Avez-vous déjà eu l’impression d’être une étoile filante ? Moi non plus, jusqu’à ce jour où, recroquevillé en boule ainsi qu’à ma naissance, je voguai à vile allure à travers une immensité aussi obscure, immense et glacée que le ciel dans lequel on pouvait voir évoluer ces corps célestes auxquels je ressemblais en ce moment : projeté vers l’infini, j’étais immergé dans une semi inconscience peuplée de formes et de couleurs floues qui pouvaient appartenir aussi bien au domaine de la réalité que de l’onirique. Parfois, il me semblait distinguer dans l’une ou l’autre la silhouette d’une figure familière ; tantôt Aenigal, tantôt ma maison en flammes, tantôt un corbeau, tantôt le cryomencien dément… mais très vite, aussi rapidement que des nuages qui auraient évolué à toute vitesse, elle s’estompait pour laisser place à de nouvelles formes toutes plus confuses et déstabilisantes les unes que les autres. Je me dis sur le coup qu’en ouvrant les yeux, j’aurais sans doute été pris de vertige devant l’espèce de vide auquel j’aurais été confronté, mais en y repensant, il me vint à l’esprit que je ne savais même pas si mes paupières étaient closes ou non tant mes perceptions étaient troubles et fragmentaires. Comme je l’avais mentionné précédemment, j’avais la sensation d’être plongé dans un rêve, et de la même manière que lors d’une expérience de ce genre, je n’avais pour ainsi dire aucun moyen de différencier le vrai du faux. En vérité, j’aurais pu voir des fourneaux ronflants remplis de glace ou des neiges éternelles incandescentes que je n’en aurais pas été plus étonné que cela, ou plutôt que je n’aurais même pas songé à réfléchir à ce qu’une manifestation pareille avait d’impossible. Des réflexions à peu près cohérentes me parvenaient de temps à autre, mais similairement à des objets lancés dans une mare, elles s’évanouissaient, coulaient ou se mêlaient au lac de mes pensées sans rien laisser de plus que quelques ridules fugaces.
J’aurais pu me soucier de savoir vers quels mystérieux horizons ce mystérieux sortilège de mon mystérieux persécuteur me transportait, mais je m’étais résigné à subir dignement le sort qui m’attendait, quel qu’il fût, et de toute façon, je n’arrivais plus à faire fonctionner mon cerveau de manière assez cohérente pour angoisser. Dans le fond, je pouvais me retrouver propulsé dans le passé, dans un océan de fluides de feu, dans la gueule d’un dragon, devant Oaxaca… qu’importait en définitive ? « Fais que devras, advienne que pourra. » dit le proverbe, et en l’occurrence, j’estimais avoir satisfait aux exigences qu’une telle maxime posait en défendant chèrement ma peau contre le sorcier au katana. Bien sûr, au bout du compte, j’avais baissé les bras, mais je ne l’avais fait que sous la contrainte, et non sans l’avoir auparavant joliment tourné en bourrique pour quelqu’un d’un niveau et d’une expérience aussi modestes que les miens, aussi je ne concevais pas avoir fait déshonneur à mes origines qui n’étaient peut-être pas les plus dignes qui fussent mais qui m’étaient chères. Pour autant, qu’on se le dise, ce n’était pas parce qu’on m’avait jeté dans la gueule du loup que j’étais prêt à me laisser croquer, résolu que j’étais à monopoliser toutes mes ressources pour rencontrer une fin la plus digne possible si fin il devait y avoir pour moi. Il était peut-être étrange pour un être aussi jeune que moi d’envisager des perspectives aussi sérieuses avec un tel aplomb, mais j’étais après tout loin d’être n’importe quel garçon, ma mentalité ayant acquis sur bien des points une maturité peu commune.
