L'Invité du CrépusculeLe Maître des Loups
Les deux jeunes soldats, remis de leurs émotions, le menèrent discrètement jusqu'au château de Mordansac. Goetius n'avait jamais vu l'édifice de près. Maintenant qu'il était dans son ombre, sous le ciel sanguin, il l'admirait en se disant que celui-ci ferait une très belle ruine sans tout ses parasites qui y pullulent.
Ils arrivèrent jusqu'à une haute et solide porte en bois massif recouverte de pentures qui devait mesurer dans les cinq mètres de hauteur et trois de largeur, au-dessus de laquelle était représenté sur un tympan deux ours héraldiques tirant la langue semblant tenter de s'enfuir de la prise d'un chevalier en armure de plaque et à la face caché par un bassinet. Dans cette porte laquelle était découpé une autre porte plus modeste d'à peine la taille d'un homme. Sur celle-ci se trouvait l'ouverture d'un juda et un heurtoir en tête d'ours mordant un anneau ; ce symbole semblait être une obsession de Mordansac.
Un des deux jeunes hommes cogna la porte et moins de temps qu'il fallut pour le dire, un garde apparut de l'autre côté.
L'adolescent annonça l'arrivée de l'invité du crépuscule et, sans rajouter un mot, l'homme s'attela aussitôt à déverrouiller tout les loquets avant d'ouvrir la porte et de lui faire signe d'entrer.
Goetius seul rentra, les deux soldats allant reprendre leurs occupations. Le garde de la porte, dont seule la face n'avait jusque là était visible, était un vieux boiteux au teint morne. Il referma aussitôt la porte et tout ses verrous et le mena sans dire un mot jusqu'à une autre porte du même acabit. Il lui fit signe de passer en premier, et Goetius s’exécuta sans se poser de question.
Il arriva sur une grande cour à ciel ouvert, carrée et qui n'avait pour seul ameublement que des torches éclairant ses côtés dont certaines s'étaient déjà éteintes à la force du vent. Une autre même porte, de l'autre côté, était fermé.
C'était sans compter sur le garde qui refermerait la porte derrière lui, le laissant enfermer ici.
Goetius était furieux, ne comprenant pas l'intérêt d'un tel cirque. Tout cela n'était-il donc qu'un vulgaire piège ? Quelle bêtise lui prit de quitter sa ferme et quelle fut cette indigne faiblesse que de faire confiance à ce comte maudit !
Il vit alors la porte de l'autre côté s'ouvrir pour laisser passer... un par un, une demi-douzaine de loups qui se ruaient droit sur lui ! La porte se referma aussitôt après que ceux-ci furent rentrés.
Ce n'était pas le première fois qu'il devait avoir affaire avec des bêtes sauvages, mais pas autant ni dans un lieu ainsi clos !
Il se rua rapidement vers un mur, attrapant une torche à chaque mains pour les tenir à distance. Les loups détestaient le feu, ils y réfléchiraient à deux fois avant de venir s'y brûler la fourrure.
Il les tint ainsi à distance, faisant de grands mouvements pour ne laisser aucun échapper à sa vigilance. Il put remarquer durant ce répit que ces loups ne semblaient pas être au meilleur de leur forme. Leurs poils semblaient secs, ils étaient particulièrement maigres... Le comte avait dû les garder enfermés longtemps.
La colère de Goetius, qui était sa force, s’engrangea. Avec elle, il sentait toujours s'investir en lui ce pouvoir de destruction qu'il ne voulait contenir en lui. Lorsqu'un des loups eût enfin le courage de se ruer vers lui, il n'attendait que ça. Il lâcha une torche et, se retournant de sa main droite de nouveau libre, il lança un souffle de magie obscure, si reconnaissable par son aspect de sable noir tournoyant, naissant dans sa paume pour finir sur le crâne de la bête, avant de revenir vers lui, aspirant ainsi une partie de sa force. Le tout se passa très vite et la bête s'effondra immédiatement, tombant au sol dans une mort soudaine. Les autres canidés eurent un moment de recul en voyant cette scène, ne semblant pas comprendre ce qu'il arrivait à leur congénère, effrayés par cette magie encore plus que par le feu.
Le fanatique en profita pour faire de donner un grand coup de torche dans la gueule du second à sa portée qui fit jaillir une explosion de cendres et de braises rougeoyantes, obscurcissant soudain la scène d'un voile noir. C'était sans compter sur les restes des spores d'Analtheas, coincés dans les replis de ses hardes, qui s'envolèrent sous ce mouvement. Lorsqu'il s'en rendit compte, il eût le réflexe de se retourner pour ne pas respirer cendres et spores. Dos aux loups, Goetius n'était pas rassuré. Il était vulnérable. Il s'écarta un brin alors que les poussières retombaient au sol.
