[:attention:] Ce texte comporte des scènes violentes susceptibles de heurter certaines sensibilités.
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Ethëll me jette un regard horrifié avant de tourner les yeux vers la source de cet abominable hurlement, elle se fige de stupeur en pressant ma main avec force puis s'exclame avec effroi:
"Déesse! Une banshee!!"Oui. Une banshee. Et pas n'importe laquelle. J'en ai la nausée, avec en prime l'impression excessivement désagréable que mon coeur dégringole d'un sommet frôlant les cieux aux abysses les plus insondables sans marquer la moindre pause. Durant un bref instant qui me parait durer une éternité, je garde les yeux rivés à Ethëll, gravant dans ma mémoire ses traits magnifiques. Une enclume d'angoisse et de désespoir a trouvé demeure dans les tripes: je sais que la proie de l'atrocité, c'est elle, la jeune Hinïone qui a eu le seul tort de croiser ma route au mauvais moment, pire, de se trouver dans mes bras sous le regard ignoblement perverti de celle qui fut ma compagne. Et je ne me souviens que trop clairement de ma totale impuissance lors de notre précédente rencontre, réduit à la merci de la damnée sans avoir seulement une bribe d'espoir de lui échapper, encore moins de la contrer. J'en pleurerais de rage...pourquoi juste maintenant? Mais poser la question c'est y répondre, quel meilleur moment pour souiller ce qui est pur, pour tenter de me briser moralement, puisque c'est apparemment ce qu'elle cherche à faire?
Je me sens envahi d'une colère glaciale, meurtrière, qui submerge à mon plus grand soulagement le désespoir qui menaçait de s'emparer de moi. Syndalywë me murmure qu'elle est désolée, qu'elle n'a pas senti la créature arriver, sur un ton qui trahit une profonde angoisse. Je tente de la rassurer d'une pensée, mais je n'en mène pas large et je ne peux pas le lui cacher.
Je serre brièvement la main de l'Hinïone en me détachant d'elle pour me lever de toute ma vivacité, puis je la relève à son tour d'une traction hâtive et la force à passer derrière moi de façon à me trouver entre la banshee et elle. Cette saleté ne la touchera pas, pas sans me passer sur le corps. Ce qui ne sera pas forcément pour lui déplaire, je ne me fais aucune illusion sur la question. Je n'ai que peu de chances de parvenir à la vaincre, j'en suis douloureusement conscient, et je ne peux m'empêcher de frémir alors que je pose enfin mon regard sur les traits atrocement mutilés de la damnée, toute ma résolution vacillant alors que je revois ces yeux d'azur extraordinaires qui m'inondent de malveillance en lieu et place de l'amour dont ils irradiaient jadis. Je crois que c'est ce regard qui me ravage le plus, c'est à cela que j'ai reconnu la femme derrière l'abjection, cette femme aimée à la folie devenue mon pire cauchemar par une ignominie sans nom dont je connais maintenant l'origine.
