Tel un oiseau de proie, je fondis sur la créature ailée dans l'unique but de l'immobiliser au sol et de regarder qui se cachait derrière cette armure inoxydable. Nos ennemis n'étaient plus très loin de nous, d'ailleurs, ils commençaient même à nous envoyer des hordes de bestioles irréalistes dans l'espoir de nous faire flancher... Mais, cela était sans compter sur notre persévérance et la grâce légendaire des elfes qui avaient la réelle possibilité de transformer des harpies de métal en limaille de fer... Mon pied vint appuyer sur le torse de ma tendre adversaire qui se trouvait dans la ligne de mire de Maelan... Franchement, il aurait pu venir m'aider comme je le lui avais demandé, mais, apparemment cela l'effrayer un peu et il préféra rester à distance, visant à l'aide de son arc. Heureusement pour moi, que l'Humain vint à la rescousse, tranchant les ailes et les bras avec sa lame, envoyant le monstre vers de nouveaux horizons... Bien ! Nous étions sains et saufs, sur le pont du navire, les autres aventuriers finissaient de nettoyer les harpies à coups de hache ou de massue. D'ailleurs, on ne pouvait pas dire que le nain tuait dans la délicatesse... Son arme s'abaissait et remontait en boucle, écrabouillant la demoiselle des océans, la changeant en véritable pâté...
(Hé bien ! C'est fini...)
Toutes nos ennemies se trouvaient en miettes, allongées sur le sol, ce n'étaient plus que des tas de ferraille sans grande utilité... Mais, un contre-coup s'abattit rapidement sur moi, flanchant presque en repensant à la mort à laquelle je venais d'échapper de justesse... Cela était si terrible, je venais de me rendre compte que j'étais aussi vulnérable qu'une simple tige de roseau, ma vie ne tenait qu'à un fil, le fil du destin que tissait les Dieux dans leurs hautes sphères. Je devais les remercier, ils venaient de me sauver d'une mort douloureuse, d'un trépas sans fin qui m'aurait directement renvoyé dans les enfers... Mon corps tremblait à cette idée, j'étais littéralement bouleversé, il n'y avait qu'à voir les dommages dus aux deux coups de poing que j'avais pris en pleine tête... D'ailleurs, un filet de sang continuait toujours de nimbait l'eau environnante d'une brume écarlate... Tout ce que j'espérais, c'était que ce sang n'attire pas des poissons carnivores, je n'étais plus en état de me battre, je n'en avais plus la force... Une lassitude incroyable me prit les entrailles, un poids m'attirait vers le pont du navire, m'incitant à m'écrouler comme un château de cartes. Pourtant, mon esprit m'ordonnait de rester debout, de ne pas flancher, de combattre ces ténèbres ! Oui ! Je devais attirer la lumière, cette étincelante lueur de bonheur, cette flamme vivifiante qui me permettrait de reprendre le contrôle sur mes pensées évanescentes.
Cependant, la voix d'Aëlwinn me rappela à l'ordre, me jetant hors de mon trouble et me ramenant à la réalité. Sa stupeur me fit trembler de crainte, elle nous appelait, ayant apparemment trouvé quelque chose de vraiment insolite. Récupérant peu à peu mes moyens, je me dirigeai vers la Capitaine qui nous attendait tous, ses mains tenaient le faciès d'une de nos ennemis, laissant à découvert l'intérieur de l'armure. À la surprise commune, nous pûmes apercevoir un être frêle, ne dépassant même pas les vingt centimètres... C'était une aldryde, certainement une des consœurs de Silmeï qui avait osé fondre sur nous comme si nous n'étions que de vulgaires étrangers... Oh ! J'en restais coi, comment allait réagir notre viril Aldryde ?
(Alors ça ! C'est fou... Comment une aussi petite chose a failli me découper en rondelles ?)
J'avançais ma tête pour pouvoir examiner de plus près l'intérieur de la carapace de métal, apercevant ainsi des petites sangles attachées aux membres de l'aldryde... Nom d'une noix sans coquille ! Cette minuscule créature se servait de ces attaches pour contrôler son enveloppe métallique ! Je n'en revenais pas... À la fois partagé entre la stupeur et l'effroi, je réfléchissais à mon utilité sur ce bateau... À vrai dire, je n'arrivais pas à saisir la partie infinitésimale de mon être qui m'avait permis de survivre lors de cette attaque. Tout ceci commençait vraiment à me donner des maux de crâne, je n'étais même pas suffisamment fort pour écraser cet espèce de moustique ! Non, mais ça en devenait ridicule... Même si elle portait une carapace de métal, je devais bien avouer que j'aurais pu en finir seul avec mon adversaire. Enfin ! Je ne préférais pas me perdre dans ce genre d'obscures pensées, pour l'instant nous avions mieux à faire... D'ailleurs, Valor ne put s'insurger une nouvelle fois contre Silmeï, tentant de le faire accuser à sa place. Cela commençait à bien faire ! Tout le monde savait que ce crétin était parmi nous dans l'unique but de nous tuer, je ne comprenais pas pour quelle raison il s'acharnait à essayer de faire accuser n'importe qui...
