Le semi-elfe était resté un moment prostré. Lorsqu’elle se tourna à nouveau vers lui, Rose s’aperçut qu’il était gagné d’une pâleur qui lui devait être inhabituelle. Blanche comme la neige, la teinte presque irréelle de sa peau le faisait sembler à un phantôme. Peut-être le phantôme qu’il croyait voir, ou voyait en effet dans ses pensées, faisait-il remarquer sa présence en conférant au rêveur un peu de son apparence phantasmatique. A quoi faut-il songer pour que nos pensées s’emparent de notre image, par des biais plus subtils et plus puissants qu’une simple grimace, qu’une lueur au fond des yeux ? Amaryliel avait déjà fait cela : l’autre jour, lorsqu’ils marchaient tous deux vers la ville après qu’il eut rencontré ce maléfique vieillard, Rose avait levé les yeux vers lui. Lors son attention était attirée par tout autre chose, il n’aurait donc pu remarquer la couleur que ses cheveux et ses prunelles avaient soudainement prise. Elle n’avait plus vu alors les yeux aux couleurs douces, chacun dans sa couleur, tous deux étaient noirs comme la braise éteinte, et le vent agitait sur sa tête des mèches presque blanches tant elles étaient sombres. L’humain aux mains de sang était déjà presque sorti de son état… sanguinaire. Peu à peu, teinte après teinte, son visage reprenait son aspect naturel, l’immédiat reportait une victoire sur les souffrances du passé. Si réelles que soient les choses terminées, les impressions de l’instant les emportent souvent dans leur vitesse, du moins quand… il reste encore un point d’ancrage. Sigdral finit par lever les yeux vers elle, des yeux parfaitement vides de toute émotion, de toute ombre évanouie dans les méandres de la mémoire. Il murmura quelques mots à son attention, accompagné d’un regard de pitié pour le fardeau qu’elle avait à porter. Puis, regardant autour de lui, il constata que l’humain était allé rejoindre Gwaënelle, et se hâta donc de le suivre. L’enfant n’avait pas tant d’impatience, ils avaient le temps. Son organisme s’était peu à peu habitué à la fraîcheur des lieux, et puis elle avait… cette chose, cette masse qui pesait sur son bras, cette armure qui ferait sur elle figure de déguisement. Posant le joug qui reliait les seaux, elle tenta de mettre la lourde tunique, sans en bien comprendre la composition. Cela était composé de minuscules mailles de fer, presque aussi fines et serrées qu’un morceau de laine grossièrement tricoté. Pourtant, si elles étaient petites, elles s’en étaient pas moins solides et massives, leur volume était dans la largeur. Ces mailles étaient couvertes, à l’intérieur comme à l’extérieur du vêtement, d’un épais tissu d’une teinte bleu sombre, qui paraissait plus clair à la lueur des chandelles ; ainsi, cela pouvait paraître un vêtement ordinaire… pour qui ne l’avait point soupesé. Après avoir quelques instants cherché dans quel sens cela se pouvait mettre, elle trouva enfin : après avoir passé ses bras dans les manches, elle devait serrer les quatre sangles de cuir sur les côtés, deux à droite et deux à gauche.
(Du cuir bleu… voilà qui est curieux. C'est purement elfique cela, de produire un cuir bleu.)
Ainsi parée, elle paraissait quelque peu boursouflée, mais point tant que cela. C’est alors qu’elle entendit un grand fracas, vers la porte. Se tournant vivement de ce côté, elle put voir la haute elfe penchée sur quelque chose, et à côté d’elle Raliak et Sigdral qui regardaient de l’autre côté. Soulevant alors les seaux remplis d’eau glacée, elle s’apprêtait à se diriger vers eux lorsqu’elle se souvint qu’elle n’était pas seule à être restée près de l’autel. Se retournant vers Karzik, elle croisa son regard enchanté. Il se tenait là comme lorsqu’elle était arrivée, et dans ses yeux semblait se lire tout ce qu’il pensait, tout ce qu’il était ; heureux, voire exalté d’avoir mené sa tâche à bien, il regardait à présent ses… ses aventuriers courir à la tâche. Il avait précisément le regard d’une mère larmoyamment fière de voir ses petits voler vers leur vie, pourvus de sa solide éducation. Rose, saisie par cette ridicule attitude, ne sut comment réagir.