Entre mes dents serrées, je murmure à l'Hinïone tout en gardant les yeux rivés sur la banshee et en dégainant lentement mes deux rapières:
"Fuis Ethëll! J'ai un vieux différend à régler avec cette saleté...""Pas question. Je suis chez moi ici. On l'affronte ensemble."Je retiens de justesse une répartie cinglante, mais ce n'est guère le moment de discuter et je me contente de lui rétorquer d'un ton qui n'admet pas de réplique:
"Soit, mais tu restes derrière moi.""D'accord."Notre bref échange amuse visiblement beaucoup la banshee, qui se tord les mains en une parodie de pâmoison admirative avant de siffler:
"Comme c'est mignon! Si romantique! La petite putain blanche et son minable toutou gris, j'en ai presque la larme à l'oeil!"Elle pointe ensuite vers moi un doigt déformé, griffu, et éructe d'un ton plaintif et accusateur:
"Je t'avais prévenu de ne pas me décevoir à notre prochaine rencontre, mon délicieux amant, et voilà que je te trouve dans les bras d'une autre femme...ne suis-je plus assez belle pour toi?"Elle se tortille en se pourléchant odieusement les lèvres de sa langue bifide, soulignant ses formes immondes de gestes lubriques, mime le geste de recoiffer la masse verte aux allures de moisissure qui constitue sa chevelure, ne parvenant qu'à en arracher quelques touffes qu'elle jette négligemment à mes pieds, accompagnées d'un crachat de bile noirâtre. Un éclat insane de gourmandise terrifiante traverse son regard, et c'est d'une voix avide et râpeuse qu'elle chuinte ensuite:
"Tu m'as abandonnée, maudit! La seule fois où j'ai vraiment eu besoin de toi, tu n'étais pas là! Vois ce que je suis devenue à cause de toi! Je vais te réduire à l'impuissance, oh, tu vivras encore, assez pour me voir déchiqueter ta catin à pleines dents et m'en rassasier! Peut-être même pousserais-je le plaisir jusqu'à t'en faire goûter un morceau. Tu aimerais ça, pas vrai mon bel elfe?"J'ai réussi à garder le silence face à ses insultes jusque là, mais cette fois c'en est trop, et je lui rétorque de ma voix la plus glaciale:
"Cette nuit, je vais renvoyer ton âme souillée vers ton créateur, charogne putride. Cesse de bavasser, mes lames ont soif de te délivrer de ton tourment, et moi de pouvoir contempler les étoiles en pensant que celle que j'ai aimée est désormais aux côtés de Sithi.""Ha, mais c'est qu'il serait courageux, le petit clébard du crépuscule! Tu l'étais moins la dernière fois. C'est le joli cul de cette traînée pâlichonne qui te rend si brave, toi le lâche qui as abandonné tous les tiens?""Non. C'est la laideur de ton âme qui me rend brave. Viens maintenant, je t'offre une mort propre, saisis ta chance, Jaëlle."La créature hurle de rage à l'évocation de ce nom qui fut le sien et bondit à une vitesse effroyable sur moi, toutes griffes dehors! J'aurais éventuellement le temps de l'esquiver car la distance qu'elle doit parcourir est suffisante, mais Ethëll se trouve juste derrière moi, et je n'ai aucune certitude qu'elle soit assez rapide pour éviter l'horreur. Je jure intérieurement contre l'obstination de l'Hinïone, et bondis à la rencontre de la banshee en pointant mes deux lames vers elle pour l'obliger à rompre, sous peine de s'embrocher en beauté! Je cille en la voyant balayer d'un bras mes deux armes, indifférente à la coupure que ce geste lui inflige, et n'ai que le temps de replier mes bras devant moi pour absorber une partie du choc lorsque elle me percute de tout son poids! C'est loin d'être suffisant toutefois, elle est plus lourde que moi et autrement plus forte, et je suis brutalement projeté à terre, salement sonné. Mon bras blessé récemment par une flèche me fait en outre souffrir le martyre, je l'avais presque oublié celui-là, mais pour le coup il se rappelle à mon bon souvenir sans la moindre douceur, je ne doute pas que mes plaies se soient rouvertes sous la force de l'impact.
J'encaisse comme je peux la douleur, bénissant mon armure qui a protégé ma chair des vicieuses griffes de la bête, et je me relève précipitamment, mortellement inquiet en réalisant qu'Ethëll est maintenant à sa portée! Et de fait, la banshee se précipite vers elle alors que je ne suis pas encore debout, je n'aurai pas le temps de m'interposer, sauf si...
