Cromax a écrit:
Cheylas ne semble pas vouloir venir près de moi, ne fut-ce que pour me parler. Aussi, lassé de l’attendre en n’étant même pas sûr qu’elle viendrait, je m’endors sur ma couche pour ne me réveiller, toujours en pleine forme, que le lendemain matin. Je me rends compte que j’arrive de mieux en mieux à dormir dans des endroits incongrus, sur n’importe quel type de sol. Il est vrai que Bogast nous a déjà bien baladé depuis le début de l’expédition, et jusqu’ici, nos découvertes n’ont pas été exceptionnelles.
Nous levons rapidement le campement et chacun se met en marche, toujours gardant notre cap vers l’Ouest. La journée est on ne peut plus banale, ennuyante même, dans cette forêt qui ne se renouvelle pas, toujours les mêmes plantes, les mêmes cris d’animaux, toujours aussi invisibles dans la végétation dense et luxuriante. Nous marchons ainsi toute la journée, ne nous arrêtant que rarement, pour manger un bout et reposer nos gambettes. Le soir vient enfin, et nous installons le campement. Une telle journée n’est pas très bonne pour le moral des aventuriers, je veux dire bien entendu des vrais aventuriers, ceux pour qui l’action est maîtresse de leur vie. Mais je suis quand même d’humeur joyeuse le soir avant de m’endormir, sans plus d’attention de la part de Cheylas que la veille.
(Ce manque de réaction commence à me peser…)
Je m’endors rapidement, préférant ne pas y penser davantage, laissant mon sommeil sous la garde avisée de deux braves combattants : Andelys le barbare et De le Drow.
Mais bientôt, des bruits sourds et cadencés se font entendre, devenant petit à petit de plus en plus forts. On dirait un géant qui frappe le sol avec une gigantesque masse d’arme, et je finis par me réveiller, perturbé dans mon sommeil par ces bruits étranges. Alors que je me lève, je vois les visages de mes compagnons marqués des stigmates de l’inquiétude, voire de la peur. Les bruits sont plus près encore que je ne l’imaginais et on peut presque penser que c’est une armée pour le moment invisible, en marche vers une guerre.
(Cette île est sensée être déserte…Serait-ce à nouveau un tremblement de terre ?)
Je nie l’évidence, qui s’offre bientôt indubitablement à nous. L’armée approche, et nous pouvons percevoir des cris gutturaux et sauvages, des cris affreux que seul un être à la limite de la monstruosité est capable de faire jaillir de ses entrailles gluantes. Mon regard passe rapidement sur chacun des membres de l’expédition. La peur se lit sur les visages. Je recule un peu du campement, le dos contre un arbre, les mains sur les manches de mes armes, scrutant la sombre forêt nocturne à la recherche de cette armée invisible. La lueur des flammes vacille autour de nous, rendant chacune des ombres mouvante, inquiétante. Les cris redoublent d’intensité, et un frisson me parcourt l’échine. Mes yeux n’arrêtent pas de se mouvoir de droite à gauche pour apercevoir ne fut-ce qu’une lueur de torche dans les ténèbres de ces sombres bois.
Bogast, visiblement lui aussi perturbé par ces bruits, ordonne aux cartographes de s’emparer des sacs, et le campement est rangé en toute hâte. Jusqu’à ce qu’Andelys se relève d’un coup, scrutant lui aussi la forêt. Lentement je dégaine mes lames fidèles. La tension sur le campement est à son comble et chacun doit se demander en son for intérieur qui seront ces ennemis, quel genre de créature devrons-nous combattre, survivrons-nous à un tel nombre ?
