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 Sujet du message: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Sam 27 Mar 2010 17:20 
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La Gorge de Kuasu


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Tout au nord de la région d'Eniod, le grand fleuve se voit s'étaler en plusieurs kilomètres de chutes au bout desquelles se trouve la non-moins impressionnante "Gorge de Kuasu", véritable cirque de chutes et de vapeurs d'eaux qui retentissent dans un grondement intense.

Kuasu était un puissant magicien varrockien, maître absolu dans la manipulation de l'élément aquatique. Son don l'avait naturellement amené à découvrir cet endroit et il avait choisi de s'en faire, caché derrière une de ces chutes, son foyer, et continuer à y vivre, en ermite, dans le but de s'enivrer au plus profond de lui-même des fluides qui parcourait naturellement ces lieux.

Nul ne savait réellement ce qu'il devint ensuite.

On s'est dit qu'il a simplement fini par mourir de vieillesse, ce jusqu'à ce que des explorateurs impétueux aient fini par découvrir son lieu d'habitat où, sur un vieux grimoire, le magicien laissa pour toute dernière ligne :

"Oui, par Moura oui ! Mes recherches furent fructueuses ! J'avais raison ! L'être pensant et son élément peuvent ne devenir qu'un ! C'est très risqué, mais si ce dernier sort réussi, je deviendrais à coup sûr esprit d'homme dans corps d'eau ! Mon corps faiblit, je n'ai plus rien à perdre à tenter cela ! Adieu, vieux os et chairs pourrissantes, je vous quitte pour cette étreinte humide que sera mon nouveau corps... Un corps qui plus est, sera immortel..."


Ce qui semble être son squelette fut trouvé non loin de là, mais il est à noter depuis cette fantastique découverte, une multitude d'évènements magiques se passant sans explication dans le fleuve... Des témoignages parlent aussi d'un récurent "Esprit de l'eau" qui le hante... Se pourrait-il que Kuasu ait réellement réussi ce qu'il entreprenait ?

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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Mar 9 Mai 2017 16:55 
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L'Elfe évoque son enfance avec sobriété et retenue après que je lui aie fait part de ma curiosité à cet égard. Bien loin du cadre de vie du désert où j'ai grandi, grottes misérables et paysages arides impliquant une lutte permanente pour survivre, le décor qu'elle me dépeint a pour moi la douceur un peu irréelle d'un rêve. Est-ce cela qui rend ses compatriotes si placides, satisfaits de leurs petites vies confortables? Pourquoi, dans ce cas, ma compagne d'aventure n'a-t'elle pas trouvé sa place dans ce monde si parfait d'apparence? Pourquoi cette particularité qui l'a poussée à partir à l'aventure, à quitter le cocon soyeux dans lequel elle a grandi? Peut-être parce qu'à force d'écouter des contes et autres légendes, elle a pris conscience qu'il existait autre chose, d'autres manières de vivre, de penser? Peut-être parce qu'elle a développé une conscience plus profonde du monde, et que cette conscience empêche de se sentir vraiment heureux alors que d'autres souffrent? Je n'ai pas de réponse absolue à toutes ces questions, je n'ai que des hypothèses, des suppositions plus ou moins intuitives en perpétuelle évolution.

Elle évoque ensuite une mystérieuse cité du nom d'Hidirain, la décrivant laconiquement comme la plus belle et sereine de toutes les villes Elfiques. J'opine pensivement à ces mots, bien que je ne puisse imaginer à quoi pourrait bien ressembler une cité Hinïonne. Je me sens étrangement partagé à l'idée que l'on puisse quitter un tel lieu pour aller affronter le monde et ses troubles, d'un côté je comprends la soif de découvertes, de connaissances, d'un autre je me sens naïf d'imaginer cet endroit comme étant idéal. Je crois que la vie implique le mouvement, la lutte, une évolution en somme. Peut-être est-ce cela qui manque dans ces lieux paradisiaques qu'elle me décrit? Là encore je n'en sais rien, je ne parviens pas à imaginer une existence qui ne nécessiterait pas de se battre pour survivre, sans doute parce que je n'ai jamais connu qu'une lutte incessante et impitoyable.

Au gré de notre chevauchée, nous finissons par entendre un discret grondement qui m'intrigue fort car nous sommes trop éloignés de la mer pour percevoir son ressac. Mon étonnement croît proportionnellement à l'ampleur de ce son grave et troublant, qui fait également naître en moi une discrète inquiétude. Nous décidons pourtant d'aller voir de quoi il retourne, notre curiosité l'emportant sur notre prudence, et parvenons un peu plus tard en un lieu si surréaliste que je me fige sur place en le découvrant. Un gigantesque cirque rocheux se révèle, duquel dévale une quantité d'eau impensable, prodigieuse. Je sens mon coeur se serrer dans ma poitrine à cette vision, même dans mes rêves les plus débridés je n'ai pas imaginé qu'il puisse simplement exister une telle quantité d'eau dans le monde. Ce qui coule là en une seconde abreuverait tout mon peuple pendant un siècle, le précieux liquide est présent en une quantité si absurde que c'en est presque...indécent.

Je m'approche du bord de l'eau dans un état second, envahi d'une espèce de crainte superstitieuse devant le gigantisme de cette cascade, je n'arrive pas vraiment à croire que ce soit de l'eau douce, on dirait plutôt qu'un océan se déverse là comme si le monde était barré d'une marche colossale. Je m'accroupis sur la berge et recueille respectueusement un peu de liquide dans le creux de ma main pour le goûter avec prudence, il m'est arrivé d'avoir assez soif pour essayer d'absorber de l'eau salée et ce n'est pas une expérience que j'ai envie de réitérer. Mais il n'y a pas de sel dans cette eau là, elle est si fraîche et si pure que j'en ai les larmes aux yeux, larmes que je m'empresse instinctivement de récupérer du bout d'un doigt afin de m'en désaltérer. Un éclat de rire jaillit soudain des tréfonds de mon être lorsque je réalise l'absurdité de mon geste, il y a là de quoi désaltérer tous les assoiffés du monde et moi je récupère une minuscule goutte sur ma joue, de peur qu'elle ne se perde? Plus rien n'a de sens, ici, tout ce que j'ai appris, tous les réflexes issus de mon passé perdent de leur substance, ils n'ont aucune raison d'être dans cet environnement. Pourtant...que se passerait-il si la cascade tarissait soudain? Si elle était souillée et qu'elle rende malade? Eh bien chaque goutte du précieux breuvage redeviendrait vitale, simplement. L'abondance ne devrait jamais impliquer du gaspillage ou un manque de respect, on ne sait jamais ce que demain nous réserve et nous autres Eruïons en savons assez sur la folie des dieux pour ne pas nous reposer sur des acquis qui peuvent s'effondrer d'un simple caprice de leur part.

Ce n'est que lorsque j'ai soigneusement rempli ma gourde que je réalise que l'air lui-même est humide, mon visage et mes vêtements sont recouverts d'une infinité de minuscules perles translucides issues des embruns qui tissent comme une nappe de brouillard autour de nous. En me relevant, je découvre avec stupeur que le Lokyarme s'est envolé et batifole dans cette brume impalpable avec une joie si intense qu'elle me laisse sans voix, les yeux écarquillés d'admiration. Il finit par disparaître à notre vue et ce n'est qu'à cet instant qu'Isil reprend la parole, un sourire étrangement féroce aux lèvres, pour me proposer de déjeuner ici puisque nous ne sommes pas pressés. Souriant pour ma part comme un idiot, je me tourne vers elle de manière à lui faire face et incline simplement le visage en signe d'acquiescement, la gorge encore nouée du spectacle majestueux auquel je viens d'assister. Il me faut faire un rude effort de volonté pour reprendre un peu mes esprits et me diriger vers ma jument afin de de sortir de ses fontes un peu de nourriture mais, à peine ai-je fait trois pas que je m'immobilise en portant instinctivement la main à la poignée de mon épée Shaakte.

Cinq individus, des humains vêtus de cuir et de pièces d'armures hétéroclites, nous observent de l'orée de la forêt, ouvertement sardoniques. Je fronce les sourcils en les examinant plus attentivement, ils sont crasseux et hirsutes, faméliques à faire peur et, plus inquiétant, armés jusqu'aux dents. Je ne suis qu'un jeune Elfe naïf, mais dix ans à ramer avec la lie de ce monde m'ont appris à reconnaître des malandrins lorsque j'en vois et ceux-là n'ont aucune intention de partager paisiblement notre repas. Cette certitude chasse durement la douce euphorie qui s'était emparée de moi, la vie est faite de luttes, ici comme ailleurs, insensé que j'étais d'en avoir douté. D'une voix dure je couvre le fracas de la cascade pour prévenir ma compagne d'aventure:

"Nous déjeunerons plus tard, d'abord il va falloir défendre nos vies, Dame."

Ma lame sort lentement de son fourreau alors que j'avance vers les bandits sans me poser la moindre question supplémentaire malgré leur nombre. Mon existence n'a été qu'un long combat pour survivre, elle s'achèvera quand Zewen l'aura décidé et il n'est pas en mon pouvoir d'échapper à mon destin, alors quelle importance si ce combat est le dernier? J'aurais eu la chance de voir ce lieu, de rencontrer Isil et son Lokyarme et puis, avec la mort c'est la souffrance qui disparaît, tous les Eruïons savent ça et rares sont ceux de nous qui craignent la fin.

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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Mar 8 Aoû 2017 02:38 
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Alors que j'avance déjà, lame au poing, vers ces humains que j'ai d'office classifiés comme malveillants, j'ai la surprise de sentir soudain la main légère de l'Hinïone se poser sur la mienne. Je détache brièvement les yeux de nos visiteurs impromptus et les pose sur le visage d'Isil pour comprendre la raison de ce geste, presque impensable venant de ma compagne de route si réservée d'habitude. Son attitude me renseigne aussitôt car elle avance alors de quelques pas, sans avoir dégainé son épée, et tente de parlementer avec les marauds, affirmant que nous ne souhaitons pas de conflit et que nous sommes prêts à partager notre repas avec eux. Je hausse les sourcils, un peu incrédule devant cette réaction pleine de modération et de bonté, avant de me rappeler que c'est une Elfe Blanche. Mais ces humains ne se satisferont pas de quelques victuailles, c'est du sang qu'ils veulent, il y a dans leurs yeux une lueur que j'ai appris à reconnaître voilà bien longtemps, lors d'une nuit où j'ai vu les anciens de mon peuple tenter de raisonner une troupe de Sindeldi. De sages paroles que nos ennemis n'écoutèrent pas même d'une oreille, c'était notre mort qu'ils voulaient et rien n'aurait pu les détourner de leur but.

