Une voix. Une voix...
(Oh mais c'est pas fini, oui ?! Y'en a qui essaient de dormir, ici !!)*
Froides et terribles les heures dans les confins du monde visible – étranges et méphistophéliques heures, pour sûr, quand on ne sait revenir depuis les limbes éthérées, les oniriques tourbillons, emprunts de tout ce qui s’apparente aux évanescents instants de songe : brouillards opaques et impénétrables, jeux d’ombres et de lumières, sans couleur et sans forme ; simplement l’angoisse au ventre, et dans le cœur le tressaillement d’horreur de se savoir bientôt éveillée, de se savoir bientôt ouvrir les yeux – et sur quoi ? – de se savoir bientôt… bientôt offerte aux mains qui se saisiraient de vous.
Ô lecteurs, qui savez être de moi adorés, voyez cette reine gisante : l’or de sa chevelure parsemant la tunique souillée qui la vêt dans un rayonnement stérile ; ses membres, d’ordinaire si pleins de la grâce tout altière qui est l’apanage des Akrillas superbes, curieusement lancés comme dénués de vie ; et son petit visage, à nu, quand la coutume voudrait qu’un masque d’iris aux pâles nacres violines en dissimule les blessures.
(Non, mais il faut avouer : même avec ça je suis canon.) N’eût été cette impression étrange de pérégrination, traversée des eaux stagnantes et malsaines d’un bourbeux marécage, j’eusse entièrement laissé mon esprit sous la férule du rêve – aux allants de cauchemar.
Ce n’est là que transhumance coutumière : qui jamais ne se fit enfermer dans la geôle, effroyable s’il en est, d’un songe qui se répète et s’étire à l’infini ? Point n’est rare encore de se voir soi-même, de loin en loin, et sans traits : simple cuir blanc comme toute figure, sans reliefs ni silhouettes, sans nez, sans bouche, et sans orbites même.
Je m’achemine avec toute la délicatesse dont je puis être prise quand j’en témoigne l’envie – et ceci, sachez-le, se produit en tout moment que je passe sur terre – et étreinte de cette douceur amène, j’avance, languissamment, vers le mirage chimérique de mon corps.
(Non mais qu’est-ce que c’est que ce truc tout moche ?!!)Alors là, lecteurs, je vous prie instamment de bien vouloir détourner les yeux de cette saumâtre illusion, qui ne sert guère le portrait princier que j’aime à vous dépeindre en tout temps. C’est que cette vile étoffe-là ne flatte en rien les délicieuses courbes qui galbent, avec de savantes proportions, mon corps au tour presque divin !
...
...
-
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!Quelle n’est pas ma surprise, ô lecteurs qui ne savez vous passer de mes contes, tandis que mon esprit contemplatif de ma propre personne tout à coup se fait happer dans un fuyant vertige ! Que n’était-ce donc là un rêve ! Que ne suis-je restée dans les mains de mes derniers assaillants, félons, renégats et traîtres qu’ils étaient, ou aux prises avec cet Aldryde scélérat et impie ! Car ici point n’est-ce cette mirifique vision d’Ararielle aux mille portes, point non plus de son Soleil, et non même de ses corridors engloutis dans l'obscurité et pourtant si rutilants, déjà…
Point n’est-ce là un songe, oh non, et pourtant c’eût été force soulagement. Car j’omis certainement quelques mortels apprêts de cette scène où je ne voyais que moi – et, m’éveillant aux brumes perlées d’une rosée morbide, elle qui augure cette aube de conscience, je vois.
Que s'écartent les brumes, et dès lors tourbillonnent des milliers d'étoiles. Je traverse maintenant, plutôt que les lacets épais et vaporeux, lactescentes nuées, les myriades telluriques confondues dans une nébuleuse aux sauvages couleurs. Orfèvrerie, certes, qui point dans les abymes du cosmos pour se jouer des âmes perdues, elles qui, hères fourvoyées et pathétiques, tentent de resurgir des portes de l'irréel. Et quand se déchirent les brouillards, et que s'éteignent les étincelles des joyaux divins, l'étourdissement me saisit tout entière : mon esprit s'attache à nouveau à la chair, et retrouve les élans seulement connus d'elle – l'abattement du poing, l'ecchymose et l'algie : ceux-là sont l'origine du maelström d'étoiles qui s'imposa à moi... Mais s'évanouissant, éphémères, les vapeurs révèlent une toute autre couleur : verdâtre est cette pâle figure.
M’écartant promptement d’un brusque battement d’ailes, je rencontre du dos un corps tout encore rompu des battements sourds d’un cœur qui s’échine à le maintenir en vie - un corps penché sur ma couche comme par un effet du hasard.
Soudain mes sens s'accélèrent, et me parvient alors ce que de prime abord je n'avais point perçu : de délicats relents de chairs rongées par le mal, la maladie et la mort.
Celui sur lequel je me trouvai naguère, lui, n’a de vie que de tristes souvenirs.