Comme le milicien me l’avait indiqué, j’atteignis les bords du lac en trente minutes et le spectacle qui s’offrit à mes yeux était à couper le souffle, littéralement. Quatre petites chutes d’eau tombaient dans un lac à la couleur claire presque translucide mais dont le fond était invisible. En m’approchant de plus près, je distinguai sur ma droite une sorte de trou qui devait être une grotte.
Ce paysage était parfait. Je défis mon précieux équipement, me dévêtis, ne gardant que mes sous-vêtements, je n’étais pas aux sources chaudes des souterrains d’Exech non plus, quelqu’un mal intentionné pouvait me voir. Je rangeai le tout dans le creux d’un arbre noueux et avançai vers le bord de l’eau.
Trempant un orteil afin de tester la température, je constatai qu’elle était idéale, ni trop chaude, ni trop froide. N’attendant plus, je plongeai dans le lac et utilisant la capacité de mes poumons au maximum je fis surface au milieu de cette petite merveille. Je fis la planche me laissant flotter à la surface de l’eau, admirant le magnifique soleil qui brillait dans le ciel.
Je réfléchis alors à la manière d’utiliser ma nouvelle arme. Cette lame secrète serait un véritable atout lors de mes prochains combats et même lorsque j’aurais obtenu mon statut dans le clan des Crocs de l’ombre. Elle fonctionnait comme une lame secrète que l’on pouvait sortir en dernier recours.
J’avais hâte de montrer ma nouvelle acquisition à Bastian, il m’envierait cette arme à n’en pas douter. Il était toujours à la recherche de nouveau moyen de s’entraîner et de se battre par la même occasion. Non pas qu’il cherchait l’affrontement, loin de là, mais il ne valait mieux pas se retrouver dans une forge ou une armurerie avec lui, il était pire qu’une femme dans une boutique de vêtements.
Bastian. Ce nom résonnait bien différemment aujourd’hui à mes oreilles, il y a encore quelques jours c’était mon meilleur ami et maintenant nous étions fiancés. Je n’étais pas douée pour les choses de l’amour mais lorsque j’étais avec lui, tout cela devenait normal presque naturel.
Je ressentais des choses que je n’avais jamais ressenti auparavant : le désir de me perdre dans ses yeux ou de ne pas quitter l’enceinte protectrice de ses bras, le cœur qui battait plus vite lorsqu’il me touchait, une envie de ne pas arrêter lorsqu’il m’embrasser, les papillons que j’avais au ventre lorsque nos langues dansaient, la température de mon corps qui augmentait à son contact…
Je m’immergeai complètement afin de m’enlever ces idées de la tête, j’ouvris les yeux sous l’eau et remarquai quelque chose au-dessus de moi. Je remontai à la surface et constatai que ce que j’avais vu n’était pas une illusion. Je rejoignis la berge en mettant à profit les heures passées à nager dans les sources chaudes.
Arrivée sur la terre ferme, je tordis mes cheveux afin d’enlever le trop d’eau et rejoignis l’arbre où j’avais laissé mes affaires. Utilisant mes talents d’escalade, je montai sans difficulté sur le dit végétal. A bonne hauteur, je trouvai ce que j’avais deviné depuis le lac, une branche épaisse qui pourrait aisément supporter mon poids.
M’y approchant avec douceur afin de tester sa résistance, je m’avançai sur ce promontoire naturel. Mon sens de l’équilibre me permit d’arriver au bout de cette branche sans encombre. Doucement, je me mis debout sur son extrémité et appuyant fortement avec mes jambes je sautai en direction du lac afin de plonger dedans les bras en avant.
Au plus profond de mon plongeon, je vis une lueur au fond du lac. J’avais très envie de découvrir ce qu’elle était réellement mais le manque d’air se fit rapidement sentir. Ce lac était bien trop profond pour que je m’y aventure. Je remontai donc à la surface très fière de mon exploit sportif, Bastian aurait eu le même comportement que moi s’il avait été à ma place.
