La façon dont était structurée Cuilnen était très différente de celle dont Ren avait déjà vu les autres villes et villages, en dehors de leur clan de phalanges. Ici, la délimitation n'était pas faite par une barrière l'entourant entièrement et une seule porte. On pouvait y accéder de tous côtés. En revanche, il y avait beaucoup d'archers postés en hauteur, surveillant les alentours. Alors bien évidemment, ils furent cueillis rapidement, avec la même appréhension que les premiers elfes qui, au final, les avaient attaqués. Il y en avait encore une fois trois, mais ils s'étaient contentés cette fois-ci de les interpeler tout en les visant.
Ren avait déjà prévenu Jôs. Il lui fallait rester calme, alors il s'était tût. Ainsi, seule son apparence pouvait inspirer la crainte. Il n'était pas arrivé en hurlant, faisant des moulinets avec sa masse. Aussi, les choses furent bien plus faciles cette fois-ci, et après une simple mise en garde, on les laissa passer, en leur proposa d'ailleurs d'aller trouver quelques vêtements ou autres objets, comme ils semblaient bien démunis. Mais ils le vivaient bien après tout. Ils étaient des Phalanges de Fenris et savaient vivre presque sans vêtements au cœur de la montagne. Tout ce qui leur manquait ici, c'était de quoi vivre. Un travail.
Alors quand ils entrèrent dans l'enceinte de la ville, il n'attendirent pas. Bien entendu, ils passèrent un long moment à s'émerveiller devant la beauté atypique de cette ville. Ils virent la fontaine, passèrent devant la bibliothèque où ils se décidèrent qu'il leur faudrait prendre un moment pour apprendre à lire, virent de nombreux temples de dieux qu'ils ne connaissaient pas, mais plus que tout, ils virent un enclos. Une des rares délimitations qu'il pouvait y avoir ici. Au milieu de cet enclos une petite maison... entourée de tout un tas de renards. En voyant ces bêtes, il sembla que Jôs perdit l'esprit et il sauta directement par dessus l'enclos et alla rejoindre les bêtes qui, bien sûr, se mirent à courir dans tous les sens. Ren voulut le rappeler, mais avant qu'il ne puisse le faire, une elfe, magnifiquement belle (certainement un trait racial, comme ils avaient pu le remarquer depuis qu'ils étaient arrivés) l'interpela.
"Vous devriez vous calmer, ces bêtes là sont sensibles, vous savez ?"
Jôs se figea devant elle. D'une part par honte, d'autre par en étant impressionné par sa beauté et sa prestance. Ren, lui-même, d'ordinaire confiant, hésita un peu avant de la reprendre.
"Excusez-le, madame, il aime beaucoup les animaux..."
"Tout ce qui est doux." ajouta le géant.
Elle les regarda un moment puis esquissa un sourire franc.
"C'est vrai qu'ils sont doux, acquiesça-t-elle. Un long silence passa durant lequel elle les scruta, puis elle reprit la parole. Nous voyons rarement des phalanges de Fenris en dehors des montagnes...
"On a quitté notre clan. On voulait voir le monde et tenter de vivre ailleurs. Alors quand on a vu votre élevage, on s'est dit qu'on pourrait vous aider. J'ai moi-même élevé beaucoup de loups."
"Les renards sont très différents des loups."
"Je sais... Ce que je veux dire, c'est que je sais y faire avec les animaux."
"Pour tout dire, je travaille seule et je n'ai jamais eu vraiment besoin d'autres personnes pour m'aider."
"S'il vous plait, ne serait-ce qu'on court moment... Je vois bien que vous êtes moins enclines au jugement que les autres elfes et c'est ce que je sais faire de mieux. On vient d'arriver et on sait pas encore où vivre. Fenris m'en soit témoin, on sera efficaces."
"Même si je vous engageais, je ne pourrais peut-être pas vous payer tous les deux. Votre ami, lui-même, peut-il vraiment m'aider ? Je ne doute pas que vous soyez un bon éleveur, mais il a tout de même foncé vers mes renards..."
Il y eut un silence gêné durant lequel Jôs plongea les yeux vers le sol.
"C'est mon frère, Jôs. Écoutez, il a reçu un coup sur la tête étant enfant, et depuis, il est pas bien normal. Donc je m'occupe de lui. Mais vraiment, il pourrait vous aider pour plein de tâches. Il est fort comme un ours."
"Comme un ours." acquiesça le grand Jôs en pouffant de rire. Mais un regard de la part du jeune Ren suffit à le raviser.
