(Alors là, j’en perds mon galet !)
Ou mieux, devrais-je dire, ‘mon galet m’en tombe’.
Car en effet, chers lecteurs, me voici devant vous comme à l’accoutumée, et vous n’ignorez pas que cela fait un certain temps déjà que, poursuivie par les aléas de la fortune, bonne ou moins bonne, les circonvolutions d’une vie par trop mouvementée s’enlacent devant moi – pour moi, princesse Akrilla ô combien prestigieuse, devant les charmes de laquelle vous ne savez que ployer avec humilité.
Non, lecteurs gracieusement aimés de moi, ici n’est pas le conte le plus fantasque que je vous aurais fait. Et pourtant grandement est-il merveilleux, doté d’enchantements enfantins et aussi terribles – terreur certaine dont atteste mon être tout entier qui, malgré son élégance connue de par le monde, ne sait plus rien faire d’autre que de se dissimuler avec une adresse extrême derrière son nouveau compagnon. Tips.
- Tiiips ! Elle vient ! parvins-je à murmurer tout près de son oreille.
(Eurk… crado, le petit chou.)
Verte à l’extérieur, son oreille gauche n’en est pas moins orangée à l’intérieur, largement tapissée tel un palais exquis et exotique de savants drapés cérumineux.
Bref, là n’est pas la question : l’histoire artistique de Tips et de ses orifices noyés de mystère, confins ténébreux s’il en est, pourra venir plus tard si l’envie vous en prend. Un mandat de vous, adorés que vous êtes, et je vous en rapporterai le détail. Tips, face à vous, ne saura piper mot, je vous en conjure.
Laissez-moi dès lors vous narrer plutôt ce qui nous occupe présentement. N’est-il pas vrai que je vous décrivis naguère le portrait d’une jeune créature que la Nature n’eût su faire plus belle, malgré l’apparence cavalière de ses jambes gratifiées d’une pilosité toute animale ? N’est-il pas vrai, également, que je vous la fis voir comme une presque-déesse couronnée par les astres sans âge, par la sagacité du monde et la sagesse du temps ?
(Bon, c’est vrai, arrêtez de chipoter !)
Désormais, imaginez-vous cette créature chevaline traverser avec une prestance digne d’une Akrilla-chonkra – ne riez pas, manants, de ces légendes fameuses dans les domaines d’Yscambielle, qui font l’honneur d’un peuple et le rêve de ses filles – traverser, donc, l’étang au bord duquel je l’avais vu boire.
Elle avance, frayant de ses longs membres à la musculature déliée un chemin drapé dans l’onde douce – onde qui chuchote, rumeur discrète et mélodieuse sur la route d’un oracle, annonçant déjà, je l’espère, des heures heureuses en sa noble compagnie.
- N'ayez pas peur, je ne vous ferai pas de mal, promis !
Voilà que d’une voix claire comme l’eau qui la caresse alors que, digne, elle se dirige vers Tips et moi, elle adresse des paroles tendres qui ne pourraient concerner nul autre que nous. Le cœur me bat comme il le fit parfois, chose que je vous racontai en nombreuses occasions car il m’arriva nombre de péripéties, et à cette heure l’angoisse ne veut évidemment pas me quitter. Etrangement, une paresseuse fluctuation s’empare de mon âme, parvenant à moduler comme seuls savent le faire les ménestrels agiles les transports peureux de mon corps. Certes, ils me tiennent toujours, mais j’ai l’esprit clair, et libre à moi de le faire vagabonder sur l’échine des questions qui cabriolent sous la voûte céleste de mon crâne princier.
Car Camélia, bien sûr, y siège en reine.
...
Mais désormais elle nous fait face, la Femme-cheval au front ceint d’étoiles. Regardez-la, contemplez-la ! La ceinture verdoyante de la clairière joue avec l’or du soleil, et fabrique pour elle un diadème d’émaux à nul autre pareil. Elle se dresse là, statue divine dans les rayons sucrés, grande, et fière, et altière ! Son regard est le pendant de sa tiare d’émeraudes, et j’y suis, malgré moi, tout à fait perdue…
Toujours cachée derrière mon héros et sauveur (j’ai nommé : Tips le Petit-Chou) je laisse ma conscience divaguer dans les ciels fabuleux que sont les yeux de la Femme-cheval ; et, sans plus prendre garde, ma méfiance légendaire éventée et fourvoyée, je me dévoile, je m’accoude, tel que je l’eusse fait à un bar des bas-fonds d’Yscambielle, sur l’épaule frêle de mon ami verdâtre.
Pourtant, telle n’est pas ma surprise, qui me réveille en un instant sans que j’aie pu m’y préparer, lorsque j’entends de la bouche de la Femme-cheval le nom tant estimé de Cétayales !
- Ah, ça ! m’écris-je alors. Pour sûr ! Cétayales est plus belle que tout ce que j’ai pu voir de mon vivant ou dans mes rêves, plus belle qu’Yscambielle la douce d’où je suis issue et qui m’a vue naître, plus belle, cela ne fait aucun doute, que les vaines et viles Akrillas que je honnis et qui pourtant me manquent, maintenant que je suis seule, plus belle, oh oui, que le ciel et ses joyeux fantabuleux, oui oui, plus belle que l’eau qui est la vie des poissons argentés, plus belle… plus belle ! Oui ! En tous cas, c’est sûr, elle est plus belle que Tips, ah ça, il n’y a aucun doute à avoir là-dessus, et puis, elle, je suis sûre que ses oreilles sont propres, hein ! Pas comme lui, mais lui je l’aime bien quand même, mais il est quand même moins beau qu’elle, mais vous aussi, hein, vous êtes belle ! Mais Cétayales c’est autre chose, elle ne parle pas, c’est à croire qu’elle ne saurait pas, mais en la voyant j’ai cru que c’était Gaïa en personne, ma Mère – notre Mère – bien-aimée qui avait pris forme sous mes yeux émerveillés, conquis, ravis même ! Et d’ailleurs, pour sûr Gaïa a-t-elle quelque chose à voir avec ça, et avec ma rencontre avec Péperci Foldelune, ah ça oui ! Parce que Gaïa est Mère de toutes choses, mais ce n’est pas pour autant que je ne m’interroge pas sur ses intentions premières, alors là ! Je m’en pose des question, oui oui, c’est dur d’être jetée de chez soi, comme ça, même si on se disait que c’était pourri ! Ah, oui, ça c’est de son cru aussi, hein ! Parce qu’il faut pas croire, mais c’est pas du tout facile de se faire dicter son chemin comme ça, mais c’est sûr qu’elle a plein de desseins pour moi ! Mais là, je comprends encore moins parce qu’elle a mis ce galet sur mon chemin, et là, vous voyez, c’est écrit en vieil aldrydique – que j’ai appris, hein, je suis une princesse, faut pas croire – que la demeure de Camélia est dans le coin, et alors, voilà, moi je veux y aller, c’est un rêve ! Mais je sais pas… Vous ne pouvez pas m’aider ?
Mon flot de parole, prolixe comme je ne le fus jamais, se tarit là. J’ai un mouvement de recul : qui aurait cru, à m’entendre, qu’il se fût agit de moi ?
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CAHIDRICE ARO. PRINCESSE ALDRYDE, ACTUELLEMENT DANS LA MERDE.
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