Ce qui m'étonne le plus dans la situation présente, c'est que mon amie Elfe ait conservé une telle candeur malgré ce qu'elle a vécu chez les Shaakts, une expérience propre à priver de toute compassion n'importe qui, mais pas elle apparemment. Il fallait du courage pour soulever les esclaves et combattre les Elfes Noirs afin de regagner sa liberté, mais c'est tout autre chose qu'elle dévoile à cet instant car ce n'est certainement pas la crainte qui la pousse à agir comme elle le fait. Bien que je ne croie pas une seconde au succès de son entreprise, je n'ai pas la moindre envie de me moquer de cette espèce de naïveté qu'elle manifeste en espérant raisonner ces gueux. A mes yeux, elle a quelque chose de si pur que cela m'oblige à remettre en question ma propre réaction, exempte quant à elle de la moindre compassion. Tuer ou être tué, à cela se résument nos choix dans l'enfer de Sarnissa, un milieu qui fait de nous des êtres plus durs et impitoyables qu'il ne le faudrait, peut-être. Malheureusement, la réponse des gueux me donne tristement raison car l'un d'eux s'avance pour clamer:

"Mes frères ! Notre Maître a répondu à nos demandes ! Le sacrifice, le don du sang pour l’eau, il le demande, c’est un signe !"

Allons bon, des fanatiques...les humains n'ont-ils donc aucune mémoire du passé? Ignorent-ils, ou ne veulent-ils pas voir, que les dieux sont à l'origine des malheurs qui frappent les êtres vivants? Je m'abstiens pourtant de le clamer, il n'y a pas que la soif de sang dans les yeux de cet insensé, c'est la folie qui hante son regard, de celle qu'il serait vain de tenter de raisonner. Ses comparses dégainent leurs armes tandis que l'illuminé lève les bras au ciel en bramant:

"Ô Grand Kuasu, accepte cette nouvelle offrande ! Montre-toi à nous ! Laisse-nous te rejoindre !"

Kuasu? Qui est-ce encore que ce bougre? Un nouveau dieu? Dégoûté, j'avance pour me placer aux côtés d'Isil et grogne entre mes dents serrées:

"Bon sang, y'a tout un panthéon à disposition des bigots, mais croyez-vous que ça leur suffirait? Non, faut qu'ils en inventent d'autres...Kuasu...Ah c'est sûr, il manquait au palmarès celui-là..."

Je ne suis apparemment pas le seul à ignorer qui est ce nouveau persécuteur car Isil leur pose justement la question tout en dégainant enfin sa magnifique épée, pas trop tôt si on me demandait mon avis, ce qui n'est pas le cas. Comme de juste, les autres marauds se gardent bien de répondre, secret d'initié de pacotille sans doute, et préfèrent acclamer leur dingue de chef avant que le plus exalté ne se précipite sur nous. Eh bien, s'ils veulent rejoindre leur dieu avant l'heure je n'y vois guère d'inconvénient, ma lame saura leur rendre ce fier service, du moins je l'espère. Mais, outre le fait que je n'aie jamais été un combattant particulièrement doué, cela fait plus de dix ans que je n'ai pas manié une épée et j'en suis encore à me demander comment parer le coup qui nous arrive dessus qu'Isil est déjà en train de mener la vie dure à notre assaillant. Bon, eh bien voilà qui me renseigne sans détour sur mon habileté d'escrimeur, une chance que je ne me sois guère bercé d'illusions à ce propos, mon égo en aurait pris un méchant coup...

Les autres bandits se mettent presque aussitôt en branle pour se joindre à la curée, une charge que j'observe d'un air sombre en me demandant contre lequel je dois me porter pour éviter de me retrouver contraint de lutter contre plusieurs adversaires à la fois. Une fois de plus, j'en suis encore à cogiter lorsque une ombre voile le soleil, puis s'abat mortellement sur un ennemi tout en monopolisant l'attention d'un deuxième, bien trop proche du fauve ailé pour sa santé. Dans le genre pis qu'inutile je fais fort, une pensée qui m'incite à me remuer sans plus tergiverser pour aller faire tâter de ma lame au seul maraud encore inoccupé, le chef excepté car il se tient en retrait du combat pour le moment.

Mon adversaire, efflanqué comme un loup et crasseux comme un goret, pare rudement mon premier coup de taille de son braquemart ébréché en découvrant les deux rangées de chicots noircis qui lui servent de dents, m'adressant ainsi un sourire ouvertement moqueur. Avant que je n'aie pu ramener ma lame en position défensive, il riposte d'un revers agressif que j'esquive d'un bond frénétique en arrière, manquant de peu m'affaler à cause du sol inégal. Le temps que je reprenne mon équilibre et le bougre est déjà sur moi, pointant dangereusement sa lame en direction de ma gorge, un coup que je dévie de façon assez approximative du plat de mon épée et qui passe à moins d'une main de ma joue. Ma lame étant haute à cause de cette parade, j'opte pour une frappe diagonale visant son col, mais le maudit la pare en ramenant vivement sa lame à lui et, sa trogne hirsute fendue d'un plus large sourire encore, riposte brutalement d'une taillade visant mon bras d'arme. Je pivote assez joliment pour l'esquiver, mais je réalise à l'instant où j'entame mon geste que l'attaque n'était qu'une fichue feinte! Je ramène ma lame Shaakte en urgence pour tenter de parer la véritable attaque, qui visait en fait ma jambe et non mon bras, mais mon geste est un rien trop lent et le braquemart trace une sanglante balafre sur ma cuisse. Rageur, je fais décrire à mon arme un puissant arc de cercle afin de forcer mon adversaire à s'éloigner, ce qu'il ne consent à faire que pour mieux revenir à la charge, une fois ma lame au diable bien sûr puisque emportée par l'élan peu contrôlé que je lui ai insufflé.

Je tente de reculer si hâtivement que mon talon droit heurte une racine, ce qui me sauve peut-être la vie car le fendoir me frôle le menton alors que je chute rudement sur le dos. Souffle coupé par le choc, je sens la douleur de ma blessure à la cuisse affluer à cet instant, mais le moment est mal choisi pour m'en préoccuper car le maudit crasseux entend bien profiter de ma position malsaine pour me fendre en deux comme une vulgaire bûche. Je roule précipitamment de côté et frémis en voyant la lame se planter dans le sol à l'endroit précis où se trouvait mon ventre une seconde plus tôt, par Zewen ce n'est pas passé loin cette fois... Je m'active pour me relever malgré les protestations de ma jambe entaillée, pas assez vite toutefois car j'ai encore un genou en terre lorsque le coup de hachoir suivant menace de me fracasser le crâne. Je parviens à le parer à peu près correctement et riposte d'un coup d'estoc nerveux qui, cette fois, trouve la chair de mon ennemi et lui perfore salement l'abdomen! Il hurle comme un cochon qu'on égorge et me balance un rustique coup de poing de sa main libre, une attaque qui me prend totalement par surprise car c'est son arme que je surveillais. Je prends son poing en plein visage et le choc est si rude qu'il me renvoie aussi sec dos au sol, si bien sonné qu'il me faut faire un puissant effort de volonté pour rester conscient. Comble de chance, c'est vraiment mon jour, j'ai atterri sur un buisson épineux fort peu compatissant qui me larde de ses défenses acérées, mais ces égratignures sont le cadet de mes soucis car déjà le maraud fonce sur moi. Faute d'avoir le moindre espoir d'arriver à me relever avant qu'il ne frappe, je me tortille frénétiquement pour me dégager du buisson et plante mes talons et les ongles de ma main libre dans le sol pierreux pour essayer de reculer, mais je réalise très vite que cela ne suffira pas.

Sentant un caillou de la taille d'une pomme sous ma main, je m'en empare et le lance fébrilement à la figure de mon ennemi, désormais si proche qu'il n'a nullement le temps de l'esquiver. L'impact de la caillasse sur son arcade sourcilière gauche produit un craquement que je trouve résolument jouissif, d'autant plus que cela a pour conséquence de le stopper aussi net que s'il avait percuté un mur, ce qui est un peu le cas, d'une certaine manière. Le bougre beugle de souffrance et porte instinctivement sa main libre à sa blessure, laquelle saigne si abondamment qu'elle lui brouille salement la vision. Je me redresse frénétiquement sur les genoux et profite sans pitié de l'opportunité qui m'est offerte pour lui asséner un solide coup de taille dans les tibias, pas assez puissant pour lui casser les os mais bien suffisant pour le faire choir à plat ventre juste devant moi! Sans la moindre hésitation, je saisis mon épée des deux mains et la lève au-dessus de ma tête, pointe vers le bas, avant de la rabattre sommairement dans le dos du puant personnage. Ma lame, bien épaulée par le poids de mon corps pour une fois, position aidant, traverse le torse de l'humain de part en part jusqu'à aller buter dans le sol en dessous tandis que je gronde:

"Va rejoindre ton Kuasu! ça t'apprendra à ruiner mes beaux habits tout neufs, saleté!"