Une goutte de sueur coule le long de ma tempe, qui bat au rythme de mon cœur, rapidement, par secousses vives. Et c’est alors que je les vois, après qu’Andelys les ait remarqué. Toute une colonne de guerriers hérissés de piques et d’armes de tous bords, des êtres ignobles par leur apparence, au cœur noir et cruel. Ce sont des orcs qui arrivent lentement vers nous, avec ce pas cadencé qui fait bondir mon cœur dans ma poitrine. Toute une armée face à nous. Andelys paraît complètement consterné par cette apparition chaotique nocturne. Chacun l’est en réalité.
L’assaut semble donné. Les guerriers à la peau verte se ruent sur nous par dizaine, et Bogast nous hurle de tous nous enfuir pour sauver notre vie. Mais les premiers rangs de l’armée arrivent déjà sur le campement en toute hâte, à la lueur des flammes, armés de gourdins et de lourdes haches tranchantes, dont le fer brille dans la nuit comme une menace. Bientôt, ces armes se terniront de notre sang et nous mourrons découpés et piétinés par ces horreurs dégoûtantes, véritables erreurs de la nature.
(Non cela ne se peut ! Je ne peux pas mourir comme ça !)
Je pousse un cri de colère en levant mes deux armes devant moi, et cours vers un grand guerrier qui galope entre nos foyers. Il se tourne vers moi dans sa course et nous nous jetons l’un sur l’autre. La rage s’est emparée de moi, et c’est avec une folie meurtrière que je lance toutes mes forces dans l’assaut. La folie qui me permettra de vivre. Aucun de ces être difforme ne m’ôtera ce que j’ai de plus cher !
Le choc est terrible. Écartant de mon épée la hache de mon adversaire juste avant que celle-ci ne me percute, je tends ma rapière vers son buste, mais elle est accueillie sur un large bouclier de métal et glisse sur le côté. Dans le même mouvement, nos deux corps se percutent dans un fracas métallique affreux. Sa masse est bien plus grande que la mienne et je tombe en arrière sous le choc. L’orc pousse un beuglement rauque vers moi, lâchant de sa bouche des filets de bave jaunâtre et écoeurante. Son souffle putride arrive jusqu’à moi, et je m’écarte vivement de cet ennemi repoussant juste avant qu’il n’essaie de me trancher en deux. Sa hache s’abat sur le sol terreux et humide de la forêt dans un bruit sourd, et il l’arrache du sol dans un effort du biceps.
Je le regarde faire, sans attaquer. Il se dresse vers moi, me dominant de toute sa carrure. J’essaie de ne pas me laisser emporter par ma colère. J’analyse ses mouvements, chacun de ses gestes, essayant de prévoir quand il essaiera d’attaquer. Je calcule grâce à mon ouïe tout ce qui nous entoure, les arbres, les autres combattants, les foyers encore flambants, mes compagnons…
Le monstre caparaçonné de ferraille se remet à m’attaquer, mais il est plus prévisible que je ne m’y attendais. Il lève sa hache au dessus de sa tête et tente de l’abattre verticalement sur moi, pour me trancher en deux. Son optimisme lui fait défaut et je m’écarte de son arme en un bond leste dur le côté. Je frappe alors sa cuirasse de mon épée, mais ma lame glisse sur ses protections.
(Je dois trouver le point faible de son armure.)
