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 Sujet du message: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Lun 27 Oct 2008 13:31 
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Le Bois de Bäl


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Création de Pistou


Imaginez un petit bois, source d’étrange où s’écoule autant d’eau que de mystère. Les chuchotis de l’extérieur s’y invitent avec le vent, parviennent jusqu’aux grands hêtres où chacune des feuilles de leurs ramures serrées se murmurent les unes aux autres les secrets du monde du dehors, avant de les partager aux discrets habitants de la forêt. On dit le Bois de Bäl lugubre et hanté, dangereux, peuplé de créatures mystiques qui n’aiment pas se voir dérangées. Et ceci est une vérité car, aux abords de la forêt, de grands chats sauvages rongés par la vermine guettent dans l’obscurité. Les hiboux sombres hululent pour mettre en garde les intrus, ces lieux sont périlleux et interdits.

Les rumeurs sont nombreuses et peu savent qu’en vérité ces avertissements ne s’adressent guère qu’à la petite espèce des lutins. Nombreux sont les dangers, oui, mais les grandes créatures que sont les humains n'ont guère à les craindre. De fins ruisselets aquatiques courent dans la forêt, provenant de son épicentre, mais que nul ne peut remonter sans la permission des êtres qui vivent au cœur de ces bois.

Un peuple de lutins des sylves y vit encore, sous la protection d’une majestueuse créature, sage gardienne des lieux, tant arbre que créature. Ses cheveux sont une cascade de feuilles blanches comme la neige, couronnées de pétales orangés, et seule la partie supérieure de son buste dépasserait d’un splendide hêtre aux frondaisons d’or majestueux. Cétayales, la dame de Bäl veille sur le cœur de ses bois et nul n’y parvient jamais sans sa bénédiction qu’elle réserve, ainsi que son affection, au peuple lutin qu’elle prit sous son aile il y a fort longtemps de cela.

En se risquant à pénétrer la forêt, outre les dangers évidents que sont les prédateurs nocturnes pour les petits êtres, on peut croiser de nombreuses bâtisses abandonnées, temples étranges dédiés aux divinités, parfois occultes… parfois antiques bastions de la lumière. On s’y perd aisément, leur magie trouble le sens de l’orientation et invite à s’avancer au plus profond de ces ruines pour découvrir leurs secrets.

Les lutins de Brin d’Alice connaissaient bien ces bois, ils exercent sur eux une attraction particulière… et les anciens veillent à tenir leurs jeunes progénitures loin de l’orée de cette forêt. Un chat est si vite arrivé…

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Chibi-Gm, à votre service !


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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Sam 11 Sep 2010 14:46 
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- Arodielle Celü !

- Arodielle Cena !

- Arodielle Iril !

Les éclats de rire des caméristes parviennent à couvrir leur voix propre, mais rien de cela ne m'atteint : toutes résonances sont diffuses à mes oreilles, car les tentures de silm tendues autour de nous, pareilles aux chats sauvages à l'orée des Bois de Bäl, avalent goulûment les petits êtres fragiles que sont les sentiments intelligiblement exprimés. Et en réalité, je n’en ai cure.

Je m'étire paresseusement en observant avec patience le moindre de mes mouvements, tous emprunts d'une infinie langueur – peut-être est-ce en réalité ce que l'on appelle de façon plus prosaïque le désœuvrement. Tous mes muscles détendus tant et tant qu'ils semblent s'engloutir peu à peu dans le néant, ma tête trop pleine d'un vide écœurant ou vide d'un trop-plein d'écœurement, et mon dos sculptural qui se délie indolemment en faisant ployer le pétale d’iris qui en caresse la peau : je suis bien et je suis mal, je ne ressens rien d'autre que moi – moi, mon être dans sa quintessence, mon existence lascive, ma vie sans objet et sans but.

Je suis une Princesse, après tout.

Je ne suis pas humble. Je ne suis pas effacée. Je ne suis pas délicate.

Je suis Cahidrice Aro, fille de sang de Blaïarice Cahië et liée par magie à Ombraelle Cérahe. Et cela vaut bien autre chose, non ? Oui c'est vrai, ça ou autre chose après tout, quelle importance ? Haha... Je me fais sourire moi-même, et c'est d'un délice enchanteur. Un rictus à peine esquissé, et ce sont autant de volutes dorées dans mon esprit, écrasé par l'absence même de toute chose, qu'il n'y en a sous mes yeux égarés, de ces volutes gracieuses, fumerolles enfants de chaleur, qui comme moi pavanent leur perfection ostentatoire au regard de ceux qui savent les apprécier.

Mes suivantes coulent l'eau fumante de mon bain : l’onde fugace se répand en caressant la ligne charnelle de mes muscles, le velours sans grain de ma peau, puis ruisselle le long de mon trône végétal, sur son éteule roide, vers la feuille de rhubarbe odorante qui la recueille en contrebas, et d’où s’élèvent dès lors les moites vapeurs qui font dans l’air tiède et feutré des dessins mouvants. Le long des tentures raffinées, ce sont autant de personnages obscurs qui dansent, ceux des contes et des légendes, ceux que l’on chante, ceux qui ont vu.

Mes suivantes, quant à elles, voltigent autour de moi, frivoles et ravies, se sentant d'une certaine manière proches de moi ; et pourtant, d'un autre côté, elles m'appréhendent à travers une brume insaisissable et imperceptible qui les enivre et dont elles se délectent. Ce n'est pas ma présence qui les réjouit, mais plutôt ma non-présence qui les intrigue et les fait secrètement tressaillir. Et pourtant ! Et pourtant moi-même je tremble devant elles, je tremble d’exister, et surtout d’exister sous leurs yeux. Je suis noble mais faible, comme apprivoisée, à la merci de ces regards outrageants qui se pose sur moi, sur ma nudité, mon visage offert. Les seuls remparts dont je puisse encore me doter sont ceux de mon esprit, forteresse inexpugnable dont rien ne se peut arracher, ni joie ni peine, ni encore de remords, mais seulement les mystères qui m’enveloppent et me cachent comme des brouillards opaques et inextricables, ainsi que la douceur parfois au-dehors, quand le soleil et la lune se veulent mes seuls compagnons.

Le pire pour moi ? Leur offrir mes traits – tout ce qui surplombe la voûte de mes joues. Ne faites pas semblant, vous, gros êtres sans beauté et sans grâce, ne faites pas semblant de ne pas savoir, de ne pas connaître ce qui me couvre de peine et de honte, cette chose horrible qui déshonore ma mère et réjouit du même coup mon éminente tutelle. Tout autour de mes yeux, sur l’arc de mes pommettes et jusqu’à celui de mes sourcils, ces entrelacs, ces volutes ici encore – car j’aime ces motifs en ce qu’ils semblent toujours en mouvement – ces fins et élégants lacis de chair brûlée qui dessinent sur ma peau des broderies blêmes et luisantes : vous les connaissez, vous qui me contemplez dans mon bain, ici même, trônant royalement sur mon iris prune sous les dais de silm scintillants. Mon masque, don de la Maison de Cérahe lors de mes primes années, est une seconde arme contre l’inquisition insolente des étrangères et étrangers, tous ceux qui posent sur moi un œil plein de doutes ; il ombrage mon regard aussi bien qu’il muselle la douleur et enfouit la laideur qui tous deux me tiennent, me tourmentent et m’attristent.

Seules mes caméristes insouciantes ont le privilège immense et l’office douloureux de se trouver quelques heures chaque jour face à mon visage mutilé. Avec d’infinies précautions que sagement elles savent dissimuler – et que cependant je vois – toujours, à chaque fois, et depuis le plus loin que je me souvienne, elles glissent leurs doigts fins entre le pétale d’iris et le bombé de mon front, et, avec toute la finesse dont elles peuvent faire montre, elles les désunissent totalement, et posent mon loup fier de ses trésors sur un coussin d’apparat. Aussi douces que le lait et le miel dont elles m’oignent, elles se saisissent également de mes autres effets, me délestant des draps de silm dont elles m’ont vêtue au matin et du coutelas d’ivoire que je porte invariablement au côté ; elles délacent enfin tous les rubans qui retiennent ma chevelure en structures majestueuses, et alors les mèches de lumière dont je m’enorgueillis se répandent en cascade le long de mon dos et jusque sur mes reins. Et dès lors, excepté mon port altier, il n’y a plus rien en moi de princier, car en m’effeuillant mes suivantes m’ont dépouillée de tous mes subterfuges, ceux-ci mêmes qui d’ordinaire font si bien illusion. Alors point de Cahidrice Aro, point d’Akrilla impérieuse et puissante tant en magie qu’en bataille, point de guérisseuse parmi les Guérisseuses et non plus de lignage : seulement une Aldryde à nu.

Une Aldryde, mais aussi le don des dieux que chaque Aldrone espère et pour lequel toutes prient, ce qui leur donne au sein de l’Arbre honneur et gloire, ce qui renfle leur ventre mesure à mesure : l’Aldryde aux ailes duveteuses et, avec elle, l’enfant qu’elle porte.

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CAHIDRICE ARO. PRINCESSE ALDRYDE, ACTUELLEMENT DANS LA MERDE.


Dernière édition par Cahidrice Aro le Dim 19 Sep 2010 16:01, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 12 Sep 2010 18:01 
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Reconnaissez-le : je m’élève, marmoréenne, telle une statue divine. Cela vous laisse sans voix, n’est-ce pas ?