Mon énergie interne explose littéralement en traçant une onde de choc visible qui percute durement la maudite à l'épaule, pas de quoi la tuer, mais largement assez pour lui faire manquer sa cible! L'Hinïone réagit instantanément, je n'ai pas la moindre idée d'où elle tire l'eau qui frappe comme un jet sous haute pression la banshee, mais le résultat est là, le côté droit de la damnée est lacéré par le sort aquatique comme si plusieurs lames venaient de l'atteindre! Ce qui ne semble pas la perturber outre mesure, à voir à quelle vitesse elle fait volte face pour bondir à nouveau sur ma comparse qui recule dans ma direction en toute hâte. Mais cela m'a donné le temps de me relever entièrement et je n'hésite pas à foncer pour contrer l'assaut de la créature de mes lames qui fendent l'air rageusement pour venir se positionner en une défense peu orthodoxe, surtout due au fait que mon bras droit ne répond pas correctement. Mais ma tentative reste assez efficace pour que la damnée préfère les éviter d'un saut de côté tout en sifflant haineusement! A mon grand soulagement, Ethëll repasse derrière moi, elle est plus vive que je le supposais et visiblement pas totalement démunie au coeur d'un combat, mais le sort qu'elle a déployé a dû lui en coûter car elle semble plus fatiguée qu'elle ne le devrait après ces quelques secondes de bataille. Elle doit percevoir mon inquiétude, car elle me fait un rapide signe de la tête pour me dire que tout va bien, je voudrais lui répondre mais notre attaquante ne m'en laisse pas le loisir, hurlant une nouvelle fois à pleine gorge.
Je titube sous la force de l'onde sonore, levant à l'instinct ma rapière gauche pour dévier la fourbe attaque de griffes qui prolonge le détestable cri! J'y parviens de justesse, mais déjà la créature pivote habilement pour enchaîner avec son autre main et tenter de m'estropier le bras déjà blessé, à peine trop découvert par ma parade imparfaite. Je me rappelle juste à temps que j'ai un nouveau protège-bras de ce côté, et plutôt que de chercher à esquiver hasardeusement un coup trop rapide pour que je sois certain d'y parvenir, je lève le coude et avance l'épaule brusquement pour donner la bonne orientation à ma protection. Cela suffit, les griffes ripent sur le cuir sans parvenir à trouver mon sang, et malgré la souffrance issue des plaies infligées par cette maudite flèche deux jours plus tôt, j'en profite aussitôt pour tenter de lui administrer un redoutable coup de pointe de ma rapière gauche revenue en bonne position après la première parade. Mais je suis légèrement déséquilibré par le choc contre mon bras douloureux, et la banshee évite mon arme d'une contorsion adroite.
Dans mon dos, Ethëll m'ordonne soudain d'une voix étrangement rauque:
"Tanaëth, bouge à droite!"Je réagis sans réfléchir, et me décale d'un rapide entrechat dans la direction souhaitée, à l'instant même où l'affreuse se décide à revenir à la charge d'un coup de pied bas vraiment vicieux! J'ai le temps de réaliser que ses pieds crasseux et verruqueux sont eux aussi dotés de griffes répugnantes avant de me faire bousculer sans douceur par un...geyser d'eau?! Je ne dois qu'à mon obéissance aveugle à l'injonction d'Ethëll ainsi qu'à mon entrainement guerrier de conserver un semblant d'équilibre, car sous les pieds de la malveillante, de puissants jets d'eau ont jailli de la plus incompréhensible façon, me frôlant de beaucoup trop près à mon goût! La banshee est jetée à terre, bien secouée si j'en juge à son air surpris et vexé, ce qui me procure une sourde satisfaction car c'est la première fois que je la vois vraiment déstabilisée!
J'en profite aussitôt, il serait criminel de laisser passer une telle occasion! Je rassemble mon Ki d'une profonde inspiration, puis je le relâche soudainement en bondissant en avant avec mes deux armes tendues devant moi, fendant littéralement les airs et la distance grâce à l'aide de la bienveillante Rana! Mon adversaire déboussolée réagit une fraction de seconde trop tard, pour une fois, et si elle parvient à éviter ma première lame qui visait approximativement sa gorge d'une inclinaison du buste, la deuxième mieux orientée plonge profondément dans son abdomen, lui infligeant une blessure conséquente mais sans doute pas mortelle. La maudite hurle de douleur autant que de rage, et d'un geste hargneux tente de saisir mon poignet, celui qui tient la rapière fichée dans son ventre! Je n'ai pas trente-six options, si je veux éviter de me faire taillader par les ongles recourbés, je lâche mon arme gauche comme si elle était portée au rouge et recule d'un bond!
