Cromax a écrit:
Après que Lothindil ait fait ses révélations curieuses dans une petite clairière, nous reprenons notre marche vers la carcasse de l’engin volant. Nous aboutissons bientôt dans une large et grande étendue dégagée, une immense plaine au centre de laquelle l’Aynore tant convoité et recherché est vulgairement planté, complètement démoli, brisé en son centre. Il est immense, impressionnant. Au début, je n’y crois pas, je me dis que ce n’est pas ça que nous cherchons, que ce n’est qu’une illusion, que je deviens fou, à l’instar d’Arevoès qui voit des fantômes et de la druide qui parle aux cailloux et aux plantes. Mais les mines déconfites de mes compagnons finissent par me confirmer que ma vision est bien réelle. Ce gros tas de débris et bel et bien le but de notre quête, et la recherche des survivants est maintenant possible, surtout que d’après les élucubrations de la Sindel, deux d’entre eux sont encore en vie… Après nous être arrêtés un instant à l’orée de la forêt, marqués de la stupeur de cette apparition, nous poursuivons notre marche vers la ruine.
C’est alors que, marchant sans vraiment y faire attention, mon regard perdu dans le vide se fixe sur une ombre au loin, une fine silhouette qui semble nous contempler. Une forme humaine est là, à l’horizon. Surpris, je ferme les yeux pour les rouvrir aussitôt pour confirmer ma vision, mais la silhouette a disparu, aussi mystérieusement qu’elle m’était apparue…
(Mon imagination me joue des tours…)
Nous nous approchons doucement de la carcasse de l’appareil, écoutant soigneusement les conseils avisés de Bogast, qui se présente comme un expert en machines volantes, révélation tellement incongrue pour un humain, même haut gradé… Nous arrivons bientôt près de l’endroit où notre chef d’expédition voulait nous faire entrer, une partie de la carcasse faite de verre, mais ce passage est fortement obstrué par des débris de métaux empilés sans dessus dessous et rend donc le passage impossible…
J’aurais bien proposé de me glisser souplement à travers les morceaux épars de ferraille, avec l’éventuelle aide de Lillith, qui pourrait m’aider à glisser en lui…heu… dans l’Aynore, grâce à sa glace lubrifiante, mais je me retiens, de peur d’être mal jugé par mes camarades d’expédition, ce qui ne manquerait pas d’arriver au moindre écart de conduite... Et je fais bien de ne rien faire, puisque nous trouvons rapidement une autre entrée, sur un flanc de la machine volante, qui m’évitera des contorsions inutiles. L’entrée en question est une porte de l’appareil, complètement enfoncée sur elle-même, qui nous offre un passage à quelques mètres du sol.
Un à un, nous escaladons la paroi cabossée de l’appareil, qui offre des prises confortable, même pour les plus petits d’entre nous, et nous finissons par déboucher sur l’intérieur de l’appareil. Je laisse quelques uns d’entre nous monter avant moi pour ne pas être le premier à déboucher dans cet endroit que Bogast nous a qualifié d’hostile… Certains me traiteraient sans doute de lâche en pareille circonstance, mais la réflexion et la prudence ne sont elles pas deux autres vertus rares et bien plus précieuses que la témérité brute et irréfléchie ? Visiblement, et heureusement, les premiers arrivés ne se font pas violemment décapiter par un charognard en mal de mort, et m’appuyant sur les parois bosselées et meurtries je me lance donc à mon tour dans l’ouverture noire, qui s’ouvre à moi comme une gueule infernale.
À l’intérieur, l’obscurité est présente. La seule lumière claire est celle du jour, qui filtre par la porte d’entrée, s’étendant en un fin rayon sur le sol abîmé. Au-delà d’un couloir tout aussi sombre, je peux apercevoir sans mal de faibles lumières rougeâtres qui semblent sortir des rebords du plafond. J’ai un regard pour les humains, qui semblent avoir des difficultés à percevoir l’environnement dans lequel nous sommes désormais tous plongés, silencieux...
Curieusement, dès mon entrée, une odeur désagréable s’est infiltrée doucement dans mes narines, une odeur que je connais : une odeur de sang, une odeur de mort. Le fumet des cadavres en putréfaction est loin d’être le plus agréable et je prends un pan de ma cape pour m’en couvrir la bouche et le nez, écœuré par ce parfum macabre et écœurant. Je n’ose même pas penser à ce que nous trouverons dans les salles de la machine volante. Suivant les conseils de l’aéromancien, je garde une main sur ma lame, prêt à la dégainer le plus vite possible en cas d’attaque surprise d’un ennemi éventuel. Je la laisse cependant dans son étui, de peur de réagir trop brusquement et hâtivement à l’apparition du moindre être vivant dans cet appareil…Je ne voudrais pas massacrer inutilement un des rescapés dont on est à la recherche, même si en moi, je sens cette entreprise vouée à l’échec, me basant sur l’odeur létale qui envahit les alentours…
Nous entamons alors notre visite de l’Aynore. Pour des raisons pratiques évidentes, vu la taille réduite des cabines de ce couloir, nous nous y répartissons un par un pour essayer de trouver des survivants au crash. Ainsi, je m’occupe d’une extrémité du couloir, constituée de trois portes.