(Il me désespère.)
Puis, le sol sembla trembler, comme si un séisme tentait de mettre en branle la terre... Pourtant, cela me paraissait complètement improbable vu que nous nous trouvions sous l'eau. Mais, je m'aperçus promptement que le vaisseau-lune reprenait sa lente progression vers la citadelle. Avançant tout d'abord lentement, il se mit à accélérer, fonçant droit sur la cité sous-marine qui s'approchait dangereusement de nous... Enfin ! NOUS nous dirigions droit sur elle ! En réalisant que nous étions condamnés, le joli minois de Santias traversa mon esprit ! Ce fut un éclair, un véritable électrochoc qui me tétanisa, me pétrifia sur le pont du navire... Je ne pouvais plus bouger, je devais le sauver avant de sauter du Vaisseau-lune ! Secouant ma tête pour me remettre les idées en place, je me jetai sur la bassine sous laquelle se trouvait le chat. Comment avais-je pu l'oublier, lui, la seule famille qu'il me restait ?! Je devais absolument faire quelque chose ! Non ! Je devais faire tout ce que je pouvais pour le sauver de ce désastre, il comptait bien trop à mes yeux pour l'oublier sur le pont du navire et le laisser mourir dans ces eaux inconnues. «Santias ! Oh Santias ! Pourquoi m'as-tu suivi lorsque je suis parti de la Cité !»
Je déposai ma main sur la bassine, prêt à la soulever pour récupérer le chat, mais, une lueur d'esprit me retint, m'empêchant de commettre un acte inconsidéré alors que l'animal ne pouvait respirer sous l'eau. Une tension émergea, j'étais pressé, le bateau continuait sa longue descente vers les fonds marins, cependant, j'avais bien trop à faire pour me soucier de ça pour l'instant ! Il fallait que je trouve un moyen pour permettre au chat de survivre, il lui fallait de l'air ! Réfléchissant aux possibilités que j'avais, je voyais la citadelle se rapprochait inexorablement, les autres aventuriers commençant à s'en aller du navire, plongeant pour se diriger je ne savais exactement où. Mes mains tremblaient, je n'arrivais plus à contrôler mes membres, la peur était en train de me submerger, de me pousser vers des profondeurs sous-marines, un lieu inconnu, un abîme sombre et terrifiant dans mon cœur palpitant. «Santias, je ne veux pas te perdre !» me mis-je à hurler, frappant contre la bassine.
Le temps s'égrainait à une allure folle, le sang frappait à mes tempes, résonnant dans ma tête tel un tambour. Chaque coup était une seconde partie en fumée, une seconde en moins, une seconde qui me rapprochait de la mort. STOP ! Je devais agir, je n'allais tout de même pas entrer dans la maison de Phaïtos après le combat acharné que je venais de mener contre les harpies des mers. Toutefois, malgré toute la force de volonté dont je faisais preuve des larmes se mirent à sortir de mes orifices oculaires, disparaissant aussitôt dans l'immensité de l'océan. Ce n'était pas la peur, ni la peine qui me permirent de pleurer, mais tout simplement, l'incapacité à annihiler toute cette effroyable tension. Je jetai un coup d'œil autour de moi, cherchant un objet qui me permettrait de sauver l'animal... Puis, une idée me vint à l'esprit, ces aldrydes n'étaient pas des créatures des profondeurs, mais vivaient bel et bien sur la terre ferme ! D'ailleurs, il n'y avait qu'à voir Silmeï qui revêtait un masque tout comme moi pour ne pas mourir. Oui ! Nos adversaires devaient certainement posséder un ustensile magique qui les aidait à extraire l'air de l'océan pour respirer ! «Tiens bon Santias ! Je vais te sortir de là !»
Je courus directement vers mon adversaire, celle que j'avais immobilisé au sol et que Léonid avait délesté de ses ailes. Je n'avais plus de temps à perdre, il fallait agir et vite ! Laissant tombé toute délicatesse, je posai mon pied sur le torse de la créature de métal et arrachai le visage de la harpie. Jetant le masque de fer à côté de la dépouille de la bestiole, je pus voir l'aldryde sans vie, ensanglantée par la flèche de Maelan... Tout ceci était immonde et le pire était que j'avais contribué à cette tuerie, frappant la créature pour ma propre survie... Mais, je ne pouvais pas m'attendrir ! Non, Santias et moi étions en danger, le temps filait à une allure considérable ! La minuscule créature ailée portait un masque tout comme ses consœurs sans aucun doute. Faisant abstraction de mon dégoût, je retirai son second visage, en espérant ne pas lui avoir endommagé les os... Enfin, de toute manière, elle était morte alors un peu plus ou peu moins, ça ne changerait pas grand chose...
