Nul ne parut réellement s’émouvoir de ma découverte géniale, comme si un tel trait de génie était normal pour une personne pour moi. À cet instant, j’aurais été curieux de savoir qui parmi les trois lurons qui me regardaient débiter mon plan aurait pu ne fut-ce que s’approcher de loin de l’hypothèse de cette idée. Epardo fut écarté tout de suite : sous ses airs de sage réfléchi, il ne cachait qu’une grosse brute orque, rien de plus. Les seules preuves de finesse dont il nous avait laissé témoin était sa capacité à dévier mes sarcasmes sans pour autant me rentrer dans le lard, ce dont je lui étais reconnaissant, en quelque sorte…Si jamais ce peau-verte décidait de m’attaquer, ça lui enlèverait toute crédibilité sur son rôle de composition, et c’était ce qu’il y avait de plus grisant dans le fait de le titiller. Mes deux autres compagnons étaient restés trop discrets ou réservés pour que je puisse en dire quoi que ce soit : Madladif avait montré un trait de génie, mais il n’était peut-être qu’une étincelle de son esprit, restant d’une braise à moitié refroidie. Erow, quant à lui, n’avait fait preuve d’aucune capacité particulière jusqu’à maintenant, sinon celle d’enfumer ses congénères avec une horrible pipe d’écume.
Ce fut pourtant lui qui se permit de répondre à une de mes piques destinée à l’orque. S’ils pouvaient croire en ma sincérité ? Oui, ils pouvaient, si ça leur chantait. Je n’en avais pas vraiment cure, après tout. Le jeu était avant tout de se faire passer pour quelqu’un d’assez utile et pas trop mauvais pour qu’aucun autre ne se retourne contre moi, et j’y arrivais visiblement assez bien. Je me tournai vers Erow avec un regard pétillant, afin de lui répondre :
« Je n’ai en rien évoqué ma propre sincérité, compagnon. Je ne faisais qu’énoncer une vérité qui, je le pense, nous sied à tous… A moins bien sûr que je ne me trompe, et que vous préfériez le mensonge et la tromperie, cher Erow ? »
Il était risqué de s’attaquer à moi par la parole, nombre de clients du Purgatoire en avaient fait les frais. J’avais le don de retourner l’auditoire contre l’apostrophant en une phrase bien placée, qui n’était en rien injurieuse, mais qui prêtait à la réflexion et piégeait l’émissaire dans son propre jeu. Ce silencieux compagnon ne l’ouvrirait peut-être pas de sitôt, dans l’idéal…
Mais le marin ne semblait déjà plus porter attention à la scène, adressant une demande à Epardo, qui la désavoua aussitôt, la qualifiant de dangereuse. Si le bourrin avait agrippé la première sans hésiter, le voilà qu’il suspectait la seconde d’une faille quelconque… Ce à quoi Madladif répondit par… un grand silence absent, toute lumière ayant visiblement décidé de rester cloitrée dans son cerveau.
Je reportai mon attention sur le papier dont j’avais décelé le secret : huit rectangles noirs étaient apparus, signifiant donc une phrase de huit mots à découvrir… Le pas était franchi, mais l’énigme restait à résoudre : l’anagramme n’était toujours pas mis à bas…Le plan était encore trop imprécis pour trouver avec facilité… Mais la seconde feuille, restée vierge, donnerait peut-être une information supplémentaire… Je les superposai toutes les deux et les plaçai dans la lumière du brasero afin de voir à travers, en transparence...
« Et bien faites-la brûler, cette poutre, si vous ne voulez l’enlever… »
Le ton que j’avis utilisé était tellement neutre qu’aucun de mes compagnons n’aurait pu déceler la boutade ironique. Je voulais tester leur capacité à tirer des déductions de logique par eux-même, et à enfin commencer à chercher des solutions…
_________________
- Selen Adhenor -
|