Je m’approche d’une d’entre elles, entr’ouverte, d’où sort la même curieuse lumière rougeâtre. Malgré mon pan de cape sur les lèvres, je perçois l’odeur ignoble qui se dégage de la petite pièce avant même que j’ai eu le temps d’en ouvrir complètement l’huche. Pas rassuré, mais en même temps poussé par une curiosité sans faille, je pousse du coude ce pan de bois qui s’ouvre dans un grincement rauque et inquiétant. En voyant l’atrocité qui s’offre à moi sitôt mes yeux posés sur le sol, je ne peux retenir un petit cri d’horreur, détournant rapidement le regard de ce spectacle macabre… Dans la cabine gît un homme en soutane dont la couleur d’origine devait être le blanc. L’habit est maintenant presque entièrement couvert d’un liquide rouge foncé, du sang. Le cadavre est froidement empalé sur une chaise brisée. L’objet détruit traverse le dos de prêtre pour ressortir par sa panse, exposant ses entrailles juteuses et gluantes par un trou béant et sanglant. Sa colonne vertébrale est sans doute brisée, vu la position peu naturelle du corps sans vie, plié à l’envers. Son visage est marqué d’un stigmate funèbre, la peau d’une pâleur exsangue, la bouche ouverte bêtement, les yeux grands ouverts, et entièrement blancs, comme dans une ultime convulsion éternelle. Je réprime difficilement un haut-le-cœur qui manque de faire ressortir tout mon déjeuner. Je referme la porte aussitôt, écoeuré par cette affreuse victime de l’accident.
(C’est curieux comme parfois la mort peut prendre de curieux visages parfois…Comme si le spectacle de la vie d’un homme s’achevait par une apothéose parfaite, une symbiose parfaite entre l’être et le néant…)
(Arrête, tu es répugnante…)
(Ne dis pas ça voyons tu as toi-même de nombreuses fois offert de telles postures à tes ennemis… La mort est un passage obligatoire, admire sa beauté, sa netteté…)
(Je ne pourrais jamais l’admirer, je n’admire que la vie ! La mort est froide et immobile !)
(Mais Cromax, la mort c’est la vie…Il n’y a pas de vie sans mort ! Il faut l’accepter telle qu’elle est…Tout ce qui est chaud s’éteint un jour, tout ce qui bouge s’arrête un jour. On ne peut rien y faire, à part l’accepter…)
(Tu as sans doute raison…Mais c’est quand même affreux…)
(Tout est une question de point de vue, tout est relatif…Quand tu vois la mort, tu ne peux que te féliciter d’être encore en vie…Profite, le temps passe, s’écoule, file plus vite que tu ne le penses…même pour un elfe…)
Je reste muet mentalement. Mes pensées sont sombres, mais je sais que Lysis a raison, et je sais aussi que c’est ce que je pense, au fond de moi… Ce n’est pas la mort de ce prêtre qui me dégoûte, c’est de croire que j’aurais pu être à sa place, de me voir moi aussi empalé par une chaise, victime d’un accident aérien... Perplexe, je poursuis la visite des cabines qui m’ont été octroyées, lâchant le pan de la cape qui ne sert désormais plus à rien. Je respire l’odeur mortuaire comme une fatalité, essayant de la surpasser pour percevoir d’autres parfums, plus doux…Sans y parvenir…
J’entreprends la fouille d’une autre pièce, redoutant déjà ce que je trouverais à l’intérieur. J’ouvre la porte et encore une fois, ne peut retenir un soupir de surprise morbide. Au milieu de la petite cabine, deux nouveaux morts. Agenouillés face à face, se soutenant dans leur mort. Une lame usée leur transperce le corps de part en part, les maintenant unis à jamais. Un des deux a la tête coupée, mais je ne vois nulle trace de celle-ci dans la cabine. Le visage de l’autre est comme enfoui dans la gorge béante de l’autre. Comme si il lui avait bouffé la gueule dans un dernier espoir, dans une dernière pulsion de mort.
(Une passion dévorante…huhuhu)
(Tu vois quand tu veux…)
Mais je sais que tout ceci n’est que mise en scène, puisque la trace de la décapitation est nette, droite, faite par une lame tueuse et précise, hargneuse. Le sol est rempli de sang qui a eu le temps de sécher et de s’incruster dans le parquet. Je contemple un peu la scène qui unit ses deux hommes dans leur mort, me laissant même à m’imaginer, à nouveau, moi à leur place, avec un homme de glace en armure cristalline… Je laisse ces amants létaux dans leur dernière position et tourne le dos à la pièce, un vague sentiment nostalgique dans l’esprit. Je me tourne alors vers la troisième porte, qui est totalement close, celle-ci.
Par pressentiment, je m’attends presque à voir un cadavre littéralement cloué sur celle-ci, à l’intérieur, mais quand j’essaie de la pousser, elle reste fermée. Je réessaie à nouveau, frappant dessus, mais rien ne bouge.
« Ohé, il y a quelqu’un là dedans ? Ouvrez, on est des amis ! »
Je me rends compte seulement après de la stupidité de ma phrase… Si c’est une créature de mal qui m’ouvre, comment lui expliquerais-je que je suis son allié…
(Le mal et le bien sont deux notions abstraites, tu te dois de les surpasser…)
J’essaie encore deux ou trois fois d’ouvrir la porte récalcitrante, sans y parvenir. Résigné, je rejoins les autres qui se sont rassemblés pour poursuivre notre visite de l’Aynore.