Lothindil a écrit:
Après une journée de repos et d'amusement et une nuit calme, le groupe repart à la demande de Bogast. Celui-ci s'occupe de transporter Seldell sur un coussin d'air. Nous nous arrêtons finalement à midi sur une colline. Les cartographes partant faire leur boulot, Arevoès d'un coté, Cheylas de l'autre.
Pour ma part, mon regard ne peut se détacher de l'île en face. Des images défilent devant mes yeux, des images du Naora, ancienne, très ancienne. Cette île me rappelle mon enfance quand je passais des heures à la pointe sud de Tolénya à regarder le volcan de la petit Tolénâr, l'île de feu.
Mais étrangement c'est vers Yuimen que se tournent mes pensées et un vieux souvenir très ancien datant de mon enfance sur Naora.
Je suis petite, pas plus de 10 ans je pense. Autour de moi le temple semble énorme, et pourtant c'est un des plus petits de Yuimen. Je suis là, debout, mon père a les mains sur mes épaules. Nous sommes vêtus de cape de fourrure, nos cheveux sont maintenus par une bande de cuir, comme les guerriers anciens. Devant nous un grand-prêtre, maquillé de doré pour représenter Yuimen, il est vêtu d'une cape de fourrure blanche et d'une tunique. Il m'impressionne.
"Es-tu certain de toi, Héramë?"
"Oui, grand prêtre... Je n'ai aucune doute."
"Tu sais qu'en la marquant ainsi tu la condamnes comme tu as été condamné toi-même."
"Elle appartient à Yuimen..."
"Elle appartient avant tout aux elfes gris."
"Elle est fille de Yuimen, grand-prêtre..."
"Comme tu le désires Héramë, mais sache que si tel est ton choix, elle te brisera le cœur comme tu as brisé celui de ton père."
"Je m'en doute... Mais si tel est son destin, je ne m'y opposerais pas."
"Soit, préparons alors la cérémonie de passage ainsi."
Je n'ai pas tout compris, mais j'ai l'impression qu'une chose grave se passe pour moi, malgré mon jeune âge. Le grand-prêtre s'écarte et mon père me tourne vers lui, s'accroupissant pour me mettre à ma taille.
"Il est encore temps d'y renoncer, Sarniam."
Sarniam... mon nom secret, je l'avais oublié avec le temps.
"Non, père... Je ne renoncerais pas..."
Comment aurais-je pu d'ailleurs, j'ignorais ce que ça signifiait.
Au loin trois trompes sonnent, l'appel au passage. Je ne sais pas du tout ce qui m'attend, mais j'y vais, suivant mon père. Nous traversons le premier pont de corde ensemble. Là, le grand-prêtre nous attend. Le regard lointain, le port fier. Autour de nous les fidèles murmurent. Je ne comprends pas, ce n'est qu'une cérémonie de passage, ils ont dû en voir d'autre.
Je regarde la foule, des visages connus, d'autres inconnus. Mais nulle trace de ma mère et de ma sœur, sont-elles même au courant que je suis là? Je n'en sais rien. Dans le soleil couchant la plate-forme est éclairée par des torches qui brûlent de vive flamme.
"Héramë, gardien de Yuimen. Qu'es-tu venu faire en ces lieux?"
(Mon père, gardien de Yuimen?)
(Ce n'est pas tout... Ecoute la suite.)
(Comment ça?)
(Ce n'est pas ton souvenir... Mais le mien.)
(Tu étais là?)
(Oui... J'accompagnais ton père à l'époque...)
"Je suis venue remettre ma fille entre les mains de Yuimen, grand-prêtre."
"Qu'il en soit ainsi."
Des tambours, à rythme régulier, deux coups espacés puis trois plus rapides. Je frissonne, tous ces gens sont venus pour moi. Je suis calme, au milieu de cette foule, ne sachant ce que l'on attend de moi. Mon père s'écarte et rejoint le cercle, je reste là debout à attendre. Plusieurs minutes passent, les tambours ne cessant pas, accompagnés maintenant des battements de main. Mon cœur tambourine, faisant vibrer mes tempes.
"Fille de Gaïa... Viens rejoindre Yuimen."
Sans attendre, mais sans courir non plus, je m'avance vers l'autel. Les tambours s'accélèrent, j'ai mal de tête. Je tombe à genou devant le grand-prêtre, la lumière le rend brillant, c'est encore plus impressionnant. Je frisonne malgré la douce chaleur printanière et la lourde cape de fourrure.
"A la demande de ton père et selon les anciennes traditions gardiennes, tu seras marquée."
Je frissonne de peur, mais n'ose bouger pour chercher le regard de mon père. Des larmes coulent de mes yeux, j'ai terriblement peur de ce qu'il va m'arriver, mais je reste là, comme fixée au sol, j'attends.
"Es-tu prête à rejoindre Yuimen, Fille d'Héramë?"
Ma gorge est nouée, ça se voit, mais pourtant je parle:
"Oui, grand-prêtre."
Je ne sais pas encore que je viens de sceller le destin complet de ma vie, mais qu'aurais-je pu dire d'autre ?
"N'aie crainte. Tu peux pleurer si tu veux, ce sera ta vie de bébé qui s'éloignera."
(Pour pleurer, tu as pleuré, puis plus rien...)
D'un geste rapide, je passe la main sur ma nuque... Ainsi c'est de là où vient cette marque. Contrairement aux dires de ma mère, ce n'était pas une marque de naissance.
"Mais vous avez quoi tous aujourd'hui!"
"Hein quoi?"
"Papa, puis toi..."
"De quoi parles-tu?"
"Toi aussi tu fais pas attention... On pourrait se faire attaquer que tu n'aurais même pas vu."
Je réalise alors que le temps à passer. Je suis restée perdue dans le souvenir de ma faera. Il expliquait tellement de chose, que j'en ai oublié le présent.
Seyra part rejoindre son père...
"Sont vraiment bizarres les adultes parfois."
Je souris et la suis vers les autres, détachant mon regard de la terre lointaine.