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 Sujet du message: Le Palais des Voix
MessagePosté: Lun 25 Oct 2010 18:34 
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Le Palais des Voix

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Cette partie de la grotte, d'apparence apparemment anodine puisque aucune construction ne vient permettre de dire qu'il s'y passe quelque chose, est le centre vivant de ce que les Liykors d'Amarok appellent "l'art de la voix".

Ici, l'inexplicable trou qui perce le plafond et inonde la pièce de sa lumière extérieure est l'endroit où, le plus clair de leur temps, jeunes et vieux perfectionnent ou apprennent le beau langage, à user d'effets de style, à chanter, à oublier leur timidité, à développer leur prestance et leur charisme.

Souvent, certains membres de la grotte, seuls ou à plusieurs, préparent des spectacles à base d'humour, de poésie, de chants et de philosophie. Il est toujours impressionnant d'entendre l'aisance, la beauté et la profondeur de leurs prestations.

C'est aussi à cet endroit-là que la communauté se rejoint pour débattre d'évènements nouveaux et des décisions à prendre en temps de crise.

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 Sujet du message: Re: La Palais des Voix
MessagePosté: Mer 1 Mai 2013 18:23 
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Les galeries étaient restées tout aussi vides qu'avant. Seuls les bruits de pas des deux protagonistes résonnaient dans l'antre de glace. Rien n'avait vraiment changé en soit, mais pourtant, Ziresh ressentait un malaise de plus en plus présent. Ce n'était pas la fatigue que lui avait infligé ce combat, non. C'était autre chose. Il le sentait de plus en plus, mais quelque chose de grave allait lui arriver. C'était suffisamment perturbant pour que Pinga ne veuille pas lui révéler ce pourquoi ils allaient justement au Palais de la Voix. Mais finalement, le bratien n'eut pas à attendre bien longtemps, même si la durée était relative. Il avait eu l'impression de marcher pendant une heure, quand il ne s'était contenté de la suivre pendant seulement quelques minutes.
Elle s'était arrêtée, juste quelques mètres avant une grande ouverture. Tout ce que Ziresh pouvait voir de là où il était, c'était qu'une grande lumière naturelle semblait jaillir de l'endroit. La prêtresse n'avait pas vraiment changé d'air, mais son ton fut particulièrement solennel. Il n'y avait pas gravité dans sa voix. Seulement un visage blême, autant qu'il soit possible d'imaginer un loup avec une telle expression.

"Ziresh, fit Pinga. A partir de maintenant, tout sera infiniment plus difficile."

Elle n'eut pas à en dire plus pour que le loup d'argent sente les larmes lui monter aux yeux. Une boule vint l'étrangler instantanément la gorge, de la même manière qu'il sentait ses entrailles se nouer. Il savait de quoi il s'agissait. Que l'annonce vienne des fujoniens plutôt que de ceux de son clan ne l'étonnait pas. Il l'avait sentie venir, l'échéance. Et maintenant, elle était arrivée. Kâhra, sa fiancée, la muse qui l'avait poussé à l'aventure, l'amour de sa vie... n'était plus.
Il ne pleura pas encore. Il souffrait à l'intérieur seulement. Mais il souffrait comme jamais il n'avait souffert. C'était à croire que tout cela n'était qu'un voyage initiatique de la douleur, suite à tout ce qu'il avait pu subir physiquement. Si avoir la Hallebarde était le signe de la fin de l'aventure, alors elle s'était terminée dans une apothéose de peine.

"Je ne te pousserai pas à continuer après ce qui va venir. C'est pourquoi je vais te dire immédiatement ce que tu dois faire quand tu auras terminé. C'est d'accord ?"


"D'accord", répondit Ziresh après une longue respiration canalisatrice.

Un léger silence passa, le temps que le jeune loup reprenne encore un peu d'air dans ses poumons. Pinga attendait qu'il se mette en condition pour continuer.