Bon, ça suffit. Cette supercherie est bien vaine. Quatre-vingt-cinq ans. Quatre-vingt-cinq ans, et la jouvencelle que je suis se décrit avec emphase et vanité, dans des phrases sans début ni fin, emmêlées, empruntées, empâtées…

(Pardon, ça me reprend.)

Je suis née dans les beaux quartiers, ne m’en veuillez pas. A l’image de mes robes de silm et surtout de mon masque au faste insultant, mon langage châtié se dote de ce qui plaît le plus à la cour de l’Arbre-Monde, et arbore crânement des mots dorés et des formes alambiquées. Mais rassurez-vous, j’aime ça autant que vous : on me martèle ces formules doctes, et je les trouve aussi pompeuses que ridicules. Une malédiction que de ne m’en pouvoir défaire – de ne pas pouvoir m’en défaire !

(Je me claquerais des fois, tiens !)

Je suis une Princesse, de haut lignage et sous haute tutelle, de celles qui guérissent, douées de magie, celles qui forment dans ledit Arbre-Monde la plus grande Maison. Je suis tout cela, je le suis, et je m’enorgueillis de cela, aux devants, sous les regards inquisiteurs qui me troublent sans que toutefois j’en montre rien : je m’enorgueillis de cela par-devant, et par-derrière je m’en fous royalement.

(J’aime bien plus les bars que les bals.)

Ah… rien ne m’est plus doux que la fréquentation assidue des bas quartiers, obscurs et fascinants, ainsi que des quelques Aldrons qui ne montent jamais aux étages supérieurs. En bas, tout est plus excitant, séduisant, voluptueux, je n’y suis pas cloîtrée ou ligotée, on ne m’assujettit pas mais au contraire on me révère, on se retourne sur mes pas d’Akrilla ô combien pourvue de grâces, j’y puis faire ce que je veux entre les confins extrêmes de la décence, et dans ces lieux croit inexorablement l’arbre des possibles. Point de latence exécrable ou de léthargie détestable : quand au creux des cocons de luxe et de confort je me porte au comble de l’ennui, dans la fange et la boue, et entre les mains des ivrognes, j’exulte de vie. En bas, je ne fais que ce que je veux faire, je ne dis que ce que je veux dire et dans la forme qui me plaît le mieux ; personne ne me connaît, rien ne se peut abattre en infamie sur la Maison de Blaïarice Cahië, sur son honneur que j’ai en devoir de protéger comme ma vie.

(La bonne blague… Rien que de dire ça, ça donne envie de tout envoyer aux chonkras, non ? Moi oui en tous cas. Pas pédagogue pour un yu, ce genre de formules : à retenir pour mon petit.)

- Arodielle Narë !

Cana me sort de ma torpeur de somnambule en laissant s’exclamer avec enthousiasme un nouveau prénom pour le petit être qui mûrit dans mon sein. Ce ne sont, depuis l’annonce de ma maternité, que cacophonies réjouies pour décider à qui trouvera le plus fabuleux, le plus fantastique, le plus fantasmagorique nom pour ce qui n’est, à l’heure où je vous parle, pas plus gros qu’une poussière. Mais celui-ci me plaît bien plus que les autres… oui, pourquoi pas "Narë".

D’un coup, comme si mon esprit avait de lui-même intimé à mon corps de se dégourdir un peu (non mais !) j’étends mes ailes d’un brusque frisson qui projette avec violence des gouttes alentour. Je m’élève un peu de mon trône, et toute l’eau que je portais sur moi s’écoule en une cascade rapide et brillante dans un grand bruit de torrent, ce qui ne manque pas d’affoler les caméristes qui n’avaient jusqu’alors de cesse de tournoyer joyeusement autour de mon corps inactif et insensible. Elles s’arrêtent toutes trois de concert, au milieu de leur vol, et le rire de chacune se fige dans un silence craintif – n’est pas Princesse qui veut… par Gaïa, je sais m’imposer, moi ! Le léger sourire que j’esquisse adoucit mon visage et leur fait concevoir que non, peut-être ne sont-elles pas si idiotes de croire qu’elles agissent en tout point à la perfection (les servantes et leur cerveau ralenti…).

Lélo, à peine quelques années de plus que moi, est la première à reprendre contenance. La stupeur passée, ses yeux noirs s’allument d’un nouvel éclat de gaieté et sa bouche cerise se fend d’un sourire étonnant de blancheur :

- Que Madame daigne se préparer, me dit-elle en avançant de quelques battements d’ailes, car la classe de Dame Ombraelle ne souffre pas de retard. L’enseignement débute dans quelques minutes.

- A cette si douce annonce, une joie immense se glisse en moi et provoque mes larmes.

(Non mais vous entendez ça ?)

Au moment où je prononce ces mots, un fou rire retentit dans mon crâne, pour moi seule. Foutaises, que je pense. Je vois pourtant le visage de Lélo s’épanouir à cette phrase torturée, apanage de la noblesse dont je suis, et qui dit tout le bonheur (fictif) qui m’anime à la pensée du cours si (peu) important pour moi que va me dispenser Cérahe. Il en va de même pour Cana et Céril, qui trépignent d’impatience à l’idée de me vêtir pour que je puisse accomplir la si haute mission qui est mienne : celle de recevoir un enseignement ennuyeux et auquel je vais certainement échouer, comme à l’accoutumée.

Elles s’agitent à nouveau en mouvements gracieux, tant des membres que des ailes. Au quatre coins de la petite pièce ronde dans laquelle nous nous trouvons chaque matin et chaque soir pour mes nobles ablutions de Princesse divinisée, elles se saisissent des appâts qui sont les miens et dont elles m’ont dépossédée, pas plus tard qu’hier à la tombée de la nuit. C’est ainsi que Cana m’emmaillote dans deux couches de silm (un peu transparent, j’en conviens, mais il faut ce qu’il faut, hein) qu’elle drape avec l’élégance qui m’est due. De multiples broches et fibules ciselées, parfaites de breloques carillonnantes, agrémentent les plis majestueux de ma vêture et les maintiennent en place en mêlant joliment l’utile et le futile. Lorsque ma coiffure est dressée, Célir y place en finesse une blanche fleur de chèvrefeuille, dont les fins pistils s’arc-boutent en spirales sur mon front, et qui m’assure de laisser toute la journée sur mon chemin un bouquet de parfums capiteux. Enfin Lélo place sur mes yeux le masque d’iris, qui, œuvre de magie, s’attache à ma peau comme par effet de ventouses.

Parée, il est l’heure pour moi d’affronter cette journée semblable à toutes les autres.

(Youpi.)

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 19 Sep 2010 22:40 
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Chaque pas, vous croyez le faire dans le monde des songes. C’est Yscambielle qui se dresse là, sous vos yeux émerveillés ; et Yscambielle est un palais, avec cent-mille colonnes et cent-mille portes, et autant de chemins, et de lampes suspendues à sa voûte, cité blanche qui brille de tous ses feux sous la fraîche lumière d’un matin de printemps. Radieuse est-elle, car l’or du ciel qui se déverse sur ses murs pénètre avant toute chose le dôme de cristal qui la surplombe, très haut, et toute la cité change d’apparence au moindre nuage qui passe. Les colonnes sont plus fines que des roseaux, et leurs chapiteaux, couverts de sculptures ciselées dans un filigrane d’or. Elles soutiennent tout autour de la ville de grandes arcades qui s’ouvrent sur le vide, baies de lumière qui offrent aux bas-fonds les trésors du soleil. Les chemins sont des rondes autour d’un même centre, réceptacle premier des graciles rayons qui s’écoulent d’en haut. Le sol, ainsi que tous les murs qui ne sont pas les enceintes grandes ouvertes, disparaissent sous la même tapisserie blanche et végétale, œuvre de magie qui se gorge de la moindre lueur pour la rendre dix fois. C’est une Mousse épaisse et moelleuse sur laquelle il est délicieux de poser la peau nue, que ce soit celle du pied agile, de la main caressante, ou du dos qui se repose. Ceci fait d’Yscambielle un écrin d’albâtre frais et agréable dont toute ombre ou toute cachette est proscrite, jetée en pâture à la lumière qui avale chaque recoin.

Si ce n’est pas beau, ça ! Et moi qui me présente devant vous : je ne suis qu’une excroissance de cela – c’est du moins ce que j’ai ordre de faire, être parfaite pour convenir à cette parfaite cité. Elles veulent nous faire croire que rien n’est plus beau qu’Yscambielle, cité noble, cité pure, diamant sous le soleil et sous la lune, havre de lumière qui surpasse les étoiles, qu’il n’y a rien qui s’y puisse comparer exceptée la Maison-de-tous-les-dieux… Et nous y croyons toutes, Aldrones sans passé et sans avenir, qui nous contentons des récits des vieilles Akrillas pour nous faire une idée du monde.

Je suis Cahidrice Aro, et je veux voir ce qu’il y a d’autre.

Tout ce que je sais – qu’il y a d’ailleurs à savoir et que donc vous vous devez de savoir – c’est que toute cette beauté suprême se blottit au creux d’une vieille trogne de frêne. Autrefois un grand arbre plein de splendeur, il a été torturé par les stupides – non, il n’y a pas d’autre mot selon les savantes Akrillas – Hobbits de Shory, et aujourd’hui, pour son malheur, il se voit rabougri et investi. Vielle Ganache ou le Vieux-brun, voilà comment la langue vulgaire le nomme, alors que Mâchefeuille est son prénom, et que dans les nobles bouches court le terme d’Arbre-Monde.

