Bon bon bon… décidément, la situation était des plus incommodes, et poussait à des extrémités de plus en plus exigeantes, que ce fut du point de vue de l’inventivité, de la dépense physique ou même de la moralité. Je mentionne ce dernier point car, ne l’oublions pas, s’il s’avérait définitivement que nous étions tous voués à nous faire tuer les uns après les autres par le monstre à poils, il subsistait toujours l’option de profiter des quelques instants de répit que me laisseraient mes compagnons pour tenter le tout pour le tout et filer vers une hypothétique sortie. Après tout, j’étais à la fois le plus intelligent et celui qui avait la meilleure espérance de vie, aussi, objectivement parlant, j’avais de bonnes raisons pour m’auto-désigner rescapé par rapport aux trois humains et à Meredith.
Mais pour le moment, je n’en étais heureusement pas à devoir envisager si sérieusement un plan aussi sordide, car il nous restait tout de même des chances de l’emporter : Arhos était peut-être hors combat, mais ce n’était apparemment que temporaire, et Kal avait l’air de bien se débrouiller contre son adversaire animal, sans compter qu’il y avait les deux demoiselles en possible renfort, même si elles ne s’activaient guère dans l’immédiat. Quant à moi, je devais définitivement tirer un trait sur l’idée d’utiliser les oursons pour faire diversion ; car ces quadrupèdes étaient peut-être des nourrissons bêtes à manger du foin, mais ils bénéficient des réflexes de survie les plus élémentaires et savaient courir suffisamment vite pour échapper à la poigne d’un être aussi peu athlétique que moi. La conclusion s’imposait : si je voulais une solution, il allait me falloir la dégoter ailleurs, aussi, avec un soupir agacé devant ce problème ursidé définitivement des plus contrariant, je m’extirpai pour de bon de ma cachette afin de m’en aller vers des horizons plus intéressants.
Sans revenir sur l’éventualité de dépenser mes fluides, une première possibilité restait de se remettre à fouiller les lieux dans l’espoir de dénicher une sortie et ainsi permettre de nous évader de cette arène rocheuse, mais elle était inenvisageable depuis l’instant même où cette tête brûlée d’assassin s’était mis dans le crâne de régler directement le problème par la force. En effet, si tant était que je pouvais trouver une issue, l’ensemble de notre équipée n’allait pas pouvoir l’atteindre sans lourds dommages au cours de sa fuite, et comme je l’ai déjà mentionné, le sacrifice d’autrui n’était quelque chose auquel je ne voulais avoir recours qu’en dernier ressort. Secondement, et ultimement –c’est dire si la situation présente offrait peu de choix !-, je pouvais profiter de ce que Kal tenait maman sanguinaire occupée pour me rendre aux côtés d’Arhos et le ranimer en mettant à contribution les considérables connaissances que j’avais engrangées en matière de médecine. Addendum de ce choix, quand bien même je ne parviendrais pas à le faire reprendre ses esprits, j’aurais l’opportunité de fouiller dans ses affaires avec l’espoir d’y dénicher quelque chose qui pourrait nous être utile contre notre ennemie ; les aventuriers transportant bien souvent des objets divers et variés aux pouvoirs qui l’étaient tout autant. Pour faire bonne mesure, je mentionnerai tout de même que d’autres choix étaient bien évidemment à ma disposition, tels que m’essayer à une confrontation physique avec la menace locale, ou tenter d’haranguer les deux demoiselles inactives ; mais ceux-ci m’apparaissaient en toute évidence comme si improductifs que je ne les envisageai même pas.
Mais avant de parvenir à la mise en application de la conclusion susmentionnée, il sera bon de faire état un incident des plus regrettable qui survint alors que j’allais m’apprêter à courir en direction de l’humain blond sonné : alors que le Phalange de Fenris, qui ne se débrouillait pas aussi bien que je l’avais cru, allait se faire matraquer par l’ourse, Meredith, à ma grande surprise, bouscula soudainement la victime en devenir, faisant de son corps un rempart contre l’attaque de la bête. Hélas, elle n’était pas assez bien protégée, et par la force des choses, la patte griffue l’atteignit en pleine visage, lui arrachant dans un bruit de chairs déchirées une bonne partie de la tête ; blessure que je sus déterminer sans doute possible comme mortelle. A voir quelque chose d’aussi choquant, je perçus qu’un côté de moi, celle qui n’avait que soixante-neuf ans, aurait dû se mettre à hurler de terreur, à pleurer d’un désarroi total, à s’agiter sous le coup d’une répulsion sans pareille, bref, à perdre ses moyens comme n’importe quel enfant l’aurait fait. Mais il ne fallait pas l’oublier, j’étais aussi en partie aniathy, et cette part de mon être, elle, enregistra simplement cette mise à mort comme une contrariété de grande envergure à laquelle il allait falloir se faire et dont je ne devais pour l’instant pas me soucier pour un maximum d’efficacité. Si l’on raisonnait avec la plus grande objectivité possible, il ne s’agissait au fond que de la perte dans élément parmi tant d’autres, de la fin d’une vie au milieu d’un océan d’âmes, de l’élimination d’une pièce faisant partie d’un grand jeu d’échecs, etc. Je ne m’étendrai pas sur d’autres comparaisons, chacun sera capable de se faire son idée selon ce qui lui semblera le plus parlant. De plus, si l’on envisageait ce décès sous un abord plus personnel, je pouvais dire que je n’avais pas de quoi m’endeuiller au trépas de cette personne que je connaissais à peine et qui ne m’était de toute manière pas apparue comme quelqu’un de particulièrement estimable, au contraire. Aenigal, lui, avait été un sindel chaleureux, généreux, courageux, génial, inventif, persévérant, déterminé, affectueux, brave, intelligent, puissant… les qualificatifs abondaient pour décrire feu mon oncle, et encore, j’avais le sentiment qu’ils ne lui rendaient pas justice à eux tous réunis.