"Tu n'iras pas voir les noirs, après ça. Contrairement à ce que tu peux croire, ils ne sont pas vos principaux ennemis. Un mal plus important et plus sombre se sert d'eux. Mais malheureusement, mes visions sont trop floues et ces ténèbres sont trop épaisses pour que je puisse discerner les hommes responsables de ce mal. Toutefois, tu ne seras pas seul avec ton clan pour cette guerre..."

"Nous n'avons pas d'alliés..."

"Si, Porteur de Lumière. Ils ne sont seulement pas encore avec toi."

Elle avait posée une patte rassurante sur la nuque de Ziresh. Elle caressa un moment sa crinière, presque comme une mère le ferait à son enfant. Puis elle continua.

"En descendant le Col Blanc, sur les chaînes de montagnes, tu trouveras une citadelle construite par les nains. On l'appelle "la Citadelle assoupie". Là-bas, tu y rencontreras une femme qui tire sa force de l'ombre, mais dont l'âme reste louable. Elle s'appelle Calimène et vient de Kendra-Kâr. Elle est chevalier et d'une grande éducation, tu sauras la reconnaître. Elle a le même ennemi que toi et fera une alliée des plus respectable, mais elle cherche surtout à reconquérir la citadelle. Or, le clan de Liykkendra a besoin d'un endroit autre endroit où vivre pour un moment. Et elle ne sera pas ta seule alliée : d'autres personnes vous rejoindront. Tu y retrouveras même quelqu'un que tu connais. Mais je ne puis t'en dire plus, mes yeux ne voient pas aussi loin."

Elle pointa la griffe dans la galerie, indiquant la sortie de la grotte.

"Après la cérémonie, descends directement vers le sud, tout en restant sur les montagnes. La citadelle se trouve sur le flanc, en longeant le fleuve à côté d'Akinos. Tu devras te presser, afin que ton peuple soit en sécurité le plus vite possible."

Ziresh hocha de la tête silencieusement. Il avait bien tout écouté, mais son esprit était encore embrouillé par l'annonce de ce qui était arrivé à Kâhra. Le mot "cérémonie" l'avait d'ailleurs d'autant plus bouleversé.

"Je vais te saluer, maintenant. Les prochaines heures t'appartiennent."

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 Sujet du message: Re: La Palais des Voix
MessagePosté: Ven 3 Mai 2013 15:23 
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Elle s'était écartée, sans vraiment s'éloigner. Ziresh hésitait alors d'autant plus à reprendre son chemin. Pourtant, il n'y avait que quelques mètres à franchir. Il savait en plus ce qui l'attendait. Mais sans doute que pour un moment, seulement pour un instant, il voulait encore croire qu'il pouvait éviter cela. Mais quand Pinga se décida à le quitter pour rejoindre sa galerie, il lui sembla qu'il n'avait plus personne sur qui s'appuyer. Il était désormais seul, face au destin sombre et inéluctable.
Alors il marcha enfin, avec le temps qu'il lui fallu pour engager le premier pas.
Quand il déboucha sur le Palais de la Voix (qui n'était en définitive qu'une vaste salle sans aucun autre artifice), la lumière lui agressa les yeux de la même manière que lorsque l'on passe d'un espace clos à l'extérieur. Il lui fallu plusieurs secondes pour réaliser que plusieurs personnes se tenaient devant lui. Leurs silhouettes immobiles ne semblaient que murmurer quelques mots, poliment. Il n'était pas nécessaire de les comprendre distinctement pour deviner qu'elles le préservaient de vérités blessantes.
Quand ses yeux furent enfin habitués à la lumière, Ziresh reconnut une grande partie de son clan. Parmi eux, les personnes les plus importantes de sa vie : son père Xavir, sa mère Erin, son ami Bravi, et bien d'autres membres de Liykkendra. Mais même s'ils étaient nombreux à Amarok, le jeune loup d'argent remarquait bien que leur nombre s'était scandaleusement réduit. Ils devaient être une trentaine. Quarante, tout au plus.

"Que s'est-il passé ?" demanda Ziresh, la voix de plus en plus tremblante, tout comme ses pattes qui ne signaient plus correctement.