Mais depuis le début de cette éminente tirade, une seule question vous tiraille l’esprit : où donc se trouvent les bas-quartiers et bas-étages dont je vous ai fait tant d’éloges ? C’est vrai, je manque à tous mes devoirs, merci de me le rappeler – vous n’êtes pas aussi idiots que vous en avez l’air. Yscambielle est la Ruche, les hautes demeures des nobles Akrillas, tandis que les faubourgs obscurs et dangereux s’étalent à même la moelle de Mâchefeuille, sous la forme d’étroits chemins de ravins. Beaucoup, beaucoup plus bas que la Ruche, et plus bas encore que l’étage intermédiaire – celui qui est entre tous le plus insipide, étage des ouvrières qui œuvrent de leurs mains et des bergères qui mènent leurs troupeaux pour compenser la stérilité inéluctable de leur sein. Et de là, des "bas-fonds", Yscambielle a en effet la forme d’une ruche incandescente, transcendée d’une lumière ambrée de jour et argentée de nuit, sorte de soleil à moindre échelle, orbe enflammé au creux d’un arbre têtard.

Oui, oui, j’ai bien dit arbre têtard. Ou encore trogne, chapoule, ragosse, trognard… autant de coquets et seyants sobriquets désignant élégamment la demeure, ô combien riche et pure, des reines aériennes que sont les Akrillas et leurs charmantes compagnes Aldrones.

(Non mais, sérieusement, elles se moquent du monde.)

Comment parler de perfection et de pureté quand la Ruche se noie dans une débauche de lumière et que les étages inférieurs, en descendant, s’enfoncent progressivement dans les ténèbres – en plein jour ! Les habitants de ces bas étages ne peuvent que compter sur les maigres rayons qui s’épandent des plaies béantes d’Yscambielle, et usent à défaut de bestioles luisantes, graciles et étourdies, qui promènent leur cul doré un peu partout dans les venelles.

(Fichtre Oudio en culotte courte ! C’est que je serais en retard, par Gaïa ! Trêve de discussions, ou je vais me faire rosser. Cérahe, ce n’est pas à proprement parlé de la crème au beurre. Non, loin s’en faut, je puis vous assurer.)

Bref, cela étant je vous laisse à votre misérable condition de rampants traîne-savates, et je m’envole avec mes multiples grâces d’Akrilla révérée, ailes déployées, plumes murmurantes dans les courants frais de cette matinée, falbalas ondulants comme l’écume douce des rivières qui offre au soleil sa radieuse opalescence…

(Aïeuh !)

- Interdit de voler dans la Ruche !

Alors ça, c’est RAGEANT !

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 19 Sep 2010 23:06 
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Plus vite ! Plus vite, par le saint cérumen de Jerì !

Mon cœur palpite et mon esprit semble se perdre lui-même dans ses propres dédales : ce sont d’étranges sensations de déjà vu qui m’étreignent alors que je talonne en rythme les chemins moussus qui se rapprochent en cercle du centre de la cité. Tout ce qui se révèle à mes yeux me paraît identique à ce qui se trouvait avant, tout est absolument semblable, et je croirais me perdre si je n’avais parcouru cette route autant de fois qu’il n’y a eu de jours depuis mes cinquante ans – âge auquel Cérahe m’a sommée de prendre leçons auprès d’elle (en vain).

Je hâte le pas autant que faire se peut, aidée de temps à autre de mes ailes frétillant d’impatience – ou bien cette amertume qui me noue les boyaux porterait-elle le doux et caressant nom de l’angoisse ? Les yeux de Cérahe sont sur moi, je les sens, ces yeux flamboyants, furieux, féroces, capables de percer murs et corps, et peut-être bien même les âmes des jeunes Aldrydes délétères qui entachent ses vénérables enseignements de retards par trop récurrents – moi seule en fait. Je me sens en sursis, digne que je suis chaque jour du gibet – ou mieux ! du bûcher que son regard lourd de sens allume tous les matins lorsqu’il se braque sur moi, pantelante, chancelante, essoufflée et au bord de l’apoplexie, moi qui arrive en sueurs après avoir couru tout mon soûl pour l’unique plaisir de contempler ses beaux yeux pleins d’amour.

(Je te chéris Cérahe, je te chéris.)

Il est d’usage et de raison universelle que la flatterie et la supplication souvent portent leurs fruits, et j’aime à tenter l’intermédiaire de la pensée les jours où je m’aperçois que l’heure a déjà largement tourné, m’imaginant d’un brusque accès de folie que mon si cher et estimé maître pourrait les écouter et en tenir compte – le pire, c’est que ce ne serait pas si fou que ça.

(Maître, si tu m’entends, adorée que tu es, je t’aime et je prie Gaïa pour ton salut !)

Et plus que de raison mon cœur entonne une litanie funeste : pitié, Cérahe !

Comme les rires de mes caméristes tout à l’heure, les bruits de la ville ne m’atteignent en rien, ne me détournant ni de ma progression physique, ni de mes volubiles déambulations mentales – logorrhée interminable s’il en est. Et pourtant, que de chants et de clameurs joyeuses ! Sous les orbes de bois suspendues dans les airs, demeures exquises des nobles Princesses Akrillas, les Aldrydes aux ailes emplumées et aux habits d’une richesse aussi vaine qu’ostentatoire se plaisent à faire des rondes de danses gracieuses, célébrant sans doute de leur corps et de leur voix l’épanouissement délicat d’un printemps attendu – enfin, qu’est-ce que j’en sais, moi ? Rien, je m’en fous. Oui, les Aldrydes – dont malheureusement je suis – ont une nature joyeuse.

Et naïve.

Et niaise.

Surtout les plus jeunes, et celles qui n’ont pas dans leur giron eu le privilège immense et l’insigne honneur de concevoir un petit être qui perpétuerait la niaiserie de ses pairs – de ses mairs ? Heureusement que je me suis dotée d’impénétrables remparts spirituels (spiritueux ?) car sans eux, je serais capable de vomir : tant de mièvrerie à une lieue à la ronde, c’est écœurant, non ?

Je joue des coudes et des hanches pour m’extraire d’un cercles de danseuses ravies qui m’avaient prise pour l’une des leurs. (Non, non, pas moi, non. Merci… Ou pas.) Ceci me paraît d’un si grand ridicule de s’enchanter de menus plaisirs, matériels au possible, alors que la vie dans Yscambielle recèle tant de défauts qu’il nous faudrait combattre. A ces enjouées de nature, j’ai envie de dire « réveillez-vous, ignares que vous êtes ! » Aucune d’entre elles ne se demande pourquoi ou comment, ou encore dans quel but Yscambielle est ce qu’elle est : pourquoi sommes-nous contraintes et résignées dans une cage dorée, comment sommes-nous arrivées à nous confiner au cœur de tant de règles protocolaires aussi astreignantes qu’illusoires, dans quel but marchons-nous au pas, guerrières que nous sommes, armées de pied en cape alors qu’aucun ennemi n’a pointé le bout de son nez depuis la création de l’Arbre-Monde ? Autant de questions qui se bousculent dans ma propre tête, en se cognant les unes aux autres et contre mon encéphale accablé.

(Par tous les charmes de Kübi, c’est donc si compliqué ?)

Et j’aimerais que ce ne le soit pas, j’aimerais le leur dire, et les faire raisonner comme moi-même je raisonne – non pas que je sois un modèle à suivre, mais ceci me semble plus important que cela. Ai-je donc tort, et m’enorgueillis-je donc de quelque chose qui ne devrait que me faire rougir de honte ?

Ah, mais encore une fois, il est temps de cesser mes piailleries immanentes et sans fin : déjà le foyer de Cérahe apparaît dans l’horizon et croît inexorablement sous mes yeux, alors que je m’en approche avec célérité. Je vous le donne en mille : c’est l’une des plus grandes et l’une des plus riches demeures de la cité, car bâtie au cœur d’Yscambielle, elle baigne dans une luxure de lumière dorée qui révèle à ceux qui seraient suffisamment aveugles pour ne pas les voir les dentelles minutieusement ciselées dans le bois vivace et la Mousse. Quelques traces d’or subliment encore si cela se peut la large bedaine de la maison – n’y a-t-il rien que l’on puisse offrir aux plus nobles Akrillas, Guérisseuses de surcroît ?

Arrivée à l’entrée ayant pour toute porte des tentures de riche étoffe aldrydique, j’époussette ma robe d’un revers de main et redresse ma coiffure de l’autre, essayant si possible de reprendre contenance et dignité. Alors que je tente de défaire promptement un nœud, qui s’est formé avec les quantités de pendeloques qui tiennent ma vêture en place, j’entends un toussotement plus irrité que gêné. Avec un découragement manifeste, je relève la tête, sans même oser ouvrir les yeux que je plisse d’appréhension, m’apprêtant d’ors et déjà à affronter le regard courroucé de mon maître de magie… et effectivement :

- Bienvenue, Aro. Nous ne t’attendions plus.