Je rejoignis de nouveau la berge et entrepris de regarder de plus près la flore entourant ce lac aux allures presque divines. Je n’avais rien prévu pour déjeuner, j’espérai sincèrement que le lieu me permettrait de me sustenter de la meilleure des manières. Je m’enfonçai dans la forêt entourant le lieu à la recherche de quelques arbres fruitiers.
Après quinze bonnes minutes de recherches et de vagabondages, je trouvai ce que je cherchai, des pommiers et des poiriers. Les fruits me paraissaient mures, j’en pris donc plusieurs de chaque et regagnai, tout en grignotant, les bords du lac. Avec un estomac plein, il ne me restait plus qu’une chose à faire : me sécher.
Regardant vers le ciel, je constatai que le soleil était à son zénith. J’avais donc encore pas mal de temps devant moi avant de rejoindre Ganaelle et Allama. Je récupérai mon sac, en sortis ma dague clanique et utilisai ma besace comme un oreiller. Je posai ma dague dessous et m’allongeai sur l’herbe afin de me sécher au soleil. Regardant les nuages, je m’endormis rejoignant un autre monde.
***
- « Qui aurait cru que je trouverai une demoiselle sans défense en rejoignant le lac ? »J’ouvris aussitôt les yeux en entendant la voie du milicien qui m’avait guidé jusqu’à ce lieu magique. Il était au-dessus de moi, à califourchon sur moi mais sans me toucher. Oh non, je n’aimais pas cela du tout, sa position était plus que suggestive et vu la manière dont je l’avais chauffé en ville, j’avais un mauvais pressentiment. Après l’approche très suggestive, mieux valait utiliser la subtile diplomatie.
- « Vous oseriez profiter d’une demoiselle sans défense ? »- « Ne m’avez-vous pas promis de me tuer si je voyais vos yeux ? Deux couleurs différentes, quelque chose que l’on ne voit pas tous les jours et qui me donne encore plus envie de vous. »La diplomatie était ratée, j’allais devoir passer au plan B. Glissant mes bras sous mon sac, j’attrapai le manche de ma dague qui jusque là ne m’avait jamais fait défaut.
- « Vous allez surtout abuser d’une femme dans son plus simple appareil ! Je croyais les miliciens bien mieux élevés et surtout plus à même de faire la différence entre une fille bien élevée et une fille de joie ! »- « Une fille de joie ne peut-elle être bien élevée ? Vous m’avez chauffé comme le fer d’un forgeron en ville, vous vous attendiez à quoi ? »- « A ce que vous preniez cela pour de la simple provocation de la part d’une jeune demoiselle qui cherchait un moyen de trouver sa route et de remercier de cette manière son chevalier servant. »- « Je ne suis pas un chevalier servant mais plutôt votre pire cauchemar. »Il posta alors ses mains au-dessus de mes épaules et approcha son visage dangereusement du mien. Je sortis ma main gauche de sous mon sac pour le pousser légèrement au niveau de l’épaule.
- « Vous êtes mon pire cauchemar, mieux vaut que mon fiancé ne sache pas ce que vous vous apprêtez à me faire ! »Un sourire carnassier, malsain s’afficha sur son visage.
- « Après mon action, ton fiancé ne voudra plus de toi ma chérie ! »Il diminua l’espace qui nous séparait, se rapprochant de mon visage. Je n’allais pas rester sans rien faire mais je ne pouvais agir tant qu’il n’était pas plus près de moi. Je devais subir son premier assaut afin de mieux m’en débarrasser. Ses lèvres se posèrent sur les miennes, il força leur barrage afin de jouer avec ma langue.
Il avait une haleine d’alcool, j’avais envie de vomir mais je devais attendre une ouverture. Il s’écarta de moi afin de caresser mon visage, il me fallut beaucoup de courage pour ne pas lui cracher au visage.
- « Tes lèvres sont douces comme une pêche, je sens que je vais prendre beaucoup de plaisir aujourd’hui ! »Il repartit à l’attaque en m’embrassant avant de descendre le long de mon cou, me déposant des baisers sur toute la route. J’empoignai fermement le manche de ma dague clanique, la sortis de sous mon sac et d’un coup franc, la plantai dans son dos.
