cela dit, il avait décidément l’air d’en savoir beaucoup pour un godelureau, le rouleur de mécaniques arguant que la mascarade à laquelle nous prenions part n’avait d’autre but que de transformer une demi-déesse en déesse, en la personne d’Oaxaca comme on l'aura deviné ; rien moins que ça ! De toute évidence, il n’en dirait toutefois pas plus, et ce fut donc en rongeant mon frein que, peu rassuré, je lui emboîtai docilement le pas sans mot dire, plongé dans mes pensées, me demandant vraiment à quoi pouvait rimer cette affaire qui nous donnait tant de tintouin. Et pour produit de ces interrogations renouvelées, j’eus droit à un retournement de cerveau pas banal dans le genre réflexion transcendante, remue-ménage mental qui me laissa à écarquiller des paupières avec une drôle de migraine existentielle, prenant un moment pour ingérer toutes ces informations qui eurent du mal à passer avant que de prendre sur moi pour me consacrer à l’instant immédiat plutôt qu’à ces préoccupations qui avaient pourtant bien de quoi faire crier « Pourquoi moi ?! ». Enfin bon, depuis ces dernières heures, l’aphorisme « Au moins, ça ne peut pas être pire. » avait pris un sens tellement dérisoire que je ne me donnais même plus le loisir d’être véritablement touché par tout l’incommensurable ramdam tourbillonesque au sein duquel je nageais, l’option la plus efficace que je m’appliquais à suivre étant de computer le mieux possible toutes les données qui m’étaient mises à disposition afin de prendre les bonnes décisions… un vrai boulot d’aniathy en somme.
Mais allons, même si le cynisme était un moyen reconnu pour faire face aux drames sans se laisser submerger par eux, il n’était pas temps de s’abîmer dans l’ironie, mais plutôt de faire face à la situation à laquelle nous étions confrontés de bien intrigante façon en vérité, et qui, niveau épreuve de tournoi, laissait présager des efforts bien moins éprouvants que je l’aurais pu croire. Pour vous donner une idée de la salle dans laquelle nous pénétrâmes, celle-ci faisait à tout casser huit mètres sur huit, et présentait à l’extrémité opposée de l’entrée une porte qui ne pouvait que mener vers d’autres recoins de ce complexe souterrain, mais qui restait cela dit notre seule issue. Problème : ni poignée, ni serrure, ni loquet, ni quoi que ce fût comme mécanisme de fermeture n’étant visible, les énormes ventaux avaient l’air proprement infranchissables, et devaient donc répondre à quelque moyen d’ouverture impossible à élucider à première vue. En parlant de ce sens, justement, la vue permettait de voir de part et d’autre des gros panneaux de roche d’imposants gongs faisant au bas mot deux fois ma taille, et, au centre de la pièce, comble de la démesure, une énorme garde d’arme proprement surdimensionnée (encore plus que le sabre de l’humain, c’était dire) surgissant du sol, entourée par des glyphes que je ne distinguais guère commodément depuis l’entrée.