Elle s’élève de sa haute stature, avec toute la majesté inhérente à son personnage princier, et me toise avec une exaspération emphatique. Ses grands yeux gris semblent des épées prêtes à me transpercer de part en part, et ses poings durement serrés fondent l’idée selon laquelle elle pourrait à tout moment s’emporter et me gifler sévèrement. Les gracieux drapés de sa chasuble de silm laissent apparaître une belliqueuse cuirasse d’un profond vert irisé, travaillé à partir d’élytres de scarabée, et qui luit farouchement en écho au courroux de celle qui la porte – la teinte vermeille que prend la broigne à de menus endroits laissant imaginer le sang que sa porteuse a dû faire maintes fois couler. Sur son épaule, ainsi protégée d’imparables attaques, glisse une large tresse à quatre brins qui se déroule presque jusqu’à ses pieds. Une infinité d’hivers a saupoudré sa chevelure de neige, et aujourd’hui elle a l’éclat de l’argent – le même argent qui couronne sa tête, tiare étincelante dans le matin et ornée de jeunes boutons de muguet (mais n’allez pas croire qu'il s'agisse là de l'illustration d’une profonde tendresse refoulée. Non, non, loin de là). Arrêtons-nous enfin sur sa main gauche qui empoigne avec rudesse son bâton de mageresse en puissance : d’une dizaine de pouces plus haut qu’elle, il est taillé dans une brindille vermoulue autour de laquelle s’entrelacent tant et plus de brins d’herbe et de petites feuilles alourdies de vieillesse – des plus rudimentaires, convenons-en, s’il ne se parachevait d’une sphère cristalline habitée de trois acrobates ailées au derrière rayonnant, que la haute noblesse aldrydique s’évertue à ne pas nommer lucioles (un nom pour le moins vernaculaire et populaire, entendez-le bien, et qui serait affreusement discordant dans la bouche d’une aristocrate).

C’est ainsi qu’elle me domine du haut de ses dix pouces et demi – deux têtes de plus que moi en somme – et je sens que je vais y passer.

(Adieu, chers amis. Je vous ai bien aimés.)

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 26 Sep 2010 17:22 
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Vous, hé, lecteurs ! Soyez saisis de me voir, ainsi recroquevillée contre les colonnes dorées, sous les arcades rutilantes qui restent bouche-bées devant le néant des bas-fonds – apitoyez-vous sur mon sort, moi, princesse Guérisseuse aux multiples appâts, qui, les yeux rivés sur les arcs-boutent soutenant Yscambielle et les ogives ciselées qui en tiennent la voûte, songe au désespoir dans lequel elle se voit plongée sur l’heure.

Le soir achève de tomber, et l’argent de la lune suinte sur les parois, sur les visages qui surviennent devant moi et sur les vêtures encore ; mais dans les yeux des passantes au contraire, c’est un feu écarlate qui flamboie à ma vue. Mais, quoi ? Je n’y suis pour rien, moi ! Et lorsque je vous aurais expliqué, mes bons amis, mes lecteurs, vous approuverez, et vous me défendrez sans doutes et sans suppliques contre les infâmes bourreaux qui font de moi leur condamnée.

L’Etoile de la ville est morte. Je l’ai éteinte. Comme j’ai éteint tant d’autres étoiles aujourd’hui.

Par où commencer ? Et comment raconter cela pour que vous ne me haïssiez pas à votre tour, que vous ne vous forgiez pas, comme toutes les autres, une idée erronée et hostile de moi ? Débuter mon récit là où vous me laissâtes naguère, au matin de cette funeste journée ? Devant la demeure si peu austère de Cérahe ? Alors ce seront de biens courtes phrases qui vous décriront cela, car si vous devez en avoir un aperçu, vous vous lasserez vite de ces leçons pénibles.

J’entrai dans la maison de mon maître de magie, accablée que j’étais sous son regard incisif, et penaude (un peu, point trop n’en faut) de l’avoir une fois de plus outragée par mon retard. Tous les regards à mon arrivée se tournèrent à mon endroit, et ils étaient comme toujours emprunts de paresse, de suffisance et d’une malignité féroce. Des Princesses, en somme. Très tôt, nous prîmes place, assises au sol comme à l’accoutumée et en lignes équilibrées et parallèles, une tablette d’écriture sur nos jambes croisées et une plume légère grattant le souple vélin des mots très doctes de notre tutrice. Puis après le cours magistral vint l’heure des prières en pratique, mots de magie mandés de notre mieux à notre Mère, notre aimée Gaïa, chants de lumière pour qu’en nous, et à travers nous, jaillît sa divine Lumière. Et j’aime mieux vous avertir : je ne suis pas douée ; dotée peut-être, car Cérahe a vu en moi dès mes primes années la vertu de Gaïa, mais c’est à se demander si tout ce temps elle ne s’est pas illusionnée.

J’ai conscience, et nous avons toutes conscience, tant grâce à notre vue que grâce à notre toucher, de mon pouvoir, don si faible et pourtant bien là, souffle salvateur et régénérateur envoyé par Gaïa notre Mère. J’ai toujours su panser d’un simple battement de cils, mais rien de plus noble. Nombre des filleules de Cérahe sont passées sous sa main experte, dès leurs cinquante ans, et puis elles sont parties ; et moi je reste, n’ayant toujours pas montré de talents. Et c’est aussi pour cela que je n’envisage plus ses leçons que comme de barbantes heures durant lesquelles je ne peux même pas rester éveillée, pour cela que je ne peux pas un seul jour me présenter devant elle à l’heure prévue.

Mais, entre tous, ce jour-là fut bien le pis, je peux vous en assurer.

Aujourd’hui, étrangement, Cérahe décida de changer nos habitudes à toutes, mais en particulier et avant tout – pour mon malheur – les miennes propres : aujourd’hui, elle me fit boire de la magie, acte dont j’ignorais tout et même jusqu’à son existence. Comment peut-on décemment penser voir de la magie matérialisée ? Je me l’étais toujours représentée comme l’énergie intrinsèque d’une personne, comme des battements de cœur, ou bien des idées fulgurantes dans l’esprit, mais il semblerait que l’opinion commune la compare davantage au pourpre sang qui s’écoule dans les veines. Et ce que je me suis dit, lorsque Cérahe s’est présentée devant moi avec dans sa délicate et implacable main le noble fluide dont elle venait de m’instruire ?

(Alors c’est ça ? C’est de la magie, tout juste bonne à stagner dans une flasque comme l’eau nauséabonde d’un marécage ?)

Quoi qu’il en soit, je vous entraîne maintenant dans le sanctuaire de Gaïa, qui se trouve attaché à la demeure de mon maître ; et à ce moment-là, le moment que je relate ici et qui me donne le dégoût de ma propre existence, à ce moment-là donc brûlait de l’encens aux pied de la haute statue dorée de la déesse. Tout était bercé de lumière, ainsi qu’il sied à un lieu lui étant dédié, et à l’instar de chaque jour le frémissement éteint des bourdons sacrés nous enveloppait au point que l’on ne l'entendît plus. Je me sentais entraînée par tout cela, le rite quotidien qui mène d’ordinaire les pratiquantes à une sorte de transe leur permettant de libérer toute la puissance de leur théurgie, mais dont, moi, je ne peux retirer qu’un plaisir charnel. Nous étions en recueillement, pour Gaïa notre Mère à qui nous vouions des prières ancestrales, lorsque Cérahe m’apporta cette flasque ridiculement petite, faite d’ailes de libellule opalescentes, et de laquelle émanait une douce lueur, une aura, un charme étrange et d’une pure beauté. Cela me trouble encore de l’évoquer, que ce soit en paroles ou en simples pensées, car j’ai alors senti mon cœur cesser de battre un court instant tandis que mon sang et tout mon être, cette énergie indescriptible qui figure en chacun de nous, paraissaient se languir et se tortiller d’une chaste impatience. Un sentiment singulier et mémorable, de cela seulement je puis être certaine, et vous de même. Et que dire alors de l’instant ou je l’ai absorbé ?

On ne peux sciemment dire que je me sois impliquée : ma voix était alors absolument passive, et mes yeux contemplatifs voyaient sans que je m’interposasse le fluide merveilleux s’avancer vers moi, comme doté d’une volonté propre. Il était pourtant toujours dans sa flasque aileuse, entre les mains de Cérahe, mais rien ne pouvait plus me toucher que sa douce lumière. C’était comme si tout mon corps n’avait attendu que ça, comme la vierge attend l’étreinte – un désir ardent pour une chose dont on ignore jusqu’au nom.

Cérahe ôta le capuchon de la flasque, et alors la magie s’enfuit et envahit toute la pièce. C’était une colombe d’or et d’azur qui déployait devant moi ses ailes sans ombres, toute entière faite de brumes dorées et brillantes comme les astres dont est peint le ciel ; et dans son œil clairvoyant rien ne se pouvait percevoir d’autre que de la bonté. Fine comme une calligraphie, petite comme ma main, elle se mouvait avec une grâce inouïe que jamais, pour sûr, je ne pourrait un jour rencontrer de nouveau.

- Voyez-vous ainsi que je le vois ce prodige de Gaïa ? Voyez-vous la beauté de cet oiseau de lumière ?

