Premièrement, je crus qu’il ne se passait, rien, et que cet être n’était qu’un olibrius fantasque auquel j’avais eu tort de me fier, un mythomane qui vivait dans ses délires paranoïaques dont il pensait être le héro sans peur ni reproche… Je ne doutai à aucun instant que de telles lésions mentales devaient souvent arriver à ces autoproclamés aventuriers qui sillonnaient le monde à la recherche de richesses diverses, ou se battant seul face à l’adversité, au nom d’une cause qu’ils croyaient nobles. Ceux qui ne finissaient pas crevés par un monstre répugnant, une bande de gobelins faméliques ou par des bandits en embuscades finissaient soit fous, séniles et impotents, soit alcooliques, finissant leur vie d’aventure et de ‘liberté’ affalé sur un comptoir, baignant dans leur propre déconfiture. Peut-être cet être était-il de ceux-là, ou du moins c’est ce que je crus avant que la pierre noirâtre vire tout d’un coup au rouge carmin après avoir littéralement absorbé mon sang. Incrédule, je regardai ce mystérieux inconnu qui m’avait entrainé dans cette histoire. Mon regard n’était pas paniqué, juste interrogateur… J’ignorais dans quoi j’allais être embarqué, et je ne savais pas quelle magie persistait en cette cave obscure qui aurait pu permettre une échappée concluante. Même si le petit tour de passe-passe du pentacle avait fonctionné à merveille, je ne croyais toujours pas en réchapper si aisément, et tournai un regard un peu inquiet vers la porte qui commençait sérieusement à perdre patience et à craquer sinistrement sous les assauts des fanatiques.
Et puis, une curieuse sensation s’empara de moi : j’eux l’impression d’être irrésistiblement attiré dans le pentacle, comme si mon esprit fuyait vers la pierre rougeoyante, entrainant irrémédiablement mon corps dans son sillage. Je tentai de résister, mais n’y parvins pas. Je tentai de regarder une nouvelle fois l’être qui m’avait mené à cette folie, mais il avait de nouveau disparu dans l’ombre de la cellule… Effaré, je regardai mes mains partir en fumée alors que la porte explosait derrière moi. Je me sentis juste partir, et si mon ventre ne s’était pas lui aussi décomposé à cet instant pour filer droit vers la pierre, un nœud de stress se serait formé dans mon estomac. Je n’avais pas peur, j’étais juste terrorisé à l’idée de m’être fait avoir par un fou furieux. Ses mots ne me rassurèrent pas davantage, et avant que tout ne disparaisse, il jura sur Oaxaca, la Reine Noire, que j’étais sauvé. Intérieurement, je le maudis du sort qu’il m’infligeait et voulut lui crier mon irrépressible envie de vengeance… Mais c’était trop tard… Dans les affres de ce pentacle décoré de symboles Oaxiens, je disparaissais…
Le néant se fit…
Ce fut d’abord agréable, comme une poche de velours dans laquelle mon corps éparpillé s’étendait, se prélassait. Puis, un vertige me prit, et une fulgurante sensation de vitesse s’empara de mon être. Je ne sus pas ma direction, ni même si je me mouvais réellement, mais tout décomposé que j’étais, je me sentais partir, filer à la vitesse de la lumière. Et enfin, ce fut brutal. Tout le contraire du départ : une arrivée fracassante, en un coup, sans transition avec le voyage. Une douloureuse sensation d’être de nouveau moi-même dans un corps de chair, propulsé dans une boule de flammes tournoyant comme une menace autour de moi. Je n’avais plus aucune notion de l’espace ou de la proprioception. Je n’eus pas su dire si j’étais à l’endroit, à l’envers, ni même si mes pieds touchaient terre…
Et puis, après quelques secondes, je repris mes habituelles sensations, et je sentis la chaleur, le sol sous mes talons, l’odeur de l’air ambiant, mêlé de relents de fumées et de poussière de roche, le son caractéristique d’un marteau frappant une enclume. C’est à ces repères sensoriels que je me fiai en premier, déduisant être dans une forge quelconque… puis, seulement, mes yeux s’habituèrent à l’endroit, que je pus mieux percevoir.
Si l’endroit était une forge, il n’en avait pas l’aspect. J’étais debout, bras ballants, devant un feu de bois. De la pierre m’entourait de toute part, une pierre sombre symbole de profondeur : j’étais indéniablement dans une grotte, à en juger par les stalactites qui menaçaient une chute du plafond qui me surplombait. Des pics munis de crânes humains étaient la seule décoration de l’endroit, et je me tournai instinctivement vers l’origine du bruit métallique que j’avais entendu : Un humain, stéréotype flagrant du forgeron, était en train de travailler le fer près d’un âtre brulant. Il porta sur moi un regard désolé, et parut pris de lassitude. Une attitude que je ne m’expliquai pas, comme s’il était courant que des personnes sortent de nulle part pour atterrir dans sa grotte. L’instant d’après, il ne faisait déjà plus attention à moi, repris par son travail.
Je tournai la tête de gauche à droite pour percevoir mon environnement. Une seule porte, à cette caverne : robuste et peinte, lovée le long du mur le plus ombragé. Et puis, mon regard se posa, plein de surprise, sur une créature que je ne m’attendais pas à voir : Un orque. J’en avais déjà croisé l’un ou l’autre, isolé, dans Tulorim, errant sans arme pour éviter toute suspicion des habitants. Ils n’avaient pas fort bonne réputation, et quand je vis l’individu, je sus que ces histoires étaient fondées : Immense, musclé, il était assis au bord du trou dans lequel je me trouvai. Il avait l’air ailleurs, comme si son esprit était absent… Ils n’avaient pas non plus pour réputation d’être des êtres très intelligents, et aussi, m’en approchai-je avec prudence, mais détermination. Je m’éclaircis la voix pour le tirer de sa rêverie éveillée, et lui adressai la parole d’un ton amène.
« Holà, Orque. Où sommes-nous donc ici ? Je me nomme Selen, et toi ? »
Mieux valait s’en faire un allié qu’un ennemi, à n’en pas douter…
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- Selen Adhenor -
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