La nuit était enfin tombée. Les torches au premier étage de la maison où se terrait Nael étaient allumées et le halo de lumière dansait sous le brouillard que soulevait la tempête naissante. Hrist était assise sous un arbre, protégée du vent. Les bracelets de l'ombre noire liés à son être, elle avait projeté son double immatériel se glisser dans la maison de Nael. Gral devant elle à surveiller qu'elle ne se fasse pas surprendre durant son inconscience pestait, se demandant comment il avait pu s'embarquer là dedans.
Il ne la voyait pas, personne ne pouvait la voir mais l'ombre de Hrist glissait, ni le vent ni le froid ne l'incommodait et sous cette forme spectrale, elle inspecta la maison dans laquelle ses anciens ravisseurs la torturaient. Avant de pouvoir s'échapper, elle avait malmené le visage de la compagne de l'officier Kendran, brûlant son visage à l'aide de pinces chauffées à blanc.
L'ombre passa devant un garde qui se protégeait dans le renfoncement de la grange, il gardait les chevaux mais harcelé par le froid mordant, il cédait peu à peu sa place au vent qui le poussait à se terrer au fond du bâtiment. Les montures dormaient en silence, étrangement apaisée malgré la nature qui doucement se déchainait.
La porte d'entrée était encore ouverte, deux soldats terminaient les restes de leur souper et se relaxaient en attendant leur tour de garde. Trois gardes... Murmura Hrist dans un demi sommeil.
C'est en haut des escaliers que Hrist trouva celui qu'elle cherchait. Emmitouflé dans une couverture soyeuse, Nael était de dos, assis à une chaise et rédigeait un parchemin. Adèle se trouvait dans la même pièce. La tueuse ne pouvait pas voir son visage à proprement dit, mais le fait qu'il s'agisse d'une femme dont le visage était entouré de bandelette moites de sueur lui mit la puce à l'oreille. La jeune femme mal en point gisait au fond du lit et remuait de temps en temps la tête comme pour se débattre des griffes d'un cauchemar. La femme resta de longues secondes à les observer, alimentée d'une colère sans précédent, Hrist voulait les voir morts, les voir expier sous sa main.
L'ombre rentra et les yeux violets de la jeune femme s'ouvrirent pour retrouver Gral qui se curait le nez. " Trois hommes. Deux dans l'entrée, un sous l'écurie. Quelques chevaux sont absents. On ne sait pas quand les autres gardes vont revenir. Il faudra faire vite. Très vite. " " Ton plan change pas ? " " Un peu. Je tue le garde sous l'écurie, je grimpe sur l'écurie et au moment d'entrer, tu la feras brûler. Ca attirera les soldats dehors et lorsque Nael sortira de sa chambre, je devrais pouvoir l'intercepter." " Et la f'melle ? " " Alitée. Je lui ai arraché le nez avec une pince chauffée. A mon avis elle n'est pas prête de guérir. Surtout avec l'humidité ambiante. " " M'en parle pas, ma chemise est déjà moite et glacée. C'peut être parce que ton plan est foireux que ça me donne des suées."
" Si tu voulais le droit de donner ton avis, fallait me battre. Je te paierai pour tes services, sois rassuré. " " Va. J'attends ton signal. "
Et déjà, Hrist se glissait à la faveur de la nuit jusqu'à l'écurie. Le garde ne bougeait pas, il se frottait les mains et semblait trouver le temps bien long à scruter une nuit impénétrable avec un vilain vent de face qui l'empêchait de maintenir ses yeux ouverts. Hrist se trouvait précisément derrière lui, si ce n'était qu'entre eux deux, se trouvait un mur de bois et une rangée de chevaux. Fort heureusement pour elle, le bois qui se trouvait au niveau du sol était gonflé d'humidité et céda rapidement à ses doigts qui l'effritait jusqu'à ce qu'elle puisse se dégager une ouverture et s'y glisser. Le foin et l'odeur d'urine et de bouse atteignait déjà ses narines, choses qui en temps normal l'aurait écœuré, mais en cette nuit, cette odeur avait celle de l'aboutissement de sa vengeance. Les chevaux ne réagirent pas à sa présence, ils ne semblaient pas craintifs ou alors, ils étaient trop transits de froid. Toutefois, ils remuèrent en s'agitant un peu lorsque Hrist passa la corde autour du cou de l'homme.
Elle s'était approchée de lui comme un serpent, profitant qu'il réchauffe ses doigts à la flamme d'une torche. Il portait le blason de la ville de Kendra Kâr et mourut bien loin de ses terres. Un frottement de corde s'entendit lorsque Hrist la glissa sur sa gorge et la femme tira si fort que l'homme ne pu même pas crier. Sa gorge s'écrasait et il n'eut pas le temps de se débattre. Ses bras étaient tendus en l'air, raidis et tremblaient sous la forme de derniers spasmes jusqu'à ce que sa tête ne dodeline mollement vers l'épaule. Ses bras tombèrent le long de son corps et ses jambes devenus faibles, cédèrent sous le poids de son armure.
