J'avais réussi à passer par-dessus cette rivière entendant vaguement derrière moi des bruits de combats qui ne m'intéressaient plus, mes pensées étant focalisés sur les deux fuyards se trouvant non loin de moi.

Rapidement le décor changea sous mes pieds et devant mes yeux. J'avais enfin réussi à quitter la zone du crash sans de dommages supplémentaires. La végétation est ici plus importante, empêchant de courir correctement mais je n'en avais que faire, mes oreilles d'elfes me permettaient d'entendre ces deux faux jetons. Les traces de leurs pas sur le sol étaient également un autre indice important pour moi. Je n'avais qu'à suivre les petits cailloux qu'ils avaient laissé sur leur passage.

Malgré la densification de la végétation, je parvins à les rejoindre facilement et rapidement. Farië m'avait suivi, mais quelle dinde celle-là ! Incapable de faire quelque chose, de montrer qu'elle n'est pas la femme faible et innocente qu'elle a pu nous montrer jusqu'à présent. Elle semblait dans un état second et nous informa que le monstre était affreux et qu'il avait mis un terme à la vie de Lioval ou l'inverse. J'étais incapable de discerner le vrai du faux mais de toute évidence, Lioval n'avait pas du lui faire grand mal.

La colère en moi était toujours intact et je me mis à leur cracher du venin au visage à tous les trois.

- "Vous n'êtes que des lâches, si vous étiez dans l'armée vous seriez considérés comme des déserteurs et il est de mon devoir en tant qu'officier de l'armée sindel de vous poursuivre et de vous traduire en justice tous les deux."

J'avais sorti mon épée de son fourreau et pointait les hommes maintenant de ma lame. Puis je passai le bout vers Farië.

- "Quant à toi, si tu m'as suivi en te disant qu'en m'isolant je serrais plus vulnérable à une attaque, tu te trompes. Tu aurais pu rester et aider Madoka d'une quelconque manière."

Je levai alors la tête au ciel cherchant une réponse et elle vint rapidement naître en moi. Mon choix était fait, en vérité, leurs actions parlaient pour eux. Dans mon esprit un tel crime méritait un châtiment exemplaire.

(Aenaria, non !)
(Il ne mérite pas de vivre. Vivre en trouillard n'est pas une vie, vivre dans la peur ne sert à rien. Il vaut mieux mourir en s'étant battu que de vivre avec la honte d'avoir abandonné son bataillon.)
(On n'est pas à l'armée et encore moins à la guerre !)
(Détrompes-toi, la vie est un champ de bataille sur lequel nous piétinons constamment. Il est temps que je reprenne les choses en main.)

La conversation était terminée avec ma faera, je pris alors une profonde inspiration et rengainais mon épée dans un mouvement théâtral avant de parler.

- "Vous ne me laissez pas le choix tous les trois, votre sentence est la mort. Faites maintenant face à votre bourreau !"

Aussitôt je fis monter mes fluides d'éclair au niveau de mes mains et je sus instantanément quel sort j'allais lancer. Même si je savais qu'il y avait un risque qu'il foire, je n'en avais que faire. Ils goûteraient à la lumière ou à l'éclair et cela m'allait parfaitement. Ainsi donc, je les visualisai tous les trois autour de moi et choisit de lancer le sort d'éclair le plus dévastateur que je possédai, conductivité. Il avait le pouvoir d'attendre de nombreuses cibles et c'était ici le but recherché. Je lançai donc mon sort vers le coureur de plaines en espérant que la suite toucherait le druide puis Farië.

Et encore un sort que n'agissait pas comme je le souhaitais.

(Mais qu'ai-je fait au dieux de Yuimen pour mériter ça ?!)
(Très bonne question ma chère.)
(C'est fini les sarcasmes oui ...)

En plus de l'éclair, la lumière se mélangea au premier sort, frappant mes adversaires tout en les aveuglant. L'efficacité aurait pu en être doublé mais au contraire, très peu de blessures pour ces trois indigents. La personne qui souffrit le plus de cette attaque fut le compagnon corbeau du coureur des plaines. Aussitôt Ilmryn se rua sur lui me maudissant à haute voix mais je n'en avais que faire.

J'étais le juge et le bourreau dans cette histoire. Je me devais de mettre un terme à leur vie parce qu'ils avaient selon moi commis un crime impardonnable. Abandonner ces camarades en pleine bataille, ceci n'était absolument pas envisageable dans l'armée. Les rares fois où cela s'était produit durant mon service, nous n'avions plus entendu parler des fuyards, probablement parce qu'il n'était plus de ce monde. Cela devait être déshonorant pour les familles d'apprendre que leur enfant c'était comporté en traite.

