Ils sortirent de l'auberge et Neuro suivit sa maîtresse, qui allait l'amener à sa nouvelle demeure. Il se dit que même s'il le voulait, il ne pouvait pas faire son capricieux ou son difficile, sauf s'il avait envie de manger de bons coups de fouets toute la soirée. Et Dieu qu’il avait envie de manger autre chose que des fouets ! Il avait faim et son estomac en criait avec rage. Sautillant derrière sa maîtresse, il prit le temps d'observer les alentours, les yeux grands ouverts et un regard mélangeant le dégoût et l'inquiétude. Sa maison allait-elle être aussi crasseuse que celles-ci qui défilaient lentement dans les rues ?
Elles étaient tous faites de bois rigide rongé par la moisissure à un degré tellement puissant que quelques maisons n'avaient même pas de porte. La majorité des fenêtres étaient cassées et laissaient entrer la pluie battante. Arrivé à un certain endroit, les maisons s'entassaient même l'une par-dessus l'autre, laissants parfois entrer des morceaux de bois d'une maison vers une autre.
'' Chez mes parents c'était mieux ... '' S’exclama le gobelin comme un jeune garçon vaniteux et trop fier de lui.
Avec attention, il remarqua que plus il avançait, plus les maisons étaient en de meilleures conditions. Tous avaient maintenant une porte, des fenêtres assez luxueuses et certaines étaient mêmes couvertes de petites roches noires. D’exquis effluves commençaient à lui chatouiller les narines, l’odeur ressemblait à un mélange de cannelle et de crème à la vanille. Tout cela lui rappela que son estomac criait famine, ce qui le porta à accélérer le pas, comme un enfant ayant envie d’uriner, pour au moins, avoir un petit morceau de pain sec.
Sa maîtresse s’arrêta alors brusquement et se mit à reculer en titubant comme un ivrogne aux soirs de fête.
'' Ça doit être le Whisky qui me monte à la tête, j’ai dépassé ma maison sans m’en rendre compte ! ''
À un certain point, elle s’arrêta net encore une fois et elle bougea sa tête de droite à gauche, comme pour voir si quelqu’un la regardait. Ses cheveux longs roux dégageaient une senteur de framboise à tout casser, ils avaient l’air si doux et le gobelin eut peine à résister à la tentation de passer sa main dans ceux-ci. Ils étaient volumineux et ornaient fièrement le dos de leur porteuse, qui elle s’amusait à les bouger d’une main discrète, par simple narcissisme.
'' C’est bête, je me souviens plus si c’est elle, ou celle-là, ma maison … '' Dit-elle en pointant deux maisons aussi différentes l’une de l’autre que deux gouttes d’eau. Les deux étaient très grandes, ornées de roches noires, entourées de longs arbres et peu éclairées. Elle s’avança rapidement vers l’une d’elles sans prévenir. Arrivée au pied de la porte, elle se mit à cogner doucement. Personne n’y répondit et elle ne se fit pas prier, elle entra !
'' C’est sûrement la mienne, y a personne ! Tu viens ? ''
Elle disparut derrière le seuil sans même fermer la porte et le gobelin prit le temps de le faire à sa place. Lorsqu’il entra dans la maison, il fut hautement surpris. Le sol était beau et propre, aussi bien qu’il avait peur de mettre ses petits pieds sales sur celui-ci. Il s’avança délicatement pour découvrir la maison, il fut encore, agréablement surpris. Les murs étaient tous peinturés d’un rouge foncé et agressif rappelant la couleur d’une cerise fraîchement cueillie. Les meubles étaient tous placés aux bons endroits et les napperons sur ceux-ci avaient été choisis avec une minutie hors du commun, ce qui fusionnait l’ensemble de la maison en un palais digne d’un prince ! Il n’avait pas l’habitude de vivre dans de tels endroits, lui qui avait toujours vécu dans des endroits insalubres, sales et minuscules.
Au plafond de la salle à manger, il fut éblouit à la vue d’un gigantesque lustre constitué d’une centaine de lumières jaunes et aveuglantes couvertes d’un verre brillant. Ce luminaire suscitait tellement son attention qu’il ne se rendit même pas compte que sa maîtresse était en train de lui parler.
'' Regarde ce que j’ai pour toi. ''
Il ne lâcha pas le lustre du regard, toujours aussi éblouit.
'' Hey ! '' S’écria-t-elle, comme vexée de ne pas avoir son attention. ''
Il sursauta brusquement.
'' C’est cette lampe qui te bouleverse autant ? C’est vrai qu’elle est bien, c’est d’ailleurs le seul héritage que j’ai eus de ma mère, quand elle est morte. ''
'' Oh euh, désolé … C’était ces lumières, elles sont ravissantes. ''
'' Oui, donc, tiens j’ai quelque chose pour toi. Comme tu es mon premier esclave, je me suis dit que tu devais apprendre à te défendre, parce que je ne vais pas toujours être derrière toi ! C’est une petite chaîne qui, avec un bon usage, peut faire très mal. Bon, je sais que tu as toujours ta petite arbalète avec toi, mais on ne sait jamais ! ''
Il prit la chaîne délicatement, celle-ci était assez lourde et froide, elle avait l’air d’être en argent et, effectivement, elle avait l’air de faire mal.