« Eh bien… au revoir, monsieur. Merci pour… les seaux. »
Ne voulant pas contempler le sourire béat de niaiserie que le moine aurait forcément, elle se détourna immédiatement et se dirigea vers les portes. La première chose qu’elle vit en passant le large pilier qui avait jusqu’alors soustrait à sa vue ses trois… « camarades », ce fut une immense chose qui était sortie du mur, très haut, à quelque distance de la porte.
(Ah. Comment cela peut-il s’appeler ? Un … hydraulier ?)
En effet, il s’agissait d’un titanesque sablier de verre épais et clair ou peut-être de cristal, attaché au mur par son centre et maintenu assez loin de la paroi pour qu’il puisse tout entier pivoter. Mais ce n’était point du sable qui était à l’intérieur, mais une eau sombre et peu fluide. Chose étrange, l’eau ne s’écoulait point, comme si le point central de l’hydraulier eût été obstrué. Tout près de la porte, Gwaënelle s’agitait à quelque chose. Elle allait vers elle lorsqu’elle vit, à quelque distance, l’humain agenouillé auprès dune drôle de cuve, également fort occupé ; et encore plus loin, le fumant Sigdral – qui ne fumait plus – lever les yeux vers un troisième mécanisme sorti du mur comme par magie.
(Ils sont tous à la tâche… Je ne sers donc qu’à porter les seaux ?)
Passant derrière Raliak et Sigdral, l’enfant put remarquer la frénétique hâte de leurs mains gelées par l’eau froide. L’un reconstituait une sorte de tuyau démonté, le second tentait de faire quelque chose à un autre mécanisme qu’elle ne comprit pas. Lorsqu’elle aperçut, plus loin, l’ombre d’un troisième objet à quelque distance, elle courut vers elle, gagnée par la tension des autres, aussi rapidement que lui permettait le poids qui pesait sur ses épaules. Arrivée devant une sorte de table dans laquelle étaient encastrées plusieurs choses étranges, elle posa le joug et détailla des yeux l’incohérent spectacle qui lui était offert.
A gauche de l’étal étaient trois petites leviers, fixées dans la pierre. Au-dessus de chacun était gravé un petit symbole, à peine visible : un petit flocon de neige, une goutte d’eau et une sorte de petit nuage. Une légère couleur, appliquée sans soin, rendait le premier blanc, le deuxième vert et le dernier gris. A l’autre bout de la table était un objet comme l’elfe n’en avait jamais vu. Elle resta un instant stupéfaire, fixant le phénomène, puis éclata de rire. Dans un cylindre fermé qui formait une roue tournante, un petit denah courait sur place, courait en vain de toute la force de ses petites pattes, faisant tourner sa cage à toute vitesse. Devant lui, trois petites pierres rondes et blanches, posées dans un léger creux de la pierre. Enfin, au centre, se trouvait un large carré de pierre qui émergeait de la table. Levant les yeux vers le mur, Rose découvrit… le mécanisme en lui-même. Trois tubes s’élevaient, prenant chacun sa base sur un superbe embarras de fines sculptures de verre ou de cristal, et qui faisait office de socle ; et s’élevant si haut qu’elle n’en pouvait distinguer la cîme. Disposés comme les points d’un triangle, ils étaient reliés entre eux par un étroit conduit. Les tubes, s’ils étaient parfaitement identiques, présentaient quelques différences : le premier, le plus éloigné de Rose, semblait contenir de la glace solide, jusqu’à un certain niveau à quelques mètres au-dessus d’elle ; le deuxième, plus proche, était rempli d’une curieuse eau presque bleutée ; enfin le dernier tube, outre qu’il était plus opaque du fait de la fumée qui gravitait à l’intérieur, était relié par le même genre de conduit de verre, également transparent, d’où partaient trois petits couloirs qui s’enfonçaient dans la pierre vers la gauche. Dans chacun des boyaux de cristal qui s’élevaient vers l’invisible plafond de la cathédrale, une petite pierre ronde et claire reposait tranquillement – posée sur la glace, flottant sur l’eau ou posée au fond, entourée de volutes grisées.
