L'envoyée dont ne sait qui leva les yeux vers moi et je réalisai à quel point je n'avais que survolé leur physique, n'ayant observé que leur mains, leurs armes et la manière dont elles se servaient de leur corps longiligne pour se mouvoir. Le petit sourire qu'elle affichait rehaussait un visage légèrement rond à la peau de nacre, aussi fine et pâle que celle de son buste, le reste étant recouvert d'une espèce de carapace d'un bleu irréaliste. Ses cheveux ondulaient autour d'elle au rythme de ses infimes mouvements et son casque qui n'était finalement qu'un entrelacs de pointes était tout autant esthétique qu'un danger pour qui conque s'approcherait trop vite d'elle. La question de savoir où commençait l'habit bleu qui enveloppait son ventre et où s'arrêtait l'étrange peau et queue qui remplaçaient ses jambes me taraudait lorsqu'elle entama sa réponse …

(Et une de plus … c'est une mode de s'offrir à nous. Si elle nous parle d'élue et de déesse je l'égorge.)

Ses mots n'étaient cependant pas aussi avenants que son physique et il manquait deux trois éléments à sa plaidoirie pour que chacun ici puisse gober ce changement de cap. La demoiselle était la copie conforme de toutes les autres et même si mes connaissances en matière d'étrangers n'étaient pas une référence, je l'imaginais moins native d'une race naturelle que création d'un être dangereusement doué. A défaut d'avoir trouvé le soit disant traître, nous nous retrouvions surtout avec une espionne pour l'instant désarmée.

Alors que la colère de Leena faisait acte de préséance, je me surpris à grommeler dans mon masque …
- Faudrait pas me mettre trop vite dans le lot de ceux qui veulent sa survie … comme si je retrouvais naturellement ma place parmi le groupe en restant en retrait. L'attitude de Leena me rassura néanmoins. L'idée de tuer en mémoire d'un mort était selon moi une aberration, mais la bête se savait prévenue. Enfin l'espérais-je, car ma première expérience en matière de libre désertion me donnait plus l'envie de l'offrir de suite à la rouquine.

Mais toute autre discussion fut évitée par l'intervention de Glenor. Et avant que ne vienne la question d'un quoi ou d'un qui, la bateau trembla à nouveau sous nos pieds. Me souvenant du départ en piqué qu'on avait eu au premier voyage je me cramponnais à ce que je pouvais.

Le type du rêve devait avoir deviné l'issue fatale de ses envoyées pour attirer précipitamment vers son antre. J'avançais à moitié couchée sur le pont, et si je n'avais pas eu en tête le souci de récupérer mes affaires avant qu'on ne s'écrase, j'aurais pu apprécier la vitesse comme un court moment de plaisirs et de sensations fortes et indolores. Je parvins à l'endroit où j'avais encastré mon sac et le sortit de sa boîte pour l'enfiler par-dessus la tête en bandoulière.

Je me relevais face à face avec la citadelle et me figeai, contractant tout ce que mon corps pouvait m'offrir à resserrer, de mes yeux aux bouts de mes orteils en passant par ce chef d'œuvre anatomique qui me servait d'arrière train. Rien ne fut négligé tant ce qui m'arrivait dessus était plus gros, plus dur et plus solide que moi … j'eus le temps de me souvenir d'une vieille citation qu'un jour Keyoke avait citée pour faire retrouver le sourire à l'enfant taciturne que j'étais : "Quand une pierre tombe sur un œuf, l'œuf casse ; mais quand l'œuf tombe sur la pierre, il se casse aussi". Je me sentis l'âme d'un œuf pendant la demi-seconde où le bateau rencontra le fond de l'océan me propulsant dans des eaux devenues sombres, loin de la lueur qui entourait notre navire depuis le début.
D'un œuf, je devins la pierre lancée par une catapulte mais qui contrairement au minerais tentait de battre des mains pour ralentir son allure et finir en roulant sur le sable.
Le rubis Sanglant s'était littéralement enfoncé de moitié dans le sol, sa coque vue de l'extérieure était pire encore que je l'imaginais et ce dernier choc n'arrangeait rien. Fissuré de partout, je m'attendais presque à le voir tomber en morceau à nos pieds ; au dessus de nous les voiles tombaient les unes sur les autres, entrainées par les mats transversaux qui s'étaient brisés sous la force de l'impact. A part moi je renouvelais la prière pour que quelque part, un autre navire fasse perdurer la puissance d'une telle magie.

Loin au dessus des voiles s'élevait la citadelle, monstre sombre qui devenait notre nouveau terrain de jeu. Vu d'en bas et de si près, elle n'était plus l'amoncellement de dizaines de tours et de récifs effilés, mais une paroi rocheuse presque plane dont la couleur bleue réussissait à ressortir dans l'obscurité des profondeurs. Il n'y avait aucune entrée visible mais notre nouvelle espionne … euh équipière nous fit signe de la suivre.

J'hésitai d'abord mais fût bien obligée d'admettre qu'elle était pour le moment la plus apte à nous trouver une piste à suivre. Prenant appui sur la roche, je donnais l'impulsion nécessaire pour m'élancer à la nage à la suite du groupe, suivant la sirène qui très vite nous mena à une brèche dans la paroi. Au bout d'une sorte de court tunnel se trouvait une porte toute simple, à peine assez en état pour donner le change et aucuns gardes n'étaient visibles.
Le tunnel pourtant était le lieu rêvait pour un piège, il n'y avait guère besoin de gardes si les éléments autour, aidés par la magie du maître des lieux, pouvaient nous broyer au premier faux pas.

- On bouge plus ! - Je montrai la sirène du doigt puis la porte en bois à quelques mètres - toi, tu passes devant. J'espère pour toi que tu connais ta demeure par cœur …

Je n'attendis pas qu'elle bouge ou parle pour me décaler et observer l'intérieur du tunnel, cherchant la moindre singularité du décor, du sol au plafond.


(relecture et correction demain)