'' C’est très gentil … '' Dit-il avec admiration. Jamais personne ne lui avait fait de cadeaux auparavant.
Il en oublia presque la faim atroce qui le rongeait de l’intérieur. Il échappa la petite chaîne, qu’il ramassa aussitôt, il l’enfila à son cou et il esquissa un sourire courtois.
'' Eum … Je me demandais s’il n’y avait pas quelque chose à manger, ça fait au moins deux jours que je n’ais rien avalé et mon estomac en a très conscience. ''
'' Demain on peut aller faire les courses, tu sais. La brunante commence déjà à se pointer le bout du nez et si je ne dors pas avant l’aurore je deviens vilaine comme une harpie ! '' S’écria-t-elle avec un grand sourire sadique et les yeux écarquillés.
'' C’est comme vous voulez, maître. '' Dit-il presque en chuchotant, se sentant inférieur.
Elle s’en alla d’un pas lourd et il contempla sa chaîne. Il regretta de ne pas lui avoir demander où il pouvait dormir, lorsqu’il se rendit compte que le seul endroit qui semblait propice au sommeil était le tapis de l’entrée. Il ne ferma l’œil que pour cligner des yeux pendant toutes ces heures, alors qu’il voyait déjà le soleil déployer ses immenses rayons à travers la fenêtre.
Après quelques heures, il se releva. Il contempla longuement la fenêtre et il hésita. Dehors, il y avait sûrement des tonnes de choses à déguster et comme son estomac commençait à ratatiner et qu'il traînait avec lui une bourse bien pleine de yus, il se dit qu'il pouvait faire une folie. Il bondit à l'extérieur comme une flèche.
'' Après tout, elle m'a donné une chaîne ! Elle ne va pas me servir si je ne sors jamais ! ''
Il avait à peine franchit quelques pas qu'il se sentait déjà infiniment libre, avec le vent qui tapait sur sa peau et les rayons du soleil imposants sur son visage. Il s'étira de tout son corps et esquissa un grand sourire, de toutes ses petites dents jaunes. Dans son euphorie soudaine, il sentit une main frôler son épaule. Il se retourna en sursautant.
'' Salut, moi c'est Emlick. ''
'' Et moi, Neuro ... '' Dit-il avec méfiance.
C'était un jeune humain ravissant, il avait de longs cheveux blond, des yeux bleus comme le ciel et un petit nez charmant. Il avait des habits propres et chics, qui rendait même le gobelin sale, repoussant et pâle, un peu jaloux.
'' Tu veux venir chez moi ? On pourrait faire connaissance. C'est rare de voir des gens sur Khonfas qui ne puent pas l'alcool ! ''
Il fut craintif au début, mais il se dit qu'il ne fallait pas en faire tout un cas, ce jeune homme avait l'air sympathique et inoffensif et si, de toute manière, tout partirait en vrille, il avait sa petite chaîne et son arbalète fidèle pour se défendre.
'' Pourquoi pas ? Je meurs de faim ! '' Répondit le gobelin sur un ton amical.
La maison du jeune homme n'était pas très loin de celle de sa maîtresse, mais elle était doublement ravissante. Lorsque le gobelin y entra, il fut étonné. La simple porte était ornée d'un contour en or ! À l'intérieur, tout était si brillant et propre ! Les vastes murs blancs étaient remplis de peintures qui illustraient de grandes forêts ou des paysages lointains.
'' Je m'absente une petite seconde, je vais vous préparer un petit plat. '' Dit Emlick en se dirigeant vers une autre pièce.
Le gobelin était assit sur un tabouret couvert de fourrure douce et confortable, lorsque le jeune garçon se présenta à nouveau, cette fois-ci avec une assiette à la main. Il la donna à Neuro, qui lui bavait en regardant toutes ces choses qui avaient l'air succulentes. Il ne savait pas par où commencer. Poulet, patates, cerises, petits pois ! Emlick le laissa seul pour retourner dans ce qui semblait être la cuisine.
Alors que le gobelin s'apprêtait à déguster une cerise, la porte s'ouvrit brusquement. C'était elle, sa maîtresse ! Elle avait l'air horriblement fâchée et elle agrippa Neuro par le bras pour le propulser à l'extérieur.
'' Qu'est-ce que tu faisais ?! '' S'écria-t-elle avec violence.
Le gobelin, surpris et apeuré, ne savait pas quoi répondre.
'' Cette bouffe était empoisonnée ! Ce petit Emlick à bien eut des gens naïfs comme ma mère, mais il ne m'aura pas, moi ! Je vois clair dans son petit jeu ! ''
'' Mais ... '' Essaya-t-il de dire.
'' Fin de la discussion ! Tu as faim ? Alors, allons faire les courses et ne t'avise plus d'y retourner sinon, je te fais manger tellement de coups de fouet que tu voudras que je te meurtris pour abréger tes souffrances ! '' Hurla-t-elle de plus belle.
_________________ Neuro, gobelin archer.
|