( Qu’est-ce donc que tout cela ? Alors…Trois tubes de verre, un petit denah qui court… on a dû lui donner quelque produit, ou quelque sort pour qu’il ne se rende pas compte de la vanité de sa course, mais enfin…Trois petites pierres, une dans chaque cylindre, et … à la fin, trois conduits qui mènent on ne sait où, dans le mur, vers la porte. Toujours trois, tout est en trois exemplaires…Et ce carré sur la table, qu’est-ce que c’est ?)
Ne voyant aucune inscription, elle passa ses mains sur la surface brute de la pierre, essayant d’y trouver une quelconque aspérité. Apposant ses deux mains à plat sur le pavé, elle tenta d’appuyer, y mettant toutes ses forces sans espoir que cela fonctionne. Pourtant, lorsqu’elle y mit tout son poids, le carré s’enfonça subitement dans la table avec un craquement sourd. Rose entendit un bris de verre et n’eut pas même le temps de lever les yeux avant de recevoir une pluie de petits éclats de cristal. Heureusement, elle ne fut pas blessée, et n’en reçut qu’une estafilade sur la joue d’où coula un mince filet de sang bleu. Secouant la tête pour faire tomber les derniers morceaux de verre, elle leva la tête : le canal qui reliait le tube de glace à celui rempli de brume avait explosé, et rien n’en restait.
(Hum… Bien. Il faudrait peut-être réfléchir un peu maintenant, j’espère que tout n’est pas perdu à cause de ce conduit détruit… voyons. Les trois tubes contiennent de l’eau, sous ses trois états. À cause de mes sottises, le passage entre la vapeur et la glace est rompu. Une… sorte de pierre dans chaque, je suppose qu’il faut les mener dans les trois canaux qui partent là-bas. Ce… ah ! Je n’y comprends rien. Le carré de pierre est comme un bouton, cela active le tout. En même temps, je ne pourrai pas l’utiliser beaucoup, cela demande toute ma force et je suis déjà… assez fatiguée.)
Bâillant, elle baissa à nouveau les yeux vers la table. Lançant un regard dédaigneux au denah qui trottait dans sa roue, et qui la laissait parfaitement perplexe, elle s’appuya sur la pierre et se pencha sur les symboles qui surplombaient les trois petits leviers. C’était bien cela, un flocon, une goutte et un nuage. Distinguant quelque chose d’autre au-dessus, elle approcha encore ses yeux de la table, et put lire un petit signe, un caractère de la langue elfique la plus ancienne, appartenant aux premières formes écrites que les peuples elfes avaient employées. Rose était parfaitement incapable de lire cette langue, si différente des caractères que l’on employait couramment à Luinwë, mais certaines ressemblances la mirent sur la voie d’une possible traduction. Elle se redressa, fébrile.