J’étais absorbée dans la contemplation, et ceci n’était pas adressé à mes comparses, ni même à mon maître de magie, car rien n’existait d’autre à cette heure bienheureuse que la colombe fabuleuse qui s’était évaporée de la flasque de Cérahe. Vous-mêmes, sans vous offenser, n’étiez plus rien à mon esprit. Et pourtant j’avais prononcé ces mots à intelligible voix, d’où la réponse de mon maître :

- Cesse tes simagrées, Aro, et daigne pour une fois agir sans humour et sans contrefaçon.

Je n’entendais rien à ce qu’elle me disait là, et même d’ouïr simplement sa voix dans les limbes charmeuses où je me trouvais engloutie me bouleversait et me dérangeait comme dans un songe. Un battement de cils, et le formidable oiseau de lumière avait disparu : seul subsistait dès lors le fluide dans sa flasque, mais toujours le même fourmillement d’impatience dans tout mon être.

J’en bus une infime gorgée et j’eus souhaité que cela ne se finît jamais.

Extatique. Orgasmique. Ouah.

Et même, je me pâmai et m’évanouis sur l’heure, dans de grands élans de spasmes sporadiques qui me secouèrent au sol – à ce que m’ont plus tard conté Cérahe et ses élèves. Bientôt, alors que j’étais dans un état d’inconscience dont rien ne me revient en mémoire, des filets de lumière coulèrent de ma bouche, de mes yeux et de mes oreilles, et même le long de mes cuisses. Subsistent encore alors que je vous parle de longues traînées d’or blanc sur ma robe, dans mes cheveux et sur mon masque, ainsi que sur la peau de mon front, de mes joues, de mes mains… Alors qu’à présent elles ont perdu toute leur divine lueur, dans le sanctuaire de Gaïa au contraire, elles émanaient une force cosmique et je me trouvais transcendée par elles, tout comme la Ruche est transcendée par la lumière de notre vénérée déesse. Mon masque tomba, et la terreur saisit une à une toutes celles qui assistaient à la scène, car les entrelacs sinueux qui cisèlent le pourtour de mes yeux s’embrasaient d’une lumière aveuglante – et en effet, maintenant que j’en parle, il me semble avoir ressenti une brûlure légère.

Je me réveillai lentement, et dans la léthargie où je me trouvais plongée, il me sembla que l’ombre et les ténèbres cherchaient à mettre en cage la divine colombe qui demeurait à mon esprit – dans un état de démence absolue duquel je ne me remémore rien, je commis l’irréparable. Fouillant au fond de mon être pour en retirer la substance nécessaire à ma survie, je libérai de mes mains aux doigts irradiés toute la lumière dont je me voyais investie.

On raconte que les rayons de lumière qui jaillirent alors, originellement plutôt faibles – comme l’on se l’imagine d’une si piètre mageresse – muèrent au contact des murs, et, se répercutant à l’infini et traversant tant et tant de vitres convexes et concaves, démultipliés enfin jusqu’à un paroxysme effroyable, vinrent à briser sans appel la majestueuse coupole dominant la cité en millions d’éclats, dans un atroce fracas de verre, et dans un hurlement commun de lamentations.

L’Etoile d’Yscambielle est morte. Je l’ai éteinte. Le cadeau des Elfes, si pur et si beau, naissance même de toute la magnificence de la cité, j’en suis l’assassin, et depuis lors toutes me lancent des regards outragés, apeurés ou éplorés.

Dans la foulée, je brisai également l’orbe délicieux du bâton de Cérahe, et sans plus attendre les lucioles qui y étaient retenues bon gré mal gré prirent leur envol, et on ne les revit plus. Je ne comprends pas que ma magie ait pris une telle forme, un tel élan destructeur et une telle force formidable, alors que je ne suis rien parmi les mages. Je ne sais si les Hobbits de Shory ou les géants des Terres-Enormes auraient eu la même puissance que moi, mais j’ai à l’esprit la petite taille de tout ce qui m’entoure, comparé aux demeures énormes des êtres énormes de là-bas.

Là-bas. Là-bas… Ailleurs.

J'y pense depuis longtemps, à cet ailleurs lointain. Moi qui voulait tant voir le monde pour m’en faire ma propre idée, le détacher des a priori que nous donnent les savantes, ne serait-ce donc pas l’instant ou jamais ? Tandis qu’ici rien ne me tient plus, et que l’on m’observe d’un œil plein de honte et de haine, que je suis plongée dans la plus sombre opprobre, là-bas, c'est un monde vaste dont les habitants ne me connaissent pas. Je pourrais prendre la route avec pour seule compagne la lumière ubiquitaire de Gaïa, célébrer son culte partout où je passerais, et manger tant et plus de magie que je serais capable d’en maîtriser le flux… et en faire quelque chose de bien.

Noble de cœur, et non de fortune.

(C'est une idée. Et maintenant, si on se prenait une cuite ?)

Fêter ensemble cette projection qui me libère de ma cage dorée tant honnie. Et fêter également, pourquoi pas, ma capacité révélée de faire de la magie : quand on y pense, ce jaillessement de lumière, cette magie, pourquoi n'en serais-je pas capable à nouveau ? Car après tout, aidée de cette mystérieuse colombe d'or...

Bien, célébrons ensemble tout cela. Et accompagnez-moi dire au revoir, fêter comme il se doit mon départ d’Yscambielle qui fut toujours ma maison, toute fielleuse et mièvre qu’elle soit ; mais dire au revoir également à l’Etoile, la vraie Etoile qui gouvernait mon cœur, l’oiseau de lumière qui eût pu un jour jaillir de mon sein comme une lumière plus pure et plus belle qu’aucune lumière de Gaïa, l’être qui par sa mort rend mes larmes intarissables : chers amis, accompagnez-moi, je vous en prie, faire mes adieux à l’enfant qui naissait dans mon sein, et qui, aujourd’hui, n’est plus.



Interlude musical.

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Sam 2 Oct 2010 19:02 
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Fraîche matinée de printemps : fraîcheur de l’air, une brise légère qui envole les feuilles dans un bruissement doux, et aussi fraîcheur du ciel, au bleu inondé de lumière. Tout est clair, pastel, tendre. La rosée fait scintiller les fleurs, les feuilles et l’herbe sur le sol, et ce sont autant d’émeraudes qui luisent sous le soleil. Nous sommes en forêt, et la terre embaume une fragrance humide, l’humus, l’écorce, la canopée nouvellement éclose. Un souffle de vent, et le monde frissonne. Le monde : un dôme d’un splendide camaïeu de verts, vert doré par les rayons de l’aube, vert sombre sous les ramures, verts des mousses et des lichens disparates.

(Impossible de croire à tant de tragédies en un lieu aussi enchanteur, n’est-ce pas ?)

Cela fait longtemps que je ne vous ai pas vus, lecteurs attentifs et attentionnés, vous qui ne m’avez pas abandonnée. Deux, trois jours, peut-être, ou bien même une semaine, qui sait ? Le temps comme le reste est une comédie. Vous vous souvenez de moi, Cahidrice Aro, princesse Guérisseuse, exilée de son propre chef de la cité qui faisait sa demeure – comme le soleil quitte l’horizon avec l’aurore – après de nombreuses heures de doutes et de peines dans les dédales de la Ruche, à présent à ciel ouvert, sous les yeux courroucés de celles qui me croisaient.

A présent l’Arbre-Monde se dresse devant moi, Mâchefeuille, vieille trogne de frêne au creux d’une clairière, brun et tortueux, noueux et chauve, tâche sombre sur une toile d’or comme une éclipse au beau milieu du jour. Pourquoi donc les Hobbits se sont-ils acharnés à le torturer, lui et aucun autre ? Comme moi, il est solitaire et sans but, cimetière d’un monde qui meurt.

Juchée sur une branche, adossée au tronc d’un arbre anonyme à l’orée de la clairière, je le contemple, le vieux Mâchefeuille, et je lui dis adieu. Tout comme j’ai dit adieu, dans de longues nuits d’ivresse, aux bas-étages qui lui taillent le flanc, tout comme j’ai dit adieu à ma mère, qui ne me connaît plus et qui pleure son enfant qu’elle préfèrerait morte, tout comme j’ai dit adieu, enfin, à ma tutrice Ombraelle Cérahe.

Avant que je ne parte, connaissant ma décision, elle ne m’a pas blâmée ni rossée, et elle n’a pas non plus posé sur moi ce regard qui me suit depuis quelques temps, où que j’aille, le regard qui me fait sentir de trop, le regard qui me désunit de mon peuple, le regard qui me fait comprendre ma monstruosité. Non, non, au contraire : rien de tout cela, mais elle tint à me faire don, avant que je ne disparusse, d’une flasque du fluide si précieux. Pour la première fois, je vis son visage s’éclairer d’un léger sourire, à peine esquissé et contrit, mais tout de même, et je n’oublierai jamais ces mots qui illuminèrent mon cœur l’espace d’un instant :

- Tu feras de grandes choses, Aro.

Une œillade appuyée et lourde de sens comme elle sait si bien les faire, et elle me tourna le dos dans un claquement de silm, avec la grâce et la noblesse qui sont les siennes. Et je sus que de ma vie je n’aurais d’espoir de la revoir. Me voici donc, à peine partie et déjà regrettant ce que longtemps je n’eus de cesse de condamner ; car aujourd’hui me voilà seule et plus que jamais plongée dans le désœuvrement, alors que l’isolement, entourée de mon peuple, me semblait supportable. D’autant plus que la solitude m’atteint au plus profond de moi-même. Quand bien même je ne me souciais que peu de l’enfant qui naissait dans mon sein, il m’apparaît aujourd’hui que j’y tenais bien plus que je ne le pensais. Aujourd’hui je suis capable de magie, et hier, j’étais mère.