"Ils ont eu le temps de nous attaquer encore une fois, répondit Erin après une longue pause. Les pertes ont été bien plus lourdes cette fois-ci..."

"Nous n'avons pu tenir notre position, renchérit Bravi. Nous avons dû fuir. Certains ont dû se sacrifier pour nous permettre de nous en aller. Et nous n'avons pas pu emporter beaucoup de choses avec nous. Le seul recours que nous avions était de venir ici, car ils barraient la route vers Kendra-Kâr. Mais c'était encore un piège : en venant ici nous sommes passés à proximité de leur village. C'est là que les pertes ont été les plus lourdes..."

Ziresh ne put s'empêcher d'étouffer un soubresaut de pleurs. Les larmes avaient fini par inonder ses joues, bien qu'il ne laisse échapper presque aucun son. Il se sentait responsable de toute cette tragédie. Peut-être aurait-il pu les aider en se dépêchant de trouver la relique ? Peut-être même en restant parmi eux, ne les quittant jamais ? Peut-être aurait-il dû simplement, aussi, les amener avec lui.

"Je suis désolé... Je n'ai pas été à la hauteur. Je n'ai pas pu les sauver..."

"Non, Ziresh, intima Xavir d'une voix autoritaire. Tu as réussi. Tu portes la Hallebarde Protectrice. Quant à nous, nous sommes encore beaucoup à être en vie. Liykkendra est faible pour le moment, mais notre clan saura retrouver ses forces en temps et en heures. Rien n'est perdu, même si tout est tragique pour le moment."

Un long silence passa. Personne d'autre ne semblait vouloir discuter davantage des évènements. Il n'y avait qu'une espèce de grand malaise, qui laissait Ziresh dans un embarras des plus gênants. Même si on lui certifiait le contraire, il ne pouvait s'empêcher de penser que certains pouvaient retenir son retard contre lui. En tout cas, il s'infligeait cela lui-même.
Après un long moment à échanger des regards, à chaque fois déviés par la gêne, le loup d'argent finit par évoquer ce qui le faisait bouillonner de l'intérieur.

"Pinga m'a dit, pour Kâhra."

Sur ces seuls mots, Erin éclata. Des pleurs, mais aussi des cris de douleur résonnaient dans le Palais, dont le nom prenait désormais tout son sens. Plusieurs autres bratiens s'étaient jetés sur elle pour la prendre dans leurs bras et, finalement, l'accompagner dans ses larmes. Cela rendit la chose encore plus difficile pour Ziresh, qui n'arrivait plus à retenir ses sanglots, mais qui tentait autant que possible de ne laisser passer aucun hoquet, par pudeur. Xavir répondit pour tous.

"Elle a été infiniment courageuse. Nous l'avons portée jusqu'ici."

Sur ces mots, tous s'écartèrent.
Au milieu du clan, Kâhra reposait sur un brancard de fortune en bois et en cordes. Il était complètement abîmé et témoignait de toute la traversée qu'avaient dû subir tous les liykors. Outre sa blessure à la poitrine, elle était malgré tout restée belle. Sa mort n'avait pas altéré le teint de son pelage. Pendant un instant, Ziresh souhaita qu'elle ne fût qu'en plein sommeil. Mais ce n'était qu'un fantasme...
Doucement, il s'avança vers elle pour s'agenouiller à son chevet. Après quelques secondes d'hésitation, il prit sa patte, froide mais pourtant encore souple. Il caressa ses coussinets un moment, dans l'espoir de ressentir une pression, ou peut-être même un pouls. Mais cela n'arriva jamais.

"Tu as été la source de ses efforts. Elle ne cessait de demander quand nous arriverions à Amarok, pour qu'elle puisse te voir. Elle a tenu longtemps, bien plus que nous l'imaginions. C'est lors de l'ascension qu'elle nous a quittés. Son corps ne pouvait plus supporter tout cela."