Il lance encore un nouvel assaut, que j’évite d’une habile parade. La transpiration colle mes habits sur ma peau, sous mon armure. Sur ma gauche, je ressens la chaleur d’un de nos feux, qui éclaire la moitié droite de mon adversaire. Sans se douter que je l’analyse, l’orc tente une attaque, à nouveau, et je ne l’évite que de justesse. Il tente de faire balancier avec son arme pour me transpercer du fer de sa hache, mais manque son coup. Il est un peu déséquilibré, et je compte profiter de l’occasion. Son armure présente des faiblesse, à hauteur du coup, juste sous le menton, et ne résistera pas à un coup bien placé. Je fonce vers ce point sensible en tendant ma rapière, mais sans que je puisse en calculer la provenance, une flèche vient se planter juste devant moi, manquant de peu ma jambe. Je stoppe mon attaque pour me réfugier des tirs. Mon guerrier orc m’a vu, et contourne à son tour l’arbre épais. Se protégeant de son bouclier, il essaie de me broyer de sa lourde arme, mais je saute sur le côté et abat mon épée sur son poignet. L’impact est brutal et ses protections cèdent, faisant jaillir un flot de sang de son poignet. Surpris, il lâche sa hache sur le sol, la main pendante au bout de son bras. Il regarde son membre à moitié amputé et me lance un regard affreux, rempli de haine et de rancœur. Ses petits yeux torves me lancent des éclairs et il hurle, il rugit, dans la nuit. Il se débarrasse de son bouclier et me fais face, l’air terrible, les bras levés au ciel. Je ne relève pas son intention de se battre à mains nues contre moi, ou plutôt à main nue, vu que sa droite est plutôt mal en point, et je garde sur moi mes armes. Il lance son poing dans ma direction, allongeant le bras pour me percuter le visage, mais je m’abaisse prestement e, tendant devant moi mes deux lames, qui viennent se planter dans son bas ventre. Surpris, il recule, libérant mes armes de ses entrailles, d’où une gerbe de sang s’écoule lentement par deux trous béants à hauteur de ses intestins. Il regarde ses blessures et relève la tête vers moi, l’air ahuri et mauvais.
« Alors mon gros, on a du mal à rester entier ? »
Furieux, même si il n’a certainement pas compris ce que j’ai dit, il se rue sur moi, mais c’est ce à quoi je m’attendais, et arrivé à la bonne hauteur, je me fends en avant, la rapière tendue à bout de bras. Ma lame luisant dans la nuit vient se planter dans la gorge de mon adversaire, qui émet aussitôt un gargouillement atroce, libérant une gerbe de sang. En ôtant ma lame de son cou, je pivote sur moi-même et de mon épée, lui tranche la tête une bonne fois pour toute. Celle-ci roule sur le sol alors que son corps semble rester un instant en suspension, debout et étêté, avant de s’effondrer dans un bruit de métal sur le sol de la forêt.
Enfin débarrassé de ce guerrier coriace, je retourne vers le campement après avoir récupéré ma respiration. Aussitôt arrivé, je vois la petite Keynthara sauter de la branche d’un arbre sur le dos d’un des guerriers, dont elle semble maîtriser les attaques. Mais un gros balourd d’orque armé d’une massue la voit et tente de l’écrabouiller sur le crâne de son partenaire. Je me lance vers celui-ci avec mes armes, et il ne me voit qu’au dernier moment. Il se ramasse le manche de mon épée juste sur son gros menton gras et pouilleux. Il recule, un peu surpris par cette attaque. Il mugit de colère et lève son gros bras grassouillet, dévoilant de sordides aisselles adipeuses et transpirantes. Levant son arme contondante haut en l’air. Sa gueule rabougrie saigne un peu et ses dents proéminentes ont une couleur à faire pâlir de dégoût le plus crasseux des humains.
Pris d’horreur par ce manque d’hygiène, je recule prestement, mais le gros orc m’en veut pour le coup que je lui ai asséné dans les gencives, qui saignent maintenant abondamment, le liquide noirâtre se mêlant à son infecte bave puante et dégoulinant le long de ses haillons pourris. Il marche vers moi d’un pas pesant et lourd, comme si déplacer son énorme carcasse était difficile pour lui. La situation commence à me plaire et je sautille lestement autours de lui, sans qu’il puisse m’atteindre avec son gourdin, gêné par sa surcharge pondérale énorme.
