Jardins intérieurs

H-3

La porte de verre s’ouvrit sans un grincement sur une pièce pour le moins incongrue dans un bagne de détention aussi glauque et sombre que celui-ci. L’endroit était baigné d’une agréable lumière, totalement artificielle, mais dont Eiko ne perçut pas l’origine. Elle semblait émaner des murs, qui étaient peints dans de jolis paysages naturels faits d’arbres et de nature verdoyante en trompe-l’œil. La plus grande partie de la pièce était envahie de plantations en tous genres. Arbustes, buissons, fleurs, plantes, légumineuses ou champignons, la variété des espèces était pour le moins impressionnante. Un vrai petit paradis pour tout jardinier qui se respecte. Des petits sentiers de bois parsemaient les plantations, pour faciliter l’accès à certaines espèces, sans doute. Nulle ombre de mouvement ici, cependant. Pour le moment du moins. En tout cas, Eiko ne put voir personne surprendre son entrée dans la pièce.

Les dimensions de la salle étaient plutôt étendues, bien qu’imprécises à cause des murs en trompe-l’œil et de la lumière ambiante, qui changeait tant de chose par rapport à l’obscurité constante du Bagne, même à l’extérieur.

La porte de verre opaque s’ouvrit sans un bruit, ce qui me soulagea instantanément. Le monstre qui rôdait dans la cour n’avait rien perçut et rien ne semblait bouger dans cette salle remplie de végétaux. J’entrais précautionneusement, il n’y avait pas de mouvement, mais on n’était jamais trop prudent, surtout dans un endroit comme celui-ci. Une créature pouvait bien se cacher dans les feuillages et surgir à tout moment! Je devais me méfier, me méfier de tout, et de tous! Rien n’était plus sécuritaire jusqu’à présent. Ce fût avec méfiance et ébahissement que je fis quelques pas dans cette serre illuminée par le soleil qui passait par je ne sais quel moyen au travers des murs. Je ne savais pas si l’une de ces plantes allait s’avérer être une espèce de plante carnivore affamée de chair humaine, et me happer pendant que je passais à côté. Ou encore si ces plantes étaient toxique et émanaient dans l’air des toxines aux effets divers et dangereux. J’avançais en regardant partout autour de moi, en prenant soin de marcher sur les petits sentiers aménagés spécialement pour se déplacer sans piétiner les fleurs.

(On dirait bien que tu deviens parano mon petit Eiko, cette captivité devient inquiétante.)

(Sans blague! Et je suis prudent, pas paranoïaque, et encore moins petit! Je me demande à quoi tu sers parfois…)

(Je suis bien plus utile que ce que tu sembles croire!)

Je l’avais encore offusqué, mais elle ne faisait que me rappeler des choses que je savais très bien, une situation désastreuse. Au moins cette endroit ne paraissait pas encore hostile, j’avais le temps de faire plusieurs choses, du moins avant qu’un danger ne surgisse. Il y avait dans ce jardin plutôt grand, des plantes aux feuilles assez larges et en assez grande quantité pour en récolter quelques une afin de me fabriquer des habits. En espérant ne pas tomber sur une plante irritante ou toxique, je lui enlevais quelques feuilles pour me fabriquer un genre de pagne. Ce ne serait pas le grand lux, comme les tissus ynoriens, mais au moins je ne serais plus cul nu. J’attachais les feuilles ensemble à l’aide d’autres plantes grimpantes, leurs grandes tiges qui s’agrippait un peu partout agissaient un peu comme une ceinture rudimentaire. Très peu confortable cet habit de confection artisanal prendrait le large dès que je trouverais mieux. En attendant je devais penser intelligemment, j’étais dans un jardin, un jardin perdu au milieu d’un bagne gardé par des créatures maudites, j’avais toutes les chances d’y retrouver la mort, je devais donc tout faire pour augmenter mes chances de survivre. Que faisait-on dans un jardin, on y faisait pousser des choses, des plantes, des fleurs, et même des légumes! Pour survivre je devais manger, boire de l’eau, ne pas me faire attaquer, et trouver la sortie. Toutes ces choses semblaient si simples à réaliser qu’elles me semblaient impossibles. Sans totalement me décourager, je me mis à la recherche de quelque chose de comestible, que ce soit des fruits, des légumes ou même des racines.

Eïko ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait. La diversité des plantes présente était telle qu’il existait moult sortes de plantes à larges feuilles, et autres tiges de taille raisonnable pour s’en faire une ceinture. Il arracha deux feuilles et une tige, et s’en constitua un pagne de fortune. Une sorte de jupe végétale qui ne tenait que via le nœud qu’il avait fait autour de sa taille.

Ce fut alors qu’une voix retentit dans son dos. Enfin, retentir n’était pas vraiment le mot exact. Elle parla, plutôt. Lentement et calmement, posément. Avec un rythme si bas qu’elle amenait presque automatiquement le bâillement. Car en plus, elle était basse et grave, et monotone. Sans le moindre relief.

« Voiiilààà bieeen uuune uuutiliiiisaaaatioooon oriiiigiiiinaaaale d’uneeee plaaaante. »

La créature qui avait prononcé ces mots était fort curieuse, en réalité. Il était logique qu’Eiko n’ait pu l’apercevoir plus tôt. Une tête plus ou moins entre l’humain et le lézard, perdue sous une chevelure semblant être faite d’herbes, qui s’étendait sur les épaules et le dos de l’être. Deux longs bras semblables à des troncs d’arbustes le maintenaient en équilibre, et se terminaient par de longues mains aux grands doigts noueux. À la place de ses jambes, c’était le corps d’un serpent qui s’étendait sur le sol, lui aussi recouvert d’une imitation d’herbe.