Cela devait arriver. Ils le savaient tous. Et pourtant, ils l'avaient menée jusqu'ici, sans avoir recours à la lâcheté pour la laisser derrière eux. En ces temps où le pire pouvait ressortir en chacun d'entre eux, Ziresh restait malgré tout heureux de savoir que son clan restait une exception. Que les valeurs restaient encore parmi nombres d'entre eux.

"Merci, mumura-t-il, étouffant encore une grande peine. Je n'aurais pas pu vivre sans lui avoir dit "adieu"."

"Elle a écrit une lettre pour toi."

Erin avait mis un terme à ses hurlements, bien que ce ne fusse pas le cas pour tous ceux qui l'avaient accompagnée. Les yeux rougis, elle tâta ses poches pour finalement en sortir un papier abîmé. Quand Ziresh la prit, il reconnut bien là l'écriture de Kâhra. Toutefois, les tremblements de sa plume étaient visibles et témoignaient de toute sa faiblesse physique. Mais cela ne l'avait pas empêchée d'écrire de longues lignes. Il la lut sur le champ, juste devant son auteure.

"Ziresh,

J'ai bien conscience que cette lettre te parviendra sans que je ne puisse te parler avant. Cela me chagrine, car je me rends compte que je ne te reverrai plus, mon amour. Je suis bien trop faible. Et malgré le cœur que mettent Bravi et mes parents à l'ouvrage, je ne saurais tenir jusqu'ici. Je me sens coupable de tout laisser quand je vois les efforts de Liykkendra, mais je connais mes limites. Je les ai déjà bien trop repoussées.
Toutefois, il me reste encore un semblant de force pour t'adresser ces quelques mots. Ces derniers qui témoigneront de l'amour et de la confiance que j'ai en toi, mais aussi de mes dernières volontés.
Je t'aime infiniment. Et s'il y a un au-delà de la Mort, alors je t'aimerai toujours. Je t'aime tant que je ne puis me résoudre à faire preuve d'un certain égoïsme en te demandant de ne jamais m'oublier et de rester uniquement mien. Bien sûr, je ne veux pas sombrer dans l'oubli. Mais ne t'en voudrai jamais si ton cœur devait trouver son bonheur dans celui d'une autre. Chaque personne sur Terre a besoin d'amour. J'ai la chance de mourir en sachant qu'un loup d'argent m'aime. Lorsque tes derniers instants viendront, même si je n'arrive pas à l'imaginer, je ne veux pas que tu quittes ce monde en pensant que la seule personne pour qui tu aies eu de l'amour ne soit plus ici bas.
Je pensais naïvement que j'étais assez heureuse pour finir mes jours sereinement, en pensant avoir bien vécu. Mais j'ai peur Ziresh. J'ai tellement peur ! Je n'avais jamais imaginé à quel point cela pouvait être effrayant. Je ne veux pas partir.
Je sens mes dernières forces m'échapper. J'aimerais pouvoir encore te dire mes sentiments pour toi, mais tu en as déjà conscience. Alors laisse moi seulement te le rappeler, t'implorer, même : ne mets jamais un terme à tes aventures. Je sais que c'est une chose dans laquelle tu excelles. Je n'ai vu qu'une partie de ce avec quoi tu es revenu et il n'y a pas de doute, tu as cela dans le sang... Continue, sois bon, reste vertueux et aide ceux qui auront besoin de toi.
Je regrette de ne pas avoir ta force. A défaut de t'accompagner, j'aurais voulu voyager comme toi... J'aurais tellement voulu aller sur Nyr' tel Ermansi. Je me figure un paysage si beau qu'il ne m'aurait plus donné l'envie de m'en aller si j'avais pu seulement le voir quelques secondes. On dit que seuls les grands aventuriers y vont et que même les dieux y résident. Je suis certaine que tu iras là bas.
Papa et Bravi sont en train de me tirer sur le flanc des montagnes. Je crois que nous avons dépassé Mertar... Je vois des villages nains en contrebas. La neige tombe, légèrement, juste ce qu'il faut pour rendre cela magnifique... J'aurais voulu atteindre Amarok. La vue doit être exceptionnelle, là-haut. Au moins, avoir tenu jusqu'ici m'aura permis de terminer ma symphonie sur les notes d'un beau paysage et non sur le toit d'une caravane.
C'est idiot, je n'imaginais pas la neige si éclatante. Elle s'étend si loin...
J'aimerais voir à travers l'âme de chaque flocon pour surplomber le monde...
La neige tombe... Je ne veux pas mourir... Si blanche...
La neige tombe..."


