Il avait beau sentir quelque chose, il ne savait pas quoi. Rien de précis ne guettait l'obscur « horizon », rien mis à part ses ombres et cette flamme qui brille. Amaryliel était songeur, triste de la perte de son compagnon, heureux du « soutien » de Bölin, las d'explorer ce tournoi sans même savoir pourquoi. Il ne s'était pas posé la question bien longtemps ou de façon tellement maladroite qu'il y répondait à côté.
Le sang-mêlé recommençait à son habitude la même réflexion, suivant la ligne de son esprit, d'une pensée indécise, un peu bancale, quoiqu'il eût toujours un soupçon de justesse dans son clair-obscur psychique. Mais cette expédition avait été pour lui un soleil de peine. Son visage lise et pâle souffrait de la chaleur, ses cheveux pleins de cendre et de poussière, ses yeux un peu fanés par le voyage regardaient loin, très loin, au delà de la vie, y cherchant un secours, une aide, un appel charitable.
Et la pièce aussi était remplie de chagrin au moment même où le bon nain se débarbouillait de la sueur qu'il avait accumulé. En le lorgnant, Amaryliel n'eut nul dégoût, il se dit surtout que c'était certainement pour sa tristesse qu'il avait été choisi pour contempler le grand désastre. Il en était ainsi, pour l'elfe, il n'était pas venu ici pour le plaisir d'être torturé mais pour assister à un fiasco, à un « grand désastre » comme il se le disait en marchant doucement vers le brasero. Jadis, dans les temps insouciant de bonheur, quand il était encore à Luinwe, vivant à sa fantaisie, d'une existence un brin baroque, à l'IluQuendi, dans les praires en dehors de la cité, avec Rose au bord de la mer. Et le bord de mer, Amaryliel déteste cela par-dessus tout, mais pour elle, pour Rose, il faisait l'effort d'assister au coucher de soleil, au lever de la lune ; passant d'une fade mélancolie à une insouciance timide et calme. Avec elle, la peur peut être influencer en joie. Bien que plus tard, il s'était fixé de tenter l'expérience seul après s'être ressouvenu du visage de la jeune elfe et du paysage et avait eu l'intuition immédiate que les conséquences en serait bien plus dramatique. En lui, une équation mystérieuse s'établissait.
( Pourquoi y repenser maintenant ? Cela n'a pas de sens. ) pensa-t-il avec juste raison puis le regard du torkin se porta furtivement sur lui ; un regard qui disait presque instantanément de regarder dans sa direction, de cesser la rêverie. Bölin avait en effet, flairer quelque chose de suspect à côté du brasero qui s'élargissait à mesure où les deux compères s'en approchait: des ombres. Deux d'après l'observation du nain, et il n'avait pas tort, des ombres assez difforme pour être n'importe quoi. Les lieux étaient déjà peu supportable avec les énigmes, les portes et les gobelins, fallait-il rajouter de nouvelles et fraîches hostilités ?
Visiblement fatigué de son dernier combat, Bölin propose la manière douce: Voir avant de frapper. Pour un nain, c'est étonnant ! Amaryliel ne le voyait pas ainsi. Il regardait le torkin comme un être social à l'intellect élevé agissant toujours avec beaucoup de confiance et de fierté. Le guerrier se montrait rustre, légèrement impoli dans beaucoup de situation mais Amaryliel préférait voir le fond des choses, ou plutôt ne voyait que le fond. Après la suggestion du petit être, la marche repris avec des airs de... discrétion pour Bölin.
Les pas se disaient lent, ciblés, calculés pour ne pas faire le moindre bruit ; cependant, à ce moment précis, Amaryliel ressentit un silence infini et monotone comme si on lui ôtait presque la sensation de vivre. Autour de cet étrange sentiment, il se tut, étouffé par l'impression de savoir à qui il allait voir après ces ombres ; car ce n'était pas ces deux créatures qu'il connaissait, c'était quelque chose qui approchait. Pourquoi les bruits, pourquoi les voix semblaient-ils déranger l'esprit et ouvrir une faille dans son âme ? Il commençait à le savoir mais ils se demandaient si ce n'était pas mauvais tour de ce maléfique endroit ? Non, impossible qu'il en soit ainsi.
« Elle arrive. »
Elle arrive disait-il le petit sourire aux lèvres, à son habitude, il disait toujours cette phrase quand elle était dans les environs. Cette fois-ci, elle n'était pas au courant et il le savait bien. De l'atmosphère muette du feu et de l'ombrage, Amaryliel avait senti, partagé une peine qui n'était pas entièrement sienne ; il l'avait pensé plus doucement sur terre, pas ici-bas, aux portes des Enfers. ( Mais que diable fait-elle ici, elle va se faire tuer ! ) Grogna-t-il mentalement. Il pouvait penser cela, d'autres instances dominaient en lui. Il l'imaginait déjà, la regardant avec une insistance qui aurait été inconvenante si elle n'aurait apparu toute hallucinée. La jeune fille serait impassible et ce même face à un Amaryliel étrange et hagard ; enfin, le sang-mêlé imaginait encore son visage, en espérant fermement le revoir rapidement maintenant: son petit teint argenté transparent presque dans l'eau, ces yeux de prunelle océan profond et sombre dans la nacre, ils ne pouvaient pas avoir changé. Ces cheveux aussi, d'un noir totalement différent de ceux d'Amaryliel.
( Ma raison périclite à présent ? C'est peut-être un piège mais autant en informé Bölin, je dois l'aider si elle est ici... Bien qu'on y arrive déjà pas à deux. Trouble d'une telle pensée ! Miracle presque effrayant que cela se produise véritablement. )
L'air somnambule, il s'approcha doucement du torkin pour lui chuchoter fébrilement: « Ces ombres, méfions-nous en. Mais mon intuition me dit qu'il y a quelqu'un d'autre derrière ces créatures. Elle arrive Bölin, elle arrive. »
Pleins de confiance, il lui assena ses mots en posant sa main contre son épaule un petit instant. Il était bien rare pour Amaryliel de toucher quelqu'un volontairement, même de façon aussi courte. Et pourtant, on ne décelait aucune joie dans son visage, sa psyché en disait long sur ses fantasmes mais son visage, lui était presque vide de sentiments. Pris entre le doute et le plaisir de retrouver une amie, cela n'a pourtant jamais été la grande complicité entre les deux. Il idéalisait la relation qu'il avait avec Rose car elle n'était qu'une petite fille flemmarde, désinvolte et toujours en rivalité avec lui. Elle était l'eau mais pas son incarnation du calme, aussi bien qu'Amaryliel pouvait être un soleil mais brûlant d'un feu obscur, serein. Elle ternissait une réputation qu'il avait détruit lui-même en se frottant au garde de la milice, en découvrant quel être malicieux se cachait en lui.
Elle... elle n'était pas au courant du sombre être qu'est Amaryliel.
L'elfe ramassa une de ses billes qu'il avait fait rouler puis se remit en route, l'esprit en phase avec ce cette sensation bizarre qui se définissait que par la petite et excentrique Rose.
_________________ Valla-Meär Amaryliel Il Alamitz
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