L’auberge du Lion est sans conteste l’une des plus luxueuses auberges de Kendra Kâr. Ici, il n’y a pas de ripailles et de rires gras, seulement du calme et de la sérénité. La salle principale est vaste et artistiquement ornée quoique vide la plupart du temps car les résidents de l’auberge préfèrent généralement dîner dans leurs appartements privés. Il en existe plusieurs tailles proposées à la location, de la suite pouvant accueillir un riche noble et ses proches à la chambre individuelle quoique largement spacieuse et éclairée. Chaque chambre est également attenante à une salle d’eau privée composée de latrines nettoyées à l’aide d’un système d’eau sous pression et d’une baignoire alimentée par de l’eau courante, fait assez rare à Kendra Kâr pour le noter.

Les maîtres mots de l’établissement sont « discrétion », que ce soit la discrétion des serviteurs lorsqu’ils accomplissent leurs tâches ou dans le respect de l’intimité et la vie privée des clients, et « efficacité » car tout doit être mis en œuvre pour répondre aux diverses demandes, aussi saugrenues soient-elles, de leurs hôtes. Et pour ce faire, Octavie et Aimé, les propriétaires policés, sont absolument intransigeants avec leurs employés tout en étant des plus agréables avec leurs clients. Et c’est réussi, car la renommée de l’auberge s’étend bien au-delà des seuls murs de Kendra Kâr.

Les clients en question sont souvent des nobles provinciaux de passage en ville ou de riches bourgeois souhaitant un peu d’intimité. Il existe parfois quelques dignitaires à l’aspect étrange, de races rarement vues à Kendra Kâr, mais ici, aucune allusion n’est faite au passé ou au présent de l’hôte, tant que celui-ci a la bourse pour se payer ce luxe.

Estë n'avait certes pas menti : l'auberge du Lion, où résidait sa "cible", était vraiment luxueuse et peut-être était-ce celle qui l'était le plus de tout Kendra Kâr. Mais lorsqu'on savait à quel point les Ithilausters étaient imbus d'eux-mêmes et de leur pouvoir, qu'un de leur membre résidât en un tel lieu n'avait rien d'étonnant. Pour l'heure, Kay, armée d'un seul bouquet de fleurs identiques, grossièrement enlevées à leur terre nourriciaire, se reposait, le dos appuyé contre le mur, à côté de la porte d'entrée, ne se décidant pas à entrer. La demi-elfe n'avait plus rien d'une guerrière et, alors qu'elle avait décidé de commencer son enquête à l'aube d'un jour nouveau, elle ne s'était pas pour autant laisser aller, la veille. Elle était allée faire ses courses ; une robe confortable sans être digne d'une bourgeoise, mais surtout assez large pour cacher son armure et ses deux longues épées noires qu'au lieu d'accrocher dans le dos, elle avait ceintes à ses reins et un bonnet de dentelle commune pour cacher ses oreilles pointues. Enfin un peu de fard éclaircissait son teint légèrement trop cendreux. Ainsi attifée, ses traits elfiques dissimulés, elle ne passait plus que pour une jouvencelle pour qui Dame Nature avait été généreuse.

(Il sort ? Ou j'entre ? Oui, mais si je me fais jeter... ? Ou s'il y avait une autre sortie !)

Kay se mordillait la lèvre inférieure, indécise sur la conduite à tenir. Elle serrait nerveusement le bouquet de fleurs qu'elle avait été tôt cueillir, dans les champs attenants directement à la muraille de la ville. De fait, elle ne savait pas trop quoi en faire, de cette brute composition florale, mais il lui avait semblé qu'elle fût le parfait accessoire à son déguisement. Il ne lui restait plus qu'à attendre, finalement, qu'Averenn sortît afin qu'elle pût le suivre et tâcher d'en savoir plus sur sa présence dans la capitale kendrane. Elle avait la journée, cela ne la gênait pas. Elle avait même la semaine s'il le fallait. Le soleil venait à peine de se lever, il était certain qu'elle verrait son homme - ou plutôt son elfe, tôt ou tard.

Je suis accueilli dès mon entrée dans le vaste et luxueux hall par une Kendrane distinguée d'un certain âge, escortée de deux serviteurs qui se tiennent en retrait, prêts à répondre à ses directives vraisemblablement. Si tous trois jettent un oeil à mon fauve, ils parviennent à rester impassibles et ne semblent pas remarquer davantage mon équipement crasseux, un exploit qui en dit long sur leur habitude de côtoyer de nobles excentriques. La femme aux cheveux gris rigoureusement attachés en un complexe chignon me sourit aimablement et s'enquiert avec courtoisie:

"Bonsoir messire, je suis Octavie, la propriétaire de cet établissement. Que puis-je pour votre service?"

Je lui adresse une petite révérence avant de rattraper en urgence mon fauve par la peau du cou, sa curiosité prenant le dessus:

"Bonsoir Dame. Je souhaiterais une chambre, assez vaste si possible, pour quelques jours. Auriez-vous cela?"

"Bien entendu, nous avons une large gamme de possibilités, de la chambre simple à la grande suite. Que désireriez-vous exactement?"

Bien évidemment elle n'évoque pas les prix, on ne parle jamais d'argent dans ce genre d'établissement, ce serait contraire à la bienséance. Mais cela ne m'inquiète pas, je sais avoir largement les moyens de m'offrir quelques nuits dans un tel lieu, si bien que j'opte pour une vaste suite qui permettra à Sinwaë de ne pas se sentir trop à l'étroit. L'un des serviteurs, un jeune humain avenant aussi policé que sa patronne me conduit aussitôt à mes appartements, qui s'avèrent tout bonnement fastueux. Je glisse un bon pourboire au serviteur et lui demande de me fournir de quoi décrasser comme il faut mon armure. Bien que cela n'ait sans doute rien d'habituel dans ce genre d'endroit, l'humain s'empresse de satisfaire ma requête et m'apporte le nécessaire en précisant:

"Nous avons un service de laverie pour vos vêtements si vous le souhaitez. En cas de besoin, vous trouverez aussi un excellent tailleur au bout de la rue, madame Boisant."

Un sourire imperceptiblement narquois relève mes lèvres, voici une façon fort courtoise de m'annoncer que j'ai l'air d'un mendiant dans mes frusques usées jusqu'à la trame. Je le remercie de ses bons services puis commence par nettoyer mon équipement avec le plus grand soin avant d'aller me prélasser un long moment dans un bain brûlant. Un peu plus tard je me décide à aller voir cette madame Boisant, le serviteur n'a pas tout tort, renouveler un peu ma garde-robe ne sera vraiment pas un luxe.