J'évite les griffes, mais dans ma retraite empressée, j'ai omis un détail: les trombes d'eau qui ont fait chuter la banshee ont détrempé le sol, le rendant boueux, et c'est avec une balourdise que je trouverais cocasse en d'autre circonstances que je glisse, et chois brutalement sur mon séant! Danseur d'Opale, je disais? Mouais, eh bien il va falloir que je travaille encore un peu avant de me risquer à le prétendre ouvertement...
Le temps manque pour les divagations cependant, et la vue de l'horreur qui se relève déjà m'incite à me presser de faire de même! Elle est blessée, mais sa résistance est telle que je n'ai pas l'impression que cela fasse une grande différence pour l'instant, pas plus que je ne suis certain de pouvoir faire durer le combat assez longtemps pour que l'affaiblissement fasse son oeuvre. Un rapide coup d'oeil à l'Hinïone me vaut un signe de tête négatif, et profondément désolé, de sa part: les sorts lancés l'ont épuisée, elle est très pâle et des cernes d'épuisement soulignent ses yeux. Il va falloir que je me fasse à l'idée d'achever ce combat seul, mais d'un côté, seul j'avais prévu de l'être dès le départ, aussi cela ne me trouble pas plus que ça. L'aide apportée a déjà été précieuse, bien plus efficace que je ne l'aurais imaginé, ne connaissant que très peu les capacités des mages. Malgré tout, il faut que je me concentre pour donner le meilleur de moi-même si je veux espérer survivre, et surtout protéger Ethëll qui n'a rien à voir dans cette histoire.
J'aperçois du coin de l'oeil quelques silhouettes qui jaillissent du temple et courent en notre direction, mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper, l'atrocité arrache rageusement ma rapière de son ventre, la jette avec mépris dans le bassin le plus proche et se rue sur moi en zébrant les airs de ses griffes acérées! Ses mouvements n'ont rien de désordonné, contrairement aux apparences, son attaque est calculée, méthodique, ne laissant aucune ouverture et lui permettant de frapper d'un grand nombre d'angles différents. Je transfère vivement la rapière qui me reste dans ma main valide et rassemble une nouvelle fois mon énergie interne dans l'idée de déployer un mur d'acier pour me protéger, mais Syndalywë me souffle à cet instant:
(Non! Il faut deux armes pour ça!)Et merde! Elle a raison. Je recule hâtivement pour me laisser un instant de réflexion, mais pas tout à fait assez rapidement pour éviter la furie déchainée! J'esquive un premier coup de bas en haut visant à m'atteindre à l'aisselle, au défaut de l'armure, mais son attaque suivante me surprend, elle s'est accroupie avec une grâce tout à fait déplacée venant de telle entité, et au terme d'une courbe sinueuse, ses griffes ignobles tracent quelques beaux sillons sur ma cuisse! C'est à mon tour de hurler de douleur et de rage, j'abaisse brutalement mon arme dans l'intention de lui trancher son maudit bras, mais peine perdue, elle esquive d'un petit saut ricanant et susurre après avoir porté une griffe sanglante à sa bouche:
"Une petite douceur pour se mettre en appétit, mon mignon, le banquet s'annonce plus copieux que prévu, c'est tout le lupanar qui est de sortie ce soir!"Elle me désigne d'un mouvement de son hideuse caboche les nouveaux arrivants, deux Hinïons visiblement tirés du lit, indécis et apeurés, ainsi qu'une Hïnione à l'air taciturne qui me parait examiner froidement la situation. Peut-être cette Mane dont Ethëll m'a parlé, vu que cette dernière se précipite à sa rencontre. Je ne me laisse pas distraire pour autant, je commence à connaître la fourberie de mon ennemie et je ne tiens pas à me laisser surprendre une nouvelle fois, il ne me reste plus que deux membres intacts! Bien m'en prend, car la banshee tente une nouvelle fois de profiter de la situation en fondant sur moi, s'efforçant avec un bel enthousiasme de me déchiqueter la joue gauche! Je me plie en arrière pour éviter le coup, tout en levant mon bras gauche d'un geste circulaire pour parer au cas où mon esquive ne suffirait pas. Et je fais bien, car mon avant-bras percute durement le poignet de l'ignoble, l'empêchant in extremis de me défigurer proprement!
