Quand je me réveille, le soleil ne s’est pas encore hissé au-dessus de l’horizon. Le ciel, dépourvu du moindre nuage s’étale nonchalamment au-dessus de moi, paré d’un bleu azur. Mon ventre n’est que douleur à cause des cahotements inhérents au voyage, ainsi saucissonné. Quant au poison… Malgré l’antidote je reste très faible, j’ai l’impression d’être mon louveteau…
Le sol arbore une toison verdoyante qui semble prendre vie, s’animer de façon grotesque. L’herbe s’étire et caracole vers moi à toute vitesse. Elle m’étreint lascivement, parcours mon corps jusqu’à me recouvrir totalement… Du monde je suis exclu, reclus dans cette prison de verdure qui s’emploie à me garder en son sein, resserrant son étreinte progressivement. Avec la nature je ne fais plus qu’un, je suis son trésor, son enfant. Je sens une chaleur se diffuser dans mon corps, mais cela ne dure pas, rapidement c’est un feu glacé qui se propage dans mes veines, m’arrachant un cri de douleur. Je sens aussitôt quelque chose me percuter la tête.
« Silence ! Arrête de brailler ou je te coupe la langue. »
Quand j’ouvre les yeux je vois des plaines émeraudes, en arrière plan de grands arbres essaient de se frayer un chemin jusqu’au cieux. Je les vois grandir, s’élever, toujours plus haut. Certains y parviennent et tutoient finalement les cieux. Leurs frondaisons chatouillant les nuages qui dérivent au gré du vent.
Je ressens un choc brutal au niveau du front, ma tête a heurté une branche basse qui s’est brisé sous l’impact. J’ai un mal de chien, je commence à voir des taches noires qui grossissent jusqu’à bloquer totalement ma vision. Je me sens déconnecté du monde, basculer vers l’inconscience…
Je rouvre les yeux, toujours le même paysage qui défile devant moi. Des prairies, quelques chevaux sauvages sont visibles au loin. J’essaie de tourner la tête vers la Shaakt qui est devant. Elle me tourne totalement le dos, de toute façon ainsi ligoté je n’ai pas la moindre illusion concernant un coup d’éclat… Elle reste silencieuse, attentive à son environnement, une vraie chasseuse. Je pivote ma tête de l’autre côté, l’autre Shaakt, la plus vieille m’inspire une défiance toute naturelle. D’elle transpire une autorité et une cruauté innée, hors de question de m’attirer ses foudres.
Bien obligé d’ouvrir ma gueule pour respirer, je sens la poussière emplir mes poumons, ma gorge… Je n’arrête pas de tousser mais plus encore vient pénétrer mon corps. Même mes yeux en pâtissent, j’ai du mal à les garder longtemps ouverts.
Des formes étranges volètent autour de moi, indistinctes, presque effacées. Elles me survolent, tantôt m’encerclent, tantôt s’écartent. Je ne comprends rien, elles semblent danser, ou peut-être me faire parvenir un message. J’essaie d’en saisir une, sans effet, j’avais oublié que mes mains étaient également entravées.
Des visions me traversent l’esprit, je vois un cerf blanc, une forêt de chênes somptueux, une rivière sinuant entre les troncs et les racines découvertes. Puis tout s’arrête, je suis de nouveau brinqueballé sur le dos de l’araignée, en revanche les formes elles semblent toujours là. J’ai du mal à les voir, distinctement en tout cas mais je sens leurs présences…
J’entends soudain une voix railleuse qui me sort de mon délire, me ramenant à la dure réalité :
« Voilà Khonfas ! La ville où se trouve ton futur chez-toi. Du moins jusqu’à ce qu’on te vende au plus offrant. » J’essaie d’ouvrir les yeux comme il faut, l’araignée progressant désormais sur un tapis d’herbe uniforme ne projette plus de poussières. De hauts-remparts, érigés comme un défi aux cieux sont surplombés par un chemin de gardes, parcourus par de nombreux soldats pourvus de lance, la pointe dépassant largement. La shaakt me fait descendre sans ménagement et me redresse avec hâte, mais sans trop me toucher, comme si mon contact allait la souiller.