Les dernières lignes avaient été écrites par une patte tremblante. Ziresh ne put s'empêcher de ressentir une profonde empathie pour Kâhra en lisant cette lettre. Il avait déjà une idée de ce qu'elle pouvait voir alors qu'on la tractait sur la montagne. Elle était décédée dans un beau paysage, mais peu importe sa beauté, cela n'avait pas de sens si elle devait aussi avoir peur. Malgré l'amour qu'elle lui avait témoigné, le loup d'argent ne pouvait s'émanciper de cette idée funeste.

"Elle a dû tellement souffrir, répétait-il. Elle a dû souffrir infiniment..."

Encore une fois, il n'y eut qu'un grand silence pendant un long moment. Personne ne savait vraiment que dire. Peut-être par pudeur, ou peut-être comme une minute de silence inconsciente pour les derniers instants de Kâhra. Bravi prit tout de même la parole, car il le fallait.

"Nous voulions l'enterrer, mais il n'y a pas de rochers ici."

"Nous pourrions suivre les coutumes des purs ?" proposa un jeune bratien dans l'assemblée.

"Non, non... C'est trop loin et des nécromanciens profitent des corps qui sont immergés au Lac d'Höd. Je ne veux pas risquer qu'elle devienne un monstre."

Encore une fois, personne ne parla pendant de longues minutes. Ziresh et Erin étouffaient leurs sanglots poliment. Puis le loup d'argent éleva la voix, légèrement.

"Elle voulait voyager... avait-il murmuré. Puis il s'annonça en prenant un ton décidé. Nous ne pouvons pas suivre nos préceptes, mais je ne puis lui offrir une sépulture qui ne soit pas digne d'elle. Incinérons-la comme le font les ynoriens. J'emmènerai son corps à Nyr Tel' Ermansi."

A cette proposition, Erin pleura de plus belle. Tous les bratiens le regardèrent comme un fou qui aurait dit des insanités.

"Ziresh, intima Xavir, tu ne peux pas emporter les cendres de ma fille dans tes aventures ! Tu aurais toutes les chances de briser son urne par mégarde ! Sans compter que ton but est trop incertain ! L'Île volante ? Nous ne savons même pas si elle existe !"

"Alors dispersons ses cendres en haut des montagnes, Xavir ! hurla Ziresh, plein de rage. Je ne sais pas ! Mais je prendrai une once de ses cendres et la porterai avec moi jusqu'à temps de trouver cette foutue île ! Elle voulait voyager et elle voyagera. D'abord avec moi, puis avec cette île qui nous surplombe. Ce sont là ses dernières volontés : voyager, surplomber le monde."

Ils étaient tous à bout. La situation allait jusque dans leurs retranchements. Non seulement ils étaient à des centaines de kilomètres de chez eux, mais en plus ils étaient épuisés, affamés et en deuils. Que Kâhra ait pu les suivre jusqu'ici était un miracle. Presque la moitié du clan n'avait pas pu aller aussi loin. Bravi s'approcha alors de Xavir pour lui poser une patte rassurante sur l'épaule. Et en regardant Ziresh, il prit partie pour lui.