(Là, c’est Trois… Donc je suppose qu’ici ce sont Un et Deux. Oui, le Deux se reconnaît un peu. La Glace en Un, puis l’Eau et ensuite la Vapeur. J’ai activé le mécanisme, et c’est le lien entre la glace et la vapeur qui a éclaté… Mais dans l’ordre ç’aurait dû être l’eau. Ou alors, le Un est fixe mais pas le Deux ni le Trois… Bon, cela tourne dans ce sens-là, de la glace vers la vapeur. Mais pourquoi, en ce cas, le pont entre les deux s’est-il brisé ? Et toi, pauvre petit animal, tu cours, tu cours et tu ne sers à rien. Du moins je crois… Attends…)
Ouvrant sans aucune difficulté la porte de la roue, Rose souleva doucement le crabe qui continua à courir dans le vide. Le cylindre s’arrêta progressivement de tourner, et d’inquiétants craquements se firent entendre de toutes parts, de haut en bas, dans la machine entière. L’eau dans les tubes commença à s’agiter, quelque soit son état, la glace semblait enfler de façon fort menaçante, le niveau du liquide montait, la vapeur se mouvait en volutes furieuses et devenait plus dense, presque opaque. Sur la table, les trois leviers montaient et descendaient tout seuls à un rythme croissant. Affolée, Rose reposa le denah sur sa roue et se précipita sur les leviers, tenant de les stabiliser, de faire cesser leur danse frénétique. Par bonheur, ils étaient assez rapprochés les uns des autres pour qu’elle les pût tenir tous trois dans ses deux mains ; elle les bloqua en haut. Alors tout se déchaîna, les tubes se mirent à trembler tant la pression qu’ils devaient contenir était forte. D’un mouvement brusque, l’enfant abaissa tous les leviers ; cela se calma peu à peu, le niveau de l’eau baissa dans son tube, la glace se… détendit. La tension baissa dans les trois tubes et dans les nerfs de Rose. Soupirant profondément, elle prit garde à redresser un peu les leviers selon l’état des tubes, faisant attention que l’eau ne baisse pas trop, que la glace ne fonde point, que la vapeur de disparaisse pas.
(Ah, quelle horreur de machine… La prochaine fois tout explosera, je suppose. Bon, au travail. Il faut régulier les levier sans cesse, vais avoir du mal à le faire à une seule main. Mais bon. Oh, je t’ai remis dans le mauvais sens, toi. Tu courais vers la gauche, non ?)
Fidèle à sa légendaire vivacité d’esprit, Rose contempla le petit crustacé un moment. (Dans l’autre sens… Tu cours dans l’autre sens…Hum hum.)
C’est alors qu’un grondement résonna à nouveau. Levant les yeux vers son origine, la brune elfe vit avec stupeur que l’hydraulier s’était mis en marche. L’eau noire coulait à présent, inéluctablement, par la mince écluse, accompagné par des battement d’un réguliers d’une horloge. S'adressant au crabe, Rose se tourna vers lui et s’écria :
« Tu cours dans l’autre sens et voilà que le temps est décompté ! Allons, toi cours bien, je crois savoir à quoi tu sers. Si tu es là, c’est pour donner un sens de rotation, tout simplement. La machine tourne dans le même sens que toi, et avant que je ne te soulèves tu tournais dans le mauvais sens. Maintenant l’ordre devrait être correct, de la glace vers la vapeur en passant par le liquide. C’est cela, non ? »
Elle regarda les tubes imposants.
« J’espère que c’est cela. »
(Donc-les-trois-pierres-doivent-aller-dans-les-trois-conduits-là-bas-et-pour-cela-je-dois-faire-passer-la-pierre-de-glace-dans-le-tube-d’eau-puis-les-deux-dans-le-tube-de-vapeur-et-voilà.)
Alors qu’elle jetait un œil à l’hydraulier, Rose entendit la voix de Raliak crier :
« Hey, je crois que c'est bon de mon côté! Vous en êtes où vous autres? »
Il n’en fallut point davantage, ce moment d’inattention fut décisif. La pression monta à nouveau dans les tubes et avant que Rose y put faire quoi que ce soit, la glace devint trop volumineuse pour que la mince couche de verre puisse lutter contre son expansion. Le tube explosa à son tour, mais cette fois c’était différent. Ce fut un déluge de verre qui s’abattit sur l’enfant, qui eut le temps de se protéger le visage et les mains. Les éclats de verre se mêlaient aux éclats de glace, et tout cela en tombant sur les dalles de marbre produisit une sorte de douce musique, un long son cristallin et harmonieux. Le tube n’était donc pas infini, mais il devait s’élever beaucoup plus haut que le point où il se perdait à la vue. Malgré la cascade qui l’assaillait, Rose entrevit l’état des deux autres tubes, également prêts à éclater. Se protégeant le visage d’une main, elle s’empara de l’autre des leviers, et les maintint assez bas malgré la force qui les tirait vers le haut. Lorsqu’enfin l’averse fut terminée, elle les régla plus précisément, et tout revint dans l’ordre ; du moins, pour les deux tubes restants.
