Le moins que l’on pouvait dire, c’était que l’humeur du groupe n’était pas au beau fixe, la preuve en était de Meredith qui paraissait véritablement affligée de la disparition de son amie, se positionnant à nos côtés avec un regard qui en dit long sur la part de responsabilité qu’elle nous assignait en la matière bien que nous n’eussions rien pu faire pour empêcher l’humaine de se mettre dans de beaux draps de même que nous ne pouvions désormais rien faire d’autre qu’emprunter l’unique issue possible en espérant qu’elle serait la voie vers une solution. La preuve de la tension ambiante en fut aussi de manière assez frappante de la hargne que mit Kal à m’invectiver après m’avoir transpercé de ses yeux sanguinolents, le bougre n’étant décidément pas prêt à lâcher le morceau quant à ma propension à la menterie, signe qu’il était soit suffisamment intelligent pour se fier aux signes qu’il aurait pu avoir perçus, soit suffisamment bête pour s’entêter dans une erreur qui ne pourrait à la longue que lui porter préjudice. En tout cas, de mon côté, je ne me rebiffai pas, au contraire, je gardai un air tout intimidé, plaqué contre la paroi, les mains ramenées contre mon corps avec embarras, la tête baissé, comme si la présence empreinte d’agressivité de cet assassin m’avait complètement dépossédé de mes moyens, subterfuge le plus sûr pour avoir l’air d’un gamin innocent aussi parfaitement que possible. D’ailleurs, cette mimique rencontra un franc succès puisque, si je ne pus savoir ce que le Phalange de Fenris en pensa, le blondinet s’y montra de son côté particulièrement réactif, le sabreur en armure profitant de ce court moment de latence induit par l’attente dans les alcôves pour rabrouer carrément mon calomniateur en rappelant en un petit discours qui alla de pair avec sa caricature de tempérament chevaleresque que nous devions être unis et non divisés. Voilà en tout cas quelque chose en quoi j’étais parfaitement d’accord avec lui, n’aurait-ce été que d’un point de vue purement pratique, mais je n’eus pas le loisir d’en placer une qu’avec un déclic métallique à peine perceptible, le mécanisme de nos minuscules chambres se mit en marche, nous plongeant dans une obscurité de coffre fort en moins de temps qu’il ne fallut pour le dire.
Dans cette posture assez inconfortable, j’eus quelques secondes pour méditer sur notre position fort problématique en cet instant même : toute issue étant désormais hermétiquement close par les parois de roches qui m’entouraient, il aurait suffi de déclencher un piège à pointes, d’envoyer une capsule de poison ou même de laisser les murs se refermer (bonne vieille méthode connue entre toutes) pour nous faire tous passer de vie à trépas sans le moindre espoir de survie. D’ailleurs, il n’était même pas besoin d’avoir recours à des engins aussi sophistiqués étant donné qu’avec aussi peu d’air à disposition, nous ne prendrions pas plus d’une dizaine de minutes pour mourir d’une lente et cruelle d’asphyxie de la plus angoissante et stupide des façons. Bien entendu, étant d’un plus petit gabarit, et ayant moins besoin d’air du fait de ma nature aniathyque, je pourrais tenir plus longtemps, peut-être une heure, voire plus, mais en fin de compte, cela ne ferait que prolonger l’agonie jusqu’au moment où je perdrais conscience et où les capacités vitales de mon organisme s’arrêteraient par manque d’oxygène. Décidément, en combinant mes connaissances en matière d’anatomie à mon imagination, je pouvais parvenir à des résultats assez impressionnants de réalisme niveau scénarios possibles, et qui avaient très certainement de quoi faire pâlir même les plus hardis de par leur caractère logiquement inexorable. Enfin bon, en l’occurrence, une telle éventualité n’était guère à craindre puisque le responsable de nos mésaventures ne désirait pas nous voir mourir mais bel et bien résoudre les épreuves qu’il nous imposerait au fur et à mesure que nous arpenterions cet étrange repaire souterrain. Ainsi, je ne m’alarmai nullement, et laissai se faire un effet qui ne tarda guère à se mettre en branle car, comme je m’en étais douté, le pan de pierre duquel j’étais prisonnier pivota pour me relâcher ensuite en même temps que mes camarades, votre serviteur marquant toutefois un instant d’étonnement en découvrant que ce qui se profila devant nous fut un large et long corridor faiblement éclairé par une lumière pourprée, coloris pour le moins original !