La magie n'avait pas eu grand effet sur eux, place aux armes alors. Je dégainai ma fidèle épée de gargouille avec une lenteur calculée réfléchissant à ma première attaque. J'étais en sous-nombre, c'était évident, le seul avantage que j'aurais serait de frapper fort tout de suite. Ils semblaient tous un peu dans la lune suite à ma non-voulue double attaque lumino-éclairante, autant en profiter.

(Ta non-voulue double attaque lumino-éclairante ?)
(Comment tu veux que j'appelle cette attaque ? Si tu as un autre nom je suis preneuse !)
(A méditer là-dessus, je vais m'employer.)
(Fais donc, j'ai d'autres chats à fouetter.)

Le druide qui était déjà à moitié dans l'espace avant l'était encore plus, profitons de cet avantage et tentons de le déstabiliser un peu plus. Ancrant parfaitement mes pieds dans le sol, le droit en avant et le gauche en arrière, je pris appui afin de courir vers le druide, le chargeant de toutes mes forces.

Non sans surprise mon attaque atteignit son but cependant une telle attaque pouvait être à double tranchant car on perdait en maîtrise et on était relativement vulnérable à une contre attaque fatale. Malheureusement pour moi, ce fut mon cas aujourd'hui.

Ma lame avait méchamment entaillé le torse du druide qui s'était courbé sous le coup tout en attrapant mon poignet droit. D'un mouvement de son bâton, il abattit violemment son arme sur mon bras, me faisant lâcher mon épée et brisant mon radius par la même occasion.

- "Aaaaaaaaahhhhhhh !!!!!"

Je voyais trente-six chandelles sur le coup. J'avais déjà eu des os brisés mais le poignet c'était bien la première fois que ça arrivait.

(Est-ce que tout va bien Aenaria ?)
(Il faut que je soigne cette blessure rapidement, sinon je serais vulnérable à une contre-attaque.)
(Alors fais vite.)

Ma respiration était saccadée, mon bras me lançait, je ne pourrais prendre ma gourde de potion, je n'avais plus qu'une solution, utiliser ma magie en espérant qu'elle ne se détraque pas. Mobilisant mes fluides de lumière restant, je les fis monter vers mon poignet. Fermant les yeux et levant la tête vers le ciel, j'adressais une prière silencieuse à Gaïa.

(Gaïa, déesse solaire protectrice de Yuimen, prête-moi ta force et ton don de guérison afin de panser mes blessures et continuer ma quête salvatrice sur cette terre.)

Rabaissant la tête, je constatai en ouvrant les yeux que Farïe avait disparu du paysage.

(Quelle lâche celle-là !)

Quand au coureur des plaines, il était toujours près de son oiseau mort, victime collatéral de mon double sort mêlant éclair et lumière. Ne sachant trop quand ma magie ferait effet, je donnai un coup de pied dans le sol au niveau de ma lame afin de la récupérer dans ma main gauche et me tournait afin de regarder autour de moi. Il n'y avait plus que deux adversaires à punir, que se passera-t-il si je devais partir à la recherche de Farïe ?

L'effet de mon sort fut quasiment immédiat, je sentis petit à petit les os de mon poignet se ressouder, la douleur s'évaporant un peu plus à chaque seconde. J'oblitérai complètement le monde qui m'entourait, profitant de ce soin pour reprendre mes esprits. Ma respiration se calmait petit à petit, les battements de mon coeur ralentirent.

(Aenaria, attention !)

Mais c'était déjà trop tard, ma faera avait voulu m'avertir qu'Ilmryn me fonçait dessus mais je m'étais complètement focalisé sur l'effet de mon sort de soin. J'en avais perdu la notion même de ce que j'avais fait avant, d'où j'étais et je m'étais laissée surprendre comme une débutante, c'était une erreur intolérable. La colère monta en moi mais elle était vaine car l'attaque du coureur de plaine fut rapide. Sa prise sur moi fut excellente et je ne pus rien faire du tout. Ma tête heurta violemment le sol alors qu'il pointait son poignard sous ma gorge.

D'un seul coup, mes idées s'éclaircirent, comme si elles étaient dans le brouillard jusqu'à présent. Ma tête me faisait incroyablement mal, je ne saurais dire si c'était dû au choc sur le sol ou bien à autre chose mais un véritable cri de douleur sortit de ma bouche. Cela faisait un petit moment que je n'étais plus complètement maître de moi-même, était-ce du au collier que je portais autour de mon cou, j'en étais persuadée tout comme j'étais persuadée que l'île avait également une influence sur notre mental.

