L'offre du capitaine (Putain… Plus tapageur qu’une poule à rupin, mais dans le genre glauque…) Faire ses bagages n’a guère pris de temps à Beorth, le tout de sa vie tient dans le vieux sac jeté en travers de son épaule ; le plus long de son escale a été pour un marabout douteux, dont les pouvoirs de guérisons sont sujets à caution, mais capable de concocter une potion contre la gueule de bois qui fait sa renommée dans toute la ville. Personne ne sait ce qu’il y a dedans, et personne ne tient vraiment à le savoir. L’homme n’est pas encore au sommet de sa forme, mais au moins n’a-t-il plus envie de poser une galette à chaque coin de rue, et les murs ne lui paraissent plus tanguer dès qu’il pousse sur ses jarrets pour accélérer un peu le pas.
Une surprise comme celle qu’il découvre à quai, il ne s’y était pas attendu. Pour sûr, les matelots en goguette auprès desquels il avait demandé le Redoutable Jugement l’avaient renseigné avec un drôle d’air, un regard par en bas assez éloquent, l’air de se demander à qui ils avaient affaire, ce que le guerrier a interprété comme des doutes de bon marin sur la qualité de la barcasse. Une coquille de noix abandonnée par les rats, voilà ce qu’il s’est attendu à trouver.
Là, ça ressemble plutôt…
(Phaïtos qu’aurait posé sa pêche sur l’océan, après avoir bouffé j’sais pas quelle créature.) Dans l’esprit du mercenaire, tous les navires sont plus ou moins appelés à se ressembler : mats, voiles, coque, parfois des rames, et puis les variations imputables aux fantaisies des uns et des autres.
(Celui qu’a conçu ce rafiot avait de sérieux problèmes…)
« Alors, tu t’es décidé à venir ? »
« On dirait… » (Pas la combine la plus foireuse dans laquelle je me sois fourré, ça non. Pas nette, ça, ça doit… M’enfin bon… C’est vers Omyre qu’on vogue, pas de quoi se formaliser… Mais quand même, je sais pas ce qu’ils ont avec les os.)
L’allure générale de l’embarcation fleure l’agressivité, et sa finalité, une mort dans la souffrance. Soudainement, le capitaine appuyé au bastingage perd de son aura de brave gars ventripotent, même son sourire prend un double sens. Un type comme lui ne commande pas un vaisseau tout droit venu des Enfers, avec sa peau bien lisse, ses joues pleines, son air affable de bon tavernier, surtout pas s’il trimballe une troupe de mercenaires vers une cité à la sinistre réputation.
« Embarque donc, reste pas là. » s’exclame le gros, un sourire étalé jusqu’aux oreilles.
(Le genre du type qui va héberger trois gosses perdus, et en faire du petit salé pendant la nuit.) Pourtant, c’est avec un sourire mauvais que Beorth pose le pied sur le pont. Exech commençait à l’ennuyer, à la longue : mêmes tavernes, mêmes poivrots, mêmes emmerdes. Le boulot n’aurait pas manqué, malgré ses menus arrangements avec la fidélité, les chefs de bande sont assez pragmatiques et retors pour payer de la bonne marchandise en prenant en compte les risques. Mais… L’ennui… Omyre peut offrir de nouvelles possibilités.
(Et si je m’emmerde, le camp d’en face n’est pas loin… Y’aura peut-être plus d’agrichage que dans le coin.) Les côtes de l’Imiftil disparues au loin, le voilà qui déchante en partie. Avant de tromper l’ennui, il sera sans doute mort, étouffé dans sa propre gerbe, songe-t-il. Au départ, son estomac parvenait à régurgiter de solide, puis un peu de liquide. Puis sont venus les hoquets douloureux, la bile brûlante, les crampes au ventre à force de vouloir cracher du vide.
(Les tripes me sortiraient du gosier que ça m’étonnerait pas…) Ainsi se déroule pour Beorth son premier jour de voyage à bord du Redoutable Jugement.
Vers Dahràm - Deuxième jour