Une allée d'arbres ceinture la propriété d'Olwë, la demeure est à quelques dizaines de mètres de l'écriteau annonçant l'élevage connu et reconnu au sein de Cuilnen. Inès pose son coffre pour s'arrêter un instant devant l'ensemble et repenser aux conseils donnés par son grand-père et ses parents. Elle s'apprête à quitter, pour la première fois, sa ville natale et, si les forêts alentours sauront la protéger, il n'en sera pas de même une fois l'Arnofain quitté. Les entraînements pourront l'aider si elle en vient à devoir se défendre, mais qu'en sera-t-il des deux Sinaris qu'elle vient rejoindre ici ? Avant que sa détermination ne pâtisse de ces interrogations, elle passe l'enceinte végétale et se dirige vers la porte de la petite bâtisse en bois et pierre.
Personne dans la demeure. Il y fait sombre, pas une lanterne ne vient adoucir l'ambiance pesante qui y règne. Elle appelle, timidement, le maître des lieux. Aucune réponse. Elle s'avance dans la pénombre, à tâtons, le temps de s'adapter au faible éclairage. Aucune réaction. Elle insiste en poussant un peu la voix. N'obtenant aucune réponse, elle s'assoit à une table installée à un angle de la pièce, juste à côté d'une fenêtre où quelques rayons timides percent à travers les feuillages. Son trésor est posé à ses pieds et elle l'observe, songeuse. Le silence et l'attente l'entraînent à nouveau dans ses pensées.
(À part pour l'honneur de Valyndra, je ne comprends pas pourquoi je me suis embarquée là-dedans. Pourquoi voulait-il envoyer ce coffre à Oranan ? Nous n'y avons rien là-bas… Surtout qu'il me faut le déposer dans un temple dédié à Rana. Nous ne vénérons pas cette déesse… Même si nous ne la renions quand même pas. Elle est une grande déesse, très sage.)
Elle s'empresse de formuler ces dernières pensées, craignant d'offenser la déesse.
(Je ne savais pas que Valy' était attaché à elle. Nous n'avons même pas un petit autel à la maison qui lui soit consacré. Qu'il y a-t-il donc là-dedans ?)
"Bonjour. Je peux vous aider ?"
Elle se lève d'un bond et salue Olwë qui vient d'apparaître dans l'embrasure de la porte arrière.
"Je viens retrouver Camelia et Hambout. Leur charrette et leurs poneys sont en pension ici, normalement." "Oh. Oui, bien sûr. Ils sont dans la deuxième allée, en train de préparer leurs affaires. Je prépare un thé, en voulez-vous un ?" "Euh… Oui… s'il vous plaît. Merci."
Il s'éloigne dans une pièce adjacente et, après un court instant, sa voix puissante perce à nouveau le silence.
"Vous êtes la fille d'Îshimak, c'est bien cela ?" "C'est bien cela, oui." lui répond-t-elle, en haussant la voix pour être sûre qu'il l'entende.
À nouveau, le silence occupe la pièce. Puis, sans venir à sa rencontre, il ajoute :
"Mes condoléances, pour votre grand-père. C'était une personne respectable."
Elle ne répond rien. Elle ne sait pas quoi répondre à ces paroles. Le silence la rassure, mais, à nouveau, il se trouve rompu par la voix de l'éleveur, revenu dans la pièce principale. Il ouvre la porte arrière et hurle à l'extérieur.
"Hambout ! Camellia ! Le thé est servi !"
Tandis qu'il la rejoint à table, avec un plateau chargé d'une théière et de quatre tasses, Inès en profite pour l'observer. Grand, de longs cheveux attachés en queue basse, des mains larges, des vêtements plus confortables qu'esthétiques, en cuir, avec de hautes bottes crottées. Les deux Sinaris le suivent de peu, en riant et se chamaillant. Mais la vue d'Inès les réfrène aussitôt.
"Ça va aller, ne vous retenez pas pour moi. J'entends peu de sons joyeux ces derniers temps."
Malgré sa demande, le couple garde son sérieux et s'approche de la tablée.
"On voudrait pas vous décourager dans votre entreprise mais… vous êtes sûre de vouloir faire ce voyage ?" "La route est pas sûre dans le royaume kendain… Pourquoi vouloir aller là-bas ?"
Elle hésite un temps, les yeux fixés sur le coffre. Sans les regarder elle leur répond d'une voix monocorde.
"Je l'ai promis à Valyndra. Je vais accomplir ce voyage qu'il n'a pu faire de son vivant." "Et y'a quoi dans ce coffre ?" demande innocemment Hambout. "Aucune idée…Valy' ne m'en a rien dit. Mais ce doit être important, pour lui en tout cas. Quand pourrons-nous partir ?" "Bah, après le thé, je pense." "Et les gâteaux !"
Le quatrième repas de la journée des Sinaris terminé, auquel Inès n'a pas touché, le petit groupe se dirige enfin vers la charrette bien moins chargée qu'à son arrivée. Camellia et Hambout s'installent sur la banquette avant et désignent à Inès l'intérieur. Elle place d'abord le coffre, qu'elle fait glisser sur le plancher bien lustré puis tente de monter. Mais la charrette est couverte avec de grands arceaux, si on les considère d'un point de vue de Sinari, mais relativement petits pour une hiniönne. Elle ne peut s'installer qu'en tailleur à l'arrière et les prévient une fois sa place prise. Les poneys sont hélés, une secousse, un grincement des essieux et le départ est donné.
_________________
|