Plus tard dans la nuit, je demande à Sindalywë de faire rêver un peu ma fiancée, ainsi que je lui ai promis:
(Montre-lui tes souvenirs d'Eden, veux-tu? La rencontre entre Ethernëm et Sithi, mais aussi le dernier combat des Danseurs d'Opale, la fin de notre monde. Puis partage avec elle notre rencontre avec notre créatrice sur cet étrange monde, fais en sorte qu'elle entende les paroles échangées.)(Avec plaisir mon Bien-Aimé.)J'en profite pour revisiter moi-même ces souvenirs qui, comme à chaque fois que j'y songe, font naître en moi de puissantes émotions et, surtout, le désir irrépressible de revoir Sithi. Il y a tant de questions que j'aurais aimé lui poser, tant de choses dont j'aurais aimé avoir le temps de discuter avec elle... Mais plus encore que tout ceci, c'est un sentiment plus profond qu'aucun autre qui motive mon envie de la retrouver. Folie, sans aucun doute, mais pour moi elle n'est pas une déesse lointaine et inatteignable, c'est une femme, une Sindel, que j'ai tenue dans mes bras. Comment pourrais-je l'oublier? Chaque fois que j'y pense j'ai l'impression de sentir encore son odeur, son corps ferme et infiniment troublant serré contre le mien. Je revois son regard, comme si c'était maintenant qu'elle me dévisageait et non pas des années en arrière, j'entends encore sa voix comme si elle résonnait au présent dans l'air qui m'entoure:
"J'aimerais vous garder ici plus longtemps, mais je ne le peux. Le lien va bientôt se briser. Aussi, entends bien ces paroles, Tanaëth, car elles seront peut-être les dernières que je pourrai t'adresser avant bien longtemps : si les devoirs d'une mère pour ses enfants sont infinis, le seul devoir d'un enfant vis à vis de sa mère est de vivre. En tant que mon Champion, ta mission est de guider mon peuple, de le faire vivre. Car tu es mon représentant sur Yuimen."A cela elle avait ajouté avec insistance que, si elle m'avait donné ce pouvoir, c'était pour sauvegarder les Sindeldi, et non pas elle. Mais comment dissocier les deux? Comment espérer que mon peuple, notre peuple, survive et grandisse sans Sithi? Toute notre culture, notre histoire, nos traditions, sont issues de notre lien avec elle. Bien sûr, un enfant doit quitter le giron familial tôt ou tard et grandir par lui-même, mais comment pourrais-je contrebalancer sans son aide l'influence d'un clergé tout-puissant afin d'être en mesure d'accomplir ce qu'elle m'a demandé? Pas plus qu'autrefois je n'ai de réponse à cette question, je ne puis qu'espérer qu'elle apparaisse avec le temps. Et pour conserver cet espoir, il me faut avant tout conserver la foi, chasser de mon esprit les doutes qui m'assaillent et lui faire confiance. Un pas après l'autre, une action après l'autre, en m'efforçant toujours de rester au plus près du fil d'or de mon destin, voilà la seule chose qui soit en mon pouvoir.
Éprouvant soudain une sensation d'enfermement, bien que la pièce me servant de bureau soit vaste, je sors dans les jardins et observe songeusement le croissant de lune qui l'éclaire de sa pâle lueur argentée. J'ai déjà accompli un pas significatif en faisant lever mon bannissement et en me créant une certaine réputation à Nessima et à Tahelta, mais comment poursuivre la danse? Comment acquérir assez d'influence pour être en mesure de guider mon peuple vers un meilleur avenir que celui que nous préparent ces corrompus d'Ithilausters? Tout à mes réflexions, je suis en train d'arpenter les jardins d'un pas lent lorsqu'un violent vertige me saisit soudain. Ma vision se brouille et vire presque immédiatement au noir absolu tandis que je sens avec angoisse mes jambes céder sous moi. Incapable de l'empêcher, je tombe rudement à genoux sur les dalles du petit chemin que j'empruntais, puis à plat ventre, ou presque car un réflexe me permet d'interrompre ma chute en me retenant des deux mains.
(Par Sithi! Que...sort...empoisonnement...)Mes pensées sont confuses, comme si j'avais largement abusé de boisson, mais ce qui me terrorise le plus c'est que je sens que Sindalywë ne comprend pas davantage que moi ce qui se passe et qu'elle est en proie à la même angoisse qui s'est emparée de moi. Je m'efforce de respirer amplement et calmement pour surmonter mon malaise, mais sans succès. Le seul effort de me maintenir avec les bras pour ne pas me fracasser le nez sur les pierres me laisse tremblant, mais je puise dans les tréfonds de ma volonté la force d'en soulever une afin de pouvoir saisir ma gourde magique et tenter d'avaler une potion de soin.
"Merde... je... posée..."Ma gourde, je m'en souviens confusément maintenant, se trouve sur une table dans la chambre que j'occupe. Il n'y a guère plus d'une vingtaine de mètres jusqu'à cette dernière, mais en l'état elle pourrait aussi bien se trouver à l'autre bout du monde.