Cependant, nous ne devions pas perdre le nord, ou plutôt Malehën de vue, et c’est donc d’un commun accord que nous nous mîmes tous les quatre en marche, non sans que j’eusse au préalable saisi la main de Meredith dans la mienne en un geste supposément chercheur de réconfort histoire de faire passer à cette étourdie l’envie de courir ventre à terre droit vers un possible danger. Dans cette atmosphère empesée d’une bien étrange ambiance violacée, les tous premiers instants se passèrent dans un silence uniquement rompu par le bruit de froufrou bringuebalant que formaient nos équipements respectifs alors que nous marchions, mais je ne me fis pas un cas de conscience de le rompre bien rapidement d’une manière certes timide mais bien perceptible pour m’adresser à Arhos que j’aurais été bien impoli de ne pas gratifier de remerciements pour avoir pris ma défense alors que j’avais été sous le coup des accusations assassines de l’assassin :
« Au fait, heu… » Je m’interrompis un petit moment, comme si j’avais été en train de chercher mes mots, puis je lâchai avec un sourire gêné « …merci d’avoir dit que je suis un compagnon valeureux. »
Voilà qui était dignement fait, et, prétendant être intimidé par la prestance de notre preux nigaud, je détournai le visage pour reporter mon champ de vision vers Kal qui ne devait certainement pas avoir digéré la rebuffade du blondinet si facilement et qui n’aurait bien évidemment pas l’intention de me laisser filer doux maintenant qu’il m’avait dans le collimateur de sa hargne inquisitrice. Avec lui aussi, il fallait que je misse les points sur les i, et pour ce faire, je devais d’abord engager la conversation, chose peu aisée étant donné notre relation plutôt houleuse. Pour cela, j’eus recours à un expédient qui promettait d’être plutôt efficace : faisant mine de fixer le couloir droit devant moi alors que nous cheminions, sens aux aguets, je ne manquai toutefois pas de jeter de temps à autre un regard à la dérobée à l’humain aux blancs cheveux, insinuation visuelle qui ne manquerait certainement pas de porter ses fruits de par son caractère agaçant. Et effectivement, au bout d’un moment, excédé, il finit par prendre franchement les devants, m’enjoignant à me montrer plus clair d’une manière emplie d’une irritation aisément perceptible qui ne manqua pas de faire sursauter celui dont j’assumais le rôle et qui se mit à bredouiller nerveusement :
« Ben… c’est que… alors… voilà… » Bégayai-je sous le regard furibond de l’être aux yeux rouges qui avait l’air d’avoir une envie croissante de me planter l’arme dont il venait de faire l’acquisition dans la chair, raison pour laquelle je ne fis pas s’éterniser trop longtemps ce petit jeu avant de me montrer plus clair. « Bon, d’accord, c’est vrai que parfois je fais des trucs bizarres… » Avouai-je tout en ricanant presque intérieurement à l’idée qu’il pouvait être étrange d’être intelligent pour ce jeune homme « …mais je le fais pas exprès, je te jure ! Ça arrive parfois, et je sais pas comment ça marche. » Je marquai une dernière pause, tête baissée sous cet aveu compromettant, et terminai d’une petite voix à l’adresse de tout le monde cette fois-ci. « Je voulais pas vous le dire parce que je me disais que vous alliez trouver que je suis bizarre. »
Et voilà ma plaidoirie conclue, et je retombai dans un mutisme embarrassé, comme honteux d’avoir révélé des capacités soi-disant extraordinaires alors que ce que j’avais fait précédemment dans la salle à l’épée n'était que les productions d’un intellect supérieur convenablement irrigué de savoirs. Bon, j’admets qu’il y avait tout de même dans mon comportement quelque chose de surnaturel et de mystique sur lequel je venais justement de rebondir à l’instant, et cela ne laissait d’ailleurs pas de m’étonner, mais dans l’ensemble, j’avais surtout dû ma loquacité passée à mes connaissances. D’ailleurs, ma version