Ainsi, laissant sur le perron un blondinet pantois qui se dégonflait bien soudainement de toute sa belle assurance, je m’approchai plus par défaut qu’autre chose des symboles dont la nature potentielle m’intéressait vivement, toujours curieux d’en apprendre plus comme je l’avais toujours été, l’étais alors toujours et le suis toujours aujourd’hui. De plus près, je n’eus pas de quoi être déçu, car pour ce qui était de la complexité de ces runes, elles avaient de quoi déconcerter les moins érudits, ce qui fut certainement la raison pour laquelle je fus le seul à me pencher dessus à proprement parler alors que les autres larrons s’égaillaient de-ci de-là pour se livrer à leurs propres inspections : Kal consacré à l’étude de la constitution de l’énorme poignée métallique, Meredith à celle des gros instruments circulaires, Malehën à celle d’Arhos et Arhos à la sienne propre très certainement. Mais pour en revenir à des préoccupations plus intelligentes, rien que définir des formes cohérentes dans tout cet étalage digne des fresques les plus élaborées que j’avais sous les yeux me prit une bonne minute au terme de laquelle j’élucidai de-ci de-là des chiffres et des lettres qui n’avaient à proprement parler rien d’hermétique, mais qui étaient noyés dans un tel galimatias pictural qu’il fallait faire œuvre de patience pour les apercevoir et les déchiffrer. Si près de l’espèce de dallage que certains de mes cheveux les touchaient presque, une main posée sur mon menton et ma bouche, l’autre suivant les contours des inscriptions, j’avais les sourcils froncés en digne d’une perplexité non feinte, tout entier à mon travail d’archéologue, si entier d’ailleurs que je ne me rendis compte qu’après coup que je réfléchissais tout haut à ce que je lisais :
« Deux coups… Quatre coups… Sept coups… »
Je n’eus pas l’occasion de m’adonner davantage à mes divagations qu’un bruit monumental qui emplit la salle comme un ronflement immense se fit entendre, me coupant la parole et semant le trouble parmi les humains… mais pas parmi le sindel ? Non, car en même temps que ce grondement solennel s’était fait entendre, j’avais pu percevoir comme des relents de magie se mettre en branle dans les entrailles mêmes du lieu où nous nous trouvions, nouveauté étonnante qui me captiva d’autant plus que je ressentais tout cela à la manière d’une espèce de pot-pourri de fluides proprement fascinant dans l’estimation duquel je m’abîmai littéralement alors que je ne discontinuais pas dans le décryptage des schémas sibyllins, y voyant de plus en plus clair : au milieu d’un tel fatras d’images diverses, ce n’était vraiment pas évident à distinguer, mais tout le pourtour du cercle formait une sorte de roue crantée, l’intérieur lui-même étant composé de deux ovales qui s’entrecroisaient, l’un de couleur dorée et l’autre brunâtre. Pour quiconque avait de bonnes connaissances en mythologie et était doté d’un esprit logique suffisamment performant, il n’était pas trop difficile de comprendre qu’il s’agissait là d’une représentation de la création du monde par le premier des dieux accompagné des deux qui créèrent tout ce que nous connaissions aujourd’hui… fascinant ! En vérité, tout cela était tellement nouveau, tellement captivant, tellement inédit que je ne faisais plus attention à ce qui m’entourait, uniquement préoccupé de déchiffrer cette étrange mosaïque dans son entièreté et de détenir au bout du compte le fin mot de cette histoire en pictogrammes. D’ailleurs lorsque j’entendis (ou plutôt crus entendre) la voix de Kal s’adresser à moi sous la dénomination de « gamin », la seule réponse que je lui fis se présenta sous la forme de marmottements d’allure pour le moins confuse pour ces gens qui n'avaient bien évidemment pas pu suivre le cours de mes pensées :
« Le monde fut créé par Zewen qui fit venir à sa gauche Yuimen et à sa droite Gaïa... Zewen est un, Yuimen et Gaïa sont deux... » Oui, les dessins, le gong, la porte, l’épée, tout était lié pour former un immense mécanisme dont je commençais maintenant à percevoir la nature ! « Un coup ! Un coup simultanément pour Zewen qui fut tout en étant unique ! »