En revanche, je n'ai pas vu venir le coup de poing qui me cueille en pleine poitrine. J'entends mes côtes craquer sous l'impact, juste avant de m'envoler.
(Rana, si tu m'entends, je veux bien une paire d'ailes...ou un coussin d'air bien moelleux.)(Hey! On est dans un temple de Moura,) me fait remarquer Syndalywë!
(Ah, oui. Eh bien de...)...l'eau. J'amerris donc, dans le plus total désordre. C'est froid. Et mouillé. Vous vous en doutiez? Moi, un peu, quand même, mais je n'avais pas prévu de prendre un bain dans l'immédiat. Notez que ce n'est pas un luxe, après deux journées de marche et un combat, mais j'aurais préféré pouvoir me déshabiller avant. Ne serait-ce que parce qu'on nage beaucoup moins bien en armure et lesté de quelques armes en bon acier. Enfin, à tout prendre, c'est moins dur qu'un sol de pierre, alors je ne me plains pas trop, et je remercie Moura d'une pensée. Elle doit être particulièrement bienveillante cette nuit, parce qu'après une seconde de panique, je réalise que j'ai pied dans le bassin. Je me hâte donc vers la berge, non sans voir l'Hinïone que je suppose être Mane faire face à la banshee sans manifester la moindre crainte, ce que j'admire à sa juste mesure. Mais la damnée est aussi imperméable à la peur que la magicienne, et n'hésite pas un instant à se précipiter sur elle.
Je viens de voir une magicienne lancer un sortilège de geysers d'eau, mais ceux que produit la nouvelle venue sont d'un tout autre calibre. La banshee est projetée à plusieurs mètres dans les airs, ce qui me fait grogner:
"Bien fait, ça t'apprendra!"Et Moura ne veille visiblement pas sur les banshees, car cette dernière s'écrase lourdement sur le sol dallé du chemin menant au temple un instant plus tard. Mais lorsque la magicienne s'avance, sans doute pour porter une nouvelle attaque magique, je lui crie impulsivement:
"NON! Sa mort m'appartient!"L'Hinïone me regarde d'un air surpris, hésitant brièvement, puis elle hausse les épaules et me fait signe de me dépêcher. Pas besoin de me le dire deux fois, je clopine avec célérité vers mon écoeurante ennemie, remodelant le Ki que je n'ai pas pu utiliser auparavant dans un but légèrement différent. Je m'efforce de le lier à l'unique arme que j'ai en main, et à ma science du combat, me concentrant à l'extrême pour affiner ma technique et porter des coups précis, quitte à y perdre un peu de force. Je veux l'achever rapidement, l'immonde, sans lui laisser le temps de se reprendre cette fois.
Je me sais affaibli, je parviens à surmonter la souffrance grâce à mon entraînement pour l'instant, mais c'est une capacité à double tranchant car la douleur est une alarme, et lorsque on ne l'entend plus, le corps est susceptible de lâcher sans qu'on le sente venir, subitement. Je me connais suffisamment pour savoir que ce stade n'est plus très loin, d'autant plus que j'ai très peu dormi ces derniers jours, la fatigue commence à se faire rudement sentir. Mais je dois le faire, je dois mettre un terme à cette abomination moi-même. Non par fierté, mais parce que je sais avec la plus absolue certitude que Jaëlle n'a jamais souhaité devenir cette monstrueuse créature, et qu'elle m'aurait supplié de mettre un terme à sa vie de mes propres mains si elle avait pu deviner ce qui lui serait infligé.