Je dégage ma lame d'une traction et lui administre un deuxième coup similaire pour la peine, teigneux jusqu'au bout des ongles. Mais c'est vrai à la fin, jamais je n'avais eu si beaux vêtements! J'en étais fier et c'est à peine s'ils avaient pris la poussière durant les quelques jours de voyage précédents, comment vais-je m'habiller maintenant?! Tout à mes questions existentielles, j'en oublie un peu ce qui se passe autour de moi et ne réalise mon erreur que lorsqu'une vague monstrueuse s'abat sur moi, événement qui me plonge dans une absolue incompréhension. La première idée qui me vient, totalement saugrenue, est qu'un abruti a réussi à détourner le cours du fleuve. La deuxième, plus sensée, me vient lorsque je prends conscience que le raz de marée est en train de m'emporter et que j'aurais tout intérêt à m'accrocher à quelque chose. Je m'y efforce aussitôt fébrilement, à l'aveuglette parce que l'eau n'a rien de la limpidité cristalline du fleuve en question, mais mes mains ne trouvent rien d'assez solide pour résister à mon poids et à la force du courant. Je commence à paniquer sévèrement lorsqu'un rocher finit par m'arrêter, pas en douceur mais tant pis, je lui en suis tout de même reconnaissant. Totalement déboussolé, hoquetant et toussant, je m'extirpe du flot tumultueux, à moins qu'il n'ait cessé aussi soudainement qu'apparu, le détail m'échappe mais qu'importe, il y a de l'air et c'est tout ce que je demandais.

Quelques secondes plus tard, après m'être frotté les yeux pour y voir un peu clair, je réalise que j'ai perdu mon épée dans la tourmente puis découvre Isil en train de lutter contre le chef de la bande, non sans mal apparemment car ce dernier esquive et pare habilement deux coups de suite. Je cille en voyant apparaître soudain une espèce de brume surnaturelle autour de l'Hinïone et m'exclame bêtement d'un ton abasourdi:

"Mais...c'est un mage!!!"

Certains pourraient relever que je suis assez doué pour asséner les évidences, mais pour moi il est totalement incompréhensible qu'un être doté de pouvoirs magiques fasse partie d'une bande de brigands. A plus forte raison quand il maîtrise la magie de l'eau, un don plus précieux que n'importe quel autre dans mon pays natal. Un tel être serait vénéré et choyé dans mon peuple, bien davantage qu'un dieu, il serait riche et influent, puissant. Ce que je vois là échappe si totalement à mon entendement que je reste là, à le regarder de mes yeux écarquillés, durant ce qui me semble être une éternité. Je ne songe au fait que je pourrais peut-être donner un coup de main à Isil que lorsqu'il est trop tard, le mage a fait une grossière erreur: il a oublié de surveiller Lhyrr. Lequel attrape l'inconcevable mage par la gorge, ce qui permet à l'Hinïone de lui plonger sa redoutable lame dans le coeur. A cet instant, un gémissement tout proche me fait sursauter, je tourne vivement la tête pour découvrir l'origine du son et aperçois alors l'un des bandits désespérément accroché à la berge du fleuve, sur le point d'être emporté par le courant. Apparemment je ne suis pas le seul a avoir subi le raz de marée, mais bon sang quel genre de chef faut-il être pour frapper ses propres guerriers de sa magie? Les coutumes des terres humides m'échappent, décidément. Quoi qu'il en soit, le maraud s'avise que je le regarde et me hèle alors d'une voix fêlée par la peur:

"Aidez-moi! Je vous en supplie, sortez moi de là!"

Un bref coup d'oeil alentours me permet de localiser mon arme, coincée entre les branches d'un buisson. Je la récupère rapidement puis me dirige vers le naufragé et lui tends ma main libre, qu'il saisit aussitôt en haletant:

"Merci, merci messire!"

Je lui souris en le tirant à moi et lui réponds aimablement: "Il n'y a pas de quoi, vraiment", avant de lui plonger ma lame dans la gorge.

J'observe durant quelques instants son cadavre dériver au fil de l'eau, puis envahi d'une soudaine inquiétude, je m'en détourne pour rejoindre Isil en boitillant et m'assurer qu'elle va bien. Je la découvre bien vite, dans une posture qui indique qu'elle s'est laissée tomber au sol, d'épuisement sans doute, échevelée et un peu hagarde. Je croise son regard qui semble me chercher et m'étonne d'y lire une inquiétude semblable à celle qui m'a saisi, d'autant plus qu'elle semble me concerner. Je lui adresse un signe de la main pour dire que tout va bien en m'approchant d'elle aussi rapidement que me le permet ma plaie, les yeux rivés au sol pour dissimuler mon trouble. J'ai beau chercher dans ma mémoire, je n'ai pas souvenir que quiconque m'ait jamais regardé ainsi. Certains adultes de mon peuple ont bien dû s'inquiéter pour moi, mais cela date du temps où j'étais encore l'un des enfants de la tribu, si précieux pour les nôtres, et mes souvenirs sont devenus un peu flous avec les années. Ce n'est qu'une fois parvenu auprès de l'Hinïone que je relève les yeux pour l'observer des pieds à la tête malgré ma gêne. Elle a visiblement subi quelques plaies qui nécessitent d'être soignées, rien de vraiment dangereux pour ce que j'en vois, mais assez tout de même pour expliquer son état d'apparente faiblesse. Fidèle à moi-même, je dissimule mon trouble derrière un sourire malicieux et lui tends une main pour l'aider à se relever:

"Vous avez un petit air sauvage, ainsi ensanglantée et décoiffée. ça vous va bien."

Je désigne le bord du fleuve du menton, en amont du combat, avant d'ajouter d'un air tout à fait sérieux cette fois:

"Venez, il faut nettoyer vos plaies sans tarder, Zewen seul sait quelles saletés souillaient les lames de ces fous crasseux."

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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Dim 13 Aoû 2017 13:46 
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Isil saisit ma main pour se relever, laissant échapper un petit reniflement de dérision à mes paroles, une lueur d'amusement qui me réchauffe le coeur dans l'oeil. Elle était si grave, si triste lorsque nous nous sommes rencontrés, la voir sourire, ou simplement amusée, me semble être un signe qu'elle va mieux et j'en suis étrangement heureux, moi qui ne me suis soucié de personne depuis de longues années. Quand je lui fais part de la nécessité de soigner rapidement ses blessures, elle hausse les épaules comme pour chasser la question et me rétorque qu'elle n'a subi qu'un coup d'épée et que le reste de ses plaies provient des griffes de son compagnon ailé. Elle rassemble rapidement ses affaires puis observe d'un oeil critique l'entaille que j'ai subie à la jambe avant de déclarer que cette blessure là, contrairement aux siennes, va nécessiter un soin approfondi. Elle me propose aussitôt de faire un feu et de s'en occuper mais, doutant quelque peu que les griffes de Lhyrr soient très propres, je lui réponds doucement après un regard d'excuse au Lokyarme:

"Il y a trois minutes, les griffes de votre compagnon étaient plantées dans ces crasseux personnages, soit dit sans vouloir l'offenser."

Isil jette un regard à son compagnon, qui adopte un air un peu gêné que je ne peux m'empêcher de trouver cocasse, puis elle hausse les épaules en répétant vouloir s'occuper en priorité de ma coupure, urgence qu'elle souligne d'un coup d'oeil appuyé au sang qui s'en écoule lentement mais sans interruption. Sentant sans doute ma réticence, elle exagère la moindre en disant que je suis en train de me vider de mon sang et me demande de quelle utilité je pourrais bien être si je me vide de mon sang et, détail auquel je n'avais pas franchement songé, qui va monter la garde. Un peu interloqué par ces questions certes pratiques mais peu d'actualité à mon sens, je la dévisage pendant un bref instant avant de remarquer à nouveau cette petite lueur amusée dans ses yeux, agrémentée d'un pli à la commissure des lèvres qui m'apprend qu'elle s'efforce de ne pas sourire. Ses arguments ne manquent pas de pertinence, mais seule la tradition de mon peuple m'empêche de lui rétorquer, orgueilleusement sans doute, qu'il en faudrait plus qu'une vulgaire entaille pour m'abattre et que je monterai la garde même si cela doit m'achever. Je ne réponds pas, mais je n'en pense pas moins et un discret sourire relève le coin de mes lèvres alors que je hausse légèrement les épaules, fataliste. Mais elle n'est visiblement pas dupe de mon silence car elle plisse les yeux en me scrutant, sans répondre toutefois, ce qui n'est pas sans m'inquiéter la moindre, la discussion à ce propos n'est apparemment pas close...

Ma compagne d'aventures se met alors à fouiller les cadavres en quête de ce qu'ils pourraient avoir d'utile sur eux, ce que j'imite sur le corps du maraud que j'ai moi-même tué, puis nous remontons lentement et péniblement le fleuve afin de trouver un endroit moins sanglant, que nous finissons par dénicher en amont des chutes. Après avoir aidé à la récolte de bois pour le feu et être allé chercher de l'eau propre, je regarde d'un air de profonde incompréhension le matériel que dévoile Isil après s'être débarrassée de son armure: du fil, des aiguilles et une gourde d'alcool, vision qui me fait secouer la tête négativement, incrédule:

"Je ne sais trop ce que vous comptiez faire avec ça, mais...une lame chauffée suffira, ce n'est qu'une estafilade. Je regarderai ça après que nous ayons soigné les vôtres, de blessures."

Je prononce ces derniers mots comme la plus limpide évidence, il n'est pas question que je m'occupe de moi-même alors qu'une femme est blessée. Ce serait contraire à tout ce que j'ai appris, un Eruïon qui agirait ainsi serait la honte des siens, les femmes et les enfants passent d'abord, toujours. Je sais fort bien que ma plaie n'est pas qu'une estafilade superficielle, la douleur qu'elle m'inflige est cuisante, mais cela ne change rien, je suis un adulte capable de supporter la souffrance, la vie entière en est faite et j'ai appris à l'accepter il y a bien des années. Ma réponse, pourtant fort sensée à mes yeux, provoque une étrange réaction du Lokyarme qui se met à feuler jusqu'à ne plus en avoir de souffle, tandis qu'Isil me dévisage d'un air éberlué. Surpris et ne sachant trop comment interpréter ça, je recule d'un pas prudent tout en écoutant l'Hinïone me répliquer du ton qu'on prendrait pour convaincre un enfant têtu:

"Non, une fois que je me serais occupée de mes blessures, je ne serais plus en état de faire quoi que ce soit de mes bras. Hors, je vais avoir besoin de mes mains pour recoudre votre plaie. Parce qu’il est hors de question que vous la cautérisiez et vous retrouviez avec une brûlure à traiter en plus d’une plaie ouverte, ou vous ne seriez plus en état de voyager. Ce serait dommage de rester bloqué ici, non ?"