"Tanaëth? Hey! Réveille-toi!"Nauséeux, je me sens rudement secoué et peine un instant à identifier cette voix, celle de Llyann, ainsi qu'à comprendre que c'est à moi qu'elle s'adresse, mais je finis par émerger assez pour grogner:
"Ça va...je crois...""Qu'est-ce qui t'arrive par Sithi?!""...sais rien..."Il me faut quelques minutes pour retrouver mes esprits et assez d'énergie pour m'asseoir avec l'aide de mon amie dont l'inquiétude assombrit le regard clair. Un instant plus tard, je réalise que j'ai...quelque chose dans la main. Un caillou? Les jardiniers ne sont pas censés laisser traîner des cailloux, mais après tout ils ont été recrutés il y a peu et ne sont peut-être pas encore parvenus à tout nettoyer? Sourcils froncés, je porte l'objet incongru à mes yeux, qui s'écarquillent d'incompréhension en découvrant non pas une vulgaire pierre, mais une petite broche en forme de sablier. La première idée qui me vient est que Lyann ou Sylënn l'ont perdue, mais je la chasse rapidement: jamais je ne les ai vues porter ce bijou d'une facture tout à fait inhabituelle. En l'observant plus attentivement, je réalise que je n'ai jamais vu un ouvrage si fin, si parfait, bien que j'aie pourtant eu l'occasion de voir les créations d'artisans Hinïons ou Sindeldi parmi les meilleurs. Llyann me demande d'un ton intrigué:
"Qu'est-ce que c'est?""Pas la moindre idée, je ne sais absolument pas d'où ça sort."(Sindalywë, tu sais ce que c'est?)(Non, du tout, je n'ai jamais rien vu de pareil. Mais... c'est...)(Important?)(Oui.)Il se dégage en effet de ce sablier une aura des plus étranges que je serais bien en peine d'identifier, n'y entendant strictement rien à la magie. Pourtant, je sens au fond de moi que ce bijou m'est destiné et qu'il a, ainsi que je l'ai ajouté à la suite de ma Faëra, une grande importance. Serait-ce Sithi qui m'a envoyé un présent en ces heures de doutes profonds? Poser la question c'est presque y répondre: pourquoi Sithi m'aurait-elle offert un sablier? Un symbole lunaire, oui, ou encore quelque chose en lien avec la Vision, mais ça? Non, ça ne tient pas la route. Quant à deviner en quoi il est important et à quoi il peut bien servir, ça...
"Llyann, tu m'aiderais à me relever s'il te plaît?"Une fois debout, je réalise avec soulagement que mon malaise a enfin passé et que mes pensées sont redevenues claires, assez pour que je tienne sur mes deux jambes tout seul, en tout cas.
"Dis-moi, à quoi te fait penser ce sablier?""Eh bien, au temps, je suppose."Au temps. Oui, c'est une évidence, ou semble l'être en tout cas. Mais quel rapport entre moi et le temps? Et si ce n'est pas Sithi qui m'a envoyé ce bijou, qui d'autre? Qu'est-ce qui est lié au temps? Mon âge, mais ce n'est pas l'époque de mon anniversaire et même si ça l'était ça ne répondrait pas à la question de savoir d'où il sort. Quelqu'un pourrait l'avoir perdu, quelqu'un d'autre que ma fiancée ou mon amie s'entend, mais je ne crois pas vraiment à cette hypothèse, pas avec les étranges sentiments qu'il fait naître en moi. Plus les minutes passent, plus je suis convaincu qu'il m'était destiné et que c'est quelque chose de crucial, mais peut-être n'est-ce que mon imagination qui fait des siennes après cet incompréhensible malaise?
"Qu'est-ce qui est lié au temps?""La vie et la mort?"
"Mmm. Moui. Mais il y a des symboles plus évocateurs, il me semble. Quoique... le temps, la vie, la mort...le destin...ça me fait un peu penser à cet étrange dieu, le seul que les Eruïons prient, enfin prient, façon de parler: Zewen."Serait-ce lui qui me remercie ainsi de l'aide que j'ai juré d'apporter à ce peuple qui le prie? Cela me semble fort peu crédible, j'ai appris au cours de mes voyages que les dieux Yuimeniens n'intervenaient pas sur le destin des mortels, contrairement à Sithi sur Eden. Enfin, d'un autre côté j'utilise des techniques de combat qui sont liées à Moura et à Rana et je les prie même assez régulièrement; mais mon éducation rationnelle et l'approche plus philosophique que religieuse que mon peuple, et donc moi-même, avons des "divinités" fait que je ne crois pas véritablement qu'elles interviennent réellement en ma faveur quand je leur demande. Je ne fais qu'utiliser des énergies qui leur ont servi à créer ce monde, du moins est-ce ainsi que je le vois. Et dans ce cadre, un cadeau de Zewen est à peu près aussi probable qu'un cheval à huit pattes. Mais alors quoi? Rendant les armes devant cet insoluble mystère, je marmonne vaguement, plus à moi-même qu'à l'attention de Llyann qui me scrute toujours d'un air dubitatif:
"J'irai demander à Eshrin ou à Valyan s'ils ont une idée de ce que ça peut être lorsque le jour sera levé."Tous deux ont de vastes connaissances, aussi bien en magie pour ce qui est d'Eshrin qu'en légendes diverses et variées pour Valyan, si quelqu'un à Nessima peut identifier cet étrange objet c'est sans nul doute l'un d'eux.
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Note GM: intégration rp d'une récompense à l'appel aux joueurs, bijou déjà ajouté à ma fiche par GM9.