Les habitations

Tout comme sa population, les habitations d’Hidirain sont tout simplement majestueuses. Bien sûr, de la plus haute noblesse jusqu’au travailleur le plus basique, cette majesté se décline selon tout une gamme de luxe et d’opulence, allant du véritable palais à la simple masure, mais du premier coup d’œil, il ne fait aucun doute qu’Hidirain tient la dragée haute par rapport à la ville moyenne sur Yuimen : confortablement installés entre montagnes et forêts, les elfes blancs ont déployé tout leur savoir-faire et toute leur main d’œuvre pour donner forme à des constructions magnifiques.

Évidemment, les natifs sont habitués à un tel étalage de virtuosité et de beauté maçonnique, « blasés », pourrait-on dire, mais l’étranger qui parviendra à pénétrer cette ville (sans aucun doute après maintes péripéties), aura à chaque coin de rue de quoi régaler ses globes oculaires jusqu’à plus soif, le laissant ébloui lors de son départ… s’il repart.

A ce propos, on rapporte l’histoire d’un voyageur humain qui aurait pu goûter à ces visions dignes des mille et une nuits, avant d’en repartir, l’esprit plein de ce qu’il avait vu. On raconte qu’à son retour à sa demeure, lorsqu’on lui posa des questions sur ce qu’il avait vu, il se contenta de soupirer d’un air las, puis s’installa dans un fauteuil et se mit à observer sa maison, le regard lointain, comme si, en partant d’Hidirain, il avait quitté une réalité qui faisait paraître le reste du monde fade et sans originalité.

En un mot, les demeures d’Hidirain sont belles.

Une fois retourné dans sa chambre au Neligo Solitaire, Sildarim prit du fil, une aiguille et une bouteille de vin laissée à disposition des clients sur la commode. Après avoir avalé plusieurs gorgées directement à même la bouteille, il se mit au travail. Ce fut lent et très douloureux, spécialement quand il désinfecta les blessures à l'alcool avant de recoudre. Il acheva de se soigner en bandant soigneusement les plaies. Puis il vida ce qu'il restait du vin et s'écroula comme une masse sur le lit, sombrant immédiatement dans un sommeil sans rêve.

Au matin, il constata avec satisfaction qu'il cicatrisait vite. Il se leva péniblement et fit le tour de la pièce, rassemblant ses affaires et embarquant au passage la 2ème bouteille de vin laissée à l'attention de la clientèle de la chambre. Ensuite il sortit de l'auberge et se rendit chez le guérisseur pour prendre des nouvelles de Miradlis. Selon les dires de l'aubergiste qui lui avait indiqué le chemin, il s'agissait en fait d'une guérisseuse. C'était une vieille humaine nommée Guerda qui, on ne savait trop pourquoi, avait élu domicile à Hidirain et transformé une petite maison en périphérie de la ville en un genre de dispensaire permettant de garder jusqu'à 4 patients stationnaires à la fois. Elle vendait également différents baumes permettant de soigner à peu près toutes les blessures et toutes les lésions, de la plus grave à la plus bénine.

Lorsque Sild pénétra dans la maison, il fut assailli par une forte odeur. Assise à une table de travail proche de la porte, la guérisseuse était occupée à concocter un genre de pommade, qui selon les connaissances alchimiques légères du semi-elfe, semblait être constituée de graisse de sanglier et d'un mélange d'herbes sauvages. Il n'avait en revanche pas la moindre idée de l'utilité du produit.

"Bonjour, je me nomme Sildarim et c'est moi qui ai trouvé votre blessée… " Le jeune semi-elfe ne tenait pas à en dire plus que nécessaire sur les évènements de la nuit passée.

La vieille femme leva les yeux de son travail, le considéra un instant, puis repris son ouvrage.

"Elle est dans la pièce du fond. Vous pouvez aller la voir si le cœur vous en dit, mais ne touchez à rien".

La jeune elfe était allongée inconsciente sur une couche de paille et dormait d'un sommeil agité. L'hémorragie semblait avoir été stoppée et un bandage lui entourait tout le buste. Sildarim approcha. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais la voir ainsi le rendait mal à l'aise, triste même. Peut-être était-ce simplement parce que ceci était en partie arrivé à cause de lui ?

A ce moment, la guérisseuse le rejoignit. Avec des gestes doux et précis elle entreprit de passer un linge mouillé sur le front fiévreux de la blessée.

"Comment va-elle ?" S'est-elle réveillée ? A-t-elle dit quelque chose ?" chuchota-il

"Elle a eu beaucoup de chance, le couteau s'est fiché dans une côte et n'a apparemment touché aucun organe vital. Par contre je n'explique pas cet état fiévreux qui perdure depuis hier. Un empoisonnement certainement.

"Vous pensez qu'elle va guérir ?"

"Pour ne rien vous cacher, ca m'étonnerait… Les antidotes conventionnels semblent inefficaces. Pour la soigner efficacement, il me faudrait un échantillon du poison utilisé.