(Un en moins… La glace détruite ! Est-ce perdu, à présent ? Ah, si seulement cela pouvait fonctionner malgré tout…)
Elle n’avait pas entendu, à cause de ce charmant vacarme, le cri de Sigdral. A l’adresse des deux autres, elle cria à son tour :
« Ah… Je vous rejoins tantôt ! J’ai… brisé la glace.»
Le premier levier, celui qui régulait la pression de la glace, s’était de lui-même brisé en deux, inutilisable et inutile. En y regardant de plus près, l’elfe remarqua que le petit caractère au-dessus, le Un qui lui donnait la première place dans le cycle, avait disparu.
(Bon. C’est logique, si la glace est détruite, c’est à l’eau d’être la première et la vapeur ensuite. En revanche, si je pouvais trouver…)
Les chandelles étaient assez nombreuses autour d’elle, bien que certaines eussent été éteintes par la pluie de glace ; l’honnête clarté permit à Rose, en balayant du regard le sol à l’entour, de s’assurer que la pierre qui contenait le tube détruit ne gisait point au sol parmi les débris. Elle devait faire vite, l’hydraulier écoulait son implacable décompte avec une fidélité sadique. Il ne restait guère que peu d’eau dans sa partie supérieure. Continuant d’une main à maintenir en place les deux leviers restants, l’elfe vérifia que le denah courait toujours et qu’il ne montrait pas de signe de fatigue ; ses yeux sombres se posèrent sur les seuls objets qu’elle n’avait point encore regardé : les trois petites boules qui reposaient dans un creux de la table. Gardant un œil sur les tubes dont la pression était de plus en plus instable, elle les saisit délicatement une à une pour les observer ; et ce qu’elle vit n’était pas commun.
C’étaient trois étranges pierres, fort probablement semblables à celles qui gravitaient dans les tubes. La première quelle examina, dans la tension de l’urgence, était une boule d’eau. Non point solide, ce n’était pas de la glace, cela était comme… une bulle d’air dans l’eau ; mais c’était cette fois l’élément aqueux qui, solidaire à lui-même, formait ce rond parfait. Chose amusant, cela rebondit légèrement lorsque Rose la reposa dans son réceptacle rocheux. Parfaitement transparent mais altéré par instants d’inexplicables ombres, cela semblait rayonner d’on ne savait quel éclat. C’était également le cas de ses deux sœurs, une sorte de lumière invisible en émanait. La deuxième pierre permit à l’enfant de se souvenir que chacune correspondait à un des trois états. Celle-ci était la Glace, boule de givre absolument lice, de l’albâtre le plus pur teinté de ténébreux reflets. Le dernier de ces captivants cailloux était peut-être le plus fascinant de tous ; c’était la Vapeur. Comme enfermée dans une sphère de cristal, une fumée grise s’agitait paresseusement avec de lancinants mouvements. L’esprit se perdait à contempler cet incessante révolution de volutes bleutées, de soudains vides aussitôt comblés par de nouveaux filets de brume. Les nuées, pourtant, n’étaient encloses par aucune substance solide, elles gravitaient dans cette forme de sphère aux mouvement égocentriques. Il ne restait que quelques minutes, et l’hydraulier aurait laissé filé toute son eau vers le bas. S’assurant que le pauvre denah courait bien dans le bon sens, dos à la porte, Rose régla parfaitement les leviers, l’encourageant de quelques mots distraits. Puis, après quelques secondes de concentration, elle s’appuya d’une main sur le carré de pierre qui servait de déclencheur à tout le mécanisme. Sa main gauche était occupée par la régulation de la pression dans les tubes, elle ne pouvait y mettre tout son poids. Rien ne bougeait, elle n’était pas assez lourde.