Hélas, ce petit jeu un peu stupide, je l’avoue, me fait négliger mon attention et après un bond un peu trop proche de lui, il m’envoie son arme dans le ventre, et me balaye littéralement de sa masse en bois. Je fais un vol plané et atterris sur le dos, deux mètres plus loin. La douleur est lancinante et j’ai du mal à respirer tant le choc a été rude. Le ventripotent se rapplique vers moi à pas lents et lourds, et relève au dessus de lui sa grosse massue, prêt à m’éclater la tête dans une gerbe de sang et de cervelle, mêlée aux particules osseuses de mon crâne qui voleraient en lambeaux. Mais je n’ai aucune intention de me laisser exploser la face par ce gros plein de soupe à l’oignon moisi.
« Rhaaa ça tu vas le payer ! Sale orc putride ! »
La rage naît en moi. Il m’a fait mal, le bougre, et je sens la colère me monter au nez. Je me relève et fonce dans le gros tas de viande avariée. En termes commun et imagé, je dirais que je lui rentre littéralement dans le lard, mon épaule dans son gros bide pustuleux. Il recule, sans doute étonné par tant de fougue de ma part, mais de mon côté, je ne calcule plus rien. Je pète un câble. La vengeance a envahi toutes mes capacités cervicales et cette soif meurtrière ne se terminera que dans le sang de cet énorme abruti qui a osé me frapper. Ma colère ne désemplit pas, mes yeux se colorent de rouge, signe que je suis hors de moi, prêt à tout pour que mes armes transpercent ce gros balourd.
Une fois remis sur patte, je regarde mon ennemi en fulminant. Il n’a pas l’air vraiment content non plus du fait que je lui sois rentré dedans et lève sa grosse masse au ciel. Mais je suis ivre de rage, persécuté par cette vengeance qui me ronge l’esprit. Je fonce sur lui les deux armes en avant. Il n’a pas le temps d’abaisser son arme qu’il est déjà transpercé par mes deux lames. Son regard torve rencontre le mien, alors que nos deux visages sont presque en train de se toucher. Mes deux armes sont enfoncées jusqu’à la garde dans son bide énorme, et je sens le sang chaud et visqueux couler le long de mes doigts.
« Meurs ! »
J’arrache mes deux lames de ses tripes, tranchant violemment la peau de sa panse bedonnante, répandant sur le sol ses entrailles et ses boyaux. L’orc s’affaisse sur le sol et tombe à genoux. Mais me vengeance n’est pas accomplie. Il ne doit rien rester de ce sale guerrier obèse à la peau verte et écoeurante. Je taille dans sa chair puante, jusque quand il n’en reste plus qu’un tas immonde de viande écoeurante et fumante. Je tombe à genoux sur la carcasse, essoufflé, en sueur, les yeux clos. Ma rage est passée, ma vengeance est assouvie.
Une vois se répercute alors dans mon esprit. C’est Bogast qui nous hurle de nous replier, de fuir pour notre salut. Je me relève, paniqué. J’avais perdu conscience que c’était contre une armée que nous nous battions. Je regarde autours de moi. Mes compagnons sont en difficulté. Je vois la petite aniathy tout près de moi, achevant de tuer son orc. Plus loin, je vois Andelys et Arevoès qui s’enfuient dans une direction. Je rengaine mes armes et plonge vers la petite Keynthara et la soulève pour la prendre dans mes bras. Elle ne doit pas comprendre tout de suite ce qui se passe car elle se débat un petit peu, mais quand elle se rend compte que c’est moi, elle me laisse faire. Je cours avec la petite dans mes bras, à perdre haleine, espérant rattraper mes deux autres compagnons. Je suis rapide, même avec la petite dans mes bras, et je les rattrape bientôt, le souffle court, mais l’instinct de survie prédominant. Nous courons pour sauver notre vie. La nuit est encore sombre et les bois encore davantage. Nous courrons sans nous soucier de nos poursuivants, juste pour leur échapper, nous courrons, toujours, jusqu’à l’épuisement…
Nous sommes rejoins par Seldell et Lothindil, qui fuient avec nous dans la forêt. Le groupe, même si je n’en ai pas encore totalement conscience, s’est séparé…