(Chut, chut, chut… ! On pense à autre chose, Aro !)

Je baisse les yeux. Comme ça, vous ne verrez peut-être pas que des larmes les embuent.

Entre mes mains, tout ce qui demeure de mon ancienne vie : mon écoscarcelle, une bourse en cosse de petit pois alourdie de tout l’or que j’ai jamais possédé, et à côté d’elle, une flasque en aile de libellule qui ressemble tant à celle qui a provoqué tout cela, une flasque dans laquelle vivent la lumière de Gaïa et la divine colombe d’azur et d’or qui m’offrent l’attribut de ma déesse. Et à présent, il me faut trouver un endroit fabuleux afin que puisse se libérer au mieux ce fabuleux fluide, un endroit de poésie et de mystère, ainsi qu’il sied à quelque chose d’aussi merveill…

- Rahhh ! Mais !

Mais qu’est-ce que c’est que ça ?! Ce bourdonnement plus qu’agaçant dans mes oreilles !

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Dernière édition par Cahidrice Aro le Mer 6 Oct 2010 20:21, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 3 Oct 2010 15:49 
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… plus qu’agaçant, oui, et même chiant par toute la morve de Jerì !

Moquez-vous de moi, allez-y, alors que je me tortille en tous sens pour savoir d’où vient cette rumeur nuisible. Un coup d’œil à gauche, des feuilles, un coup d’œil à droite, des feuilles là encore, et il en est de même au-dessus de ma tête et derrière mon dos : rien en somme, rien qui puisse m'irriter à ce point. D’autant plus que plus j’en poursuis l’origine, plus ce sourd bourdonnement semble s’amplifier, comme les Guêpes guerrières de Phaïtos le Maudit se multiplient avec leurs caractéristiques vrombissements funestes dans les contes aldrydiques…

Oh, non ! le voilà qui vient me chercher pour me mener dans le monde des Morts !

(Gaïa, par pitié, je suis trop belle pour mourir !)

Ce n’est plus l'exaspération qui me tient désormais, mais une peur qui se fait grandissante. Je préfère clore les yeux, et même m’envelopper entièrement de mes ailes duveteuses, et ainsi plongée dans la nuit la plus profonde il me semble que rien ne peut plus m’atteindre, à l’instar de l’enfant à peine plus vieux qu’une larve qui s’imagine protégé de celui qui le cherche en posant simplement ses mains sur ses paupières. Le plumage caressant de mes ailes m’offre un univers douillet, ouaté et chaud, et je prie pour que cela suffise, qu’un charme se produise en quelques secondes et que le bruit cesse lorsque je rouvrirai les yeux. Mais avant même que j’ai pu déplier mon cocon protecteur, la monstrueuse vibration résonne plus près encore de mes oreilles, à l’intérieur même de ce monde éphémère que forment mes ailes.

(C’est ma peine pour avoir fait subir tant de troubles à mon peuple… La damnation de Phaïtos !)

J’ose à peine desserrer les paupières, mais au moment où elles s’entrouvrent je m’aperçois que ce n’est plus l’ombre qui envahit le cocon que je me suis créé, mais une faible lueur… et même trois faibles lueurs qui se meuvent avec agilité et diligence tout autour de moi dans un tumulte digne de l’Enfer. Pourtant, quels sont les Enfers qui envoient aux vivants des êtres de lumière, qualité de Gaïa ? Cela ne se peut concevoir, et ma peur ridicule et dont vous pouvez rire, intrigants que vous êtes, s’envole à mesure que mes ailes se délient. Alors le jour inonde mon champ de vision, l’univers recouvre son or et sa verdure, et dans les airs à la fraîcheur exquise en ce matin de printemps, je comprends et je m’ébahis :

- Gaïa, sainte Mère…

Me voici avec ma mère, ma tutrice et ma déesse, toutes trois figurées sous mon regard ébaubi en trois créatures que vous comme moi connaissons bien, et que par deux fois déjà j’ai évoqué dans mon récit. Trois petits êtres graciles et étourdis, trois petits êtres au cul anobli par Gaïa elle-même, trois lucioles voletant gaiement en circonvolutions acrobatiques.

Trois, vous avez entendu, vu et lu comme moi ? Trois. Ne serait-ce pas là la suite luisante qui demeurait dans l’orbe du bâton de Cérahe, et que je libérai en usant pour la première fois de mes dons de magie, ce même jour où malheureusement je brisai l’Etoile d’Yscambielle ? Cela ne se pourrait pas… qu’elles m’aient suivie ?

(Haha ! Aro, cesse ces affabulations ridicules !)

Et pourtant voici que l’une d’entre elles se pose sur mon épaule, je la repousse aussitôt d’une vive chiquenaude, une autre prend place sur ma chevelure structurée en boucles d’or, je secoue le chef avec vigueur pour la faire fuir, la troisième se love sur ma cuisse, et là c’en est trop.

- Laissez-moi, stupides glaires de troll !

Je déploie mes ailes et me laisse glisser de ma branche, tête la première, et je sais que je vais semer les vers-luisants en quelques secondes. Je ne m’en préoccupe même plus. Il n’y a plus que moi, et ce plongeon aérien m’emplit le cœur d’allégresse, tandis que mon esprit se perd dans l’évanescente apparition de ma liberté retrouvée : en vol, rien n’existe plus que le plaisir immense de sentir le sifflement de l'air frais épouser les courbes de mon corps, et de voir ondoyer le silm qui me vêt ; plaisir animé également par l’action voluptueuse de mes muscles dorsaux qui, se tendant et s’allongeant en cadence, meuvent avec grâce les ailes qui me portent. Plus de bourdonnements, non, plus de vrombissements sinistres, mais le seul chant des plumes soyeuses. Je me laisse planer un instant sur les courants chauds du sud et me délecte de ma toute-puissance…

- WOOOHHH… !

... mais les lucioles s’interposent devant moi, et je ne vois plus rien ! Je perds mon équilibre et des courants contraires me font vaciller, dans un tourbillon de plumes qui me rapproche dangereusement du sol, et je sens que je vais m’éclater comme une pomme trop mûre tombe de son pommier et se transforme en compote. Et moi d’ajouter avec éloquence :

- AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !

D’une roulade virtuose (que je m’aime, décidément !) je me rétablis à seulement quelques pouces du sol, alors que je m’apprêtais déjà à voir ma cervelle se répandre et se mélanger à l’humus après que mon crâne se fut fracassé sur un caillou pointu affleurant de terre. Deux battements d’ailes et me revoilà volant en vainqueur avec le port altier qui est le mien et qui me rend si princière. Cependant rien n’est moins gracieux que l’ire qui obscurcit mon œil alors que les lucioles se trémoussent joyeusement autour de moi. Mes mains claquent dans l’air en poursuivant ces petites verrues dorées, que je souhaiterais voir s’éclater en contrebas.

(Vengeance !)

Soudainement, un éclair de génie zèbre le ciel de mon esprit, pourtant déjà par trop lumineux et baigné d’une intelligence et d’une perfection admirables.

(Et si je sortais mon coutelas ?)

Oui, si vous êtes un tant soit peu attentifs, vous aurez remarqué que dans la très riche description que je vous ai faite de moi-même, j’ai glissé une ou deux occurences de l'arme blanche dont je ne me dépars jamais, toute lointaine qu’elle soit de mes intentions pures de princesse Aldryde noble et délicate. Néanmoins, je vous ai aussi dit que je ne suis ni humble ni effacée, et encore moins délicate, ce qui dénoue ce vaste embarras en moins de temps qu’il n'en faut pour dire non d’une crotte d’Aldron macérée.

Oui, en effet, je dispose entre tous mes effets personnels, emportés de ma prospère résidence d’Yscambielle – ou devrais-je dire de mon ancienne résidence, mais là n’est pas la question – je dispose, donc, d’un coutelas offert – comme bien des choses, convenez-en – par mon cher Maître de magie. C’est un outil absolument indispensable, et il n’est pas même question d’espérer penser à omettre d’en posséder un ! En effet, quelle Guérisseuse digne de ce nom pourrait se passer d’un tel accessoire quand sa mission première est de soigner ? Entendez bien que nous usons peut-être de phaïnomancie, mais avant tout de plantes médicinales, et se nantir d’un coutelas-décapiteur-de-plantes-médicinales est simplement essentiel. Aussi, concocter onguents et élixirs n’aurait nul secret pour moi, ni pour mon outil si précieux, si j’avais une seule et unique fois daigné prêter attention aux enseignements doctes que nous donnait Cérahe.

(Mais bref, revenons à nos chonkras.)

C’est donc dans un brusque élan inspiré et toujours aussi gracieux que me voilà arrachant mon coutelas de son fourreau en coussinet digital lupin – coutelas quant à lui taillé dans un croc du même animal horrifique et maléfique, lui qui, inconsidérée et inconsciente bête, avait cru bon d’attaquer Cérahe lorsqu’elle n’était qu’une jeune Akrilla, mais déjà aguerrie à la pratique magique. Et là, force m’est de dire que c’est un ustensile magnifique : la lame d’ivoire, affilée comme si elle était faite de métal, brille singulièrement du mauve pâle que prennent les fleurs de digitale sur le déclin, et s’empenne dans une garde d’argent ciselée avec minutie. Lazurénahe est son nom, et les lettres aldrydiques qui forment le mot luisent le long de sa ligne comme autant d’étoiles radieuses.