Ses mots me laissent perplexe et l'expression de mon visage le souligne sans fard. Hésitant et atrocement mal à l'aise, non parce que je doute de mes mots mais parce que je n'ai pas pour habitude de contrarier les volontés d'une femme, je remarque:

"Mais...je ne suis pas un vêtement, je ne veux pas être...cousu! La plaie ne sera plus ouverte si je la cautérise. Ce sera juste une petite brûlure, il n'y aura rien à...traiter. Et...vous...vous devez être soignée d'abord, c'est ainsi...toujours. Sauf votre respect, Dame."

Mon regard anxieux passe d'Isil à Lhyrr, en quête d'un soutien ou d'un signe que l'Hinïone se moque de moi. Pourquoi ne respecte-t'elle pas la tradition, l'ordre naturel des choses? Je pousse bien malgré moi un léger soupir, tout était plus simple dans le désert, nous avions un code de conduite clair et simple alors qu'ici...tout semble faussé, ce qui me plonge dans un profond désarroi qui semble grandement amuser Lhyrr. Ce qui lui vaut un regard noir de ma part, mon sens de l'humour étant un peu amoindri pour l'instant. J'écoute avec un intérêt mêlé d'étonnement les réponses savantes d'Isil à mes craintes, remarquant par devers-moi qu'elle esquive adroitement ce qui constitue le problème principal à mes yeux: me faire passer d'abord. Toutefois la contredire une fois encore et insister pour la soigner d'abord serait tout aussi grossier, ce qui implique qu'entre deux maux il me faut choisir le moindre. Je ne doute pas vraiment de ce qu'elle me dit au niveau de cette technique de guérison, même si cela me semble bien étrange, les Elfes Blancs sont réputés pour cela d'après le peu que j'en sais. Mais, ce qui est certain, c'est que plus tôt nous aurons pansé nos plaies mieux ce sera. Et puisque elle semble déterminée à me...recoudre d'abord, plus vite ce sera fait plus vite je pourrais m'occuper de ses blessures. Je soupire profondément et retire sans plus d'hésitation mes vêtements, non sans un air de profond dépit en découvrant leur état. Des loques, voilà tout ce qui reste de mes beaux habits, avec quoi vais-je m'habiller pour la suite du voyage? Perdu dans ma contemplation, je réalise soudain qu'Isil est toujours en train d'attendre et je m'empresse de lui répondre:

"Bon, alors allez-y, puisque je ne puis vous faire changer d'avis."

Une fois la décision prise tout me semble devenir soudain plus simple et léger, si bien que je hausse un sourcil en la dévisageant et ajoute d'un ton faussement sérieux:

"Mais n'allez pas me coudre les deux jambes ensemble, ce ne serait pas très pratique non plus pour le reste du voyage."

Cette répartie humoristique me vaut un sourire lumineux, le premier vrai sourire que je vois sur son visage, suivi d'une réplique dans la même veine:

"Seulement si vous êtes sage."

Je lui retourne une moue ouvertement malicieuse indiquant clairement qu'il serait vain d'attendre de moi la moindre sagesse et réponds sur un ton faussement sérieux:

"C'est hors de question, si j'étais sage vous arrêteriez de sourire et le jour s'en assombrirait, vous n'auriez plus assez de lumière pour me recoudre proprement."

Ce qui ne m'empêche pas de m'installer de manière à lui faciliter la tâche et d'avaler quelques gorgées d'alcool lorsqu'elle m'y incite, cela va faire mal et je le sais pertinemment, même si je dissimule mes craintes derrière mon habituelle légèreté. Lorsque Isil quête d'un regard mon aval pour commencer, après avoir silencieusement incité son compagnon intrigué à s'écarter un peu, je me contente d'un simple signe de tête et m'efforce de me détendre, les yeux rivés sur elle. Elle entreprend alors de nettoyer la plaie avec les bandes de tissu qu'elle a préalablement mis à bouillir, ses gestes ont beau être de la plus grande douceur, il n'empêche que je dois me faire violence pour ne pas broncher et gémir comme un gamin. Je frémis lorsqu'elle m'adresse un regard d'excuse en s'emparant de la gourde d'alcool, comprenant aussitôt qu'elle va en répandre sur la plaie et que je vais salement déguster, mais je parviens à rester tranquille et contrains mon esprit à replonger dans de lointains souvenirs. C'est à peine si j'ai conscience de la brûlure violente qui s'ensuit, la souffrance est notre lot, depuis toujours, nous avons appris à nous en détacher pour supporter les conditions infernales de notre contrée natale. La faim, la soif, la chaleur écrasante, le froid glacial, les piqûres ou morsures fréquentes, le fouet pendant mes années de galère...qu'est-ce qu'un peu d'alcool sur une blessure en comparaison? Une démangeaison, tout au plus, du moins aussi longtemps que je parviens à penser à autre chose, quelque chose d'heureux de préférence.

Seulement, des souvenirs heureux je n'en ai pas tant, le tour est vite fait et mon esprit revient brutalement au présent lorsque Isil rapproche les deux bords de la plaie pour la recoudre. Et là j'ai beau serrer les dents à les briser, je ne peux empêcher un grognement de douleur de franchir mes lèvres. Une pique de souffrance me fait voir des points noirs lorsque l'aiguille pénètre dans ma chair enflammée, j'ai la détestable impression que tout se met à tourner autour de moi, à en avoir la nausée. J’essuie d'un geste furtif les larmes qui ont jailli de mes yeux bien contre ma volonté, mais déjà l'Hinïone achève le premier noeud et me jette un regard empli de fierté joyeuse, qui se transforme en une moue désolée lorsqu'elle réalise que je ne suis pas précisément insensible à la douleur. Je me force à lui adresser un pauvre sourire et, sans trop savoir pourquoi, peut-être à cause de l'alcool que j'ai bu, je frôle sa joue d'une très légère caresse du bout des doigts en murmurant:

"ça va aller. Merci Isil...pour ce que vous faites. Je..."

Les mots suivants se bloquent dans ma gorge et meurent avant que je ne les prononce, ce qui est peut-être mieux d'une certaine manière. Je réalise à cet instant combien ma vie a changé depuis que je l'ai rencontrée, j'étais voué à l'esclavage jusqu'à ma mort et au lieu de ça je suis là, dans un lieu magnifique, avec elle et Lhyrr. Et comme si cela n'était pas suffisant, elle prend soin de moi, allant jusqu'à me faire passer avant elle-même. Comment pourrais-je trouver les mots pour lui dire ce que je ressens, alors qu'ils n'existent pas dans ma langue? Je préfère me taire et l'observer attentivement alors qu'elle poursuit son ouvrage, je n'ai pas de plus beaux souvenirs que ceux du temps passé à ses côtés et il suffit qu'elle soit là pour que je puisse oublier la douleur ou, du moins, la reléguer au second plan.

Elle ne tarde guère à achever la suture, ce que j'en viendrais presque à regretter tant il y avait quelque chose de magique à la voir s'affairer ainsi, concentrée à l'extrême et oublieuse de tout le reste. Mais, bien que je doive être aussi pâle qu'un de ces maudits Sindeldi et que quelques gouttes de sueur bien inhabituelles aient perlé sur mon front, je me reprends rapidement et la fixe au fond des yeux pour déclarer d'un ton sans appel:

"Merci du fond du coeur, Dame. A vous maintenant, laissez moi vous aider."

Sérieux aussitôt balayé par un sourire taquin:

"Promis, je n'emploierai pas de lame chauffée à blanc. Il me tarde de m'essayer à la couture, maintenant que j'ai bien regardé comment vous faisiez."

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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Mar 15 Aoû 2017 00:23 
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L'Elfe, après avoir bandé ma plaie, hésite longuement à accepter ma proposition de recoudre également ses blessures, qu'elle accueille de prime abord avec un haussement de sourcils dubitatif. Elle retire néanmoins sa chemise afin d'examiner la gravité des entailles subies, découvrant ce faisant son dos balafré en biais d'une immense cicatrice allant de l'épaule gauche au bassin droit et de nombreuses traces de coups de fouets. Mes sourcils se froncent imperceptiblement à cette vision, qui me donne une sombre idée de ce qu'elle a dû vivre chez les Shaakts. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait du mal à retrouver le sourire, j'ai moi-même pris quelques de coups de fouet dans ma vie, mais assez peu finalement car je ne me suis jamais rebellé, acceptant mon sort avec ce fatalisme propre à mon peuple. C'est une toute autre histoire que raconte son dos, ceux qui l'ont ainsi marquée voulaient la briser, pas simplement la punir d'un regard de travers. Quand à la grande balafre, elle me semble plus ancienne, une terrible blessure à laquelle elle a eu beaucoup de chance de survivre.

Isil finit par pousser un soupir en admettant qu'il sera en effet nécessaire de recoudre ses entailles et me donne encore quelques conseils que j'écoute avec la plus grande attention. Contrairement à ce que laissait entendre ma plaisanterie, la couture ne m'est pas étrangère, les habits sont rares dans le désert et chacun sait les entretenir et les réparer. Cependant coudre deux pièces de cuir tanné ensemble, ou même deux bouts de tissu, n'a rien à voir avec ce qui m'attend là. La chair humaine est plus fragile et mieux vaudrait que je ne doive pas tâtonner pour planter l'aiguille au bon endroit.

L'Elfe s'assied en tailleur et Lhyrr vient aussitôt se placer derrière elle en me fixant de ses prunelles vertes, comme pour surveiller le moindre de mes gestes. Lui et Isil doivent se dire quelques petites choses car l'Hinïone lui jette un regard noir et excédé avant de se retourner vers moi pour m'indiquer, en me tutoyant pour la première fois, que son compagnon me suggère de ne pas faire de bourde. Un avertissement aimable, mais dont le sens véritable m'apparaît lorsque je scrute à mon tour le Lokyarme qui gronde de manière plutôt menaçante, bien que brièvement: je pourrais payer cher la moindre erreur. Regard rivé au sien, j'incline légèrement le visage en disant à mi-voix:

"Je ferai de mon mieux, Lhyrr. Je n'ai pas envie de lui faire le moindre mal, tu sais."

