Cromax a écrit:
Un grondement sourd, de plus en plus présent, de plus en plus fort et vif se fait ressentir. Les deux portes immenses s'ouvrent lentement alors que, terrorisé, je les regarde dans leur lent mouvement, toujours agenouillé sur le sol, seul et confus. Les autres derrière moi ont fouillé le cadavre en charpilles de Daulandi, ce traître abject... Lothindil semble amèrement regretter son geste meurtrier envers cet homme qui était tel Fizold... Pourquoi n'avait-elle pas essayé de le sauver, ce traître-ci? À partir de quel niveau de traîtrise est-il bon de punir la trahison, ou de protéger le coupable... Qui est-elle pour juger ainsi de ce qui est juste? Lothindil n'est en fait que comme nous, même si une grande puissance l'habite. Elle a des sentiments, malgré sa grande foi en Yuimen. La haine en fait partie, et pourquoi pas l'amour, qui est plus fort encore... En moi, je ne désespère pas qu'elle trouve un jour celui qui l'aimera, et qu'elle aimera, mais cela n'est pas vraiment mon soucis pour le moment.
Les portes sont désormais grandes ouvertes, et les ténèbres s'offrent à nous. Je redresse avec curiosité un regard qui ne voit rien dans l'obscurité du passage. Les battants finissent enfin leur lente ouverture et soudain, un puissant vent semblant venir des entrailles profondes et lointaines de la terre nous aspire dans ces limbes maudites qui nous sont inconnues. Je tourne la tête pour échapper à cette rafale destructrice et dans mon mouvement, malgré mes yeux plissés et la poussière qui vole autour, j'aperçois Ello nous regarder d'un air triste, dissimulé derrière les arbres où il avait fuit.
(Nous allons tous mourir...)
Avec rage, je me retourne prestement, plantant de toutes mes forces la hache puissante du défunt Andelys dans le sol graveleux derrière moi. Je sens mon corps attiré par le vide noir, les abysses infernales, mais je m'agrippe au manche solide de l'arme plantée dans le sol, espérant que ce vent de folie cesse... Dans un regard vers mes compagnons, j'aperçois les dragons qui sont de plus en plus proches. Je distingue maintenant très bien ce qu'ils ont entre les griffes...
(Cheylas, c'était bien toi! Ordure, traîtresse au corps si désirable...)
Arrivés à une distance raisonnable de la porte, ils la jettent avec puissance dans le gouffre qui s'ouvre et nous attire tous. Qui peut résister au choc qu'elle recevra en se fracassant les os à sa retombée? Si bien entendu elle n'était pas déjà morte avant... mais ma pensée est directement infirmée puisqu'un cri atroce retentit alors qu'elle passe à toute vitesse au dessus de mon corps allongé sur le sol juste devant la porte. L'horreur peut se lire sur tous les visages. Que se passe-t-il donc ici? Pourquoi ne sommes-nous pas déjà sur le bateau à rejoindre la lointaine Kendra-Kâr tel que l'avaient préconisé les dragons? Notre curiosité mal placée semble nous avoir menée aux portes de la mort, où la terreur n'a plus de nom puisqu'elle est partout, enveloppant chaque âme et chaque corps.
C'est au corps décharné de l'autre traître, Daulandi, à rouler violemment en direction des portes, et donc de moi. Il se redresse presque et son corps sans vie semble courir jusqu'au gouffre. Gardant une main solidement fixée au manche de la hache, j'évite de justesse un coup de botte du mort d'un revers de ma main libre alors que De vient de lui arracher son katana au vol. Je m'agrippe à nouveau entièrement à la hache, n'en pouvant plus de l'attirance sans faille ni demi-mesure qui nous pousse tous à tomber, à choir, à chuter vers l'inconnue obscurité. Le rouquin s'envole littéralement et est absorbé par les ténèbres, rapidement suivi de la petite Keynthara, qui désespérément s'accrochait à lui. Leurs cris me sont insupportables. Je grimace, haineusement, maudissant le sort qui nous a amené ici... Le médecin suit ce décompte macabre... Meurent-ils tous en passant de l'autre côté?
(Purée mais je vais m'en prendre un sur la gueule si ça continue!)
C'est alors que la plante que De, mon précieux ami, tenait avec acharnement, cède sous les assauts du vent et se déracine pour emporter le drow là d'où on ne revient pas... Je hurle maintenant de désespoir et de colère. C'est de ma faute si ils partent tous, si ils disparaissent à jamais. C'est moi qui ai ouvert les portes de l'enfer qui nous attend, mû par une folie accaparante. Mais je n'ai pas le temps de m'en vouloir. Seyra lâche aussi et son père, n'ayant plus de raison de vivre, la rejoint rapidement dans le trou sombre. Je continue à hurler, mais mes cris se répercutent dans le vide, absorbés eux aussi par le vent aspirant.
