Ô dieux miséricordieux, voilà parmi vous la haute Miséricorde !
Lecteurs, vous qui ne savez voir qu’au travers de mes yeux aux charmes sans pareils, n’avez-vous donc pas su ouïr mon propos tout dirigé vers mon auguste Reine ? Elle, déesse de lumière, joyau qui point ne souffre dans la nuit que déclinât son éclat, astre de beauté dont les traits ardents touchent aux confins du monde – que dis-je, tout cela ? (Crème au beurre sur la tartine, oui !) N’avez-vous porté une attentive oreille, ou bien les deux, aux illustres circonvolutions qui franchirent une à une le seuil de mes lèvres pour courir en rameaux d’or entrelacés jusques aux marmoréens royaumes noyés dans l’Ether ? Point ne furent là, peut-être, les plus nobles adresses ; car celles-ci demeurèrent toutes cachées et discrètes, ombrageuses paroles qui ne se veulent connaître des indigentes peuplades aux us sans raffinement… Et ainsi point d’insigne honneur pour vous, hères fourvoyés dans une logorrhée sans fin !
...
(… Je disais quoi, déjà ?)
Panégyrique à la gloire de Gaïa, la très miséricordieuse, qui sut ouïr mes prières dirigées vers elle dans les dernières trémulations d’un espoir presque mort ! Dithyrambes, par pitié, pour chanter sa mansuétude immense et au-delà de toute imagination mortelle ! Pâquerettes, surtout, sur l’autel de celle qui rendit la vie à qui se voyait dans les plus sombres tourments des dernières heures sonnées !
Me laisserez-vous conter ? Vraiment ? Saurez-vous retenir votre cœur à tout rompre battant alors que s’épancheront de ma bouche, ourlée et gourmande, les tremblantes sentences qui retraceront les hauts faits de Gaïa ? Car voici comment les chants rattrapèrent (… enfin, presque) la sombre ignominie que je me vis commettre : alors que flanchaient les muscles, frémissants dorsaux abattant mes ailes en d’élégants mouvements, tout aussi bien que trapèzes retenant dans un frisson d’angoisse l’arme puissante que naguère laissèrent les Géants – alors, donc, que pâlissait cet élan souverain qui m’avait traversée, le marteau étranger s’abîma de ma main et vint asséner foudroyante algie sur le cœur de mon hôte. Tout de suite m’auriez-vous vue alors imprimer mes mains sur mes fragiles oreilles, et ainsi les épargner du funeste hurlement que tous nous augurions d’une commune idée ? Point, pourtant, car point non plus de cri : voilà le non retour, auguste instant s’il en est, lui qui rebaptise votre conteuse et lui figure nouveaux traits – nouveaux traits pour nouveau mythe.
Car me voilà, ébaubie, à n'être en mesure que de contempler ce jeu de forces inconnues qui s’ébranlent au seul nom de Gaïa : je priai, et tout de suite, je pris dans le cœur un regain d’allant. Voyez comme somptueux sont les rais célestes qui ouvrent mon corps, comme divine est cette sourde lumière qui s’épanche de moi comme l’eût fait une étoile. Qu’elle s’éteigne aussitôt, point n’aurais-je de vague à l’âme, car aujourd’hui je conçois ma voix comme pouvant, par-delà les ténèbres et les malheurs d’une destinée par trop funeste, être trait au cœur de mon aimée déesse.
- Ne souffrez-vous donc plus ?
Les mots seuls et sans ordre de ma propre volonté raisonnent dans l’obscur cachot, tandis que mon œil à nouveau se trouve noyé dans la fraîche iris de mon hôte. Bocage, à nouveau, et non plus frondaison enflammée de trop âpres douleurs.
- Voici le fait de Gaïa, soyez-en assuré. Et pourtant ne croyais-je pas que sa très haute lumière pût percer les murailles épaisses de notre geôle.