L'animal est impressionnant, ainsi placé et me fixant imperturbablement, mais je connais mes intentions et ma conscience est en paix, si bien que je parviens à détacher mes pensées de lui pour me consacrer entièrement à ma tâche. Je récupère prudemment une bande de tissu propre dans l'eau bouillante, la laisse refroidir assez pour ne pas risquer de brûler la peau de l'Elfe, puis j'entreprends de nettoyer avec toute la douceur dont je suis capable la plaie la plus marquée de ses avant-bras. Ceci fait, je m'empare de la gourde d'alcool d'une main, la débouche puis utilise ma main libre pour attraper celle d'Isil et la serrer avec force avant de verser un peu d'alcool sur la blessure. L'Hinïone reste admirablement stoïque, bien plus que moi quelques minutes plus tôt, ce qui m'arrange car mon manque d'expérience rendrait la tâche fort délicate si elle se mettait à trépigner de douleur.

Lâchant sa main, je prends fil et aiguille et m'accorde un instant de réflexion pour définir précisément l'emplacement de chaque point, ni trop près ni trop loin des bords de la blessure. Je visualise soigneusement chacun des gestes que je vais devoir faire puis, dès que je suis raisonnablement sûr de mon coup, je rapproche délicatement les bords de la plaie et me mets au travail. Bien que je n'aie jamais fait ça auparavant, mon geste est sûr et précis, toute ma vie j'ai travaillé de mes mains et cette tâche n'est finalement pas très différente d'autres que j'ai dû accomplir. Malgré tout, mon coeur sombre un peu chaque fois que je dois planter l'aiguille, non parce que je crains de faire faux mais parce que je suis placé pour savoir à quel point c'est douloureux et que, comme je l'ai affirmé à Lhyrr, je n'ai pas le moindre désir de faire mal à mon amie.

Le plus délicat est de tendre le fil pour bien joindre les bords de la blessure et faire un noeud qui ne soit pas trop serré, ni trop lâche, les deux premiers ne vont pas tout seuls mais je finis par trouver la bonne technique et le juste milieu. Oublieux que je suis du monde qui m'entoure et focalisé entièrement sur mon ouvrage, quatre jolis points ne tardent pas à sceller proprement la première coupure. Je nettoie encore une fois le sang qui en a coulé avant de la bander soigneusement, puis j'administre le même traitement à la seconde, bien plus rapidement exécuté cette fois.

Reste la coupure au cou, pas bien méchante mais nécessitant tout de même quelques points car à moins de transformer l'Elfe en momie elle serait difficile à bander de par son emplacement. J'invite Isil à pencher un peu la tête d'un geste léger et, un peu troublé par cette proximité fort inhabituelle avec la belle Hinïonne, nettoie avec tout un luxe de précautions cette dernière plaie. Je la referme avec davantage de points que prévu, plus rapprochés que ceux des bras car chaque mouvement de la tête qu'elle fera tirera dessus, ce qui augmente les risques qu'ils lâchent. Pour finir, j'y applique un bandage et le fais tenir de mon mieux, ce qui n'a rien d'aisé car pour bien faire il faudrait de longues bandes que je pourrais passer sous son aisselle opposée et je n'en dispose pas. Le maintien de ce pansement reste donc un peu précaire, mais je ne vois pas comment faire mieux avec le matériel que j'ai, si bien que je me recule enfin pour sourire un peu timidement à l'Elfe:

"Voilà, ça devrait faire l'affaire, je pense."

l'Elfe me remercie en m'adressant un léger sourire tandis que Lhyrr me donne un petit coup de tête dans l'épaule, sa manière d'admettre que j'ai fait un travail à peu près acceptable, sans doute. Nulle plaisanterie ne franchit mes lèvres, cette fois, sans un mot de plus je récupère la chemise ensanglantée de l'Elfe et mes propres vêtements pour aller les laver au bord du fleuve. Cette tâche accomplie, je reviens auprès du feu et mange une petite portion de ce que l'Elfe a eu la prévenance de préparer, puis je somnole un moment tandis qu'Isil se lave de la crasse de la journée. Un peu plus tard encore, lorsque je la vois céder à son tour à la fatigue, je me contrains à garder les yeux ouverts et monte une garde approximative, peu désireux d'être pris par surprise par d'autres malandrins.

Un bon moment plus tard, le Lokyarme décide soudain de s'envoler pour une raison que j'ignore, ce qui me vaut de sursauter brutalement et de porter instinctivement la main à mon arme. Je pousse un profond soupir et éloigne ma dextre de la poignée en réalisant la cause de mon sursaut, puis vois avec surprise Isil me rejoindre et s'asseoir à côté de moi. Nous gardons tous deux le silence, longuement, jusqu'à ce qu'elle me demande soudainement:

"Qu'as-tu ressenti durant toutes ces années prisonnier sur une galère ?"

La question me prend de court et mon premier réflexe est de tourner le visage pour la dévisager en levant un sourcil étonné, une plaisanterie aux lèvres. Je la retiens de justesse en prenant conscience qu'elle ne me pose sans doute pas cette question simplement pour alimenter la conversation, n'ayant pas eu l'impression que le silence la gênait jusque là. Elle a un air que je trouve profondément pensif, présentement, comme si quelque chose la tracassait, bien que je sois incapable de dire quoi. Je garde le silence quelques secondes encore, tournant mon regard vers le feu, puis je me décide à lui répondre à mi-voix:

"Au début, de la peur. L'angoisse de mourir sur ces bancs, enchaîné, sans avoir vu le monde. La crainte de ne pas être assez fort pour survivre, de ne jamais revoir les miens, de ne jamais être libre. Après...la crainte s'est enfuie, laissant place à une sorte de résignation. J'ai appris à ne plus penser au lendemain, à l'heure suivante, même. J'ai compris que je pourrais survivre longtemps, bien plus longtemps que les humains qui m'avaient enchaîné, et que je devais garder au fond de moi un espoir, quoi qu'il advienne."

Plongé dans mes souvenirs, je laisse filer un silence puis poursuis:

"J'étais triste, parce qu'autour de moi beaucoup mourraient. Au début j'ai essayé de me faire des amis, je m'intéressais à ceux qui se trouvaient près de moi mais...tous partaient si vite...c'était trop dur. Alors j'ai arrêté de leur demander leurs noms, l'histoire de leurs vies, je me suis replié sur moi-même si totalement que plus rien ne pouvait m'atteindre. A tous j'offrais un sourire, un mot léger pour qu'ils sourient aussi et passent leur chemin plus vite, mais je ne les voyais pas, pas vraiment. C'était comme...un rêve, comme si la vie n'était pas réelle, comme si tous ces êtres n'étaient que des ombres fugaces et impalpables."

Un nouveau silence, plus long que le précédent, puis je tourne le visage vers Isil et accroche son regard avant d'achever:

"Dans le désert nous vivons en tribus, nous sommes très solidaires et la solitude n'existe pour ainsi dire pas. Et c'est ça qui a été le plus dur pour moi: la solitude. Je crois que c'est cela qui aurait fini par me tuer, parce que l'existence ne vaut pas la peine d'être vécue sans partage, à mon sens."

Impulsivement, obéissant à mon instinct le plus tribal, je tends une main et presse brièvement celle d'Isil:

"Qu'est-ce qui vous...te trouble, cette nuit, mon amie?"

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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Ven 18 Aoû 2017 04:46 
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Isil écoute ma réponse avec attention, se contentant d'un unique hochement de tête lorsque j'achève de m'exprimer. Elle semble pourtant surprise lorsque je lui presse brièvement la main, un geste peut-être un peu trop audacieux, ou familier. Mais elle ne parait pas s'en offusquer, si bien que je ne lui présente pas les excuses qui menacent de franchir mes lèvres lorsque je réalise que mon acte aurait pu être mal pris. A la question que je lui pose ensuite, non moins personnelle que celle qu'elle m'a adressée, l'Elfe m'observe un bref instant en silence avant de tourner les yeux vers les flammes, semblant hésiter à me répondre. Je ne la presse pas ni ne précise que rien ne l'oblige à me répondre, attendant simplement avec cette infinie patience propre aux natifs du Dragomélyn, ou des déserts peut-être mais rien ne me permet de l'affirmer, je n'en ai jamais vu d'autre.

Au bout d'un temps, elle reprend la parole pour me demander si j'ai déjà entendu parler des âmes qui se réincarnent, que les sages de Cuilnen, sa ville natale, nomment âmes ataviques et qu'elle considérait jusque alors comme de simples mythes. Là encore je garde le silence, qui seul pourra peut-être d'exprimer ce qu'elle a sur le coeur. Elle soupire doucement, comme pour se donner le courage de se dévoiler, avant de poursuivre. Elle m'explique alors penser qu'elle et Lhyrr ont déjà été liés par le passé, lui étant à l'époque un Sindel, et elle une Ermansi, terme que je n'ai jamais entendu. Leur relation passée aurait été bien différente de celle que je connais, c'est la haine et l'inimitié qui prévalaient alors, et une crainte profonde de la part d'Isil, ou plutôt de celle qu'elle était alors, bien qu'elle soit encore présente en elle à ce jour. Elle me dit avoir appris ça ce soir, révélation des plus troublante puisque Lhyrr est aujourd'hui l'être qui la connait le mieux et qu'elle chérit le plus, partageant jusqu'à leurs pensées. Elle aimerait se dire que le passé n'a pas d'importance, mais me demande, ou se demande à elle-même, ce qui se passerait si ce n'était pas le cas et qu'il en avait. Elle s'interroge ensuite sur les raisons qui font qu'ils se retrouvent liés par delà les âges, ce qu'ils ont fait pour en arriver là, avant d'émettre un petit son de dérision, puis de hausser les épaules en me faisant à nouveau face.