"C'est triste à dire, mais elle ne sera pas réincarnée. Nous ne pouvons pas mettre un rocher sur sa tombe. Le mieux que nous pouvons faire, c'est respecter ses dernières volontés. Du haut de cette montagne, le vent portera ses cendres sur tout Yuimen. Et celles que portera Ziresh voyageront tout autant si elles atteignent en plus l'île volante. Personne ne pourrait bénéficier d'un tel privilège. Et même si cette île n'existe pas, elle sera au moins toujours en mouvement avec celui qu'elle aimait pour la porter. Réfléchis-y. Nous avons laissés trop de frères et sœurs derrière nous pour débattre de la sépulture qui doit convenir. Elle est la seule à avoir la chance de bénéficier d'une cérémonie."

Erin et Xavir étaient effondrés. Ils l'étaient tous, d'ailleurs. Ils ne pouvaient plus continuer de la sorte. Ils n'allaient pas lutter davantage pour leurs principes qui étaient malheureusement irréalisables ici. Forcés de constater qu'ils ne pouvaient y faire quoi que ce soit, ils s'y résignèrent.

"Très bien... Faisons comme Ziresh l'a proposé. Nous n'avons pas le choix..."

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Fujoniens et bratiens s'étaient tous rejoints devant la grotte. Les purs avaient fait preuve d'une grande générosité, car ils avaient offert une grande quantité de bois pour créer un bûcher respectable. Ils s'étaient même proposés pour exercer leur art de la voix pour cette cérémonie. Ce n'était pas seulement pour Kâhra. C'était qu'elle était la seule à pouvoir représenter tous ceux qui étaient tombés sous les assauts des liykors noirs. C'était la seule cérémonie possible pour la moitié des membres du clan de Liykkendra.
La nuit était tombée depuis presqu'une heure. Du haut de cette montagne, on ne pouvait déjà plus voir les rayons du soleil. Mais le ciel était resté empreint d'une couleur rouge presque sanguine. En voyant cela, tous purent se remémorer à quel point le sang avait coulé ces derniers jours.
Chacun était allé saluer la défunte une dernière fois, sur son bûcher funéraire. Ne restait que Ziresh, depuis de longues minutes. Les pattes de la jeune louve s'étaient raidies, et son teint semblait bien s'être pâli. Elle n'était déjà plus aussi belle qu'il y avait plusieurs heures. La Mort avait désormais laissé son empreinte sur elle. Il n'y avait plus de miracle à espérer, le bratien l'avait compris.

"Porteur de lumière, il vous faut commencer."

A la droite de Ziresh, une petite torche était plantée dans le sol. Il n'y avait que la flamme qui dansait au gré du vent qui éclairait la scène. Elle faisait bouger les ombres des brindilles qui semblaient s'étaler sur le visage de Kâhra. Cette vision la rendait bien moins déifiée qu'auparavant. C'était d'autant plus difficile pour le loup d'argent.
Pinga était toujours derrière lui, bienveillante. Elle avait entre ses pattes une petite fiole de cristal. Elle l'utiliserait pour recueillir les cendres de la jeune bratienne.

"Il me faut encore un peu de temps..."

"N'oublie pas ce que je t'ai dit. Après la cérémonie, tu ne pourras pas attendre. Courage."

Pinga avait raison. Et il savait aussi que s'il s'écoutait, il aurait bien pu attendre des jours avant de la laisser partir pour de bon. Alors il se résolut à la quitter. Il empoigna la torche et la plaça doucement sous le bois. Les flammes se propagèrent rapidement, menant Ziresh à commettre l'erreur de regarder le corps de Kâhra dans les flammes. Il eut tout juste la vision de ses poils en train de se raccourcir par la combustion qu'une gerbe vint l'aveugler tout en enlaçant son avant-bras. D'une douleur physique et mentale, il plongea son bras dans la neige afin d'éteindre les flammes. Pinga se précipita alors pour l'aider.

"Laisse-moi te soigner !" dit-elle en le relevant.

Mais Ziresh ne la laissa pas prendre son bras. Quand il le regarda, il remarqua effectivement une vive brûlure sur le côté intérieur de l'avant-bras gauche. C'était juste sous son bracelet de protection, là où ce n'était pas protégé. Il n'avait déjà plus de poils et sa chair s'était noircie. Sans témoigner de sa douleur, il se contenta de se relever en refusant l'aide qu'on lui apportait.