des faits n’était pas si éloignée de la vérité que ça vu qu’il m’était à plus d’une reprise réellement arrivé de susciter des regards curieux au sein de la population de Lúinwë lorsque je n’avais pas fait attention à cacher suffisamment bien mes potentialités intellectuelles pour le moins précoces pour un enfant d’une quarantaine d’années ! Mais assez de réminiscences, car déjà, nous débouchions sur l’endroit même d’où provenait l’éclairage à la couleur si peu commune, la source de la lumière s’avérant aussi étonnante que sa teinte, celle-ci provenant d’un amoncellement de cristaux que fixer me faisait presque mal aux yeux. Cependant, ceux-ci ne furent pas attirés longtemps par la vue des minéraux luminescents puisque je ne tardai pas à remarquer qu’au niveau de nos recherches pour Malehën, nous n’avions pas à être déçus : pour une de perdue, six de retrouvées ! Assurément, il y avait de la tromperie là-dessous, mais à première vue, aucun moyen de différencier l’une d’entre elles des autres pour parvenir à découvrir laquelle était celle qui avait marché à nos côtés il y avait quelques minutes à peine et lesquelles n’étaient que des illusions. Vraiment pas évident (mais d’un autre côté, des épreuves évidentes, ça n’aurait pas été drôle), d’autant plus que les mimiques déchirantes dont se paraient les six humaines n’aidaient pas beaucoup à l’objectivité que je m’efforçai toutefois d’aborder en avertissant pour commencer à la cantonade :
« Faites gaffe, ça peut être un traquard…un tranequard… un traquan… un piège ! »
Hum, là, sur le coup, j’aimerais pouvoir vous dire que ce n’était là qu’une autre manifestation de mon jeu d’acteur, mais pour dire la vérité, j’avais véritablement eu la langue qui avait fourché au moment de prononcer ce satané mot de traquenard qui n’était pourtant pas si compliqué ! Enfin bref, pour en revenir à mes réflexions, il fallait admettre que cette fois-ci, nous n’avions guère de sujets d’investigation à disposition, aussi commençai-je par lâcher la main de Meredith pour la laisser inspecter de plus près les images de son amie, la taurion étant en toute logique celle qui avait le plus de chances de détecter chez un ou plusieurs de ces clones des signes confondants qui pourraient permettre d’en sortir du lot… en partant du principe qu’il s’agissait bel et bien d’un cas où l’original est à distinguer des copies, d’autres possibilités n’étant évidemment pas à exclure. Quoi qu’il en fût, faute d’un élément plus probant auquel consacrer mes examens, j’avais bien envie de me pencher de plus près sur ces espèces de quartz fluorescents et d’en tâter éventuellement l’enveloppe pour en discerner la nature de même que les effets, mais le fait était que leur hauteur par rapport au sol ne me permettait guère un tel test. Heureusement, j’avais à mes côtés de plus grands que moi qui pourraient m’amener facilement au niveau désiré en soulevant ma peu pesante enveloppe charnelle, et justement, puisque Arhos était si chevaleresque, il ne pourrait être que ravi de me servir de destrier pour l’occasion ! De toute façon, étant donné la tronche qu’il tirait, il était évident qu’une fois de plus, la situation le dépassait, ce grand benêt, alors réquisitionner ses capacités pour mon compte (qui était aussi celui du groupe, naturellement) ne pourrait pas être une bien grande perte :
« Hé, monsieur ! » Vins-je donc le voir en lui tirant la manche et en lui offrant mon sourire le plus enjôleur, le plus désarmant, le plus convainquant, ouvrant de grands yeux à la fois sérieux et innocents. « Je voudrais regarder ces cristals de plus près mais je suis pas assez haut pour ça. Tu peux me porter s’il te plaît ? »
_________________ Tuia, sindel mâtiné d'aniathy, né, brisé, refaçonné, puis brisé à nouveau.
Dernière édition par Tuia le Mer 25 Nov 2009 21:19, édité 3 fois.
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