Avez-vous déjà eu l’impression d’être un boulet de catapulte ? Moi non plus, jusqu’à ce jour où, votre serviteur dans une position fœtale digne du projectile susmentionné, mes petites fesses percutèrent durement un sol dur et froid avant que je ne m’étalasse de tout mon long, signe que mon étrange voyage était arrivé à son terme, et pas de la manière la plus agréable qui fût ! J’étais tout engourdi, aussi bien mentalement que physiquement, mais j’eus le plaisir de constater que mes facultés les plus simples étaient restées intactes, avantage grâce auquel je pus sans ambages déclarer avec toute la volubilité et tout l’éclat qui convenaient à la circonstance :
« Ouch ! »
Hé oui, c’était loin, très loin d’être épique ou même impressionnant, mais pour ma défense, je crois que n’importe qui, fût-il le plus grand archimage que le monde eût jamais vu naître, aurait eu une réaction à tout moins similaire… même si le plus grand archimage que le monde eût jamais vu naître ne se serait de toute évidence jamais laissé entraîner dans une situation pareille à la mienne pour commencer. Comme on pouvait s’y attendre, je ne restai pas bien longtemps dans ma position fort peu avantageuse, et ce fut en grommelant mille malédictions piteuses à l’égard de ce cryomancien de malheur que je me relevai, savourant tout de même le bonheur de ne pas avoir subi une mise à mort pure et simple telle que mon bourreau aurait tout simplement pu m’en infliger une. Mais immédiatement après cette réalisation vint la question de savoir où j’avais bien pu atterrir, et c’est en songeant à un pareil point que je redressai la tête, interdit de me retrouver dans un environnement qui, contrairement à ce que laissait à penser l’éclairage digne de celui procuré par l'astre de Sithi, n’avait rien de naturel. En effet, tout autour de moi, je ne pus rien voir d’autre que de la roche, de la fort belle roche admirablement travaillée d’autant que je pouvais en juger, l’architecture se déclinant exclusivement en des murs à l’aspect imposant mais pas rébarbatif ou intimidant pour autant. Une telle disposition spatiale donnait quelque chose de solennel et de majestueux à la pièce, particulièrement pour quelqu’un d’un gabarit aussi réduit que moi, l’assimilant à mes yeux à une sorte de lieu de culte étrange appartenant à je ne pouvais savoir quels temps reculés, impression sans doute due au fait que nous étions certainement bien loin sous terre d’après l’absence de quoi que ce fût appartenant à proprement parler à la surface terrestre. A part ça, il pouvait se constater à deux extrémités opposées de la pièce des anfractuosités munies de couchettes pour lesquelles j’avais fort peu d’intérêt à avoir et que je me contentai donc d’englober du regard sans davantage y prêter attention, ainsi qu’une grande et imposante porte marquée par un croissant de lune.
Mais tout cela, je ne m’en souciai que fort peu, car ce qui retint avant tout mon attention, ce fut la présence de quatre autres êtres vivants dont deux non loin de mon promontoire et deux postés à proximité d’une sorte de bric-à-brac indescriptible, les uns et les autres foncièrement différents. Pour commencer par ceux qui étaient le plus loin, le premier était un humain assis à une table bloquant l’accès à tout cet étalage de richesses, habillé et coiffé de la manière la plus sobre et professionnelle qui fût, et était manifestement un familier des lieux à en juger par l’indolence qui se lisait sur ses traits. Quant au second, il s’agissait d’autant que je pouvais en juger également d’un humain, vêtu à la manière d’une espèce de mélange entre un aspirant cultiste et un apprenti assassin ; « aspirant » et « apprenti » car son jeune âge se lisait aisément sur ses traits grossiers de non-elfe. Le gaillard était plutôt bien découplé, se tenait bien droit, et, détail particulièrement intrigant, avait les cheveux blancs comme neige, ce qui me frappa puisque cela ne se rencontrait que chez les Phalanges de Fenris, peuple auquel il appartenait manifestement d’après ses yeux rouges… mais que faisait-il alors si loin de ses contrées natales (quoique je ne savais pas où nous étions après tout, et nous aurions donc pu très bien être à Nosvéris) ? Quoi qu’il en fût, il avait l’air costaud, hardi et prompt à toutes les besognes, mais il ne m’eut pas l’air particulièrement méchant d’après ce que je vis de lui, même si les marques de coups qui se lisaient sur lui auraient pu laisser penser le contraire, marques dont je ne me formalisai pas puisque je n’avais moi-même pas fière allure après mon entrevue avec le cryomancien meurtrier.