Heureusement, s’il n’était pas un puits de science, le roublard avait l’esprit plutôt vif, et transmit donc mes instructions aux deux autres humains qui ne firent pas les difficiles et s’exécutèrent sur le champ, faisant une fois de plus entendre le son des gargantuesques disques de métal dont la clameur pénétra les sens de manière d’autant plus exaltante que je sentis une recrudescence dans les émanations magiques qui se manifestèrent particulièrement au niveau de l’épée que je vis se soulever de deux bonnes dizaines de centimètres de la main de Malehën, dévoilant une étrange lame crantée qui portait sur la partie qui venait d’être dévoilée...une roue ! Nous tenions le bon bout, et à peine le temps de constater cet heureux succès que je m’étais déjà replongé dans mes compulsations érudites, m’apercevant avec un frisson d’exaltation que le symbole circulaire s’était légèrement éclairé d’une douce lueur blanche dont la radiance s’étendait aux ovales précédemment mentionnés, signe que nous allions certainement dans la bonne direction et qu’il fallait poursuivre dans ce sens. Ainsi, ne perdant pas une seconde de plus, et faisant appel à ce que je savais des mythes créateurs, j’énonçai d’une voix aux accents très probablement teintés de mysticisme :
« Deux furent ceux qui firent le monde. Deux fois à l'unisson pour Yuimen et Gaïa ! »
Par bonheur, une fois de plus, au lieu de me demander quelle mouche m’avait piqué, mes équipiers s’exécutèrent sans tarder à la manière de diligents acolytes, battant le métal en une symphonie qui résonna comme une délectable musique à mes oreilles, comme délectable fut le crissement de l’épée qui s’extirpa de terre et la sensation des fluides qui grondèrent. D’ailleurs, en y pensant, je me montrais peut-être un peu trop éveillé et bien renseigné pour un mioche, mais je n’accordai à ce souci qu’une courte pensée vaguement inquiète, trop préoccupé par la réalisation de l’œuvre que nous étions en train d’accomplir pour considérer autre chose. Je sentais à ce propos que les autres se laissaient gagner par un enthousiasme similaire au mien, et poursuivaient donc leurs tâches respectives sans se poser plus de questions que moi qui sourcillai à peine en découvrant que les symboles suivants -une aile de corbeau et un dard de scorpion- étaient nettement plus sombres de par les divinités auxquelles ils se rapportaient. Me faisant vite la réflexion qu’il ne s’agissait là que de la continuité logique de la création du monde, j'occultai les angoisses que m’évoquaient les noms que je prononçai :
« L’aîné et le cadet l’un après l’autre ! Une fois pour Phaïtos, puis une fois pour Thimoros ! »
Etrangement, alors que l’obscure clarté émanait des attributs susmentionnés, je me sentis sur le coup pénétré d’une vague de désespoir proprement mortuaire similaire à celle que j’avais ressenti suite à ma Troisième Ironie, me faisant trembler du pouvoir que pouvaient décidément receler les composants de cet antique rituel. Pour autant, je ne m’en montrai pas moins stimulé à continuer, car au fond, qu’aurions-nous pu faire d’autre que d’aller jusqu’au bout de ce que nous avions enclenché dans l’espoir de parvenir en bout de course à une progression de notre préoccupante situation ? Pour ma part, j’étais de toute façon tellement entraîné dans tout cela que même cette vague d’émotion tragique que je ressentis ne fit pas flancher mon ardeur, ardeur qui se vit justement renouvelée quand je discernai la représentation de flammes faisant face à des piques de glace, éléments de ceux qui, selon la légende, avaient été…
« Aimants puis ennemis ! Frappez en alternance sans cesser pour chaque coup que se sont donnés Meno et Yuia! »
Clameurs de gongs, affluence d’énergies mystiques, crissement de lame, luminescence contrastée des hiéroglyphes… tout cela nous devenait à tous de plus en plus familier au fur et à mesure que l’espèce d’oraison que nous faisions se poursuivait ; mais de mon côté, je ne m’en lassais pas, me sentant au contraire pris dans une spirale d’extase proprement divine dont je n’étais pas sûr de vouloir voir la fin. Justement, à propos de spirale, voilà que je distinguais un symbole pour le moins tourbillonnant au centre du cercle puisqu’il s’agissait d’une tornade, illustration qu’on aurait difficilement pu faire plus éloquente du pouvoir de la déesse des vents ; et l’accompagnant comme il se devait, sa consoeur des eaux l’environnait de gouttelettes… la pluie qui tambourine et le vent qui souffle !
