1. AMOUR MATERNEL
Mère et moi vivions dans une maison à la campagne, loin du "chaos extérieur", comme elle disait.
Mère et moi vivions en autonomie. Nous n'avions pas besoin du monde extérieur.
Nous avions un élevage de chèvres et un potager qui nous nourrissez.
Nous récupérions l'eau à la rivière, dans des seaux.
Nous nous chauffions et utilisions comme toute lumière la cheminée, pour laquelle nous devions ramasser des branches sèches et des bûches.
Mère ne m'a jamais clairement parlé du monde extérieur.
Elle me disait juste qu'il était dangereux, néfaste, douloureux. Que Père était à l'image de ce monde, et qu'il soit très bien que je ne l’ai point connu.
Je n'ai jamais connu personne d'autre que Mère.
Pourtant, Mère connut beaucoup de personnes, avant de vivre ici.
Mère me lisait toujours des histoires avant de dormir. J'aime les histoires.
Mère choisissait ses histoires avec beaucoup d'attention.
Ma préférée était celle du petit chaperon rouge. Je tremblais à l'idée de voir le loup.
Et après elle m'embrassait sur le front.
Mère me disait toujours ; Tu seras un être parfait, mon fils. J'étais fier.
Mais pour cela, tu ne dois rien savoir du monde extérieur, disait-elle. Alors je ne savais rien.
Car moi-même, à cause de lui, je ne le suis pas.
Jamais tu ne dois penser que l'autre monde est meilleur, disait-elle. Alors je ne le pensais pas.
Pourtant Mère gardait des livres et d'anciens journaux qui parlait du monde extérieur, et je la voyais parfois les lire.
Elle me disait que ses livres parlent tous de l'histoire du monde extérieur, et qu'elle cherchait en eux les origines de tout ce mal.
Que je ne devais pas être mêlé à tout cela. Sinon je ne serais plus parfait.
Mère m'appris à lire et à compter.
Elle m’apprit les bases de l'orthographe et la géométrie.
Plus tard, elle m’apprit le dessin. Elle dessinait beaucoup.
Partout dans la maison, elle accrochait les dessins,
Qu'on faisait avec seulement du papier et des crayons gris, que nous avions beaucoup.
Elle dessinait ce qu'elle voyait dans la journée.
La rivière, les chèvres, son reflet dans le vieux miroir.
Et moi.
Il y avait tellement de ses dessins sur les murs qu'on voyait à peine la tapisserie.
J'étais heureux avec Mère à mes côtés.
Mais un jour Mère tomba très malade.
Au début, elle crut en un rhume.
Mais le rhume fut de plus en plus grave.
Elle avait beaucoup de fièvre.
Et un matin, elle ne se leva pas.
Elle était morte. Maintenant, j'étais tout seul.
Je fus longtemps très triste.
Durant des jours entiers je restais à pleurer dans mon lit.
Puis je me relevai. Mère n'aurait pas voulu que je me morfonde ainsi.
Je ne savais pas que faire du corps de Mère.
Avec ceux des chèvres, nous les dépecions et les faisions cuire.
Je ne peux faire de même avec celui de Mère.
Mère ne m'a jamais expliqué comment je devais faire dans ce cas-là.
Alors je l'ai mis sur sa chaise, près de la cheminée.
Je lui parlais.
Dans mes rêves elle répondait.
Je n'osais pas regarder les livres de Mère.
Je voulais être un être parfait.
Alors chaque jour je continuais à vivre.
Le travail était plus dur tout seul.
Mais durant plusieurs mois je vécus ainsi.
Et Mère ne changea jamais de place.
Je l'imaginais, devant la cheminée, à lire ses livres interdits, que j'empilais à côté d'elle.
Chaque soir, je lui en rajoutais un à la pile, pour qu'elle le lise, quand je ne la regardais pas.
A mon tour, je lui raconter des histoires pour l'endormir, et lui donnait un baiser sur le front avant de dormir.
Pourtant, à chaque jour qui passait, ma curiosité grandissait.
Je vivais ici depuis toujours. Et je n'avais jamais vu autre chose que les champs qui nous entourent.
Et les autres humains, à quoi ressemblaient-ils ? Y avait-il une autre "Mère" parmi eux ? Un autre moi ? Autre chose ?
Si j'avais connu "Père", que ce serait-il passé ? Dois-je réellement rester ici, maintenant que Mère n'est plus là ?
Pourtant, lorsque j'étais à côté d'elle, j'avais peur.
Je la voyais me disputer, me gronder. Je ne devais pas y penser.
Mais à quoi bon être un être parfait sans Mère pour me le dire ?
Etais-je toujours un être parfait, depuis qu'elle fût partie ?
Alors j'ai cherché à m'occuper l'esprit.
Je la dessinais, devant la cheminée.
J'essayais dans tout les angles, dans toutes les nuances de foncés.
Je mettais chaque jour les dessins en file indienne, au-dessus de la cheminée.
On pouvait remarquer l'évolution corporelle de Mère, qui se desséchait peu à peu.
Puis un jour, je me suis fâché.
Je voulais savoir ce que j'avais à redouter.
Alors j'ai pris Mère et je l'ai secoué.
Sa tête, puis son corps s'est comme effondré en poussière.
Qu'avais-je fais ? Je m'en suis tant voulu.