"Par hasard... Vous ne le feriez pas travailler pour profiter de sa paye, n'est-ce pas ?" demanda l'elfe, méfiante.
"Fenris m'en soit témoin, point du tout !"
L'elfe hésita un moment. Mais il sembla bien que cette histoire où Ren protégeait son frère lui avait convenu. Elle était manifestement tombée sous le charme des deux compagnons, et finalement, après une longue attente, elle accepta.
"Je pourrais bien avoir besoin de deux paires de bras. Mais pas indéfiniment, je dois vous prévenir. Disons que le temps que vous puissiez vous habituer à cette ville, je vais vous laisser vous occuper de quelques tâches. Constructions de niches, amélioration des aires de jeu, transporter du foin -ils aiment jouer dedans- et d'ici quelques jours ou semaines, vous devriez pouvoir trouver autre chose. Vous savez où vivre ?"
"Pas encore... Nous avons bien cent yus à nous deux, mais nous ne savons pas encore où aller."
"Alors dormez ici. Ma cave a assez de place, je peux vous installer deux couches. Prenez la journée pour vous installer, je vous expliquerai vos tâches et vous commencerez demain.
Jôs ne comprit pas encore vraiment, mais Ren se montra particulièrement reconnaissant. Connaissant la pudeur des elfes, il se retint de lui prendre la main et hocha frénétiquement le haut de son corps en la remerciant.
"Merci ! Merci infiniment, vous ne serez pas déçue ! Puis il réalisa finalement qu'il ne s'était pas même présenté, et qu'il ne connaissait pas non plus le nom de cette femme. Excusez mon manque de politesse. Je vous ai présenté Jôs, mais je m'appelle Ren."
"Je me nomme Hîrrusc."
Et enfin, la journée passa très vite. Comme ils n'avaient pas d'affaires, ils aidèrent directement l'elfe à certaines tâches, bien qu'elles furent assez simples. Elle leur expliqua que les aires de jeux, formées de niches, petites pentes et sortes de toboggans en bois, commençaient à pourrir à cause de leur ancienneté. De même, elle avait eu un arrivage de plusieurs bottes de foin qu'elle ne pouvait pas transporter seule de la grange jusqu'aux niches où les bêtes se reposaient. Et comme il était déjà tard, ils furent invités à manger un repas (constitué de viande, ce qui étonna beaucoup les deux compères qui s'imaginaient les elfes comme de vertueux végétariens qui n'osaient pas tuer d'animaux pour se nourrir), et l'aidèrent à installer leurs couches. Comme ils étaient déjà fatigués par leur voyage, ils se couchèrent finalement très vite et laissèrent Hîrrusc veiller jusqu'au moment où elle décida de rejoindre sa chambre.
Allongés sur leurs couches de fortune, un sourire s'était dessiné sur leurs visages. Il y avait à peine quelques heures, ils étaient les auteurs de trois meurtres et d'une disparition. Mais maintenant, tout était réglé. Ren avait assez d'esprit pour y penser encore, mais constater toute sa chance. Jôs, quant à lui, avait déjà oublié. Il n'y avait qu'une chose dont il se rappelait et qu'il s'était permis d'évoquer une fois qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux. Car depuis leur rencontre avec Hîrrusc, il était resté entièrement silencieux.
"Quand on a rencontré la dame, tu as dit que j'étais ton frère !"
"Oui, Jôs, et faut qu'on se dise ça. Si elle comprend à quelle point t'es idiot depuis ta naissance, elle voudra pas de nous. Donc t'es mon frère et t'as reçu un coup, d'accord ?"
"D'accord !" dit-il simplement, sans vraiment comprendre.
Un long moment passa, le sommeil les gagnait, mais Jôs était encore excité. Et d'un coup, dans sa fatigue, un souvenir malheureux lui fit résonner sa grosse voix, dans la nuit.
"Grand-père me manque."
Ren ne dit rien. Il lui avait tourné le dos, aussi, Jôs ne pouvait pas savoir s'il dormait ou non. Pourtant il continua.
"Il voyagé beaucoup avant. C'est pour ça qu'il était doyen. Sans lui, j'serais pas là. J'aimerais bien qu'y sache où j'suis. Y s'rait fier j'crois. Quand j'aurais beaucoup voyagé, j'pourrais m'appeler même Bör, comme lui. Ouais, y s'rait fier..."
Et lentement, le sommeil le gagna. Il eut juste le temps, avant de fermer les yeux, d'entrevoir une petite créature grise s'approcher de lui. Il en ressentit le pelage, tout doux, passer entre ses doigts. Et puis ils ferma les yeux.
_________________ Multi de Goont et de Ziresh
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