Telle une grande cathédrale glacée, le Temple du Père et de la Mère est positionné à l'endroit le plus profond et le plus froid de la grotte.

Ici, on rend un culte libre au Père et à la Mère (deux facettes du même dieu, Yuimen) sans qu'il n'y ait d'autorité religieuse envers qui se plier.

Bien que les Fujoniens d'Amarok n'aient aucun véritable langage écrit, vous pourrez trouver ici, gravé sur les murs de glace sous forme de dessins, la venue des "Géniteurs", la légende originelle des trois peuples-enfants de l'époque du "Grand Fratricide" et du périple d'exil jusqu'à cette grotte, terre promise où ils seraient à l'abri des conflits et des malheurs.

Le jeune prince se tenait debout sur le rempart Nord de Cair Octas. En face de lui, sur la plaine, se trouvait l'armée de la déesse de l'ombre d'où montait les chants de guerres et les cris assoiffés de sang de milliers d'orques. La haine implacable de ses ennemis lui avait ôté tout espoir de victoire. Il savait que c'était ici qu'il allait mourir.

- Ce qui s'est produit ici, se reproduira là bas. 

Il sût à cet instant que sa vision n'était qu'un rêve et qu'il n'était pas ici en chair et en os. La voix provenait d'une lueur aveuglante dont il ne put soutenir le regard. Autour de lui se trouvait les défenseurs du Cair, dont il pouvait lire le désespoir au fond de leurs yeux sans vie. Seul la mort pouvait les délivrer des tourments infernales que subissaient leurs âmes face à l'obscure magie des ténèbres.

- Tu dois empêcher l'ombre de détruire toute forme de vie sur Yuimen. L'histoire ne doit pas se répéter comme ici.

Artiel plongea son regard au delà de la plaine en direction des montagnes, ses terres étaient ravagées et brûlées. Les restes de son armée en lambeau étaient ici. Une peine indescriptible le submergea au souvenir de son enfance en Nardelia. C'est d'une voix remplie de nostalgie qu'il répondit sans convictions:

- Que puis-je faire pour Yuimen ? Je n'ai même pas été capable de défendre les miens... Alors comment puis-je défendre les autres ? 

De grandes tours de siège poussées par de monstrueuses créatures avançaient vers les murs de la forteresse. Les capitaines, paniqués, hurlaient des ordres contradictoires aux défenseurs qui avaient grand mal à s'organiser. Le brouhaha général venant des fortifications s'éteignit progressivement lorsque les premières troupes chargèrent en direction de la ville.

-  Les Ermites te montreront la voie. Surveilles les signes et tu trouvera ton destin.

Des centaines de flèches et de projectiles de feu fusaient sur les murailles, se brisant et explosant à l'impact. Des hommes tombaient à côté du prince transpercés à la tête, au torse et au cou par les missiles, dans une terrible agonie insoutenable. Les cris des blessés et des mourants étaient bientôt aussi fort et puissant que les chants stridents des troupes noirs.

Puis, doucement, la bataille s'éloignait de la vue du jeune monarque et l'intensité du bruit de la guerre ne devint plus qu'un murmure lointain. Bientôt, il ne restait plus qu'une obscurité menaçante et oppressante, résonnant comme la possession d'une peur sans nom. Les pensés se bousculaient dans sa tête face aux paroles de l'apparition. Sa mémoire le torturait à la disparition de sa terre natale et aux souvenirs des siens.

Il ouvrit péniblement les yeux à cause d'une lumière aveuglante tout en sentant un froid glacial lui envahir l'échine. Une seule question l'obsédait en cet instant, plus que ce rêve étrange, c'était où il se trouvait actuellement. Il se redressa en position assise, difficilement, sans pouvoir ouvrir en grand ses paupières à cause de la lueur aveuglante. Tout semblait briller autour de lui, comme dans une caverne glacée éclairée par une magie immortelle et divine.

Il resta un bon moment à récupérer ses esprits en se protégeant les pupilles de ses mains. Ses muscles semblaient légèrement ankylosés pour une raison échappant à sa compréhension. Il sentait dans son dos un point indolore qui lui fit comprendre que quelque chose l'avait touché ou piqué.

( Du poison ? )

Des bribes de souvenirs lui revinrent en mémoire, une porte des songes ainsi qu'un groupe d'aventuriers dont il faisait partie. Tout cela était vague et lui torturait l'esprit en cet instant. Il expira lentement, calmement pour reprendre le contrôle de ses pensées en pagaille. Il ôta ses paumes de ses orifices oculaires en s'habituant à l'incroyable intensité. Cette dernière semblait émaner des murs qui a son étonnement étaient fait de glace.

Il se trouvait dans une petite cavité, assit sur un lit de fortune en paille. Sur les murs se trouvaient des fresques taillées directement dans les parois glacées, semblant raconter des histoires de dieux et de créatures étranges. Elles ressemblaient à des loups se tenant sur deux pattes, certaines blanches comme la neige et d'autres sombres comme la nuit. Un frisson le fit frémir et il chercha rapidement ses armes à la suite de cette découverte, sans pouvoir les trouver.

( Où suis-je tombé ? Je n'ai aucun moyen de me défendre. Et je n'ai aucun habit non plus.. )

Il s'enroula dans l'épaisse couverture qui le gardait hors d'état d'hypothermie et se releva difficilement. Mais il glissa et chuta lourdement sur le sol gelé lorsqu'il entendit une petite voix dans sa tête.