Elle revient alors à mes années de galère, un changement de sujet qui trahit à mon sens une sorte de gêne à m'avoir parlé de ses pensées qui formaient certainement la cause de ce trouble que j'ai senti en elle ce soir. Elle déclare qu'elle serait morte en se laissant dépérir, quitte à s'ôter la vie elle-même, si elle avait vécu tant d'années en esclavage, puis me demande si je n'ai pas envie de revoir les miens. Je rive mes prunelles couleur d'acier dans celles, bleu nuit, de ma nouvelle amie, longuement. Nulle trace d'incrédulité ou de légèreté dans mes yeux, en ces instants, ne s'y trouve qu'une attention profonde et, sans doute, un éclat qui révèle la joie que j'éprouve à pouvoir parler ainsi avec elle de choses plus personnelles que la pluie et le beau temps. C'est de ce genre de partage que je parlais quelques minutes plus tôt, un échange sincère et respectueux que je n'ai pas eu la chance de vivre depuis plus d'une décennie. Aussi, c'est une réponse sincère qui franchit mes lèvres:

"Tu es née dans un endroit merveilleux, où la vie est aisée et presque dolente si j'ai bien compris tes mots lorsque tu m'en as parlé. Dans mon pays au contraire, la vie est perpétuelle souffrance, à tel point que beaucoup d'entre nous attendent la mort avec impatience, la voyant comme une libération. Pour moi, la vie à bord de cette galère était rude, mais néanmoins plus facile que celle que j'avais connue. Je n'étais pas libre, bien sûr, mais j'avais à manger et à boire tous les jours, il me suffisait de ramer et de baisser les yeux devant les gardes. Je voyais des gens mourir, mais le désert aussi prend de nombreuses vies. Ai-je envie de revoir les miens? Oui, bien sûr, ils sont ma famille et me manquent parfois. Même le désert me manque de temps en temps, il est cruel mais c'est aussi un lieu d'une grande beauté. J'y retournerai peut-être un jour mais, pour l'heure, ce dont j'ai vraiment envie, c'est de voyager avec toi. De découvrir à tes côtés ce monde dont j'ai tant rêvé, de te découvrir, toi."

Un sourire souligne mes dernières paroles, non pas celui de façade que je réserve au monde pour me dissimuler mais un vrai sourire venant du coeur. Isil me jette un regard surpris et hausse un sourcil, visiblement un peu mal à l'aise, une réaction que j'ai déjà remarquée chez elle chaque fois que je me suis permis un semblant de compliment, mais qui m'étonne toujours un peu. Ne sachant trop comment l'interpréter, je poursuis en contemplant les flammes claires qui s'élèvent:

"Quant aux questions que tu te poses à propos des réincarnations et de Lhyrr, je ne suis pas un sage capable de comprendre vraiment de tels mystères, mais je peux te parler de ce que pense mon peuple de ces choses là."

Je marque un temps d'arrêt, autant pour m'assurer qu'Isil souhaite entendre ce que je pourrais lui dire que pour trouver les mots adéquats.

"Nous ne vénérons pas les dieux, parce que nous savons que l'enfer de Sarnissa est le résultat de leurs querelles et que, d'une certaine façon, c'est à eux que nous devons la pénibilité de nos vies. Le seul dieu que nous prions est Zewen, qui mit fin à la guerre divine et trace dans son grand livre les innombrables destins possibles de toute chose. Tu m'as dit ne pas croire, ou vouloir croire au destin, préférant l'idée que nous ayons le choix de nos destinées, et nous n'avons pas développé davantage le sujet. Selon nos traditions, ce n'est pas un unique destin tout tracé que Zewen trace dans son livre, mais une infinité de destins possibles. Ainsi, nous avons le choix de notre destinée, nos décisions définissent une voie parmi toutes celles possibles, à chaque instant de nos vies. Mais toutes ces possibilités sont incluses dans le livre de Zewen, elles y sont inscrites mais nous n'en vivons qu'une, celle que nous choisissons. Et c'est celle-ci que nous appelons communément notre destin."

Une brève pause, durant laquelle je remarque qu'elle secoue la tête pour manifester un désaccord, mais comme elle ne fait pas mine de s'exprimer pour l'instant je reprends, les yeux à nouveau perdus dans les flammes:

"J'ai déjà entendu parler d'âmes qui se réincarnaient, encore et encore, plusieurs légendes évoquent cela dans mon peuple. Nous pensons que certaines âmes sont plus puissantes que d'autres, assez pour demeurer entières lorsque le corps meurt. Les âmes qui ont trouvé la paix au cours de leur existence auraient un choix à faire, elles pourraient décider de rejoindre l'essence du monde, ou de revenir, si elles pensent avoir encore quelque chose d'important à vivre. Celles n'ayant pas trouvé la paix peuvent aussi tenter de revenir, mais les légendes évoquent d'effroyables épreuves, si elles échouent elles seraient alors condamnées à demeurer pour l'éternité dans l'enfer de Phaïtos, tourmentées et à jamais plongées dans la souffrance."

Mon regard revient se river à celui d'Isil, serein mais songeur:

"C'est pour éviter cette dernière "option" que nous nous efforçons de nous détacher de la souffrance, de la haine, de la colère, et d'accepter notre vie de manière à trouver la paix de l'âme. Je me dis que Lhyrr et toi faites partie de ces âmes fortes, et que si vous vous êtes retrouvés, c'est que vous aviez encore quelque chose à vivre ensemble et que, peut-être, vous réincarner et vous rejoindre dans cette nouvelle vie était un choix que vous avez fait pour trouver la paix l'un envers l'autre. Un choix volontaire ou pas, certains événements ne sont que les conséquences de nos actes passés."

L'Elfe reste un long moment méditative après que j'aie achevé mon évocation de nos coutumes. Elle finit par exprimer cette réserve silencieusement manifestée lorsque je lui ai parlé de notre façon de voir Zewen et le destin:

"Je ne parviens pas à croire en ta vision du destin. Je pense que Zewen a agencé ce monde et à présent, tel un horloger, il l’observe, mais que tous nos choix ne sont que notre fait, que ce que nous sommes et souhaitons est intiment lié à nos parents, l’éducation que nous avons reçue et ce que nous décidons d’en faire. Pour moi, les Dieux n’ont pas plus d’influences sur nos vies, sur ma vie. Ce sont des entités puissantes, bien plus puissantes que nous, mais je ne pense pas que cela suffise pour nécessiter mes hommages. Ils ont leurs faiblesses, leurs forces, comme chacun."

Elle ajoute encore, après une pause:

"Je pense donc également que si Lhyrr et moi sommes de nouveau ensemble, c’est à cause de nos actions passées, quant à savoir si c’est pour régler nos comptes… je l’ignore. Je crains que ce ne soit bien plus trivial que ça."

Je plisse légèrement les yeux à ce mot de "trivial", ne comprenant pas vraiment ce qu'elle veut dire par là, mais déjà elle change de sujet et déclare avoir beaucoup de respect pour ce que j'ai vécu dans la galère qui a été mon unique demeure pendant plus de dix ans. Elle réaffirme qu'elle n'aurait pas résisté à cela, aimant trop sa liberté pour supporter des années d'esclavage. Je l'ai écoutée sans l'interrompre, réfléchissant en silence à ses paroles jusqu'à ce qu'elle me remercie avec un sourire d'auto-dérision d'avoir écouté ses radotages de bien vieille dame et me suggère d'aller me reposer, son épée en travers des genoux pour monter la garde. Ces mots font aussitôt resurgir mon esprit taquin et impulsif, si bien que je lui réplique sans vraiment réfléchir, un sourire malicieux aux lèvres et dans les yeux:

"Vous...tu m'as bien abusé alors, je voyais en toi une charmante jeune Elfe, un peu triste certes, mais bien loin de ressembler aux vieilles mégères rabâcheuses que j'ai connues."

Ce n'est qu'après avoir parlé que je me souviens de la gêne qu'elle a précédemment manifestée, lorsque je lui ai dit que j'avais envie de voyager avec elle et de la découvrir. Un peu confus de mon audace, bien qu'elle secoue la tête avec un demi sourire amusé aux lèvres, je baisse aussitôt les yeux en rougissant et marmonne:

"Désolé, je...je n'ai plus l'habitude de...enfin, vous...tu es très...différente des galériens que j'ai côtoyé ces dernières années..."

Clairement amusée de ma gêne cette fois, elle riposte du tac au tac:

"Quoi ? Tu veux dire que je n’ai pas de barbe, ni de puces et que je ne sens pas le brok’nud en rut ? Diantre ! "

Surpris par cette comparaison si imagée, et pertinente, avec mes compagnons de galère, je ne peux m'empêcher de rire en la dévisageant avec une intensité inhabituelle durant quelques secondes de plus que ne le voudrait la bienséance. Mes yeux regagnent le sol à l'instant où j'en prends conscience et je m'empourpre de plus belle tout en pouffant encore de sa répartie. Après un bref moment, je me force à relever les yeux vers elle et ajoute timidement:

"Je crois, moi, que tu es bien plus forte que tu ne veux l'admettre. J'ai vu les marques de fouet sur ton dos, je t'ai vue mener la révolte qui nous a permis de nous évader, puis t'assurer que nous recevions bon accueil à Eniod. Il fallait un bon sang de courage et une sacrée volonté pour faire ce que tu as fait, pour survivre à ce que tu as vécu, bien plus qu'il ne m'en a fallu pour supporter passivement quelques années de galère."

Elle murmure, sans conviction, qu'elle n'a fait que ce qu'il fallait pour se tirer de là et qu'elle ne pouvait laisser les autres esclaves derrière elle. Je souris doucement pour moi-même, son humilité l'honore mais j'ai vu de mes yeux sa bravoure et son dévouement envers des gens qu'elle ne connaissait pourtant probablement pas. Aujourd'hui encore j'ai vu son courage à l'oeuvre, elle s'est jetée devant moi pour parer le coup qui m'était destiné. Et plus tard, assez sérieusement blessée malgré tout, ce n'est pas d'elle qu'elle s'est inquiétée, mais de moi. Au point de refuser d'être soignée avant que je ne l'aie été. Repenser à tout cela me trouble passablement, je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme elle et...non, mieux vaut ne pas creuser davantage la question, je suis encore bien assez rouge sans ça. Je tisonne pensivement le foyer, non qu'il en ait vraiment besoin mais cet acte simple me permet de retrouver un peu de contenance. Glissant sur la suggestion de l'Elfe d'aller me reposer, je reprends après une minute de silence, les yeux toujours rivés aux flammes:

"Je ne suis pas très croyant, encore moins pratiquant. A mes yeux ce que je t'ai raconté sont des légendes, des croyances de mon peuple. Je ne sais pas si elles ont un fond de vérité, mais ce sont de jolies histoire à conter au coin du feu."

