(Alors là… c’est le fond de la gamelle.)Oh ! Horreur des horreurs et malheur des malheurs ! Que de peines s’abattent ainsi sur moi, divine Aldryde s’étant crue aidée et aimée de Gaïa à l’instar des élues, ô lecteurs qui m’accompagnez incessamment, en ce jour funeste où la disgrâce fond sur moi comme les corneilles sur leurs proies !
Je prie Gaïa de m’écouter encore, d’admettre mes complaintes dans sa demeure d’Ether, plus haut que les Etoiles, là où tout n’est fait que de sa grande lumière ; je prie ma Mère bien-aimée encore, bien qu’elle me délaissât, d’entendre ma mélopée funèbre : plus que tout mon cœur ardemment désire-t-il me voir disparaître sur l’heure, par quelque moyen que ce fût ! Me voir frappée des foudres de Valyus qui forge les armes du monde, me voir fondre sans plus de procès dans le sein de la Terre et devenir comme les fleurs endormies une enfant chérie de Yuimen, me voir en statue de sel transfigurée pour me faire éternel réceptacle des offrandes à Yuia…
Ô, lecteurs aimés de moi, vous connaîtrez bientôt mon immense infamie, qui me frappe et m’abat, et ploie de toute sa puissance mon échine auparavant si fière et altière ! Car oui, malgré mon sentiment de honte, lequel me noie et m’asphyxie, je vous narrerai la vérité – toute crue.
Reine parmi les reines, et joyau parmi les joyaux, et quoi ? ne pas savoir faire les choses ainsi qu’il le faudrait ? Jouer des mots comme la houle sur la grève violemment fait rouler les galets, et n’avoir que loin de l’esprit les convenances de la royauté ? Et n’avoir, encore, entre les lèvres que le babil bileux de ceux qui n’ont pas de sang et qui fondent leur vie sur les menus espoirs de petites gens – parler ainsi que le ferait la première roturière ?
(Cela ne se peut… cela ne se peut !) Quoi ?!
Moi ?! Princesse Aldryde si pleine de charmes et dotée de grâces infinies – vous finirez par le savoir – sur les épaules de fin albâtre de laquelle repose la même lourde tâche que celle incombée à son peuple – celle de rendre poésie et grandeur à ce monde cruel et froid qui nous oppresse et nous effraie – élue, Akrilla ! et pas même un ‘Bonjour’ pour la princesse astrale à la beauté surnaturelle qui, elle, reconnaît en moi celle que je suis et fait montre, ainsi qu’il se doit, de tous les protocoles !
Aussi, ne soyez pas étonnés de m’entendre conter que les nymphéas ne savent porter comme moi le rouge diapré en leur cœur aux pistils arrogants : comme eux, mais avec bien plus de noblesse, la pâleur veloutée de mon visage impérial se teinte sur les joues d’un incarnat vivant et chaud, ô combien visible à travers ma peau si fine, transparence du givre scintillant, et qui embrase par la même occasion l’ensemble de mon être. C’est là un torrent d’opprobre qui m’entraîne loin de la rive. Je m’éloigne. Je me perd. Je m’efface !
POURPARLER !!!J’invoque le droit de
pourparler !
Oh, lecteurs, vous pourrez me blâmer. Mais plus tard ! Car, vous qui êtes tant aimés de moi-même, ne soyez pas trop prompts à prendre pitié de l’Akrilla que je suis ! Jamais plus, non, jamais cela ne saura se reproduire ! Jamais, ô grand jamais – entendez-vous ? Jamais plus je ne couvrirai le nom d’Yscambielle de déshonneur, je vous en conjure de toute la foi dont je suis investie. Pour Gaïa !
Et me voilà déjà de songer aux libations mirifiques et fantabuleuses que je lui ferai pour célébrer sa toute-puissance : crème sucrée au beurre et miel dont la couleur rappellera ses divins rayons, pintes de vin de sureau noir et rouge et cidre fameux de Bouh-Chêne, ainsi que, dernières mais non des moindres, moults pâquerettes. Que de goût et de vénusté lors de l’office, pour mon repentir ! J’imagine déjà l’autel, à la blancheur immaculée dans la lumière diffractée cent fois en couleurs radieuses, et chamarrées, qui épouseront la courbe des délices par moi offerts avec des jeux iridescents.
Mais malheureusement cette pensée admirable n’est pas celle qui nous occupe présentement : avant de demander pardon à ma déesse, bien sûr faudra-t-il que je l’obtienne de la Femme-cheval que j’ai mortellement offensée.