- « AAAAAAAHHHHHH !!! »Il hurla de douleur, les animaux de la forêt quittèrent le lieu à cause de ce cri perçant. Le milicien me laissa libre de mes mouvements. Je pus en profiter pour me relever et retirai au passage ma lame de son dos. Je me mis en position de défense prête à contrer son attaque car j’en étais persuadée, il allait sonner la charge.
J’avais le lac dans mon dos, la forêt me faisait face, on avait mieux comme position. Le garde d’Eniod se retourna comme je l’avais prévu et me regarda avec des yeux emplis de rage, une rage telle qu’elle allait lui décupler ses forces même si il était blessé.
- « Tu vas me le payer salope ! »Sans réfléchir, il courut vers moi et me plaqua au sol, enfin presque puisque nous atterrîmes dans l’eau du lac dans un grand plouf. Il nous entraîna vers le fond, un coup de pied dans le ventre me permit de remonter à la surface pour reprendre ma respiration. Je m’approchai de la berge afin de m’éloigner du milicien le plus possible.
J’avais toujours ma dague en main, je décidai de grimper à l’arbre depuis lequel j’avais sauté plus tôt dans la matinée. Je partis derrière l’arbre creux, me cachant de la vue du soldat que remontai tout juste à la surface.
- « Toi, attends que je te retrouve ! »Parfait, il ne m’avait pas vu. Je grimpai à l’arbre avec la souplesse d’un chat, avançant le plus silencieusement du monde.
- « Où te caches-tu bon sang ? Viens donc me rejoindre dans l’eau, elle est bonne. »Je n’étais plus visible de lui maintenant, je continuai d’avancer prudemment sur la branche jusqu’à ce que mon ombre ne soit au niveau du milicien. Prenant appui sur la branche, je sautai dans sa direction, dague en avant.
- « Me voilà, sale con ! »Il me vit arriver à la dernière seconde, levant la tête vers le ciel. Je plongeai vers lui, nous faisant couler sous l’effet de la chute. Nous nous débâtîmes sous l’eau pendant plusieurs secondes qui me parurent durer une éternité, le milicien tenant toujours ma dague loin de lui.
Donnant un coup de pied dans son ventre, il libéra sa prise sur mon bras. Dans un dernier effort avant de ne plus avoir d’air dans mes poumons, je plantai ma lame dans son torse au niveau du cœur. Je retirai ma dague d’un coup laissant un filet de sang derrière le passage de mon arme.
Je remontai à la surface en battant rapidement des pieds et sortis de ce cauchemar en inspirant profondément au moment d’émerger. Je rejoignis la berge en étant passablement essoufflée. Gardant les pieds dans l’eau, je m’écroulai près de mon sac cherchant mon souffle.
Ma dague clanique m’avait sauvé une nouvelle fois, je la serrai contre moi et restai ainsi au soleil afin de me sécher. Je vis le corps du milicien rejoindre lentement les profondeurs du lac, bon débarras, ce crétin n’a eu que ce qu’il méritait et personne ne viendrait chercher son corps par ici.
Je postai mon regard vers le ciel, admirant les nuages qui passaient au-dessus de ma tête. Je n’avais qu’à attendre une petite heure histoire que mes sous-vêtements sèchent à peu près complètement avant de rhabiller et de rejoindre l’auberge de Ganaelle et Allama.
Mon esprit vogua vers mon clan, mon père, ma mission et Bastian. Tant de choses qui gravitaient dans ma vie aujourd’hui, tant de choses qui avaient de l’importance pour moi et qui allaient me permettre de réfléchir. Penser à tout cela me permit de tenir une bonne heure, me laissant largement le temps de sécher et de bronzer.
Je me levai, récupérai mes affaires dans mon sac et m’habillai. Je m’équipai de mes deux armes et jetai un dernier regard à ce magnifique lac que j’avais malheureusement entaché du sang d’un milicien. J’étais profondément navrée d’avoir brisé la quiétude du lieu de cette manière.
Vingt minutes plus tard, je me retrouvai devant l’auberge du repos des âmes.