"Non, eut-il répondu promptement. Ce sera mon fardeau. J'en garderai la marque."

Ziresh rejoint alors les siens, qui étaient presque tous en pleurs. Etrangement, lui seul avait gardé un air sérieux, presque sévère, mais pas impassible. Il n'aurait pas su l'expliquer lui-même, mais c'était la forme de respect qui semblait lui convenir le mieux pour ces funérailles. Ne pas pleurer, car Kâhra ne le voulait pas. Oh, bien sûr, il avait toujours cette boule dans sa gorge et ce nœud dans les entrailles. Mais contrairement à précédemment, il ne laissa rien passer.
Devant eux tous, Pinga était restée, comme en pleine prière. Puis plus tard, il sembla qu'elle agitait les flammes pour faire venir quelques particules dans la fiole qu'elle tenait. Certainement par magie, elle réussit à la remplir en entier, avant de la condamner magiquement en créant un couvercle, de manière de toute évidence élémentaire.



Alors qu'elle revenait vers l'attroupement qui s'était formé devant le bûcher, les fujoniens se mirent à chanter. Cela ne ressemblait pas à un chant funèbre, mais même si cette chanson était mélancolique, elle était particulièrement belle. Ziresh se fit alors la réflexion selon laquelle elle convenait parfaitement à Kâhra.
Quand Pinga eut rejoint le groupe de bratiens, elle donna de suite la fiole au Porteur de Lumière. Elle était très belle. Ce n'était donc pas de la glace, mais bien du cristal. Elle n'avait même pas de bouchon. Si Ziresh voulait déverser son contenu sur le sol de Nyr Tel' Ermansi...

"Tu devras briser cette fiole sur le sol des elfes dorés. Pas autrement. Va, maintenant."

La prêtresse rejoint alors ses frères fujoniens, alignés pour le chant. Elle se plaça au milieu et, après deux couplets, commença à chanter. C'est à cet instant là que Ziresh emboîta le pas, quittant le clan de Liykkendra. Il ne dit pas même adieu à sa famille. La situation était trop urgente et la mélancolie trop présente pour faire des formalités. Alors que les bratiens pleuraient toutes leurs pertes, Ziresh dépassait le bûcher funéraire. A travers les flammes, il ne pouvait même plus voir le corps de sa dulcinée.
Ce n'est que lorsque les flammes et les loups se retrouvèrent dans son dos qu'il commença à se laisser aller.
Marchant vers le sud, il pouvait encore voir au dessus de lui les particules incandescentes qui flottaient parmi les flocons. Une danse de blanc et de rouge sur un fond noir étoilé. Il repensa alors à ce que Kâhra lui avait dit. Comme elle aurait tant aimé voir le monde à travers ces flocons. Peut-être y arrivait-elle enfin à présent.
Dans la nuit, Ziresh voyait encore cette étendue de blanc devant lui. Il n'y avait rien d'éclatant pourtant. Seulement les cendres et les flocons dansants, qui l'accompagnaient.
Il se mit à sourire un instant, pensant à l'idée de Kâhra toujours proche de lui, même sous cette forme allégorique. Il laissa même échapper un petit pouffement de rire en repensant à quel point il se serait moqué de tant de romantisme si cette idée avait été évoquée par l'intéressée.

"La neige tombe..."

Puis son visage se décomposa. Progressivement, il passa du sourire à la grimace. Ses yeux plissés devinrent plus mouillés et sa mâchoire se serra. D'énormes larmes inondèrent ses joues alors qu'il continuait à avancer. Il se rendait de plus en plus compte, à mesure qu'il s'éloignait, que "ça y'est, c'est la fin". Qu'il ne la reverrait plus jamais.
Il aurait voulu hurler sa tristesse au monde entier. Il aurait pu, du haut de cette montagne. Sa voix aurait couvert le monde...
Mais il n'en fit rien.
Il avança.

"La neige tombe..."

Tout allait devenir infiniment plus difficile.

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