( Prince !! Prince !! Tu es réveillé ! Je suis tellement heureuse ! )

Sous le choque, il regarda tout autour de lui et aperçu la petite chose semblable à un papillon, virevoltant en décrivant des cercles rapides dans sa direction. Une vague de souvenirs le submergea, l'obligeant à se tenir le crâne.

( Ne t'inquiètes pas ! Tes souvenirs vont revenir ! Tu es resté longtemps sans connaissance. )

Il se rappelait enfin. La petite chose s'appelait Niara, c'est elle qui l'avait conduit ici. Ici... Ce terme lui semblait flou, des images de mondes différents, de guerres, de morts. Il se redressa en assurant ses prises cette fois-ci et sentit le froid lui mordre la plante des pieds.

(Il fait... Froid ici.. )
( Oui ! Mais ne t'inquiètes pas, tu vas rencontrer les Fujoniens d'Amarok, ils vont te rendre tes affaires ! C'est un peuple qui vit dans les grottes de Mertar, répartit en petite communauté. Par contre, l'hospitalité n'est pas dans leur nature. Alors évites de trop leur parler ! )
( Les quoi ? … Où sont les autres ? )
( Ils sont loin à présent.. Après que l'araignée t'es piquée, ils t'ont cru mort et ils ont continué leur mission. Les Fujoniens t'ont trouvé, et lorsqu'ils ont vu ton tatouage, ils t'ont emmené. Ils vénèrent Yuimen. )
( Ce sont... des Ermites ? )
( Ils les connaissent. Mais ils n'en font pas parti ! )

Sur ce dernier échange, le jeune monarque se dirigea vers la sortie en prenant soin de poser ses pieds avec délicatesse. Les souvenirs lui revenaient peu à peu, le rêve étrange qu'il venait de faire le troublait bien plus que la situation actuelle.

Le couloir qu'arpentait Artiel n'était pas très large. Des stalactites s'étaient formés au plafond au fil du temps, peut être même des siècles, d'où tombait une minuscule goutte d'eau à intervalle irrégulier. Dans un renfoncement sur la droite, il y avait un petit hôtel où de magnifiques cierges étaient entreposés. La même chose apparaissait à gauche, à la différence que sur ce dernier, ce fût les habits du jeune homme qui étaient mis en évidence.

(Ah ! Enfin une bonne chose... Niara ? )
( Oui ? )
( Nous sommes dans une sorte de temple ?)
( On peut appeler ça comme ça... En fait, il s'agit plus d'une cathédrale souterraine. Les Fujoniens prient Yuimen sous deux formes. Le père et la mère sont pour eux deux facettes de ce dieu. )
( Comment ça deux facettes ? )
( Et bien, ils ont deux divinités. La mère est la déesse de la terre, de la vie et des arts. Le père est le dieu de la nature et des animaux. Il s'agit en réalité de Yuimen. D'ailleurs, ils croient être les fils direct de ce dernier... )

Il prit ses affaires et s'habilla rapidement. Il boucla sa ceinture d'où pendait son épée, enfila son carquois et son arc et reprit sa route vers l'extérieur, les sens en éveils. Il gardait la main sur le pommeau de son épée tout en avançant aux aguets. Il déboucha enfin sur une salle gigantesque, la somptuosité de l'endroit et de son architecture le fit s'arrêter net. Bouche bée et les yeux écarquillés, il ne se rappelait pas avoir déjà vu un endroit aussi magnifique.

D'immenses colonnes montaient vers le ciel, le plafond était d'une telle couleur qu'il le confondit un instant avec ses souvenirs du ciel bleuté de son pays. A chaque piliers, de part et d'autre de l'allée se trouvait une statue représentant d'un côté une femme et de l'autre un homme. Le prince comprit qu'il s'agissait de leurs dieux et dû admettre que les Fujoniens avaient un goût prononcé pour l'art et les belles choses.

Le regard en l'air, extasié par la splendeur du lieu, il ne vit pas la créature s'approcher devant lui. Ce n'est que lorsqu'elle lâcha un grognement qu'il se rendit compte qu'il n'était pas seul. Il recula de deux pas en tirant nerveusement son épée de son fourreau, dans chuintement aigu résonnant sur les parois. Il se tenait en position de garde, prêt à se battre.

(Je crois que tu peux ranger ton arme prince !)

La créature ressemblait à un loup sur deux pattes, d'une carrure écrasante mais d'une taille relativement petite. Elle n'avait pas bougé, ne montrant aucun signe d'agressivité. Artiel, tout en se détendant, rangea son arme et s'avança doucement vers elle, afin d'entreprendre une conversation:

« Bonjour. Je.. Je suis Artiel.. Merci de m'avoir .. sauvé ! »

(Elle ne comprend pas ce que tu lui dis. Tu veux que je lui fasse la traduction ?)
( Est-ce vraiment utile ? Je veux dire... S'ils ne sont pas hospitalier, il faudrait peut-être juste partir.)
(C'est une bonne analyse en effet.)

La bête fit un signe de la patte et commença à partir. Le prince lui emboîta le pas, espérant qu'elle allait l'emmener à une sortie. Il ne se sentait pas rassuré dans cet endroit, et bien qu'il faisait froid, des gouttes de sueur perlaient sur son front. Il n'aimait pas vraiment les endroits clos, et bien que n'étant pas entièrement claustrophobe, il ne se sentait qu'en sécurité au grand air. Ils quittaient la salle cathédrale tout en se lançant des regards remplis d'interrogations.