(Vite ! Vite et vite !)
Me dirigeant vers la bassine encore retournée, je gardais précieusement le masque magique. Puis, rapidement, j'attrapai le récipient et le retirai pour pouvoir m'occuper de mon chat tigré, de mon inconditionnel ami, le seul que je possédais encore. Tout de suite, mes yeux s'écarquillèrent en voyant le chat inconscient qui flottait à quelques centimètres du pont. Ses poils fins voletaient tout autour de son frêle corps... Il était trop tard, il devait certainement être mort;de nouvelles larmes commencèrent à surgir, noyant mon âme dans un océan de chagrin et d'émoi. Après tout ce que nous avions vécu ensemble, je ne pouvais me contraindre à le laisser dans cet état ! Je devais tout tenter, il fallait que je le sorte de ce coma quitte à m'écraser contre la citadelle ! «Non ! Non ! Et non ! Je n'ai pas fait tout ça pour te voir mort à présent Santias ! Je t'aime et il est hors de question que tu meures devant mes yeux !»
Je déposai le masque sur son minois qui s'adapta en quelques secondes à son si joli visage. Maintenant, qu'il pouvait respirer de nouveau, je devais l'aider à reprendre connaissance... Cependant, je n'avais jamais sauvé un chat, cela était pour moi une première et j'avais vraiment peur de faire une erreur irréparable. Pourtant, ne rien faire causerait sa perte et cela était complètement impensable, mon compagnon de toujours allait survivre foi de Dôraliës ! L'anatomie d'un chat ne devait pas être si différente de celle des humanoïdes, au fond nous nous ressemblions tous tellement. Je me remémorai donc les techniques à utiliser lorsque un elfe perdait connaissance, il fallait appuyer sur le sternum vigoureusement trois fois ou peut-être deux ? Oh ! Je ne me rappelais plus, c'était si loin, ça devait faire au moins une cinquantaine d'années que j'avais lu ça dans un bouquin, depuis de l'eau avait coulé sous les ponts ! Enfin ! Gardant mon calme pour ne pas sombrer dans une névrose incontrôlable, je me perdis dans le passé pour tenter de résoudre le puzzle dont les morceaux étaient éparpillés aux quatre coins de mon esprit. «Tout d'abord, il faut allonger l'elfe sur le côté ça c'est sûr ! Ensuite, le massage sur le sternum... Trois fois ? Oui, ce devait être trois ! Pour finir le bouche-à-bouche... Ah ! Sur un chat, ça risque d'être moins simple...»
Respectant les mesures à prendre, j'allongeai Santias sur le dos et mis la tête sur le côté, certainement pour dégager la trachée. Puis, je donnai trois coups secs sur ce qui ressemblait le plus au sternum, espérant de tout mon cœur que cela redonne vie à l'animal. Mais, rien... Je me mis donc au bouche-à-bouche, insufflant, de l'oxygène dans la bouche du chat, qui ressortit aussitôt en de fines bulles par ses naseaux... L'air n'était donc pas allé dans les poumons de l'animal ! Il fallait que je me débrouille pour lui obstruer le passage, mais, cela aurait pu être bien trop dangereux pour Santias, lui causant sans doute la mort... Non ! Le plus simple était de fermer sa bouche et de lui souffler dans le nez, de cette manière, l'air ne pourrait s'échapper ! Je recommençai une nouvelle fois, appuyant sur le sternum trois fois et me mis tout de suite après à souffler dans les naseaux de Santias. Mais, rien, toujours aucun signe !
(C'est pas vrai ! Reviens à moi ! S'il te plaît.)
Nous nous approchions dangereusement de la citadelle, mais je préférais mourir plutôt que de laisser mon chat seul ici ! Des larmes de détresse s'étaient mises à couler, elle étaient intarissables, représentant toute ma peine et ma douleur. Pourtant, pris dans un engrenage que je ne pouvais maîtriser, je persistais dans cette lutte, faisant tout mon possible pour sauver mon unique ami. Autour de moi, l'océan s'effaça, tout ce que je voyais c'était la frimousse de Santias, de cet animal qui m'avait parfois fait crier mais que j'aimais pourtant comme le frère que je n'avais eu.
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