« Que la pluie batte rapidement à gauche pour Moura et qu’un seul coup de vent résonne en longueur à droite pour Rana ! »
Oui, oui, oui, plus les signes s’illuminaient au fur et à mesure, et plus nous nous rapprochions du centre, et il me démangeait de savoir par quelle entité se conclurait cette étrange cérémonie ! Déjà, la suite se profilait sur ce tableau envahi de tant de couleurs différentes en une représentation proprement saisissante, des zébrures se dessinant à la manière de serpentins furieux en une sorte de berceau paradoxalement protecteur pour ce qui se dévoilerait au milieu de l’espèce de sceau dans la lecture duquel j’étais si absorbé. Nul besoin d’être un génie pour déduire que ces traits en dents de scie stylisées étaient des éclairs, et il me fallut encore moins de temps que jusqu’à maintenant pour trouver comment rendre honneur au dieu de la foudre au moyen des instruments que nous avions à disposition :
« Grondez ! Aussi vite que possible, frappez pour faire le tonnerre de Valyus ! »
Cela, je le clamai avec une emphase qui ne passa de toute évidence pas inaperçue à en juger par la diligence avec laquelle les manieurs de maillets se mirent à tambouriner en un tumulte proprement assourdissant, faisant naître des gerbes d’étincelles sur la lame de l’épée que Kal et Malehën soulevaient de concert alors que les arcs bleutés crépitaient sous mes yeux admiratifs, faisant naître dans mon échine de délicieux frissons proprement électriques, trop envahi de ravissement pour m'étonner d'une manifestation aussi hors du commun. Mais allons, j’allais sur le champ pouvoir savoir quelle serait la métaphorique cerise sur le gâteau qui clôturerait un tel spectacle, et, pressé de satisfaire ma curiosité dévorante, je rivai mon regard sur le symbole qui s’affichait, prenant une grande inspiration pour déclamer ma harangue finale… avant de m’étrangler en silence, pétrifié d’horreur lorsque je remarquai qu’au centre figurait désormais un crâne ! Oaxaca ! Dégrisé en un instant, je m’aplatis littéralement devant cette simple gravure couleur d’obsidienne dont les mâchoires avaient l’air de me ricaner au visage, comme pour se moquer de moi qui avais cru parvenir jusqu’à une sublimation pour ne découvrir en fin de compte qu’une abomination. Ainsi, c’était bien vrai : ces manigances auxquelles nous étions confrontés n’avaient pour but que de servir la fille du dieu de la Destruction, celle-là même qui menaçait de tenir Yuimen entier sous sa coupe ; celle-là même que nous aiderions en menant à terme ce qui n’avait maintenant plus besoin que d’un petit effort pour être conclu !
Non, ce n’était pas possible, nous n’allions pas être les agents de cette odieuse demi-déesse, il devait y avoir un autre moyen ! Il devait ! A quatre pattes, le visage si près de cet ossement que mon nez était à deux doigts de le toucher, je posai en tremblant ma main sur cette image en relief si lourde d’un terrifiant sens, la simple sensation de la surface lisse et froide me serrant la gorge d’angoisse. Désespérément, mon cerveau tournait à cent à l’heure, mes yeux cherchaient un élément qui aurait pu échapper à mon attention, mes ongles fouillaient sur et autour de la tête squelettique sans que je me préoccupasse de ce dont je devais avoir l’air à me livrer à de pareilles simagrées. Cependant, plus les secondes s’écoulaient, et plus je paraissais devoir me rendre à l’évidence : il allait falloir que je fasse le choix entre courber l’échine face à cette épouvantable entité ou refuser et risquer de très probablement finir mes jours dans ces souterrains… ça ne se pouvait, par Sithi ! Et alors, ce fut la solution éblouissante de simplicité, l’illumination, le miracle, l’épiphanie : comme si cet appel affligé avait été une main tendue en direction de la protectrice de mon peuple, un soupçon de lumière qui me fit un instant croire que j’avais la berlue se fit voir à travers les orbites creuses du crâne, lumière de couleur argentée si douce, si réconfortante à mes yeux qui avait la forme d’un petit disque… la lune. Il ne fallait pas céder face aux avances venimeuses et contraignantes d’Oaxaca, et la solution était de laisser celle qui était véritablement maîtresse des lieux prendre la place qui lui revenait de droit : Kal n’avait-il pas mentionné que nous étions au Temple de la Lune, domaine par excellence de celle que les sindeldi vénèrent ? J’étais muet d’une stupeur qui cachait un ravissement sans bornes, et ce mutisme, je ne le rompis que pour le transmettre à ceux qui m’entouraient, énonçant d’une voix blanche empreinte du plus grand respect qui fût :