Et me voilà parlant, lecteurs, à qui ne laisse de faire balancer mon âme : toujours lui prêté-je noble vertu ou bien calvaire en devenir – pour moi, et pour qui passerai sous sa main que je libérerais. Et pourtant ce souffle divin, lui qui soulève encore ma poitrine sous effet de magie, peut mieux que nulle autre chose qui me fut donnée de voir me contraindre à magnanime action. Parlera-t-il donc ? Et saurai-je un jour qui de la peur ou de la grandeur eût dû emporter la victoire pour le bien de tous ?
...
- Il me faut agir vite, car point ne sais-je dès alors si le charme durera, ou s’il s’évanouira sans coup férir.
Et dès lors de m’affairer, car la hardiesse amène qui consume mes membres s’adjoint de folles idées qui n’étaient jusqu’alors apparues à mon encéphale, pourtant animé de toutes les ruses. Et de chercher ci-près large corde ou épaisse chaîne qui ne fût par deux bouts arrimée à un mur. Mon œil, rapide, s’élance sur le sol là où naguère n’étaient qu’opaques ombres : les alentours tangents à la funèbre croix sont en proie à la fange parfumée, et aux essaims belliqueux qui m’accueillirent lors de mon arrivée ; n’aurai-je qu’à étendre le bras pour les écarter tous ? Point, car furieux sont-ils, mais pourtant mon dessein m’encourage à poursuivre ma quête. Une froide étincelle qui perce les nuées bourdonnantes m’offre un tendre espoir…
… trop tôt éteint, car c’est là le métal sans apprêts du marteau qui jaillit des hauts monceaux de chaudes excrétions où il se trouva jeté. (Miam.)
Rien n’est ici qui pût servir : point de chaînes, elles, toutes enracinées profondément dans les roches froidement polies par les ans, les maux et la mort ; point de cordes, fragiles idées d’êtres policés et qui ne peuvent, assurément, prendre place en telles contrées de sourdes souffrances…
(Nom d’un Oudio en culotte courte, c’est bien ma veine.)
Ma poitrine se déchire, lecteurs, à l’idée que s’évanouissassent les espoirs conçus dans le sein de mon aimée déesse, ceux-là mêmes qui comme douce vêture de reine s’étaient posées sur mes souveraines épaules – et à bâtons rompus s’ébattent les cavalcades immenses de mon cœur : comment jouir des forces éphémères qui nous tiennent tous deux, lui de la fin d’abominables afflictions, et moi de cette volonté inouïe qui m’étreint tout entière.
- Rien ici pour vous sauver, je le crains…
Je dis, et ce faisant voilà à nouveau ma noire prunelle pâmée dans les abîmes tournoyantes de son œil. Un Géant. Et quel Géant ! De quelles forces Zewen croit-il que mes mains sont animées pour me confronter ainsi à titanesque héros ? Voyez, ô lecteurs qui savez être de moi les plus fidèles amours, cette large mâchoire qui pût m’être un abri ; voyez cette gorge épaisse et rude, et ce joyau qui roule sous la peau au rythme de son souffle ; voyez cette main colossale qui, insensiblement, du moindre de ses gestes, se pût transformer à mon encontre en cage aux roides défenses ; et plus loin voyez le bras puissant qui me fît salutaire repos – s’il eût été livré à sa propre liberté. Sa peau nue et échauffée de par trop fréquents sévices s’étire, pâle, couturée, sur un corps malingre et torturé ; seules ses longues jambes se perdent à la vue sous l’étoffe sévère et rêche, tant et tant d’étoffe, lecteurs, qu’elle m’est à la vue comme l’abysse plon...
...
...
(Heu ?)
Se pût-il qu’idée si saugrenue soit survenue à mon esprit pourtant si adroitement incliné à la raison ? Point de chaîne, certes, qui se prêta à l’usage, point de corde non plus – non toute faite, mais qui pourrait surgir de la main habile qui s'y fût entraînée. Mes doigts, sans que nulle volition mienne ne les y eût menés, courent le long des liens qui tiennent avec rigueur la géante fiole qui pend à mon dos – voilà œuvre d’esprit industrieux, apanage ô combien glorieux des reines Akrillas, et qui se peut ici reproduire ! Et à plus vaste échelle, encore…
(Je ne vais pas lui tailler des braies, quand même ?)