Mais avant que j’aie pu avancer mes excuses sincères et qui eussent violenté mon cœur d’un déchirement énorme, la Femme-cheval plie légèrement le cou et pointe du menton quelques nouveaux venus.
-
Je crains que vous devriez nous débarrasser de ces intrus......
QUOI ?!!!Non, c’est tout simplement impossible que ces paroles soient venues d’elle, divin oracle couronnée d’étoiles. Il doit certainement s’agir d’une langue d’ici – ou devrais-je dire, d’un défaut de la langue d’ici – car jamais ô grand jamais, comme je vous l’ai déjà mille fois dit et répété, je ne saurai plus manquer de courtoisie envers personne !
Oh, je sais ! Ce devait être de l’ironie ! Ou bien, oh oui !
(Une épreuve ?)Mais je ne tomberai pas dans le gouffre sans fond d’une nouvelle infamie ! Par Gaïa, j’en fais le serment, et je prépare déjà mon corps et mon esprit à recevoir ces arrivants.
Les présentations prendront pour sûr beaucoup de temps : voilà une bonne dizaine de personnes à la vêture étrange et d’apparence… originale ! Hum… Oui ! Je leur en ferai d’ailleurs le compliment : grands comme les Géants des Terres Enormes, ils ont une allure élancée – voire dégingandée – et fière. Par ailleurs, la maigreur toute noble de leurs membres décharnés leur offre une marche qui les distingue du commun des mortels : plus proche de celle des légendaires Oudios aux roides articulations et aux os de bois, leur prestance semble se pouvoir comparer à celles plus hautes instances du monde. Quant à leurs habits, comment ne pas voir en eux la main experte de la couturière de Cour aguerrie aux tâches les plus fines : le tissus s’envole avec la brise en multiples éléments déchirés, à semblance même du cuir – de la chair morte depuis longtemps déjà sous l’honorable coup du roi devenu guerrier pour le salut de son peuple. Par ailleurs, ils tiennent tous en main des armes dont le renom ne doit plus être à faire dans leurs contrées respectives : la rouille qui les mouchette ainsi que leurs dents scabreuses donnent à celui qui les contemple la certitude que ces sabres bien des fois ont sauvé la veuve et l’orphelin !
Oui, réellement, de belles personnes… auxquelles tout de suite il me faut faire révérence !
-
Woooaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahaaaaaaaaaaahhhhh ! Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuhh-làààà !!!Vivement chers lecteurs suivez-moi avant que de me perdre ! Point de temps pour offrir repentir à la Femme-cheval dont la lisière de la clairière est la tiare étincelante, et pas plus pour rendre hommage à ses nobles invités, car déjà Tips m’entraîne-t-il rudement dans sa suite : il court à toute vitesse avec un miaulement de soumission – sûrement pour comme moi rendre grâce aux belles gens qui arrivent – et moi qui étais accoudée à son épaule je m’envole dans son chemin, emportée par un vent de proue qui ébranle cruellement mes jambes et mes ailes.
-
Woooooooooooooooooooooooooohhhh !La force est si grande que sans crier gare me voilà projetée comme le fut le galet que je lançai naguère sur Tips, mais maintenant me voilà galet, et ma cible inconsidérée et involontaire est fondée dans les nouveaux venus. Mon opprobre sera plus grande que tout ce que je connus jamais, car l’air rabat mes ailes que je tente vainement d’ouvrir pour annihiler la puissance qui me rend pareille à une arme de jet !
(Par Gaïa !)Je ne puis rien y faire : je finirai au pilori ou à la potence pour un si grand affront : m’écrabouiller telle une pomme par trop mure sur le plastron d’ivoire de l’un des commensaux de la Femme-cheval !
Incommensurable est le pouvoir du destin, qui verra ici s’achever ma vie trop courte !
Ineffable est le pouvoir d’inertie contre lequel je ne pourrai lutter et qui inexorablement m’enverra tête la première contre l’un de ces nobles !
...
Grande Gaïa, sainte Mère !
Lecteur, vois ici la fin de ma vie : ça y est, c’est fait, mon corps tout entier a rencontré celui qui se dressait devant moi, et sans que jamais j’eus l’idée absurde d’y être pour quoi que ce fût, mon être à ce contact envoie avec force un
Trait de lumière.
-
Oups !(((Lancer involontaire et sûrement instinctif de Trait de Lumière)))