(Mais là encore, je m’égare. J’ai dit : revenons à nos chonkras !)

Arme en main, j’entame de larges mouvements pour atteindre du mieux que je peux les petites fientes dorées qui voltigent prestement autour de moi. Néanmoins, il y a un détail que j’ai omis d’ajouter à ma clairvoyante conjecture : c’est que, précisément, elles voltigent prestement autour de moi.

Essayez donc d’avoir des lucioles avec un couteau, vous m’en direz des nouvelles !

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Dernière édition par Cahidrice Aro le Dim 10 Oct 2010 00:43, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Ven 8 Oct 2010 16:26 
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(Comme hacher menu des flocons de neige qui tourbillonnent.)

Malgré tous les soupirs de ma pauvre lame d’ivoire alors qu’elle danse dans les airs, rien ne semble y faire, et les lucioles n’entendent pas me défaire de leur incommodante compagnie. Et pourtant je me dote à chaque instant de toute la force, toute l’adresse et toute l’ingéniosité dont Gaïa m’a par bonheur favorisée. (Haha.)

Bien, pour sûr je sais ce qui traverse vos esprits pernicieux : que de mal se donne-t-elle, et à quel ridicule se réduit-elle pour de simples lucioles qui ne sont capables d’aucun mal ! Pourtant non, ceci ne relève pas d’un simple acte de folie, n’allez pas déjà me lier les mains et me mettre en cage, je suis saine d’esprit – du moins, il me semble. Non, quand je disais chiant ce n’était pas un vain mot, et, du bourdonnement intempestif dont les vers-luisants sont l’origine, l’adjectif a glissé sur eux : leur existence même m’assassine ; ils me harcèlent, me crispent, m’irritent par leur simple présence !

Quand l’un me vrombit dans le creux de l’oreille, un autre engage une attaque ailée dans le coin de mon œil, et lequel ne s’est, durant les quelques minutes qu’a duré (pour l’instant) cet affrontement affreusement sanglant (!) perdu dans les minutieuses arabesques de ma coiffure ? (Question de pure rhétorique : ne prenez pas la peine d’y répondre, vils que vous êtes.) Je me sens traquée, pourchassée, aiguillonnée de toutes parts !

C’est la raison pour laquelle je vole aussi vite que je peux, alors qu’alentour le paysage défile dans un continu miasme vert et or dont tous les détails ont disparu. Je louvoie adroitement entre les arbres qui se dressent sur mon chemin et qui, eux, ne sont pas des détails. Parfois, une brindille pour le moins perverse m’érafle la peau sans que j’ai eu le temps de la voir, mais qu’importe, un souffle à peine, une prière à ma déesse, et mon derme recouvre sa splendeur initiale. Le fait est, en tout état de cause et pour mon plus grand désarroi, que les vers volants me suivent sans peine, et même me dépassent et tentent avec malice de se jeter sous mon masque et dans tous les orifices dont mon visage est percé. Bouche et narines n’y coupent pas, mais j’aurais préféré vous épargner ce détail (une luciole, ça ne sent pas très bon) car elles s’y tordent avec la frénésie qui caractérise leur espèce, leurs ailes frétillant, jusqu’à ce que je les en déloge.

Et tout ceci, je dois l’avouer, n’est pas aisé – bien que je sois d’une habileté sans nom : la main gauche empoignant le coutelas, la main droite tentant de conserver un semblant d’équilibre, tout le corps tendu en avant dans le vol et en même temps alourdi par l’écoscarcelle et la flasque de fluide qui pendent présentement à ma ceinture…

Vous m’admirez, ne dites pas le contraire.

Mais passons, nom d'une anacoluthe invertébrée ! Mes ailes battent avec ardeur alors que je m’empresse de fuir. Je glisse un regard par-dessus mon épaule, et quelle n’est pas ma bêtise ! Mes yeux alors rivés à l’arrière, je n’aperçois que trop tard l’obstacle qui s’érige devant moi et contre lequel je vais bientôt m’éclater : un chêne, large et massif, roide et rugueux d’apparence, aux ramures épaisses et drues. (Ah ! Une description dans un moment pareil, quelle sinistre hérésie !) Lorsque je dirige de nouveau mon visage vers l’avant, je ne suis qu’à une dizaine de pouces de l’écorce âpre et gravée de sillons, et vraiment en mauvaise posture – preuves en sont mes yeux écarquillés de frayeur. Je déploie mes ailes avec une vigueur accrue pour me tirer de là, et c’est en rasant la gangue râpeuse que je me catapulte aussi haut que possible ; un élan en arrière, et l’occasion m’est donnée de contourner le chêne sans crainte d’un quelque nouveau péril. Remarquez que mon souffle s’est un bref instant arrêté et que mon cœur a vivement crapahuté dans ma cage thoracique : mon estomac remué porte les séquelles de cette mésaventure, et je regorgerais sûrement mon dernier repas si je n’étais pas si exaspérée et si pleine de rage.

(Ces maudites bestioles veulent ma peau !)

Ah ! Mais… ! Elles ne me traquent plus… ou mes yeux sont-ils abusés de quelque sortilège ? Non, par ma vie ! J’ai beau considérer avec une attention décuplée ce qui se trouve alentour, rien de comparable à ces lucioles enragées, et même la frénésie bourdonnante de leurs ailes ne m’interpelle plus.

- Gaïa, sainte Mère…

Débarrassée ! Si seulement je pouvais me trouver débarrassée d’elles ! Je ralentis et je profite du paysage qui défile avec moins de célérité, et bientôt me voilà faisant du sur-place pour m’assurer que, vraiment, elles en ont fini de me pourchasser comme une proie. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, dans un furieux fracas digne des chants de guerre, et tout mon corps résonne en échos à ces coups cadencés : mes tempes, ma gorge, mes doigts même, je perçois partout ces heurts impétueux. Ce nonobstant, force m’est de constater que l’adrénaline un tant soit peu dissolue, tous mes muscles se réveillent et crient au scandale : en quelques secondes à peine, je sens l’escarmouche sur le point de se produire, et les assaillantes courbatures se pressent aux portes de mes cuisses, de mes mollets, et que dire de mes dorsaux et de mes ailes qui me portent depuis longtemps déjà !

La souffrance se fait trop pressante, insoutenable même, et mon esprit me hèle et m’enjoint de regagner terre sur-le-champ – oui, oui, mon esprit, moi, kif kif(mais laissez-moi donc m’exprimer en rhéteur si j’en ai envie !) Et, bien évidemment, vous l’aurez compris sans mon aide pourtant si précieuse et par trop inestimable, je m’incline et j’obtempère. Quelques battements aussi mesurés que possible et qui, cependant, m’arrachent de vains gémissements, un simple souffle d’air entre les plumes et à nouveau une douleur immense, et enfin je pose pied à terre ; mais je n’ai jamais rien connu de plus laborieux que cet atterrissage. Un pied, mes orteils se plient dans un craquement terrible, et puis la jambe qui chancelle et ne me porte pas, fourbue et endolorie, et enfin le corps entier qui vacille et s’effondre sans que je puisse le retenir. Me voilà noyée dans une mer herbeuse, de laquelle émergent des brassées de violettes épanouies et odorantes. Vous ne me voyez plus, ou ne voyez peut-être que le faîte de ma chevelure qui affleure de la verdure ondoyante, car tout est démesuré, gigantesque, et je dirais même plus : très grand ! Assise sur mon céans, hébétée et ébahie, je ne distingue plus face à moi qu’une trame sans fin de barreaux verts scintillants, et je dois lever les yeux pour leur offrir autre chose à voir que cette monochromie inexprimable, indicible, ineffable.

Et pourtant je n’incline pas à me hausser sur mes jambes, je n’en serais assurément pas capable à l’heure où je vous parle. Ce vol fut douloureux, éreintant, épuisant, et il me serait si doux, à présent, de me laisser emporter telle une ondine dans le cours langoureux du somm…

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CAHIDRICE ARO. PRINCESSE ALDRYDE, ACTUELLEMENT DANS LA MERDE.


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 Sujet du message: Re: Le Bois de Bäl
MessagePosté: Dim 10 Oct 2010 00:14 
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Je me réveille à peine et, ma foi, j’ai la pâteuse.

Mon esprit tout doucement émerge des limbes du sommeil, encéphale engourdi par les quelques heures durant lesquelles il s’y est perdu, et corps quant à lui alourdi par la stature allongée qu’il a gardé longtemps. Une position fœtale dirais-je même avec plus de précision, la plus douce qui existe à mes yeux, et qui plus est dans le confort de l’herbe nouvelle qu’apporte avec lui le printemps…

(D’accord ! D’accord, j’avoue : inconfortable au possible.)

