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Grâce à la proposition d’Artak, ils mirent un peu moins de deux jours à rejoindre l’oasis.
Entre-temps, Jadaïn avait du se rendre à l’évidence. Malgré ses tentatives désespérées pour rester le plus loin possible du jeune homme, les soubresauts du chameau l’obligeaient à poser de temps en temps les mains à la taille d’Artak. Elle ne pouvait voir son visage, néanmoins, elle était sûre qu’il s’en amusait.
Comme ils approchaient des premiers palmiers, un grand ramdam fit le tour de l’oasis, précédé par les enfants qui couraient en tout sens. Les chameaux blatérèrent à grand cris fêtant la retrouvaille de l'un des leurs.
“Ils sont de retour, ils sont de retour !”
La tribu des Salamandres se pressa au devant d’eux. Pas de trace des parents de la jeune femme. Elle s’en était doutée, mais cela lui arracha néanmoins un pincement au cœur. Ainsi donc, ils l’avaient réellement abandonnée aux mains de ces inconnus.
Artak salua Kurtamil de la main.
“Salutations, mon oncle.”
Le grand homme barbu au turban rouge garda un regard impénétrable. Mais sa voix trahissait sa satisfaction.
“Bienvenue mon neveu. Sois sûr que c’est un grand bonheur que de te voir revenir avec ta première épouse.”
Première épouse ? Elle savait qu’il en était ainsi dans leurs tribus. Mais l’entendre ainsi annoncer la mis mal à l’aise. Quelques secondes plus tard, elle se demandait bien pourquoi... Après tout, si Artak en trouvait une seconde, elle pourrait voguer aux occupations qui lui saillaient le plus.
Voyant trois jeunes hommes se pousser du coude en la regardant, Jadaïn supposa qu’il s’agissait des cousins du jeune homme.
Artak ordonna au chameau de se coucher et il descendit de celui-ci, s’appuyant le moins possible sur sa jambe blessée. Puis, tendant une main à la jeune femme, il l’invita à descendre. Il se tourna vers la tribu et rendant sa voix audible pour tous, il annonça :
“Voici ma femme ! Jadaïn.”
Des viva et des roulements de langue accueillir cette annonce. L’oncle renchérit.
“Jadaïn, je te souhaite la bienvenue parmi nous. Puisses tu trouver ici une famille.”
Puis, il invita l’ensemble des personnes à passer voir les époux quand ils le souhaiteraient pour leurs présenter leur félicitations. Chacun s’égaya et retourna à ses occupations premières. Kurtamil s’approcha de Jadaïn et Artak, aussitôt suivi par son épouse et ses propres fils.
Mais, comme il voulait étreindre le jeune homme, il se rendit compte que celui-ci tanguait sur sa jambe blessée.
“Que t’est il arrivé, fils ?”
“Un éboulement dans le désert rocailleux. Je te raconterai cela en détail.”
"Tu devrais aller voir Maryama..."
L'épouse du chef de tribu se présenta à son tour, prenant chaleureusement les main de Jadaïn.
"Bienvenue dans notre famille. Je suis Karla, la première épouse de Kurtamil."
Ses yeux noisettes et son léger embonpoint plurent immédiatement à la jeune femme, qui lui rendit son salut. Vint ensuite la présentation des trois cousins qui semblaient se tenir sur la réserve en présence de leur père, mais dont les yeux pétillaient de malice devant cette sombre et belle inconnue.
L'aîné se prénommait Armis, le suivant Valbel et le cadet Karmoh. Tous trois étaient bien bâtis, mais seul Valbel avait la barbe aussi fournie que son père. Les deux autres préféraient apparemment la mine glabre.
L'un d'eux prit le chameau par la bride et l'invita à se lever. Artak étant blessé, les deux autres lui offrirent un appui jusqu'au campement et la petite troupe se mit gaiement en marche vers le puits central.
Mais soudain, le chef de tribu s'arrêta, stoppant net l'élan général. Chacun l'observa avec curiosité, s'interrogeant sur ce qui lui arrivait. Le regard grave de Kurtamil venait de se poser sur la taille de Jadaïn.
"Une chose doit être mise au point, avant de rejoindre les familles. Aucune femme ne porte et ne portera jamais d'arme au sein de ma tribu."
Jadaïn ne comprit qu'un peu tard, qu'il faisait référence à la dague qui pendait à sa ceinture. Le défiant du regard, elle porta la main sur la garde de celle-ci d'un geste protecteur. Il était hors de question qu'on la dépouille de son arme. Elle l'avait sauvée dans le désert, et elle se sentait bien plus rassurée de l'avoir à ses côtés.
Vivement, Artak intervint.
"Elle ne savait pas, mon oncle. Même entre gens du désert, nos moeurs sont parfois un peu différentes."
Le jeune homme jeta un regard appuyé à sa nouvelle épouse, tout en clopinant vers elle du mieux qu'il pouvait. Tout à l'affaire qui les occupait à présent, il avait aussitôt délaissé ses cousins. Il vint se placer juste devant elle en tendant les mains, pour de toute évidence, récupérer la lame.
La rage bouillonnait dans la poitrine de la jeune femme et ses yeux verts crépitaient de hargne. S'il croyait qu'elle allait céder de la sorte, il se trompait. Jamais elle ne renoncerait à qui elle était, chef de tribu ou pas !
Connaissant les humeurs de sa compagne, Artak craignait le pire. Il savait également l'autorité dont pouvait faire preuve son oncle au sein de la tribu et appréhendait une altercation entre ces deux là. Agitant les lèvres en silence, il essaya de la faire revenir, au plus vite, à de meilleurs sentiments.
"Je t'en prie... Fais-moi confiance..."
Ses yeux grands ouverts lançaient des signaux d'avertissement. Il fallait que la jeune femme comprenne que ce n'était pas le moment de se rebeller. Il ne pouvait dire tout cela à voix haute et il priait qu'elle saisisse vite.
Jadaïn, butée, ne vit tout d'abord pas ses gestes discrets. Mais c'est son regard qui retint son attention. Dans celui-ci, elle pouvait lire tout à la fois un mélange de peur, de supplication et de défi. C'est ce qui l'amena à tenter de déchiffrer ses lèvres.
"... Confiance... Moi..."
Elle hésita encore un instant, mais elle finit par ravaler sa hargne et défit sa ceinture. Puis, comme si cela n'avait aucune espèce d'importance, elle tendit l'arme à Artak qui la prit avec soulagement. Au moins, avait-elle encore sa fronde, bien cachée dans les replis de sa tunique orange. Et en son sein, elle se réjouit de ce secret bien gardé, au nez et à la barbe de ce fameux Kurtamil. Restait à savoir si elle pouvait pleinement croire en son époux. Elle l'espérait...
L'incident clos, la petite troupe se remit en marche et les conversations reprirent. Les cousins voulaient apparemment tout savoir de leur périple.
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Jadaïn, Humaine/Peuple des Dunes, Rôdeuse
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