Le premier était mort, Hrist étendit son corps près du mur et tâcha de le recouvrir avec un peu de foin. Observant l'extérieur, là où se terrait normalement Gral, la femme n'y vit rien. Impossible de voir plus loin que le bout de son nez tant le ciel ne reflétait rien, tout chargé de nuages noirs qu'il était. Hrist agita la lampe de gauche à droite et Gral se mit à son tour en route. Derrière le roulement terrible du vent elle entendit le grincement agaçant des roues et de l'essieu du chariot tiré par cet intrépide bœuf qu'on entendait jamais de jour comme de nuit.
La silhouette fantomatique du solide Garzok sur son chariot apparut finalement. Il descendit et voyant un tas de foin suspect non loin de là où se trouvait le soldat, il grimaça. " Z'entendez des bruits, de l'autre côté ? Non ? T'tendez, j'vous aide à grimper. "
Faisant la courte échelle, Hrist pu attraper difficilement le toit de la petite écurie. Le rebord était couvert d'une mousse verdâtre et pour couronner le tout, il était pris dans le gel. L'ascension fut plus laborieuse et Hrist resta un moment à gigoter des jambes dans le vide sous le regard inquiet de Gral qui espérait qu'elle ne chute pas. Il poussa un soupir de soulagement lorsqu'enfin, elle parvint à se hisser non sans mal sur la surface solide. De là, elle atteint enfin la fenêtre.
Gral suivit les instructions et déclencha un feu dans l'écurie. La lueur des flammes se verrait de loin et pourrait attirer d'autres gardes, toutefois, Hrist resta en position, prête à traverser le carreau pour paralyser sa proie. " Allez. Il ne le verra pas venir. Une grosse pression autour de la gorge et lorsqu'il sera inconscient, je pourrais le laisser tomber du haut du toit pour l'embarquer... Lui et cette salope d'Adèle..."
Les chevaux s'alarmaient et le grincement du chariot alla rejoindre le crépitement des flammes qui dégageaient une épaisse fumée irrespirable tant le bois était humide. Les bêtes affolées tirèrent si fort sur leurs liens que les attaches cédèrent et ils galopèrent vers les plaines verglacée pour s'éloigner du feu. Les soldats sortirent et coururent à leur suite jusqu'à ce que l'un des deux, se demandant pourquoi son collègue en poste dans l'écurie avait-il laissé le feu se propager sans crier à l'aide.
Sur les toits, Hrist entendit la porte de la chambre de Nael claquer et le jeune homme laissa tomber sa couverture à terre et avança rapidement dans le couloir et passa devant la fenêtre derrière laquelle se terrait Hrist.
En le voyant, elle bondit de rage au travers de la vitre et glissa avec une adresse inouïe la corde derrière son cou. Avide de sang, elle fit de grands mouvements de bras pour que la corde lèse au mieux la peau de sa victime. Il émit un bref râle et au moment où la tueuse sentit la faiblesse gagner son corps, elle prit sa tête d'une main et l'envoya s'écraser contre le mur.
Un frisson traversera tout son corps. Nael gisait à ses pieds, inconscient et la gueule ensanglantée. Cette vision apporta à Hrist une satisfaction sans précédent, elle venait de remplir la première étape de son plan, maintenant, il fallait le conduire à Pohélis vivant et achever le travail avec cette fois-ci, moins de précipitation.
Un bruit dans l'escalier alerta la jeune femme, mais quand elle pu distinguer l'ombre avec plus de précision, elle vit qu'il s'agissait de Gral, couvert de sang :
" Bordel, t'fiches quoi ? J'ai composé le garde mais l'autre s'est enfuit. " " Tu veux plutôt dire qu'il est parti alerter les autres. Allez, viens,, on va chercher Adèle. " Et lui ? " " Vu la trace qu'il a laissé dans le mur, il ira pas bien loin. "
Dit Hrist en entr'ouvrit la porte et s'en alla réveiller Adèle, un sourire vicieux aux lèvres. Lorsque derrière les bandages les paupières s'activèrent et qu'elle ouvrit les yeux, voyant en tout premier dans le noir le visage de la tueuse penché sur elle, Hrist y vit ce qu'elle aimait le plus : la peur.
" Je t'avais dit que je reviendrais. Et si pour vous la vengeance est un plat qui se mange froid, sache que je la préfère à peine tiède avec beaucoup d'éclaboussure... "
Les yeux d'Adèle roulèrent dans le vide.
_________________
|