(Ah… Je peux encore tenter comme cela, j’espère que tout tiendra le coup… J’aurais préféré ne pas en arriver là, mais bon.)
Faisant preuve d’une vivacité de pensée qui ne lui était pas coutumière, elle mit en œuvre le résultat des réflexions qui s’agitaient dans son esprit depuis qu’elle avait découvert la machine. Après avoir réglé le niveau de l’eau dans le tube à la hauteur du conduit qui menait vers l’autre tube, elle bloqua au mieux les leviers avec les pierres, espérant qu’elles seraient assez solides pour les maintenir en place ; puis bondit lestement sur la table et sauta sur le cube ; elle ne pouvait mettre plus de poids que celui de son corps alourdi par l’énergie du saut. Enfin, se rendant à ses raisons, le carré daigna s’enfoncer dans le même sourd grondement ; Rose se hâta de redescendre au sol et de reprendre le contrôle des manettes de pression, et regarda. L’effet ne se fit point attendre : l’engrenage trembla, la pression augmenta quelque peu, la pierre d’Eau roula lentement dans le conduit où le liquide, contrairement à tous les lois physiques, ne s’engouffrait pas, et atteint le tube de Vapeur. Les deux sphères réunies s’entrechoquèrent avec un tintement cristallin, puis s’immobilisèrent.
(Parfait… Par Yuimen, quel froid ! A la Glace à présent. Si seulement j’arrivais à trouver…)
A nouveau sur la table, agenouillée sur la pierre brute, elle atteignait tout juste le bas du cylindre qui s’élevait jusqu’aux cieux. Celui-ci était relié à un canal de verre qui se divisait en trois boyaux, il fallait donc les trois pierres sans faute, et le tube de glace était détruit. Par chance, par bénédiction de ceux qui avaient construit cet agencement compliqué, il lui en restait une, de pierre de Glace, il suffisait qu’elle pût l’introduire dans le cylindre et, si Moura le voulait, la sphère remonterait jusqu’à ses sœurs… Défaut de construction ou dernière chance laissé au maladroit, il existait une petite trappe pratiquée dans le piédestal du tube. Ne restaient que quelques secondes avant la fin du décompte. La jeune elfe finit par trouver l’ouverture, débloqua l’attache et y posa rapidement la belle pierre, qui roula dans le fond du cylindre, entourée des furieuses nuées. Rose ne respirait plus, debout sur la table. Il fallait qu’elle remonte, sinon tout cela n’aurait servi à rien et sûrement la porte ne s’ouvrirait plus… Soudain, la gemme ronde vacilla, roula sans que rien ne lui en eût donné l’impulsion, et se souleva légèrement du verre. Dès lors, après avoir un instant hésité, elle fila vers le haut et rejoignit les deux autres sphères. Les trois pierres roulèrent enfin, chacune dans un canal, et disparurent dans la pierre du mur. Rose les entendit rouler, saisit vivement les deux gemmes qui lui restaient et s’élança pour suivre ce bruit. Cela se dirigeait à toute vitesse vers la grande porte, les tubes devaient être légèrement inclinés vers le bas. Lorsqu’elle arriva aux côtés de Gwaë, Raliak et Sigdral, tous quatre purent entendre les pierres s’arrêter soudain, toutes en même temps. Un silence parfait plana dans la galerie, tous attendaient ce qui s’allait produire. Cela durait, la porte restait close, le mécanisme semblait éteint. La tension montait parmi les membres du piteux groupe. Aucun déclic ni grincement ne vint troubler le lourd silence. Rose baissa les yeux vers les autres.
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Dernière édition par Rose le Sam 12 Déc 2009 22:50, édité 2 fois.
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