« Plus rien… Sithi paraît en silence. »
Et, me positionnant à genoux devant le cercle au centre duquel la lame était maintenant dressée fièrement, arborant les symboles de ceux dont nous avions énoncé les noms les uns à la suite des autres, symboles qui s’affichaient désormais avec une tranquille majesté toute vibrante de la puissance que nos libations leur avaient imprimée. Les yeux grands ouverts à l’idée de ce qui allait pouvoir se produire, j’attendis… et malheureusement, même au bout de plusieurs minutes de patience, rien ne vint, même si, de toute évidence, le petit rond parfait toujours luisant au centre de l’enchevêtrement d’images indiquait que nous ne faisions pas foncièrement fausse route. A en juger par cet état de statu quo, il fallait ajouter à tous nos préparatifs soigneusement et dévotement exécutés quelque chose pour parachever notre œuvre, mais étant donné que je ne pouvais plus rien lire de très probant, j’étais vraiment comme deux ronds de flan à me demander quoi faire. Ce fut alors que celle qui avait amorcé par accident toute notre orchestration s’approcha, à tout moins tout aussi perplexe que nous, le démarche fort peu assurée de par la précipitation qu’elle mit à venir nous rejoindre, si bien que, comme on pouvait s’y attendre, elle trébucha… droit vers l’épée ! Catastrophé à la simple idée que ce faux-pas aurait pu blesser gravement Meredith aussi bien qu’à celle qu’il aurait pu tout mettre en l’air, je me redressai hâtivement, la bouche grande ouverte sous le désarroi qui m’envahit lorsque la taurion s’effondra sur la garde à laquelle elle se raccrocha et qui plia littéralement sous le poids imprimé. Plia ? Mais non, sacrebleu, elle n’avait pas plié, elle avait tourné, aussi invraisemblable que cela pût paraître, tourné comme une clef, comme la clef de la porte que nous cherchions à ouvrir depuis le début très précisément. La preuve en était du disque faisant apparemment office de verrou entre les deux gros panneaux qui s’éclaira selon une même configuration que le mouvement de la lame. Sautant sur l’occasion, ou plutôt sur l’idée qui venait ainsi, Kal s’empressa de dévoiler la solution à laquelle je fis écho en précisant avec entrain :
« Pour la pleine lune ! »
Consécration de tout ce travail, un tour complet fut ainsi imprimé au sabre géant que nous avions extirpé de cran en cran, et, tout comme un majestueux concerto qui a mis toute une assistance en émoi s’achève d’une manière voluptueusement calme, ce fut tout en tranquillité, tout en douceur même, que les battants s’ouvrirent dans un grondement qui fit plaisir à entendre. La suite des évènements laissait peu de place au doute, et, ne voyant rien à ajouter à la conclusion de Kal, je me contentai de me mettre en marche vers la suite de ces péripéties qui promettaient décidément bien des émotions, mon cœur artificiel tout gonflé d’enthousiasme par les manifestations de puissance magique que je venais de côtoyer, ne parvenant pas à effacer de mon visage un sourire béat d’admiration à avoir ainsi non seulement fait un pied de nez à Oaxaca mais aussi constaté la souveraine présence de Sithi. Bah, ça parferait mon simulacre de gamin étourdi et inconscient tiens, avantage qui se révèlerait d'autant plus utile pour masquer ma circonspection alors que j'inspectais attentivement chaque membre du groupe pour voir leurs réactions devant un tel retournement de situation par rapport à ce qu'aurait normalement du être le dénouement de ce rituel. Toutefois, afin de clore proprement notre insigne activité pour la réalisation de laquelle nous avions tous œuvré, je fis un effort de socialité, saluant notre succès face à cette première épreuve en claironnant fièrement une question certes bassement rhétorique mais qui aurait peut-être le mérite de renforcer les liens entre nous cinq de par son aspect de congratulation à peine déguisé :
« C’était génial ! On a fait un boulot du tonnerre hein ? »
_________________ Tuia, sindel mâtiné d'aniathy, né, brisé, refaçonné, puis brisé à nouveau.
Dernière édition par Tuia le Ven 13 Nov 2009 16:07, édité 1 fois.
|