Je plantai mon regard dans celui d'Ilmryn qui me dominait de tout son poids, mon épée était bien trop loin de moi pour tenter quoi que ce soit.

- "Excuse-moi, je ne sais pas du tout ce qu'il m'a pris de vous attaquer. Je ne suis pas complètement moi-même. Cette île a une mauvaise influence sur moi. Je ne suis pas comme ça normalement avec les déserteurs, je ne cherche pas à les tuer et je n'arrive pas à comprendre pourquoi j'ai abandonné Madoka face à ce monstre. Libérez-moi, je ne tenterai rien contre vous."

Mais qu'est-ce qui avait bien pu me passer par la tête à ce moment-là pour vouloir leur mort à tout prix ? Mais pourquoi n'ont-ils pas essayé de se défendre ? On est tous dans ce merdier ensemble, si on fait preuve d'individualisme, on ne s'en sortira jamais vivant.

Ma vaine tentative pour essayer de les persuader de ma bonne foi n'eut aucun effet bien au contraire. Le druide resserra les lianes autour de mes poignets, de ma taille et de mes chevilles. Aucun des deux ne me croyaient sur ma rédemption par rapport à leur sort. Ils ne prenaient absolument pas en compte le fait que les colliers que nous portions étaient capable de manipuler notre volonté, ne nous laissant pas maître de nos mouvements.

Ilmryn parla ensuite étrangement tout en approchant un peu plus sa lame de mon cou. Il m'expliqua qu'il était capable de sentir que son double animal était bien en vie quelque part sur cette île mais quelle folie l'avait amené à penser une telle chose. Il me laissait la vie sauve si je m'amendais en les suivant gentiment comme un bon toutou. Le chasseur devient le chassé, quelle ironie !

(Tu t'es retourné contre eux, pourquoi ?)
(Je ne sais pas, je ne me contrôle plus. Ca me fait peur.)
(Tu devrais accepter leur offre, au moins tu seras en vie.)
(Je serais peut être capable de retrouver mon père et ma mère.)
(Ils sont morts Aenaria.)
(Ilmryn semble croire qu'Arkat son corbeau est vivant, je ne veux pas me monter la tête non plus, rassure-toi mais si il a raison, je peux bien rêver.)
(Je ne me ferais pas trop d'illusions si j'étais toi. Garde la tête froide, dois-je te rappeler que tu vas être entravée et désarmée ?)
(Pas totalement, j'ai encore un peu de magie en moi, du moins je l'espère. Et j'ai aussi ma lame dans ma botte.)

La pression sur mes membres étaient grandissante, j'allais bientôt sentir de nouveau mon poignet craquer.

- "Je vous suis, de toute façon je n'ai guère le choix. Mais que se passera-t-il si on tombe sur un os, je serais désarmée, vous allez m'offrir en pâture ? Vous ne vaudrez alors pas plus que moi."

Si la situation se présentait, je ne paierais pas chère de ma peau.

Ilmryn me souleva de terre en gardant sa prise sur son cou avec son poignard. Il fit alors preuve de discernement en disant qu'ils étaient loin d'être fous et qu'au besoin ils me libéreraient afin de me battre. Ils voulaient se prévenir d'un quelconque revirement d'esprit de ma part.

Il prit mon épée qu'il glissa à sa ceinture dans un fourreau que le druide venait de lui fabriquer sur mesure. Impressionnant ce bonhomme. Il ne parlait pas mais était d'une efficacité redoutable. Puis ce dernier lia mes mains dans une paire de menottes improvisées à partir des lianes qui m'avaient retenues au sol juste avant.

(La confiance règne, ça fait peur.)
(Tu t'attendais à quoi ?)

Je levai les yeux au ciel l'espace d'une seconde faisant ainsi comprendre à Crystallia mon dépit. Puis je suivis docilement le coureur des plaines et le druide vers le nord et le lac de souffre d'où émanait une odeur à soulever le coeur. La décision de se rendre dans cette partie-là de l'île me paraissait incongrue. De fait, je ralentis le pas voulant poser une question avant de continuer.

- "Qu'est-ce qui vous permet de dire que votre compagnon se trouve de ce côté-là ? Je sais que les coureurs des plaines ont un lien particulier avec leur compagnon mais pourquoi le nord et pas le sud ? Vous êtes capable de sentir la présence de son âme, mais comment ?"

Cela relevait du miracle, y aurait-il sur cette île une sorte de puit des âmes ou quelque chose du genre ?