Les dragons se sont arrêtés, et semblent profiter du spectacle de la perte de nos vies, chacun à notre tour. Ces sadiques ne se bougent même pas pour tenter de nous venir en aide, et ils semblent parier sur celui qui restera le plus longtemps en vie. Mais je n'ai le temps de les maudire davantage. La hache plantée dans le sol commence à crisser, et malgré que je la tienne fortement, son accroche devient moins profonde, et elle glisse lentement par terre, créant un sillon profond, faisant grincer la roche et les cailloux, remuant la terre qui cède sous l'attraction.
Bogast est emporté à son tour, et arrive vers moi comme un pantin désarticulé, emporté par sa cape ample comme les ailes d'un oiseau, qui se gonflent pour mieux prendre le vent. À l'instant où, à l'instar des autres, il allait tomber dans le gouffre ténébreux, il chope du coin de la botte le tranchant de ma hache, qui sous le choc se décroche du sol. Je finis par le rejoindre rapidement dans le tourbillon d'ombres dans lequel il choit lamentablement, lui qui fut si puissant... Pourquoi n'a-t-il pas contré ce vent avec sa magie, lui qui est si fort! Lui seul aurait pu nous sauver, si ce n'est les dragons bien sûr, mais ils ne semblaient pas y mettre beaucoup de volonté... Peut-être laisseront-ils en vie le dernier rescapé... Ou peut-être pas...
Alors, c'est la chute... Une longue, que dis-je, une interminable chute vers le néant. J'ai presque l'impression de voler dans les ténèbres. Tout est noir, hormis l'encadrement de la porte qui reflète la lumière du jour, loin au dessus de nous, de plus en plus lointain, comme si même la lumière était ce que nous ne reverrions jamais. Puis une silhouette, une ombre dans la clarté qui nous regarde choir sans être lui même attiré. C'est Ello qui nous dit adieu, Ello pour qui nous nous sommes battu et pour qui nous sommes tous tombés. Mes yeux, agrandis par la terreur de cette chute sans fin, sont grands ouverts, exorbités, marquant une peur sans nom sur mon visage. J'ai la bouche ouverte, mais plus aucun cri ne sort. J'ai le souffle coupé. Je semble flotter, tout s'est arrêté, tout est noir...
Tout est noir, hormis dans mon dos, ce que je ne peux voir, une vive lueur, éblouissante, puissante. Ça me donne l'impression d'être dans le ciel obscur de la nuit et de tomber lentement vers une étoile abandonnée, seule dans l'infini, attirant tout ce qui s'approche pour l'avaler, le manger, le broyer, le macérer lentement jusqu'à ce qu'il n'en reste rien... Ainsi donc sera ma fin? Dévoré par une étoile au coeur de la terre, disparu à jamais dans les abysses profondes dont on ne voit jamais le fond? Je ne peux l'admettre, je ne peux l'accepter! J'essaie de remuer, mais mes membres de répondent plus. Je cherche du regard Lillith, mon amant, De, mon ami, ainsi que tous mes autres compagnons d'aventure, sans jamais les voir. Tout est sombre, et mes paupières se sont closes sans même que je m'en sois aperçu.
J'ai l'impression de rêver, d'être au milieu d'un songe, tout le corps parcouru par un épais sommeil dont nul ne me tirera plus... Je sens la chaleur m'abandonner, la vie qui file en dehors de mon enveloppe...
(Non! Je dois la retenir!)
J'essaie à nouveau de contracter tous mes muscles, un souffle d'air me pénètre et ma respiration reprend. Je vois rien, ni ne sait bouger, mais j'ai l'impression d'avoir cessé de tomber, comme si mon corps s'était habitué à cette chute sans fin...
(Suis-je mort?)
Pas de réponse, ni de Lysis, ni de moi... Pourtant, je sens sa présence, je la sens en moi, même si elle parait loin enfouie dans les tréfonds de mon esprit... Est-ce donc ça la mort? Ne rien sentir, ne rien voir, être prisonnier sans pouvoir bouger ni parler, ni même entendre? Et en être conscient sans même pouvoir réellement penser... Est-ce ça la mort? Son bras glacial aurait arraché la lueur de vie qui brûlait en moi? Je ne peux le croire, je me bas contre ça, et je sens... je sens... Je ne sais ce que je sens, mais je sens, donc je vis. Je pense, donc je suis, et rien ne pourra jamais se dresser contre ça, rien ne pourra jamais m'enlever cette puissance interne qui fait tout mon être, sans quoi je ne suis rien de plus qu'un tas de cendres.
Enfin reviennent les sensations. Le froid d'abord, perçant, glacial, pénétrant les habits, la peau, la chair et les os. La chute est en effet finie, et je me sens posé sur une paroi glaciale, comme une plaque immense de verglas, dure et froide, sombre et plate. De nouveau, je ne peux plus bouger, je suis comme gelé, et ma conscience m'abandonne...