- Euh, pardonnez-moi. Nous… remédierons à cela si ma pensée s’avère fructueuse.
Et me voilà d’une pirouette aérienne à hauteur des genoux de mon hôte, que jamais je n’eusse cru voir de si près, à la recherche de détail, de défaut, qui se prêtat à plus large accroc. Fines sont ces mains qui se font miennes chaque jour et dont j’use, délicats ces doigts – mais rude est la bure dont ils nous ont vêtus (qui qu’ils soient), et forte doit alors se faire ma poigne qui s’attache à défaire de larges coutures initiées pour des Géants.
Et à nouveau, les hurlements d’agonie…
(Mais non ! Tas d’expectorations d’anacoluthes invertébrées et phosphorescentes !)
Ô lecteurs, point ne soyez outragés de telle sorte de véhémence, et point surtout ne tenez pour vrais telles paroles qui ne s’adressent nullement à aucun d’entre vous – qui m’êtes les plus chers, et le savez dûment. Guère ici de voix qui brame mille tourments et autant d’affliction – car nulle gorge prise des vibrations divines qui ourdissent les sons. Ce n’est là, à vrai dire, que l’oraison cruelle des étoffes qui cèdent et qui s’ouvrent sous la pression de mes mains : et me voici dès lors, voyez, avec les sénescentes dépouilles du pantalon qui appartint naguère à un hôte muet. La faible lueur qui s’épand, aussi rare qu’une pâle rosée au matin, offre à l’œil averti et à la conscience habile les armes d’une délivrance par trop espérée. Voilà, lecteurs, dans les ombres mouvantes d’un clair-obscur chtonien, la promesse de vie accordée par Gaïa. Car de ces lambeaux arrachés un à un céans me voici faire cordes, qui je l’espère s’avèreront d’une longueur honnête.
Tout alors que je m’affaire à aussi dure tâche ne s’offrent qu’à ma vue les jambes dénudées du Géant que j’essaie de sauver – car désormais sont-elles données en pâture à ce mortel froid aux morsures glacées qui pût s’abattre en traître, et sans qu’on s’en aperçût. Mais ils sont d’autres corps, en ces lieux infestés de marasmes et de mort, qui présentent vêtures amènes, et dont il se pourra envelopper – car il sera en vie.
...
(SI CES TRUCS SORTIS DES FESSES D’UN TROLL VEULENT BIEN M’OBEIIIR !!)
Des deux larges étoffes en voici faites mille, en égales bandes déchirées pour mieux les réunir : c’est alors une chaîne de nœuds qui patiente dans mes mains et qui, sitôt achevée, tout de suite s’approche par mon fait du corps qu’elle doit tenir : car elle maintiendra mon hôte à sa croix attaché, pour qu’ainsi je pusse l’en arracher sans qu’il chût au sol comme feuille embrasée dans l’automne. L’inconnu par mes soins se voit ligaturé, et du mieux que je peux, avec les ultimes forces dont je me crois encore saisie, vigoureusement je serre l’ultime attache à l’arrière de la croix. Et je contemple, bondissant devant lui, mon œuvre achevée : les liens s’arriment sous ses bras, semblant âprement détenir ses épaules dans un jeu de croisement, et glissent insidieusement entre les faîteaux d’une croix que sans plus attendre je veux voir ci tomber.
Lentement, j’avance mon visage de celui de mon hôte, pour encore une fois lui faire cette question :
- Qui êtes-vous ?
Mais déjà je rejoins sa main gauche, et espère mes dents suffisamment hardie pour défaire l’emprise de cette pointe aiguë qui transperce sa chair. Le froid. Et puis un goût de fer. Et me voilà tirant.
_________________ .
CAHIDRICE ARO. PRINCESSE ALDRYDE, ACTUELLEMENT DANS LA MERDE.
|