Je hausse les épaules et relève la tête pour regarder à nouveau l'Elfe dans les yeux:

"Ce que je sais en revanche, c'est que tu es troublée par ce qui t'arrive, par ces souvenirs qui rejaillissent en toi et les questions qu'ils posent. Et troublé, on le serait à moins, je ne peux qu'imaginer combien cela doit...déstabiliser. Si tu crains de m'ennuyer avec ça c'est dommage parce que, pour moi, c'est une marque de confiance que de partager nos inquiétudes, nos peurs, nos questionnements. La vie est moins sombre lorsqu'on peut s'ouvrir à quelqu'un de ce qui nous tracasse en sachant que cette personne ne se moquera pas, ne sera jamais indifférente à ce que l'on éprouve. Nous nous connaissons encore bien peu mais...tu as pris une place très importante dans ma vie. Pas seulement pour ce que tu as fait, mais pour celle que tu es. Tu as une belle âme, Isil, quel que soit ton passé elle rayonne comme une étoile dans la nuit du désert, pure et claire."

Une moue malicieuse prend place sur mon visage, éternel réflexe protecteur lorsque j'ai le sentiment que je baisse un peu trop mes remparts, avant que je n'achève mon discours:

"Je ferai mieux d'aller dormir un peu maintenant, que tu puisses rougir en toute intimité, ô vénérable aïeule."

Un rire léger souligne ma taquinerie alors que je me lève pour aller me reposer un peu, je presse doucement l'épaule de l'Hinïonne au passage puis vais m'installer un peu plus loin, les yeux levés au ciel pour admirer la voûte céleste, magnifique en cette soirée. Ce n'est pas vraiment le besoin de sommeil qui m'a incité à aller m'allonger, c'est plutôt que j'ai besoin de réfléchir un peu à ce qui m'arrive depuis que j'ai entrepris ce voyage aux côtés d'Isil. Son attitude me déstabilise passablement, avec elle mes repères sociaux n'ont plus aucune consistance, elle ne réagit jamais comme une Eruïonne le ferait, ou presque. Je ne comprends pas non plus cette gêne qu'elle manifeste chaque fois que je lui fais un compliment, pourquoi réagit-elle ainsi? Dans nos tribus, aucune fille de plus de quatorze ans ne rougit encore quand un homme la complimente, elle l'accepte comme quelque chose de naturel, ou le dédaigne d'un air méprisant si son auteur lui déplaît. Mais peut-être est-ce différent chez ces autres peuples, peut-être que cela ne se fait pas, comment pourrais-je le savoir? Elle est la première femme que je côtoie depuis que j'ai quitté ma tribu.

Faute d'avoir la moindre chance de trouver réponse à cette question dans l'immédiat, je repense à nos discussions de la soirée, puis à celles des jours précédents. Il me semble que ma compagne de voyage se montre moins sombre, dans l'ensemble, qu'elle hésite moins à aborder des sujets la concernant, un tabou presque absolu durant les premiers temps. Mais sa réserve fond peu à peu, les sourires viennent plus facilement illuminer son visage et j'en suis heureux parce que la joie de vivre est la seule chose que je possède et que je puisse partager avec elle. Peu à peu mes pensées dérivent vers un demi-sommeil empli d'étranges rêves issus de ce que nous avons traversé aujourd'hui, j'en avais sans doute besoin, finalement.

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Elladyl, Eruïon errant de son état.


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 Sujet du message: Re: La Gorge de Kuasu
MessagePosté: Dim 20 Aoû 2017 15:33 
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Nous cheminons tranquillement durant les jours suivants, sans le moindre incident. Au gré des heures qui défilent, nous bavardons de tout et de rien, faisant peu à peu plus ample connaissance, bien qu'Isil se perde parfois dans ses pensées et plonge alors dans un profond mutisme, plus ou moins sombre selon les cas. Bien que l'envie me tenaille souvent de tenter de ramener le sourire à ses lèvres, je comprends vite qu'elle a certainement besoin de ces temps de silence et d'introspection, aussi je m'abstiens en général de la déranger, c'est un chemin intérieur qu'elle seule peut parcourir. Je me contente alors d'être là, présence tranquille et silencieuse, bien que toujours discrètement attentive. Ce sont les nuits qui sont le plus dures pour moi à ce niveau, je ne peux ignorer que le sommeil de ma compagne est presque toujours agité, troublé et laissant supposer qu'elle fait des cauchemars souvent assez violents pour la réveiller. Je dois parfois me faire violence pour ne pas l'inciter à en parler ou lui demander idiotement si elle va bien, cela ne servirait à rien, je ne ferais que l'agacer et ce n'est pas le but.

Avec le temps qui passe, je me retrouve peu à peu, apprenant à composer avec l'environnement si différent de celui que j'ai toujours connu, avec la présence de cette femme qui partage dorénavant chaque heure de mon existence. Je retrouve aussi avec un surprenant plaisir les tâches routinières, si simples mais que je n'ai pas eu l'occasion d'accomplir durant plus de dix ans. J'ai tout loisir de repenser à ma vie dans le désert, à nos usages et à la manière dont nous gérions l'inévitable proximité qui règne dans nos abris souterrains, souvent bien exigus par rapport au nombre d'occupants. Nous avons des règles pour que tout se passe bien, elles sont rarement exprimées par des mots, ce sont plutôt des comportements que l'on apprend instinctivement à adopter et qui me reviennent naturellement, lentement mais sûrement. Ils visent souvent à concéder aux autres une certaine intimité, à respecter le besoin naturel de solitude qu'éprouvent tous les êtres à des degrés divers dans un milieu qui, de base, ne le permet pas. Très vite ils redeviennent pour moi des évidences que j'applique avec Isil, évitant par exemple de la regarder lorsqu'elle souhaite se laver ou se changer, ou pendant qu'elle dort.

Je ne peux pas la prendre dans mes bras pour la tranquilliser lorsqu'elle s'agite dans son sommeil ou se réveille en sursaut, comme je le ferais naturellement avec un enfant ou une femme dont je serais très proche, bien que j'en aie envie quelque part, ce qui n'est pas sans faire naître en moi une sourde anxiété que je ne m'explique pas. Mais mon passé me souffle une manière dont je peux agir, que je mets en pratique dès le quatrième soir: lorsque Isil va se coucher, je prépare silencieusement du thé et pose bien en évidence une tasse à son attention, prête à être remplie si elle le souhaite. Lorsqu'elle s'agite, je ne me tourne pas vers elle pour l'observer au risque de la gêner et d'entrer dans son intimité contre son gré, mais je chantonne de lentes mélopées de mon pays natal, apaisantes et douces, dos à elle.

Ce n'est que quelques jours plus tard, après que nous ayons quitté les forêts denses entourant Eniod pour nous engager dans de vastes plaines couvertes d'herbes jaunies, que je comprends la nature de cette anxiété qui a pris place en moi. Ce soir-là, après une longue journée de chevauchée, nous installons comme de coutume notre bivouac pour la nuit et préparons notre repas. Nous n'avons plus besoin de parler pour faire ce qui est à faire, chacun s'occupe naturellement d'une tâche ou d'une autre, selon son humeur et les circonstances, comme deux personnes qui ont pris l'habitude de vivre ensemble par la force des choses. Je ramasse du bois et l'apporte près du foyer, Isil l'y empile, je l'allume, elle met une casserole d'eau à bouillir, je lui tends les légumes que nous allons y faire cuire, tout est simple, normal, rôdé. Et c'est cela qui m'ouvre les yeux, cette normalité.

Je réalise soudain combien ce voyage serait différent si j'étais seul, à quel point sa compagnie me manquerait. J'avais établi une infranchissable distance avec tous ceux que je côtoyais, allant jusqu'à ne plus demander le nom des gens qui se tenaient à côté de moi sur les bancs de nage de la galère où j'ai si longtemps ramé, par peur d'être atteint par leur disparition souvent prompte. Et voilà que je réalise que je me suis attaché à cette Hinïonne que je connais malgré tout encore si peu. Je ne la regarde plus comme une inconnue de passage, avec une sorte d'indifférence dissimulée par un masque souriant, mais avec un sentiment sur lequel je peine à mettre un mot tant il m'était jusqu'alors étranger: de l'affection, ou de la tendresse, je ne sais pas trop. Les deux, peut-être. Et c'est cela qui engendre mon anxiété, ce n'est plus une étrangère dont je n'ai rien à faire, mais une amie que je n'ai pas envie de perdre. Le seul fait de le comprendre chasse la peur qui avait pris racine en moi, laissant soudain place à une certaine gêne lorsque je réalise que cela fait trois bonnes minutes que je la dévisage sans penser à contrôler le moins du monde ce nouveau sentiment que je viens de découvrir et qui brille, je le sens, dans mes yeux. Je ne m'excuse pas cette fois, je me suis assez retrouvé pour ne plus me comporter en enfant, si bien que seul un discret sourire prend place sur mon visage avant que je ne détourne posément les yeux. Quel mal y'aurait-il à ce qu'elle sache que j'éprouve de la tendresse pour elle, au fond? Peut-être que cela la mettra un peu mal à l'aise, j'ai appris à quel point elle était réservée quant aux sentiments, mais je me dis que c'est peut-être quelque chose qui lui fera du bien que de prendre conscience qu'elle a auprès d'elle quelqu'un pour qui elle est vraiment importante. A moins que cela ne l'effraie et ne l'incite à se refermer pour se protéger, je n'ai aucune certitude à ce propos, mais je n'ai aucune envie de me composer un masque chaque fois que je la regarde et je ne peux qu'espérer que ce ne soit pas le cas. Advienne ce que doit, me souffle le côté fataliste de mon peuple, il est des choses sur lesquelles on n'a aucune prise et celle-ci en fait partie.

