Voici la variante d'un conte repris par les prêtres de Valyus. S'il ne fait aucun doute qu'elle a un fond de vérité, nul ne peut vraiment démêler le vrai du faux :
L'obélisque de la discorde
Au cœur des forêts qui devinrent plus tard le désert de l'ouest, se trouvait une grande pointe de pierre noire. Son origine était purement naturelle et elle aurait put être ignorée de tous, si elle n'avait pas eu cette particularité d'attirer la foudre. Des êtres aujourd'hui oubliés, venant de l'est, s'installèrent ici. Des hommes à têtes et ailes d'oiseaux qui priaient tous les dieux avec la même ferveur. Quand ils virent le pic de roche noire, ils leur semblaient aussitôt qu'un tel lieu devait être particulièrement saint, et ils leur semblaient qu'un peuple ne pouvait trouver meilleur lieu pour s'installer que cette région de la forêt.
Cependant, parmi leurs sages, de plus en plus s'interrogeaient sur la nature de ce lieu sacré qui unissait la terre et le ciel. Ici, la roche s'élevait et le ciel descendait, mais qui était le plus méritant ?
« Ce lieu est sacré par le nom de Yuimen, disaient les uns, car ici, la terre s'élève et défie le ciel. »Mais d'autres répliquaient :
« Certes, ce lieu est à dédier au grand Valyus, car ici la terre s'est élevée, mais seulement pour être châtiée par la foudre. »Et nul ne semblait pouvoir se mettre d'accord. La vie se poursuivait, mais les querelles s'envenimaient et les uns se mettaient à prier Yuimen tandis que d'autres se tournaient exclusivement vers Valyus.
Des générations passèrent, et les hommes-oiseaux venaient en pèlerinage pour adorer le pic. Mais leur présence finit par attirer les résidents véritables de ce lieu, qui descendaient parfois de leurs montagnes pour chasser au dessus de la forêt. Dans un grondement d'orage, le ciel fut envahi par la foudre et les nuées en furent secouées. Du haut des airs, les éclairs semblaient danser dans les cieux, et voilà qu'ils se révélaient être de grands lézards qui crachaient la foudre !
Protégés de Valyus, ils étaient le haut peuple, fiers et arrogants, et nul n'était jamais venu leur disputer ces terres.
Les hommes-oiseaux se cachèrent dans les sous-bois, tremblants de peur, et ils n'osèrent en ressortir que lorsque la tempête fut terminée.
À partir de ce jour, la vie devint de plus en plus dure. Les dragons de foudre venaient régulièrement depuis leur lointaine montagne car ils étaient de plus en plus nombreux et affamés, et s'ils voyaient un homme-oiseau, ils le mangeaient.
Certains se mirent à prier Yuimen de les débarrasser de ce fléau, mais d'autres suppliaient Valyus de les épargner, pensant qu'il s'agissait d'une punition envers eux, pour oser s'élever dans les cieux. Valyus, disaient-ils, n'était-il pas le gardien qui veille à ce que personne n'aille où il n'est pas le bienvenu ?
La dispute ne cessait de croître, et bientôt, le peuple se scinda et la guerre vint avec son cortège de mort.
Alors, Yuimen vint et il s'adressa aux hommes-oiseaux :
« Je suis le possesseur de ces terres, comme l’atteste l'obélisque. Venez à moi, et vous serez protégés du peuple de Valyus. »Beaucoup se joignirent à lui, mais alors, une nouvelle tempête se déchaîna, et un guerrier tout vêtu d'acier vint. C'était Valyus, qui descendait sur terre pour la première fois, et sa voix était comme le tonnerre. Il réalisait que son peuple en avait menacé un autre, et que cela était mauvais. Mais il voyait aussi que Yuimen représentait une menace pour ses dragons et que le dieu de la terre cherchait à lui voler injustement ses territoires.
« Ici, est mon pays, comme l'atteste l'obélisque. Que tous les hommes-oiseaux acceptent ma suprématie, et les dragons de foudre ne seront plus une menace, mais une protection. »Et bientôt, les éléments eux-même se déchaînèrent. Les cieux ne furent plus que fracas et pluie de sang. Les armes s'entrechoquaient et les étincelles de l'acier se mêlaient aux éclairs. Yuimen vint en personne pour se battre et bien des dragons tombèrent sous ses coups. Lorsque le dernier chuta, le cri de Valyus fut terrible et sa colère était grande, car son peuple dévoué n'était plus. Il avait échoué à le protéger.
Il attaqua avec rage les hommes-oiseaux suivants de Yuimen avec l'aide de ceux qui s'étaient voués à lui. Les serviteurs du maître de la nature furent à leur tour tous abattus, et il arriva devant Yuimen lui-même. Le duel fut titanesque, mais la rage du protecteur était telle que rien ne put l'arrêter, ses ennemis tombaient et le ciel d'orage était déchiré par la colère sacré. Le roi de la terre dû s'incliner et rompit le combat.
Ils virent alors que le monde était ravagé. Le peuple des hommes-oiseaux, enjeu de la guerre divine autant que ce pays, n'était plus. La forêt elle-même était réduite à un vaste désert brûlé et fendu par la rage divine.
Les deux dieux comprirent qu'ils avaient commis une erreur, mais le préjudice de Valyus était le plus grand, car ses dragons n'étaient plus. C'était là une grande douleur, car il avait perdu ses adorateurs les plus dévoués, auxquels il avait promis sa protection.
Aussi le guerrier tonnant promis de poursuivre Yuimen où qu'il aille pour le châtier s'il ne payait compensation. Si grande était sa colère que Yuimen du renoncer à lui échapper et payer rançon par sa magie.
Alors, le seigneur de la terre rassembla son pouvoir et il dévoila ce que lui seul pouvait sentir : en vérité, une femelle dragon était prête à pondre et Yuimen put récupérer les œufs de son ventre. Ils étaient froids et semblaient devoir rester inerte, mais Yuimen promis à Valyus qu'un jour, ils écloraient, et qu'alors, le désert de l'ouest serait de nouveau son sanctuaire réservé, et que plus personne ne viendrait le lui contester.
Valyus estima que justice était rendu, il en fut apaisé et repartit de part le monde. Mais prenant conscience de la triste catastrophe et de ce qu'elle impliquait, il estima qu'il y avait là des leçons à tirer. Jamais plus un massacre aussi injuste ne devait avoir lieu !
Il jura, et fit jurer à tout ses fidèles, de garantir la sécurité de ceux qui en avaient besoin et de veiller à la justice de leurs actes. Il expliqua qu'il ne fallait pas frapper aveuglément comme l'avaient fait les dragons, qu'il ne fallait pas agir au mépris de la justice comme avait failli le faire Yuimen. C'est au dessus des ruines poussiéreuses du désert de l'ouest qu'il édicta ses sentences et le grondement de l'orage porta sa voix à tout ceux qui le servaient.
Au milieu du désert dévasté, les restes fendus de l'obélisque de roche noir était peu à peu ensevelis sous le sable, comme si la pierre elle-même était honteuse d'avoir été la responsable de tout ce chaos.