"Mais vous avez le couteau non ? Pourquoi ne pas vous en servir pour préparer l'antidote ?"

"Quand je l'ai retiré, je n'ai pas pu analyser la substance utilisée, elle était déjà dissoute dans le sang. Certains poisons utilisés sur des projectiles ont cette particularité. Précisément pour que l'on ne puisse pas fabriquer d'antidote à partir de l'arme."

"Et si je retournais à l'endroit où je l'ai trouvée, peut-être que j'y découvrirai un indice ?"

"Vous pouvez toujours essayer… En l'état je devrais pouvoir la maintenir en vie 24 heures, au-delà, je ne peux rien garantir…".

Le jeune homme sortit du dispensaire et retourna à la cascade ou s'était déroulé l'affrontement. Peutêtre Maï avait-elle laissé un indice permettant de sauver la jeune elfe.

(((HRP: attention ce post ne suit pas directement le précédent)))


Sildarim retourna chez la guérisseuse. Quand il entra dans le dispensaire, il la trouva affairée autour d'un gros chaudron plein d'un liquide verdâtre.

"Je connais cette odeur, c'est de la potion de soin" dit-il avec enthousiasme, fier de pouvoir montrer qu'il possédait quelques connaissances en alchimie.

"Pas du tout, c'est de la soupe aux choux…" répondit-elle amusée par l'air dépité du rodeur. Satisfaite de la mixture, elle s'essuya les mains à son tablier et se tourna vers lui.

"Tu as trouvé quelque chose ?"

Il lui tendit la ceinture. Elle sortit l'un des couteaux, le renifla, trempa son doigt dans le liquide puis rangea le projectile en fronçant les sourcils.

"J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que je sais maintenant de quel mal souffre ton amie.

"Ce n'est pas vraiment mon amie... Mais attendez, vous voulez dire que vous avez identifié la nature du poison juste en reniflant son odeur ?"

Durant un instant, la guérisseuse le fixa du regard qu'un professeur lancerait à un élève ayant dit une idiotie, puis elle se dirigea vers la pièce ou reposait la blessée.

"C'est un poison très difficile à se procurer. Sa couleur noire ébène et sa consistance légèrement collante ne permettent aucun doute: il s'agit de venin de vipère des sables. Quant à l'odeur musquée qu'il dégage, je la reconnaîtrait entre mille. Il s'agit de suc de Fayonelle, une grenouille venimeuse très rare et dangereuse qu'on ne trouve que dans les marais à proximité de la ville de Gwadh, en Nosvéris. Par contre, il me faudra une bonne semaine pour la guérir et elle restera inconsciente durant tout le processus."

"Une semaine ? Si longtemps ??"

"L'antidote est relativement facile à concocter, mais mettra du temps à agir. Une semaine c'est vraiment le minimum "

Le rôdeur ne répondit pas. Miradlis détenait manifestement des informations, mais il ne pouvait se permettre d'attendre qu'elle se réveille. C'est alors qu'une idée lui vint: Les tueurs, Maï en particulier, devaient également savoir quelque chose sinon pourquoi auraient-ils tenté de les éliminer ?

"Si ce poison est rare, sauriez-vous qui est capable de le fabriquer ?"

"Et bien, déjà obligatoirement un alchimiste ayant étudié à Gwadh. La Fayonelle est un batracien terriblement dangereux. Un simple contact vous donne des fièvres mortelles en quelques heures. Peu nombreux sont les spécialistes sachant la manipuler. Le poison a également des propriétés rares qui lui permettent de se dissoudre au contact du sang. Ces deux éléments mis ensemble, un seul nom me vient à l'esprit: Dardel Mapona."

"Qui est-ce ?"

"Un confrère alchimiste originaire de Gwadh et habitant actuellement Dahram. Si je devais m'en procurer, c'est vers lui que je me tournerais."

"Très bien. En tout cas je vous remercie des efforts que vous faites pour la sauver".

"Il n'y a pas de quoi. Mais tu as l'air de beaucoup tenir à elle, Quand on pense que ce n'est pas ton amie…" La guérisseuse sourit en prononçant ces derniers mots.

Après avoir lancé un dernier regard à l'elfe inconsciente, le rôdeur sortit de la maison. Un plan d'action se mettait lentement en place dans son esprit. La première partie du voyage ne changeait pas. Il devait toujours voyager en bateau jusqu'en Nirtim. Ensuite, il irait à Dahram pour rencontrer ce Dardel Mapona, et tenterait d'obtenir des informations sur Maï, à qui il avait certainement vendu le poison. Il espérait qu'il parviendrait ensuite à retrouver la tueuse et à la faire parler.

Fort d'une nouvelle assurance, il avait enfin une ébauche de plan d'action, il se dirigea vers le quartier commerçant et acheta une carte de la région, une solide corde et des rations de voyage. Aux alentours de midi, il repassa une dernière fois sous la cascade et commença son voyage à pied vers Khonfas.