Quelques jours plus tard, nous rejoignons la côte et découvrons la mer, un spectacle qui semble bien davantage plaire à ma compagne que la monotonie des plaines, ce que je peux comprendre bien que revoir la mer ait quelque chose d'aigre-doux en ce qui me concerne. J'ai passé trop d'années à ne voir qu'elle, mais ces souvenirs pénibles ne s'attardent guère, ils appartiennent à un temps échu et parcourir cette côte somme toute magnifique avec Isil n'a vraiment rien de désagréable. Elle ne manque jamais d'observer un peu rêveusement les levers de soleil, qui sont splendides je dois bien l'admettre. J'évite de prononcer la moindre parole ou de lui imposer ma présence dans ces moments, ne venant admirer l'aube à ses côtés que lorsqu'elle m'y invite d'une manière ou d'une autre. Un beau jour, elle me déclare soudain:

"Mareg, la tenancière de l’auberge d’Eniod, m’a dit qu’il existait un bac pour relier la rive d’Eniod à celle de Dehant sans avoir à passer par les terres de la Sororité. Si ces terres ne seraient pas très dangereuses pour moi, elles le sont beaucoup plus pour toi qui est un homme. La Sororité est peuplée uniquement par des femmes qui, bien souvent, ont eu des expériences des plus désagréables avec la gent masculine. Aussi voient-elles d’un très très mauvais œil tout mâle qui franchirait la frontière."

Je m'assombris à ces mots, non parce que ma vie pourrait être mise en péril et le passage m'être interdit mais pour ce qu'ils impliquent et dont la seule idée fait vibrer ma voix de colère:

"Dans mon pays, il n'y a pas plus grand déshonneur que de violenter une femme, c'est un acte grave et impardonnable. Celui qui maltraite une femme ou la traite sans considération est banni, ce qui équivaut à une condamnation à mort car nul ne peut survivre longtemps seul dans le Dragomélyn. Les seigneurs des terres humides devraient faire de même, leurs peuples s'en porteraient mieux. Enfin, allons donc voir si nous trouvons ce bac dont t'a parlé Mareg."

Ma réplique me vaut une réponse d'Isil sévère et inflexible, nos cultures se heurtant sur ce sujet:

"Pour moi, maltraiter un homme tout aussi bien qu’une femme est grave et impardonnable. Le sexe de la victime n’en fait pas sa souffrance plus ou moins acceptable."

Peu désireux d'entamer un débat sur ce point pour l'instant, je me borne à acquiescer d'un signe de tête, peut-être en reparlerons-nous un jour, mais pas maintenant. Nous trouvons le bac évoqué peu après, un petit bateau tout simple attaché à un ponton sommaire sur lequel se trouve un vieil homme édenté assis sur un tabouret. A peine nous approchons-nous de lui qu'il nous hèle:

"Oyez, m’sieur dame ! Vous tombez bien mal, mon bac n’peut plus traverser d’l’aut’ côté d’la rive ! "

Isil fronce les sourcils et s'enquiert:

"Quand sera-t-il de nouveau fonctionnel ?"

A quoi le vieil homme rétorque d'un air contrit:

"J’sais pas, ma bonn’ dame, ça peut bien prendre une s’maine, pour autant que j’sache, sans doute plus. C’est qu’mon idiot d’apprenti a foncé dans l’ponton avé la barcasse et qu’y m’y a collé un trou ! Du coup j’l’ai envoyé en ville chercher une pièce eu’d’rechange, mais ça va prendre du temps, pour sûr !"

Ma compagne se renfrogne à cette nouvelle et demande s'il existe un autre moyen de rejoindre Dehant sans passer par les terres de la Sororité, ce qui lui vaut un hochement de tête négatif du vieillard. Elle le questionne ensuite sur le temps qu'il nous faudrait pour traverser ces terres interdites aux hommes, ce qui prendrait un peu moins de deux jours si nous nous hâtons, d'après l'homme. Isil nous rejoint alors, Lhyrr, Miynn et moi, pour nous présenter les choix qui s'offrent à nous: attendre une bonne semaine, ou tenter de franchir les terres de la Sororité. Je lui répondrais bien que nous avons le temps et que passer une semaine à camper dans la région avec elle n'aurait rien pour me gêner, mais le contretemps n'a pas semblé l'enchanter d'après ce que j'en ai vu, elle arbore d'ailleurs toujours une mine si contrariée que je ne peux m'empêcher d'en être amusé. Mon caractère insouciant et facétieux prend aussitôt le dessus et je hausse les épaules en prenant mon air le plus angélique pour répondre:

"Prête-moi une de tes robes."

L'Elfe me regarde un instant sans réagir, d'un air dont je ne parviens pas à définir s'il est incrédule ou agacé, puis finit par me rétorquer avec le plus grand sérieux:

"Te prêter une de mes robes ? Le ciel t'est-il tombé sur la tête ? Et puis je n'en ai pas. Tu peux très bien monter sur Lhyrr pendant que moi je traverse avec Miynn les terres de Selhinae."

Je la scrute en faisant mine de réfléchir, refrénant à grand peine un éclat de rire devant tant de sérieux, mais je crains de la vexer et finis par secouer la tête négativement en chassant de mon mieux l'humour peint sur mes traits et en regardant Isil au fond des yeux:

"Hors de question que je t'abandonne et te prive de Lhyrr, ces routes ne sont pas sûres."

Elle secoue la tête de l'air de celle qui s'apprête à devoir livrer une rude joute oratoire avant de me répliquer calmement:

"Les routes de la Sororité sont parmi les plus sûres que je peux trouver pour une femme. Il ne m'arrivera rien chez eux, elles maîtrisent très bien leurs terres face aux mâles étrangers. Mais les femmes sont les bienvenues."

Cette fois toute trace d'amusement quitte ma physionomie, j'ai eu un bon aperçu de la sûreté des routes il y a quelques jours et toute mon éducation se révolte en moi à l'idée qu'elle propose. A cet instant je n'ai plus rien du jeune Eruïon timide et enjoué qu'elle a presque exclusivement connu, c'est le guerrier Elfe Brun adulte, forgé et trempé dans l'enfer de Sarnissa qui se tient devant elle, dur et inflexible. Je modèle pourtant soigneusement ma voix de façon à lui répondre avec douceur, elle ne connait pas nos coutumes et ne peut donc pas réaliser ce que sa proposition a d'offensant pour moi:

"N'insiste pas Isil, je viendrai avec toi ou je franchirai ces terres seul pendant que tu iras avec Lhyrr de l'autre côté, mais je ne te laisserai pas prendre des risques pour moi. C'est ainsi, accepte-le mon amie."

Ce soudain changement d'attitude de ma part semblent laisser mon amie sans voix, jusqu'à ce que Lhyrr pousse légèrement son épaule du museau, en fait. Elle flatte distraitement le chanfrein de son Lokyarme avant de soupirer:

"Bien, nous irons tous les trois dans les terres de la Sororité."

J'incline le visage, un geste respectueux de remerciement, puis retrouve un malicieux sourire, toute trace de gravité envolée:

"Bon, alors as-tu de quoi me déguiser en...bien vieille dame?"

Une taquinerie relative à notre discussion d'il y a quelques jours sur son passé, "bien vieille dame", ses propres mots, qui me font autant sourire aujourd'hui que lorsqu'elle les a prononcés. Elle n'a pas oublié non plus car un début de sourire naît à la commissure de ses lèvres tandis qu'elle secoue négativement la tête:

"Non, je n'ai pas de quoi te déguiser en "bien vieille dame", en revanche, j'ai une idée de qui le pourrait."

Les yeux pétillants de malice, je hausse un sourcil faussement sévère et déclare solennellement:

"Quand nous arriverons en ville, je t'offrirai des belles robes, une dame comme toi devrait en avoir de pleines malles et pouvoir en prêter à son ami!"

Puis je ris de bon coeur et ajoute, toujours taquin:

"Tu crois que le monsieur en cache dans sa barque?"

Mes pitreries lui font hausser un sourcil amusé et, une fois n'est pas coutume, elle me taquine en retour:

"Je te prends au mot, tu auras le droit de toutes les essayer avant pour voir si elles te sont seyantes".

Elle jette ensuite un coup d'oeil au vieil homme et ajoute:

"Lui n'en cache pas dans sa barque, mais sa femme en a assurément."

Je tournoie gracieusement sur moi-même, simulacre de damoiselle faisant admirer sa nouvelle tenue à des amies, ris à nouveau et finis par river à nouveau mon regard dans celui d'Isil pour lui préciser d'un ton rieur:

"Soit, je ferai rire toute la ville, mais ensuite il faudra que tu les portes et que tu m'emmènes danser dans un grand bal. J'ai toujours rêvé de danser dans un bal, j'avais un ami qui parlait de ça, il avait vécu à la cour de Tahelta et..."

Je m'interrompts, un peu confus mais juste à temps quand même, et ajoute un peu trop rapidement:

"Euh...enfin, demandons-lui, oui, c'est une bonne idée."

Elle me regarde un instant sans répondre avant de hocher la tête et de retourner vers le vieillard tandis que je reste immobile, la suivant songeusement des yeux. Je repense à nos premières rencontre, dans l'auberge d'Eniod, aux mots que je lui ai dit, sur le ton de la plaisanterie, après qu'elle m'ait proposé de l'accompagner. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas ri véritablement? Quand a-t-elle dansé pour la dernière fois, participé à une fête sans se soucier d'autre chose que de s'amuser dans l'instant présent? Trop longtemps, sans aucun doute, et je ne peux m'empêcher d'en éprouver une sourde tristesse. J'aimerais tant l'entendre rire, voir un peu de joie revenir dans ses beaux yeux souvent si tristes ou douloureux. Ce n'est pas pour tout de suite à ce qu'il semblerait, mais qu'importe, je sais être patient et renoncer lorsque je me suis fait une promesse n'est pas dans ma nature.

Quoi qu'il en soit la demande qu'Isil adresse au vieillard le fait exploser de rire, je ne sais pas exactement ce qu'elle lui a dit, étant trop loin pour entendre leurs paroles, mais en tout cas ça l'amuse. Il ne tarde pas à entraîner Isil vers sa bicoque, sans doute pour quérir de quoi me déguiser, tandis que je veille sur Miynn et Lhyrr. Encore qu'il serait sans doute plus juste de dire que ce dernier veille sur nous, à en juger par son attitude vigilante. Un nouveau rire insouciant franchit mes lèvres lorsque je repense à mon idée farfelue, pas de doute, je vais avoir fière allure attifé en damoiselle...

_________________
Elladyl, Eruïon errant de son état.


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