Je diverge. Pour reprendre le cours des évènements là où je l’avais laissé avec l’exécution brutale de Meredith, je m’empressai de retrousser le bas de ma robe et de me mettre à courir en direction d’Arhos, toujours dans l’intention de mettre en œuvre mon plan que j’ai déjà explicité. Pendant ce temps, Malehën, qui n’était pas douée des mêmes facultés de jugement que moi, choisit étourdiment d’agir d’une manière déplorablement stérile puisqu’elle alla rejoindre son amie fraîchement défunte, acte complètement futile qui fit encore descendre d’un cran mon appréciation des humains. Justement, à propos de cette race, alors que, poursuivant mon petit bonhomme de chemin, j’allais arriver aux côtés du sabreur, voilà que Kal se mit à faire entendre sa voix, réclamant de moi une prompte intervention dans un langage laidement familier qui ne manqua pas de me consterner. J’étais doué pour tout ce qui était du domaine de l’intellect, de la réflexion et de la compréhension ; et lui l’était pour ce qui relevait du combat, de la confrontation, de l’élimination. Partant de cela, ne pouvions-nous pas nous cantonner tous deux sagement à nos champs de compétence et ne pas empiéter sur celui de l’autre ?
Et bien non : apparemment trop inapte pour être capable de se débrouiller tout seul, il s’en remettait à moi pour lui prêter main-forte, qui plus était d’une manière fortement déplaisante qui, comme vous le concevrez, ne me disposa pas à accéder à sa requête. D’ailleurs, un moment, l’idée me traversa l’esprit de faire la sourde oreille à son appel au secours afin de le laisser se faire maltraiter un peu plus par l’ourse, de la même manière que l’on punit un chien désobéissant qui se met à exiger plus que ce qui est son dû.
Mais bon, heureusement pour ce sot, j’étais plus généreux que cela, aussi allais-je faire ce dont j’étais capable pour mettre la main à la pâte dans cet affrontement, quand bien même il s’agissait par cela de me mêler de quelque chose qui ne m’était aucunement familier. Cela dit, j’avoue que les données n’étaient pas d’une grande complexité, et que je pouvais par conséquent participer sans problème à l’effort de guerre : pour faire simple, un Trait de feu envoyé au visage du gros animal susciterait à tout moins quelque affolement chez lui, les flammes suscitant par nature la peur chez les bêtes. Faisant halte à quelques mètres à peine d’Arhos et juste en face de la bête, ce qui m’offrait un bon angle de vue vers le faciès de cette dernière, je plongeai ma main droite dans une de mes amples poches, englobant de ma paume la surface lisse, chaude et réconfortante de l’orbe argentée qui s’y trouvait. Le résultat ne se fit pas attendre, et je n’eus même pas besoin de me concentrer pour sentir les picotements d’énergie familiers me parcourir le bras pour s’intégrer à mon corps, attisant mes fluides à la façon d’une brassée de brindilles qui aurait avivé des braises pour en faire jaillir de prometteuses flammèches. Alors, je me concentrai sur les puissances magmatiques qui me parcouraient le corps afin de les faire passer de leur forme brute à celle raffinée d’une gerbe incendiaire, faisant ensuite remonter ce sort concrétisé le jusqu’à mon index gauche que je tendis devant moi, visant aussi précisément que possible les yeux de ma cible.
(((Un point d'Agilité pour aller jusqu'à Arhos, et un autre pour faire un Trait de feu sur l'ourse.)))
_________________ Tuia, sindel mâtiné d'aniathy, né, brisé, refaçonné, puis brisé à nouveau.
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