(Je ne peux pas mourir...)
Le noir revient, et après le noir, le vent, un vent froid qui fouette la peau de mon visage paisible, qui semble endormi à jamais. Mais je sens tout, le sable et la poussière portés par cette brise glaciale. Les grains de sablent vont partout, s'agglomèrent aux coins des lèvres, dans les cheveux, dans les armures et dans les chausses. Ils grincent, ils grattent, c'est insupportable!!
Puis, c'est comme si quelqu'un avait allumé la lumière. Une lueur claire filtre à travers mes paupières, et je veux ouvrir les yeux pour l'admirer, oubliant le vent, oubliant le sable, oubliant le froid mordant. Mes paupières s'ouvrent lentement, dévoilant mes yeux protégés par ma main droite dont j'ai repris possession. Mais dès qu'ils sont ouverts, ils se referment directement, crispés, comme tout mon visage. La douleur est cinglante et je n'ai rien pu voir. Je les ouvre à nouveau, plus prudemment, et à cet instant, je me dis que j'aurais du les laisser fermés... De ne plus jamais les ouvrir, mais je ne peux plus clore mes paupières. L'avidité de mon esprit à voir à nouveau est bien trop grande, et le spectacle bien trop impressionnant pour en louper le moindre détail.
Au dessus de moi, le ciel... Mais il est tel que je ne l'ai jamais vu, irréel, encore plus immatériel que je le vois habituellement. Des nuages noirs et gris aux reflets mordorés tournoient lentement en un tourbillon macabre autour de ce qui semble être un visage. Deux deux d'un blanc laiteux forme le regard malsain et gênant qui nous observe avec cruauté et placidité comme si nous étions des fourmis dans un flacon de verre... Qui sait si cette chose n'a pas une âme d'enfant et n'attend qu'à nous écraser quand il en aura assez de nous observer.
La peau de cette créature, si c'est bien de la peau et si c'est bien une créature, est d'un rouge sombre, comme si cette face géante avait été écorchée et que la peau lui manquait. L'horreur apparaît sur mes traits, et je veux crier, mais encore une fois, aucun son ne sort de ma bouche. Je me redresse doucement, paniqué. Assis sur le sol, couvert de brume blanchâtre, je ne peux voir ni mon corps enseveli par le brouillard, ni mes compagnons... J'ai l'impression d'être seul face à ce monstre dégoûtant, cette horreur répugnante et effarante. Mon corps tremble, plus de peur que de froid, puisque j'y suis assez résistant... habituellement, je le suis à la peur aussi, mais en ce cas présent, c'est plus fort que moi, et mes genoux grelottent et se cognent comme si j'allais effectuer une danse rythmée. Je me redresse doucement, me mettant à croupis. Je vois autour de moi les vestiges de prestigieux bâtiments pour la plupart détruits... Des ruines attestant d'une civilisation brillante déchue dans des temps anciens. Ces carcasses de bâtiments sont le seul témoin de ce qui a pu se passer ici... Je me redresse et finit par me mettre debout...
C'est alors que je suis encore plus frappé de stupeur. Autour de moi, à perte de vue, des tombes, des stèles, des mausolées, des temples mortuaires qui s'étendent à perte de vue dans une immense plaine aux tons ocres. Partout règne cette lumière orangée, confondant ciel et terre sans qu'on puisse les distinguer. Si ça n'était le froid régnant, on se serait cru au coeur d'une flamme, d'un feu, comme si Fizold avait ici sa vengeance sur mon coup de pied rageur...
Le silence est affreusement angoissant. Seul les cris du vent atteignent mes oreilles. Petit à petit, mes compagnons se relèvent, comme sortant du sol, comme sortant des tombes, sous la brume. Je ne peux croire que c'est eux, et je les observe avec un regard fou, apeuré presque de les voir, comme si ça n'était pas eux. Je dégaine mes deux lames, le sabre et la rapière, et regarde mes compagnons avec un regard fou.
« Ne m'approchez pas, restez où vous êtes!!! »
Je les menace à distance de mes armes. Je n'ai pas confiance... Je ne sais pas où on est, je ne sais pas si ils sont vraiment ceux que je connais, je ne sais même pas si je suis encore moi... Mon regard fuit tout autour de moi, pour voir je ne sais quel être démoniaque sortir de je ne sais où... C'est alors qu'un éclair puissant strie le ciel, me faisant sursauter de plus belle et je pousse un cri bref de frayeur... Le silence revient, et je n'ai pas baissé la garde de mes lames... Je me perds dans mon esprit...
Je crie...
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAA! »
Je frappe les airs de mon sabre et de ma rapière, je ne sais pas ce qui me prend... La colère monte en moi, sans que je puisse l'expliquer... Je hurle au vent...
« Où est-on?!?? Qu'est-ce que ce lieu maudit!? »