La terre est dure sous mon échine, et ce malgré la tresse végétale qui s’est formée d’elle-même sous la mouvance de mon corps abandonné à l’inconscience. La peau dévêtue en quelques parts, celle de mes membres, de ma nuque et de mes joues, laissée en pâture à la croûte sèche de la terre, aux brindilles aiguës comme des lances, aux cailloux minuscules et acérés, disséminés çà et là… un calvaire en somme. J’ai bien l’impression, en outre, d’avoir quelque peu appuyé mon flanc sur les effets qui tiennent toujours à ma ceinture : cependant, si l’écoscarcelle est toujours fermement lacée et n’a rien perdu de son or, le coutelas s’est défait de son fourreau et à glissé sur le sol. Je sens encore le pommeau d’argent labourer la chair de ma hanche, et de voir apparaître une ecchymose ne m’étonnerait pas outre mesure.

Et pourtant, malgré tout cela, ce petit somme me fut fort agréable, cela m’a apporté grande paix et bien-être. D’ailleurs, je soupire d’aise.

Mais !

- Noooooon… !

Non ! Par toutes les grâces de Gaïa ! Cher lecteur, prend pitié de moi qui ai prédit mon sort – ou au contraire, mais tout aussi tragiquement, qui ai oublié de quoi fumer ! Non pas que ma vie en dépende, mais maintenant que je me suis aperçue de cet oubli monumental, l’envie se fait croissante : mon corps entier réclame une délicieuse substance qui s’évanouirait dans les airs en délicates volutes bleutées, et dans mon pourpre sang sous la forme d’une sérénité exquise.

En ce début d’après-midi – à ce que l’on peut lire du soleil engageant son déclin – j’ai envie de fumer, mais j’ai aussi tellement envie d’un goûter opulent et fastueux, d’un bain délectable embaumant un parfum de fleurs et de miel, l’eau bouillante, le lait onctueux épousant mes courbes charnelles en filets opalescents… et mes chères Lélo, Cana et Céril qui me purifieraient de toute la terre qui doit certainement marquer mon visage, et qui m’aideraient à délasser comme il se doit tous mes muscles les plus harassés.

(Mais c’est fini la belle époque !)

Et oui, pour mon malheur, plus de petits plaisirs princiers, et aujourd’hui seule la forêt d’éteules vertes se déployant à l’infini me sert de palais indécent de faste. Mais, par les larmes de Rana, comment vais-je me débrouiller pour me laver ?!

...

...

(QUOI ?!!!)

Non, n’allez pas me dire que… Je n’avais pas pensé que, loin de ma cité si douce et si dispendieuse, je devrais me réduire à des repas de fortune, de baies, de lichens et de chenilles goulues, et m’infliger des bains d’une horreur sans nom dans des flaques d’eau et des rus vagabonds pétrifiants de froid. Et pour couronner le tout, car s’arrêter là ne serait pas bien romanesque, j’ignore où je me trouve et que faire désormais. Le soleil s’achemine avec nonchalance dans le ciel, et avec lui l’après-midi s’écoule graduellement. L’un comme l’autre avancent, inexorablement, vers un destin inéluctable, tous deux ont un terme, un dessein bien défini, et même quelque chose à faire entre le moment où ils quittent un bout de la terre et le moment où ils atteignent l’autre bout ; et moi, non, rien.

(C’est simple : encore plus désœuvrée qu’à l’habitude.)

Et vous voulez savoir ? Je m’ennuie.

Non mais de toutes façons, sans rien à fumer ce n’est même pas la peine. Ça y est, c’est terminé, ma vie est finie. Enfin bon, avant de me suicider, j’ai faim, et puis je me sens particulièrement sale, et c’est pourquoi dès maintenant je vais me mettre en quête de quoi sustenter ma faim, ainsi que de quoi épurer mon corps de sa saleté.

Redressée sur mon céans, j’interroge mon être tout entier, j’évalue son aptitude à me garder debout. J’ai peur de présumer de mes forces et de m’effondrer à nouveau, et, qui sait ! me fendre le crâne sur une pierre saillante et que mon liquide encéphalique dégouline partout, et que, avec lui, ma raison et mon intelligence incomparables s’épandent alentour ! Bref, sans plus de cérémonies je tente de me dresser sur mes jambes, et ce avec le plus d’habileté et de délicatesse possibles.

Et en réalité ce n’est pas plus compliqué qu’à l’accoutumée : après tout, une guérisseuse avec des courbatures, ça fait désordre.

Toute guillerette, vous vous en doutez, après cette sieste des plus désagréables et les avantages inestimables de ma nouvelle vie révélés à moi, je regarde le monde au-dessus de l’herbe et des violettes qui s’élèvent jusqu’à ma taille. C’est la jungle, quoi, et le moindre pas que je fais, c’est au prix d’une lutte acharnée, me battant farouchement – je veux dire comme un Oudio face à un bûcheron – contre tout ce qui se dresse devant moi. (A ce rythme-là, je ne vais pas aller bien loin.) Mes ailes frétillent d’envie, je ne souffre plus de courbatures carabinées mais… mais si je prends la voie des airs, mes dorsaux me brûleront affreusement, encore.

Heu ! Un pied devant l’autre, encore et encore, et avec moults efforts, et me voilà – vous ne devinerez jamais ! – sans avoir eu besoin de déployer mes duveteuses ailes, les jambes libérées de leur prison végétale et les pieds nus enlisés sans que je m’en sois rendu compte dans un bourbier limoneux. Haha ! Vive moi qui ai trouvé, sans avoir encouru de périlleux dangers, un ru glougloutant avec force charmes au cœur de l’arborescence sylvaine !

...

Vive moi qui suis ici plus sale qu’avant alors que j’étais en quête d’ablutions.

Une moue dégoûtée gâte la si grande beauté de mon visage princier, et, les yeux éteints par le dépit et l’amertume d’être si loin des précieux palais d’Yscambielle, je vois sans esquisser un mouvement mes chevilles disparaître dans l’immonde fange. Mais qu’importe, pourtant, car l’eau est là, fluide, scintillante, et a priori d’un délice immense ! Sans perdre une seconde je me dévêts, dégrafant prestement les diverses pendeloques et autres fibules qui agrémentent ma robe de silm tout en maintenant ses élégants drapés en place, pour finir par déplier les multiples superpositions d’étoffes. Je dépose sans plus de précaution mon coutelas tant chéri, ma flasque lumineuse et mon écoscarcelle à terre, et ces charmants effets s’effacent aussitôt sous les tissus qui s’affaissent au sol dans un bruissement feutré. Désormais dans le plus simple appareil, je m’applique à délivrer ma soyeuse chevelure d’or de son armature d’apparat, et ce sont autant de rivières de lumière qui se déversent le long de mon échine… et, ma parole ! un objet scintillant qui choit de l’avant de mon chef.

(Par ma déesse !)

Emmêlé dans ma coiffure faite d’autant d’arabesques et de boucles qu’un dédale, c’est un éclat de verre – d’une taille par moitié comparable à ma paume – que je viens de recevoir sur le pied. Rien de bien intéressant en somme : je le chasse d’un vif mouvement et n’y pense plus dans l’instant qui suit, m’apprêtant avec la distinction et la noblesse miennes à pénétrer dans l’eau du ru. Mon orteil frémit alors qu’il effleure à peine l’onde, et un tremblement compulsif me traverse de part en part.

(Mais, au nom de Yuia, comment je vais faire pour me laver, moi ?!)

Mon pied gauche se noie presque tout entier, et déjà mon cœur paraît s’être arrêté, meurtri d’une flèche de givre : toute ma poitrine est prise dans un étau glacial qui croît inexorablement et se fait plus épais à mesure que l’eau monte le long de mes jambes. Car le pied droit vient de rejoindre son jumeau, et, tous deux forcés par mon désir ardent de me défaire des immondices qui me couvrent, ils évoluent lentement, s’immergeant toujours plus loin dans la rigole assassine. Bientôt, ça y est, j’y suis, et ce sont mille poignards hivernaux qui mettent mon cœur en pièces.

Je me frotte du mieux que je peux, et avec la plus grande hâte, espérant sortir au plus vite de cet enfer aux flammes éteintes par le froid. Je ferme les yeux, m’imaginant dans mon cabinet de toilette avec mes caméristes, tant aimées, me couvrant de lait et d’eau bouillante, et je prie pour m’y trouver de nouveau et jouir de ces paradis de chaleur et de confort ; tout cela, je l’imagine en sautillant sur place pour me réchauffer. Mais bien sûr, tout cela est vain, et même si je ne suis pas parfaitement propre, cela suffit : je m’empresse de rouvrir les yeux pour me sortir de là…

- AAAHHHHHHHHH !!!

Gaïa, sainte Mère ! Que signifie cette mortelle illusion !

Chers lecteurs, vous ne saurez me croire : voici revenues les trois lucioles qui m’ont prise en chasse ce matin même, et ces lucioles – ces furoncles de Gobelin, putrides et purulentes ! – s’enfuient loin de moi après avoir emporté, ne me demandez pas par quelle magie, mes effets personnels !

L’une traîne avec difficulté mon coutelas au ras du sol, une autre s’envole avec ma flasque en aile de libellule, tandis que la dernière – allez savoir pourquoi – se charge d’enlever le morceau de verre qui naguère tomba de ma chevelure.

Tout était pourtant caché par le silm !

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, me voilà regagnant la rive – étrangement, l’atmosphère est d’une tiédeur délectable – et m’enroulant au mieux dans ma robe : je n’ai pas le temps d’en attacher les pans plus noblement que par des nœuds disgracieux. D’une main je rafle les bijoux qui sont restés à terre, mon écoscarcelle, et je prends les airs avec vélocité.

(A nous quatre !)



Interlude musical.




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