Les loups étaient là, le poils noircis par les cendres, éternuant, toussant et couinant, la tête baissée au ras du sol et la queue entre les jambes.
Ravi de ce coup du sort, il eût un rire grave et discret en voyant ainsi ces bêtes sauvages, aveuglés par les effets de l'Analthea, soumises à lui dans une crainte totale.
C'est alors qu'il entendit un applaudissement solitaire venant d'une hauteur. Un balcon qu'il n'avait pas aperçu plus tôt soutenait un curieux personnage. C'était un homme qui devait dépasser la quarantaine. Il était habillé une tunique de tissu rouge sang par dessus laquelle il portait un veston sans manche en cuir auquel était accolé une peau d'ours dont la tête faisait office de couvre-chef. Sa face arborait une barbe grise dans laquelle étaient nouées quelques petites nattes et un sourcil unique marquait le dessus de ses yeux marrons clairs. Malgré un physique et une tenue plutôt sauvage, son port restait élégant et noble.
Lorsqu'il vit que le fanatique l'avait remarqué, il lui lança d'une voix étonnamment suave:
"Très impressionnant, mon cher, très impressionnant ! Les rumeurs disent donc vrai ! Vous commandez aux loups ! Et le premier, que vous avez terrassé d'un geste de la main... C'était très distrayant, vraiment." "Vous êtes le comte de Mordansac, n'est-ce pas ? Vous m'avez piégé, alors donnez-moi vite une raison de ne pas vous faire subir le même sort que ce loup...""Du calme, sorcier. Cela n'était qu'une petite mise à l'épreuve, rien de plus. Comprenez-bien ; si vous n'aviez pu survivre contre ces loups, vous ne m'auriez été d'aucune aide... Mais ne parlons pas ici comme un soupirant à sa damoiselle. La porte va vous être ouverte, mes hommes s'occuperont des loups."Aussitôt dit, la porte s'ouvrit et le comte s'éclipsa de son balcon.
Goetius n'aimait guère cette situation. Il se sentait coincé et comprenait bien que ses esbroufes étaient ici risquées. S'il faisait quoi que ce soit au comte ou si celui-ci prenait une de ses menaces au pied de la lettre, il ne pourrait pas faire face à tout ses soldats, aussi jeunes, vieux ou estropiés qu'ils soient.
Il se résolut donc, à contre-cœur, de passer cette porte. Elle menait vers un petit sas d'où sortirent quelques gardes et où rentra Goetius, qui put entendre à son départ les couinements déchirants des loups qu'on achevait.
Une autre porte, plus modeste, peinte en rouge carmin, se dressait devant lui, ayant sur chacun de ses côtés, encore une fois, le symbole de l'ours à la langue pendue. Il entendit des loquets se déverrouiller et un homme barbu dégarni à la barbe blanche, aux yeux bleus clairs, habillé d'une tenue bleu chatoyante de noble, lui ouvrit, se courbant en lui faisant signe d'entrer d'un grand geste doux de la main :
"Si messire veut bien se donner la peine..."L'Unique en Valorian
_________________
Playlist de Goetius Gomorrheus
Méléagant, le personnage l'ayant inspiré
Écoutez-moi bien.
Je suis Goetius Gomorrheus, le nécromant, l'élu de Phaïtos et de Zewen, le prophète qui va rendre au monde son silence originel.
Croyez-vous vraiment que rien de pire que la mort ne puisse vous arriver, à vous et à votre famille ?
D'un geste, je pourrais les ramener à la vie, en faire des pantins soumis à ma volonté jusqu'à la fin des temps. Ils ne rejoindraient jamais le repos des enfers. Leurs âmes disposées à ma jouissance, dépossédées de volontés, pourriraient petit à petit jusqu'à totalement oublier qui ils furent. Ça, c'est ce qu'il arrivera si vous ne faites pas exactement tout ce que je vous ordonne.
Et, si vous avez l'audace de croire que me tuer résoudrait votre problème, regardez donc mon cou.
Vous la voyez, cette cicatrice, qui longe ma gorge ? Le vestige d'un combat qui aurait dû m'être fatal.
C'est un témoignage des dieux. Ils ne veulent pas que je meure.
Désormais, que vous le vouliez ou non, vous m'appartenez. Et mon premier ordre sera :
Faites silence.