Il portait des bracelets, et des pochettes en bandoulière. Ainsi qu’une ceinture de ronds d’argent où brillait une émeraude, en son centre. Il se tenait là, passif, attendant sans doute une réponse ou une réaction du prisonnier humain.

Déterminé à trouver quelque chose à se mettre sous la dent et à en faire des provisions Eiko commençait à chercher dans les nombreuses plantes qui se trouvaient à proximité de lui. Dans son observation canalisée sur la trouvaille de victuailles, il ne se rendit pas compte qu’il n’était pas seul dans ce jardin. Il continuait à fouiller, tassant quelques feuilles pour voir ce qu’il y avait en dessous. L’ynorien sursauta quand la voix sourde et grave retentit derrière lui. Il se retourna rapidement, serrant la petite pelle qu’il avait trouvé à l’extérieur. La créature qui lui faisait maintenant face l’avait surprise, Eiko ne s’attendait pas non plus à ce qu’elle lui parle. Au moins, se disait-il, la voix de cette chose n’était pas agressive et ne semblait pas vouloir l’attaquer… du moins pour l’instant. Il ne s’étonna cependant pas de pourquoi il ne l’avait pas vu avant. La chose ressemblait à l’environnement ambiant, avec des bras d’écorce, une chevelure d’herbe et un teint fait pour se camoufler dans la verdure. Son visage avait quelques ressemblances avec celui des hommes, mais tirait sur des traits reptiliens. Ce qui marqua le plus le jeune homme fût le corps de la bête, rattaché à un tronc ayant l’aspect d’un corps humain, avec deux bras, des épaules et une tête, les jambes de cette créature se constituaient plutôt d’un corps de serpent. Sa queue de serpent était recouverte elle aussi de gazon. Eiko frissonna en voyant cet attribut particulier, mais comprit comment elle se déplaçait si silencieusement.

« Pa…Pa…Pardon, je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un ici. » Déclara-t-il, son bégayement trahissait sa surprise, et peut-être son dégoût pour les créatures rampantes.

La créature parlait des feuilles qu’Eiko avait transformées en pagne, il les regarda un instant avant de retourner ses yeux pâles sur elle. Elle semblait trouver intéressant cet emploi de la nature, l’humain haussa un sourcil se disant qu’il pouvait utiliser ce fait pour amadouer la créature, dont il n’avait aucune idée de l’origine.

« Ah bon, vous trouvez? C’est certainement moins pratique que votre camouflage, et moins élégant que votre ceinture d’argent. »

Une pointe de nervosité était audible dans sa voix, mais il tentait de paraître aussi calme que ce qu’il avait devant lui. Le fanatique venait de remarquer l’éclat de l’émeraude qui ornait la ceinture métallique de la bête, il souria, pensant que peut-être elle n’était pas insensible aux compliments.

La créature inspira longuement avant de répondre de la même voix lassante qu’avant.

« Caaaaamouuuflaaaaage ? C’eeest deeee mooon aaaapaaaareeeence queee vouuus vouuuus moqueeeez ? Aiiiiinsi jeee suiiiis nééééé, et aiiiiinsi jeeee reeesteeeeeraiiiiii. Jeeee suiiiis l’aaaaalchimiiiiste du Baaaaagne. Queeee faaiiiiites vouuuus iciiiii ? »

Il réajusta sa position sur ses mains immenses, comme pour se rééquilibrer un brin.

Contrairement à ce que l’humain pensait, la créature avait pris sa flatterie pour une moquerie, elle eut cependant la gentillesse de lui apprendre qui elle était. Ainsi cette chose était l’alchimiste du Bagne, c’était plutôt bon à savoir se disait-il, malheureusement il ignorait ce qu’il pouvait en tirer.

« Me moquer, non pas du tout, au contraire! Vous avez de quoi être fier! »

Les paroles et les gestes lents de l’alchimiste avaient tendance à exaspérer Eiko, qui n’attendait que la fin de la phrase qu’il prononçait. La question qu’on lui posait le fit réfléchir un peu avant de répondre, après tout il ne savait pas exactement ce qu’il faisait là, seule cette conviction de liberté l’avait mené jusqu’ici.

« Je me suis réveillé dans une autre salle, mais elle était vide… Pas l’ombre d’un vivant… Je suis donc sorti et arrivé ici sans trop savoir. J’espère ne pas trop vous déranger, vous devez sans doute être très occupé en tant qu’alchimiste. »

« Oooooh je voiiiiiis. »

L’alchimiste sortit un petit couteau de l’une de ses pochettes et s’approcha d’une plante aux fleurs en larges corolles jaunes, et il en récolta lentement les pétales, sans en abimer le reste. Tout en œuvrant, il précisait.

« Paaaaas de déraaangemeeeent, moooon boulooooot n’eeeest paaaaas prééééciiiipiiiitéééé. Jeeee termiiiiine la cooooonfectiooooon d’uuuun nouveaauuuuu poiiiisoooooon. Veneeeeez, suiveeeeeeez-moiiiii. »

Et en glissant de son long mono-pied, il se dirigea vers la sortie de la pièce pour se rendre dans la cour.