J'ai voulu la rassembler. Mais ça ne marchait pas.
Le corps se désagrégeait sous mes doigts.
Je me suis énervé encore plus, et je pleurais.
Mère ne pouvait pas me quitter une nouvelle fois.
Mais je ne faisais que casser encore plus ce qu'il restait de Mère.
Alors j'enlevai sa poussière du sol.
Mère disait que le sol devait être toujours bien propre.
Et je me remis dans mon lit, à pleurer.
Je ne dormis pas de la nuit.
Le lendemain, je voulu reprendre des habitudes.
Seulement j'étais habitué à parler à Mère.
Le matin, quand je me réveillais, j'aimais lui parler de mes rêves.
La journée, entre deux tâches, je la tenais au courant du temps, de la vie du potager et des chèvres.
Le soir, l'histoire avant de dormir.
Tout cela n’était plus possible sans sa présence.
Alors je me mis à parler aux chèvres.
Mais elles ne m'écoutaient pas.
Elles étaient méchantes avec moi.
Mère n'était pas méchante.
Elles me disaient que le loup viendrait me manger.
Je ne pouvais plus les supporter.
Alors je les ai tués. Toutes.
Avec la hache à couper du bois.
Elles ne devaient pas me faire peur comme ça.
Mais après je n'avais plus personne à qui parler.
Alors je m'occupais l'esprit comme Mère me l'avait appris.
En dessinant. J'ai essayé de dessiner avec le sang des chèvres.
Une nouvelle couleur, pleine de nuance.
Je pouvais beaucoup plus dessiner ainsi.
Mais le sang des chèvres ne dura pas longtemps.
Je dus alors faire couler mon propre sang pour peindre.
Mais je faisais attention de ne pas trop en faire couler.
Alors je me coupais au-dessus du bras, sur les cuisses ou sur le ventre.
Et je peignais. Puis quand j'avais fini, je me mettais des habits sur les plaies.
Les jours, plus tard, j'avais des cicatrices.
Mais je peignais beaucoup. Alors j'avais de plus en plus de cicatrices.
Ca faisait mal, mais moins que de se dire qu'il n'y avait plus personne à qui parler.
Puis un jour, je crois que j'avais trop peint, car je fis un malaise.
Heureusement, je me suis réveillé, mais j'ai eu peur. Je ne voulais pas mourir.
Alors j'ai arrêté de peindre. Il me fallait une autre occupation.
Et je devais savoir.
J'ai commencé à lire les livres de Mère.
Je me suis rendu compte que le monde était aussi horrible qu'elle me le disait.
J'ouvrais un de ces journaux. La première page faisait mention d'une guerre.
Qu'est-ce qu'une "guerre" ? Mère ne m'avait jamais appris ce mot-là.
Je feuilletais ce journal, mais il y avait beaucoup de mots que je ne comprenais pas.
Qu'est-ce que l'"argent" ? Qu'est-ce qu'un "assassinat" ? Qu'est-ce qu'un "suicide" ?
Il fallait que je sache.
Je savais que Mère utilisait parfois un dictionnaire, pour m'apprendre à lire.
Il y avait dedans la signification de chaque mot.
C'est vrai que je n'y avais jamais songé, mais elle ne m'avait jamais interdit ce livre.
J'aurais pu les apprendre bien plus tôt.
Mais je n'avais alors aucune raison de les chercher.
Et alors je regardai la définition de chacun de ses mots.
Assassinat en premier, puisque je lisais dans l'ordre alphabétique.
Je ne compris pas.
Pourquoi un individu voudrait tuer un autre individu ?
Mère aurait pu m’assassiner ? Aurais-je pu lui faire ? Pourquoi ?
Etait-ce bien ou mal de ne pas le faire ?
Je regardais peu à peu les définitions de chaque mot du journal, stupéfait.
Puis d'un livre. Puis de l'autre. Petit à petit, je comprenais.
Bien que Mère m’ait prévenu, je fus consterné de tout ceci.
C'était totalement absurde. Dénué de sens. Entièrement mauvais.
Fin n°1Toutes mes envies de voir le monde extérieur s'évanouirent en cet instant.
Mais un de ses principes m'attira fortement. Le "Suicide".
Mettre volontairement fin à sa vie.
J'ai lu les textes interdits. Je les ai compris.
Je n'étais plus un être parfait. Mère avait fait tous ses efforts pour rien.
Je les avais réduits à néant.
Je m'en veux tellement maintenant.
Je m'en vais peindre quelques dernières toiles.
Je me peindrais, face au miroir.
J'ai toujours du mal à faire les yeux. Je devrais m'appliquer.
Fin n°2Une idée me vint alors en tête.
Et si Mère avait prévu tout cela ?
Et s’il était maintenant de mon devoir, de répandre ma pureté dans le monde ?
Mère était très intelligente. Elle savait que je lirais ses livres.
Et elle savait que j’en arriverais à cette conclusion.
Elle voulait changer le monde, mais ne pouvait le faire directement car elle était à son image : Impure.
Je suis l’instrument de sa volonté, et je sais ce qu’il me reste à faire.
Je pars éliminer le "chaos extérieur"
…
La forêt est grande et obscure.
Je me suis perdu, Mère.
J’ai faim, j’ai froid et j’ai peur.
J’entends des loups hurler au loin…
Ils viennent vers moi.