Pour passer aux deux personnes suivantes, personnes qui se trouvaient littéralement à mes pieds de par ma position surélevée, l’une d’entre elles, de loin la plus petite, était également une humaine, excepté que ses traits étaient plus fins en raison de son appartenance sexuelle qui lui avait donné un grain de peau d’apparence moins rugueuse. Arborant de longs cheveux roses fort classieux -on avait vu des choses plus étranges-, elle portait des vêtements élégants qui contrastaient bien étrangement avec ceux du mâle… heu, de l’homme qui se tenait debout. En effet, ceux-ci semblaient davantage conçus pour être portés dans des couloirs d’université chic que dans des espèces de complexes souterrains bizarroïdes par lesquels on ne pouvait arriver qu’en y étant expédié par des malades mentaux jusqu’à preuve du contraire. Mais bref, venons-en à la plus grande, laquelle était cette fois une taurion, et avait donc une apparence sensiblement plus agréable que ceux précédemment mentionnés, même si sa beauté n’avait évidemment pas de quoi faire le poids par rapport à une sindel normalement constituée. Tout comme celle qui se trouvait à ses côtés, elle avait une sacrée masse capillaire, mais cette fois-ci, leur couleur était naturelle puisqu’ils étaient d’un beau blond « comme les blés » ainsi que l’expression consacrée le mentionne. Réunissant décidément bien des canons de la beauté féminine, l’intéressée avait de beaux et grands yeux bleus qui lui paraient le visage « comme des saphirs » (tant qu’à aller dans les clichés), un visage expressif et un corps bien proportionné… enfin, presque partout, car elle avait, que Sithi me pardonne, l’appareil mammaire le plus développé que j’eus jamais vu, à faire croire qu’elle allait s’affaisser sous un tel poids. Qui plus était, elle n’avait pour habits que de grandes chausses de couleur blanche qui ne faisaient rien pour masquer ses cuisses laissées fort apparentes par une très courte tunique verte, laquelle dévoilait plus que la pudeur ne l’aurait permis et était si serrée au corps qu’elle en avait l’air pleine à craquer.
Et de mon côté, j’étais là, étrange elfe gris qui n’avait même pas l’air sorti de l’enfance, toujours juché sur le promontoire de pierre sur lequel j’avais atterri à mon arrivée, tout dégoulinant d’une eau glacée qui formait une petite rigole sous moi et faisait désagréablement coller mes amples vêtements à ma peau. Réaction toute naturelle, j’étais tout frissonnant, je claquais des dents, et mes yeux grands ouverts trouvaient leur explication autant dans mon étonnement considérable que dans ma bien faible température corporelle que mes maigres fluides ne parvenaient pas à dûment réguler tant j’avais été malmené par le froid. Réaction également naturelle, au bout de quelques secondes que nous passâmes tous à nous fixer dans un silence embarrassant, je finis par ne pas pouvoir retenir une longue inspiration qui se conclut par un éternuement retentissant m’envoyant choir de mon trône pour tomber avec fracas au sol, tout piteux, tout malmené. Me relevant une fois de plus en gémissant de douleur aussi bien que de désarroi, je me remis à fixer les étranges personnages qui me faisaient face, et, complètement perdu en raison des récents évènements qui m’avaient si méchamment chamboulé, tout ce que je trouvai la force de faire fut de regarder le petit groupe apparemment aussi paumé que moi avec des yeux humides remplis de détresse :
« Heu… b-bonjour. » Articulai-je maladroitement, d’une petite voix plaintive plus aiguë et enfantine que jamais, état de fait qui m’aurait grandement contrarié si je n’avais pas été dans une situation qui laissait aussi peu de place à des sentiments tels que la contrariété.
Puis je repartis dans de nouveaux éternuements irrésistibles qui secouèrent ma frêle carcasse et aspergèrent les alentours de gouttelettes d’eau, véritablement glacé au point d’avoir attrapé ce que j’aurais pu interpréter comme étant un rhume carabiné si je n’avais pas été de nature aussi peu… naturelle. Plus précisément, ce qui se passait était une affliction similaire à ce que l’on nomme une crève, sauf que cet état était en l’occurrence directement lié à la présence de fluides de feu dans mon organisme qui, ayant méchamment souffert des épreuves que j’avais traversées, flanchaient un bon coup avant de circuler à nouveau plus harmonieusement en moi. Je ne savais pas combien de temps un tel processus prendrait, n’ayant jamais été atteint à ce point, mais dans l’intervalle, je serais aussi vulnérable… aussi vulnérable qu’un enfant, et inutile de dire que cette défaillance physique m’était des plus désagréable, surtout dans un moment pareil !
_________________ Tuia, sindel mâtiné d'aniathy, né, brisé, refaçonné, puis brisé à nouveau.
|