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Âme sensible, texte un peu sanglant. (Oui, je sais, même avec un pigeon)
Le soleil au loin se levait. Peu à peu, la nuit s'estompait et les rayons de lumières éclairaient doucement les toits et les monuments de la ville. Kendra Kâr s'éveillait lentement mais sûrement. Pipi observait tout ça, comme à son habitude, depuis son nid douillet. Un petit vent frais lui caressa le flan, le soleil avait éclairé quelques nuages qui planaient au dessus de la ville, noirs et menaçant, il fit confiance à son expérience pour savoir que bientôt, la pluie tomberait. Et Pipi aurait froid et comme à chaque fois que le froid se faisait sentir, il aurait faim. Très faim.
En contrebas du temple où il avait confectionné son nid douillet, judicieusement situé entre une statue de Déesse et une colonne vertigineuse, on entendit le son d'une petite cloche parmi les beuglement répétés des marchands de la place de la Grève. Pipi ne comprenait rien à ces bonshommes, mais il savait bien une chose, ce que lorsqu'ils sont tous rassemblés, on y trouve toujours quelques miettes ou encore mieux, du maïs. Timidement, il sorti un peu la tête de son abri et jeta un oeil suspect au dehors. Il n'y avait pas encore beaucoup de monde, le soleil n'était pas encore haut. Ceci dit, les marchands étaient déjà au rendez-vous, en train d'abattre des veaux ou des poulets, ces lointains cousins du pigeon ayant connus une vie moins glorieuse. D'autres entassaient des pommes et des poires dans des sacs de jute qu'ils présentaient parmi d'autres produits terreux qui sentaient bon la campagne. Pipi aimait bien l'odeur de la campagne, le vent la nature, l'herbe, les gros asticots qu'on trouvait parfois à proximité des charognes. Tout ça lui manquait un peu, mais il faisait bon vivre ici aussi. Même si c'était plus hostile. Car il n'avait jusqu'à présent jamais compris cette animosité, cette violence même dont était capable l'homme.
" 'Franchement ? Comprend pas ces loustics. On vient pourtant tous au même endroit pour manger. Et ils ne mangent jamais les graines tombées à terre ? Jamais entravé c'bazar. " Il déploya ses ailes une à deux fois pour se réveiller et se laissa tomber de son nid pour finir en vol plané sur une statue de bronze qui dominait une charmante fontaine où lui et ses amis aimaient à faire leur toilette matinale. Visiblement, il était le premier aujourd'hui, aucun pigeon à l'horizon. Pipi profitait de ce moment en vadrouillant sans peur parmi les marchands trop occupés à décharger leurs provisions et à achalander leurs étals.
Il avançait, réglé comme une horloge, connaissant les petits endroits où on le laissait tranquille, volant d'un muret à une devanture pour terminer sa course jusqu'au renfort d'un petit bastion que les humains appelaient " caserne ". Ces humains là avaient d'ailleurs de drôle de plumes, toute de fer qui semblaient lourdes et bruyantes. Assurément, pas moyen de faire un vol avec ça, à moins de tomber comme une pierre. De toutes façons, ils n'étaient pas doués pour le vol. La semaine passée, Pipi avait vu une femelle gagner le haut de sa tour. Elle s'était mise debout, sur le renfort de la balustrade qui dominait son nid, sa statue et sa colonne. Il s'en souvient bien, parce qu'il n'avait pas osé bouger, il était tout transit de peur à l'idée qu'elle puisse le voir et déloger son nid. Mais il avait vite compris qu'elle n'en voulait ni à lui, ni à son nid ni à la statue et encore moins à la colonne. Elle voulait voler, comme lui, probablement qu'elle était jalouse de lui.
L'émotion, Pipi ne s'y connaissait pas des masses, mais elle était palpable. Beaucoup de gens en contrebas venaient assister à ce spectacle, même Pipi qui n'avait plus peur, estimait que ça serait quand même drôlement bête de rater ça ! Tous en bas l'encourageaient, ils lui apportaient un soutien moral à grand renfort de :
" Non ! Ne sautez pas ! " Ou encore des
" Il faut vous raisonner ma bonne ! La vie est si belle ! " Certes, Pipi n'y comprenait rien, cela dit encore, ces encouragements devaient être magnifiques puisque la femme en pleurait. Il l'entendait sangloter à en perdre le souffle. Or, on ne le répètera jamais assez, le souffle est très très très important quand on veut voler. Surtout pour sa première fois.
La femelle humaine avança un pas maladroit, puis un autre et pris son envol. Elle tomba devant Pipi qui déploya son cou pour suivre son vol plané. Il y avait de la technique, il fallait le reconnaitre, elle avait parfaitement rentré les épaules, allongé ses ailes le long de sa petite carcasse et gardé ses papattes anormalement longues bien droites.
Concernant l'atterrissage, la méthode était tout de même à revoir. Il était bien trop brutal. Prenons exemple de Pipi, son vol plané plus tôt était gracieux comme le sien mais plus léger. Beaucoup plus léger. Il avait également pu terminer son vol sur des tonneaux mais ne les avait pas fracassés sous son poids. La femme avait percuté un tonnelet de cidre qui sous son poids avait éclaté, aspergeant les passants et ses admirateurs de cidre, de mousse, d'éclat de boîte crânienne, de tripe le tout accompagné de généreuses gerbes de sang.
Pipi descendit pour mieux voir ce résultat peu glorieux. Les admirateurs avaient cessés leurs encouragements et les parents, peut-être trop sévères, cachaient les yeux de leurs enfants afin qu'ils ne puissent pas voir cet échec. Pipi trouvait ça stupide, s'ils pouvaient voir les erreurs des autres, peut-être arriveraient ils à ne pas les répéter. C'était peut-être pour ça qu'ils ne parvenaient pas encore à voler. Qui sait.
Il s'approcha du corps inanimé d'où se dégageait de chaudes odeurs de pommes furieuses et de bois humide. En tout cas, il y avait beaucoup de rouge, partout. Ca tombait bien, Pipi adorait le rouge ! C'était de loin sa couleur préférée. Ne voyant plus bouger la femelle, il se dit, un rien moqueur :
" Hm. Elle a du se faire mal à la papatte. Ca lui servira de leçon pour la prochaine fois."