L’autre après avoir congédié les montures s’approche de moi, me jette un regard inquisiteur avant de sortir une lame et de se baisser. Elle coupe les cordes qui relient mes chevilles mais laisse le reste en place. Elle me pousse en avant de la pointe de son coutelas.
Les murs qui forment la muraille ressemblent à un goulot d’étranglement. J’ai l’impression que les parois se referment, s’apprêtent à nous réduire en bouillie mais j’essaie de ne pas y penser. La menace de la lame dans mon dos m’y aide beaucoup. Quelques gardes en faction se pavanent fièrement. Elles sont la première ligne d’offense… Pardon de défense de Khonfas, et ne s’en montre que plus hargneuse. Je vois un ivrogne qui se retrouve avec une épée dans le ventre, pourquoi ? Aucune idée, il a dû irrité l’une des gardes, elles sont irascibles au possible.
La plus vieille qui me pointe toujours avec son coutelas m’ordonne de m’arrêter. Je m’exécute immédiatement. Elle me dépasse et va parler à l’une des sentinelles.
« Ouvrez les portes ma sœur, j’ai une marchandise à vendre. »
« Et pourquoi laisserais-je deux misérables de plus entrer ? Sans compter votre puant sekteg, qui n’a même pas l’air en bonne santé. » répondit cette dernière avec dédain, crachant devant mon tyran
« Ne t’avises plus de me manquer de respect, petite. » dit-elle d'un ton glacial. C’est sur le dernier mot qu’elle insiste le plus, son coutelas toujours en main.
« Eh bien. Drôle de manière de traiter une représentante de Khonfas. Maintenant dégage ou tu auras affaire à plus fort parti que tu ne pourras jamais m’opposer. » déclame la garde qui ne démord pas
« Tu penses m’impressionner petite soldate ? Je suis Briza Do’Hurden, et toi qui est tu exceptée une parvenue d’une maison sans nom ? » susurre t-elle d'une voix menaçante
Je sens bien que le ton monte, que la tension atteint son paroxysme, mais l’autre Shaakt continue de veiller sur moi, sentant son regard dans mon dos. La tentation de fuite est donc vite avortée, dû à ce désir de vivre, juste encore un peu…
La garde passe à l'attaque, lançant son poing ganté, surmonté de piques en direction du visage de Briza. Je vois cette dernière qui avec célérité et facilité arrête l’attaque de la garde. Elle se moque d’elle en lui donnant des leçons afin de bien se positionner.
L’écart entre ces deux Shaakts est bien trop grand, mais la sentinelle pourrait toujours compter sur l’aide de ses camarades… Si ça en arrivait là, ce serait indéniablement une boucherie, un bain de sang, dont j’aurais peu de chance de sortir vivant, ma pomme toujours fixée au tronc.
Maya a dû arriver à la même conclusion car elle s’interpose et tend une main vers la sentinelle. Un éclair de rage passe à travers ses yeux avant qu’elle ne palpe ce que Maya lui a donné. Une bourse bien lourde. Elle s’écarte finalement, non sans défier du regard Briza avant de demander à ses camarades d’ouvrir la porte. A nouveau je pense à fuir… Mais non, avec leurs montures elles me rattraperaient trop aisément… Je vais être obligé de suivre.
J’essaie de bouger mais le sol se dérobe sous mes pieds, de nouveau les parois semblent vouloir m’emmurer vivant, mes chevilles sont prises dans une gangue de terre dont il m’est impossible d’échapper. Je commence à crier de panique, les yeux exacerbés. Le ciel lui-même devient sombre et semble s’affaisser vers moi. Je suis en proie à la panique la plus totale, je me tape la tête à l’aide de mes poings liés, convaincu que tout cela va s’arrêter si je continue.
Tout devient sombre…
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Skrap's Song.
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