J'arrive donc rapidement à portée de la créature, totalement concentré sur ma technique, et je l'attaque avec une sauvagerie glaciale et calculée que je n'ai plus manifestée depuis la fin de mon apprentissage. Mais même sérieusement blessée, la banshee reste une adversaire redoutable! Elle évite plus ou moins habilement mes premiers coups, tente de m'en porter quelques-uns également, que je pare méthodiquement de ma lame, lui infligeant au passage quelques profondes coupures sur les bras. La douleur l'enrage, elle redouble de virulence et parvient à faucher ma jambe blessée, je chute à nouveau, roulant aussitôt au sol pour me mettre hors de portée et me redresser! J'y parviens, mais son agressivité terrifiante me contraint à esquiver d'un nouveau bond de côté. Le coup ne me touche pas, mais ma jambe entaillée cède sous moi et je me retrouve un genou en terre, grimaçant de douleur alors que la banshee fonce sur moi de plus belle. Je positionne mon pied valide de manière à avoir un bon appui, guettant l'instant propice de toute mon attention, et soudain je me propulse en avant, rapière pointée vers le coeur, ou du moins son emplacement présumé, de la maudite!
Mon attaque est bien minutée, et je me glisse entre ses bras à l'instant précis où ils sont assez écartés pour m'offrir la faille espérée. Aurait-elle été en pleine forme qu'elle aurait certainement eu le temps d'éviter le coup, mais les blessures et les chocs répétés qu'elle a subi l'ont ralentie, et ma rapière soigneusement affutée se fraye un chemin sanglant entre ses côtes. Les forces conjuguées de sa course vers moi et de mon assaut font qu'elle traverse le torse de part en part, la garde de mon arme venant buter contre une mamelle velue à en rebuter un singe. Une expression étrange de panique et de soulagement envahi le regard de la créature, ce regard qui fut celui de Jaëlle, alors qu'elle réalise qu'elle va mourir. Dans un dernier sursaut, elle m'enlace pour me broyer d'une ultime étreinte, mes côtes déjà molestées hurlent leur désaccord profond avec ce traitement, et la force de la banshee est telle que je me sens défaillir! Au moment où je songe que je vais l'accompagner dans la mort, l'étau se relâche peu à peu, me permettant de prendre une respiration sifflante et douloureuse, mais ô combien savourée! Je tente de m'extirper du carcan formé par ses bras, et je finis par y parvenir à force de contorsions et d'insistance, reculant de quelques pas trébuchants avant de tomber à genoux par terre, à bout de forces.
La créature agonisante me dévisage intensément, les yeux plissés comme si elle faisait un redoutable effort de concentration. Une mousse sanglante perle au coin de ses lèvres cadavériques alors qu'elle tente de dire quelque chose, que je ne comprends pas. Elle fait une ultime tentative, à peine un vague croassement, mais cette fois j'en perçois le sens:
"Merci...Tanaëth..."Je puise dans mes dernières réserves pour me relever et m'approcher d'elle, occultant le corps pour me fixer sur son seul regard, que ne souille plus aucune malice à cet instant. Je lui souris tristement, puis cédant à une impulsion je prends l'une de ses mains atrocement dénaturée et la presse avec douceur en lui murmurant:
"Je t'en prie, Jaëlle. Vas en paix, il est temps pour toi de rejoindre Sithi, Elle t'attend."Elle acquiesce d'un pauvre sourire, serre faiblement mes mains, puis s'éteint. Et moi je retiens mes larmes, sans trop savoir si elles sont de joie ou de peine. Je me redresse lentement, comme un vieillard perclus de rhumatismes, et je sens que, malgré ma volonté, quelques perles humides roulent sur mes joues. Je n'en ai pas honte, pas cette fois. Je me tourne vers les habitants du lieu, juste à temps pour voir la magicienne que je ne connais pas congédier les deux hommes d'un simple signe de tête, puis se diriger vers moi, accompagnée d'Ethëll. Je sens que je vais avoir quelques explications à donner...