Cromax a écrit:
Mais alors que je me tourne vers la divinité, Cheylas, entrant soudainement dans une rage inespérée et inattendue, mais totalement compréhensible, m’insulte lourdement et avec des termes qui bourdonnent dans mes oreilles comme autant de sobriquets inaptes à ce que je suis réellement. Elle est énervée, ça se comprend, mais elle garde un sang de traîtresse. Et les paroles d’un tel être ne sont que du poison pour ceux qui les écoutent. Aussi, je n’écoute pas ses propos outrageant… Mais sa colère ne s’arrête pas là. Se relevant, elle lance son pied vers mon genou et frappe violemment celui-ci. Pris de surprise, je n’ai le temps d’esquisser aucun geste d’esquive de ce coup bas, et je tombe à mon tour à genoux face au dieu, alors que la douleur s’empare de ma jambe gauche, lancinante et forte. Je suis prêt à me relever pour faire payer à cette insolente elfe grise qui était mienne, il fut un temps, mais le regard glacial que nous jette le dieu des Enfers en dit long sur ce qu’il pense de deux êtres comme nous, qui s’entredéchirent devant lui, manquant ainsi totalement de respect face au maître des lieux et à son ‘accueil’.
(Tu n’as de respect à vouer envers personne hormis toi-même, Cromax.)
(C’est faux ! Je me dois de respecter ceux qui me sont chers, et ceux qui ne sont pas mes ennemis.)
(Tu restes faible, Cromax… Un jour, tu comprendras combien c’est futile…)
Phaïtos ne sourit plus. Il a l’air énervé, comme si nous l’avions outragé. Alors, ses deux sbires encapés se tournent vers la colonne de spectres, et deux hurlements successifs se font entendre. Je vois mon mentor disparaître dans une gerbe de feu, la souffrance collée sur son visage, alors qu’en même temps, l’elfe de Cheylas disparait dans les mêmes circonstances. Sans le vouloir, je ne peux m’empêcher d’avoir un sourire en coin, en voyant cet être qui m’a été cher et qui l’est toujours disparaître à jamais, pour de bon. Je sais que sa sagesse me pardonne ce sacrifice, et qu’il a compris mon choix. Il s’en est désormais retourné dans le monde des morts, le pays du silence et du repos éternel, la voie qu’il a choisie, il y a maintenant un bon bout de temps…
C’est comme si tout se déroulait désormais au ralenti, autant les gestes que les paroles, et je voix Cheylas en proie à une haine affreuse qui la défigure et orne son visage autrefois radieux des stigmates d’une sauvagerie sans bornes, et d’un épuisement mental tellement fort qu’aucune retenue n’est plus permise. Elle se rue sur moi, après avoir fait tomber ses dagues au sol dans un bruit de métal, et essaie de violemment me frapper, avec la force vaine de l’abattement dont elle est victime. Maladroite, j’arrive à la maîtriser sans difficulté en me relevant, et sa colère me touche. J’attrape ses poignets pour contrôler son accès de mauvaise humeur, mais je ne veux pas lui faire mal. Elle vient de perdre quelqu’un qu’elle aimait, fut-elle une parjure. J’ai été proche d’elle, à un moment, à là où je la croyais sincère envers nous.
Elle m’insulte, encore, me donnant la faute de ma dénonciation, m’accusant presque de sa propre trahison. C’est elle qui a trahi, peu importe ses buts, elle a tué, et mis les vies du reste du groupe en danger. Elle est la seule responsable de ce qui lui arrive à cet instant. Aucune pitié ne peut être de mise dans une telle situation. Le pardon, oui, mais pas la faiblesse de lui accorder le cadeau d’une vie rendue, elle qui en a pris une autre, ou plusieurs, même. Les larmes coulent sur ses joues d’argent, et elle s’effondre contre moi. Je n’ai d’autre choix que de la serrer dans mes bras. Je ne peux me résoudre à la repousser. Elle a besoin d’une épaule, et je lui confie la mienne. Elle a besoin de réconfort, et elle pleure. Ses larmes se mêlent au sang séché de mon armure, et elle avoue qu’elle ne voulait pas me tuer, ni même Seldell…
Le petit rouquin intervient alors et se rue à son tour vers l’elfe grise, se jetant au sol. Il l’enserre, alors que petit à petit, je relâche mon étreinte, continuant pourtant à tenir Cheylas par les épaules pour la soutenir. Le rouquin abattu me lance un regard plein de reproche. Sa raison semble aveuglée par l’admiration sans bornes qu’il voue à cette elfe, qui a menacé de lui ôter la vie. Mais il ne le sait pas, c’est à moi qu’Arevoès a confié ce secret, cet empoisonnement qu’elle lui avait ordonné de faire contre Seldell, et dont Andelys a été la victime…
Sans que j’ai le temps d’avouer au jeune cartographe la terrible nouvelle, elle reprend la parole, expliquant la raison de sa traîtrise. Toujours une raison, mais ça n’en reste pas moins des traîtres. Et elle a été bien naïve de croire en la promesse d’un vassal de la reine noire, la cruelle Oaxaca… Ils auraient rasé Lebher avec encore plus de facilité, puisque la vigilance serait tombée en berne après cette sombre et fausse promesse. Elle accumule bêtise sur bêtise, cette petite. Et cette révélation innonde le cœur de Seldell d’une tristesse affligeante. Alors, je parle, tout bas, à Cheylas, pour lui faire comprendre la nature de son erreur…
« Auraient-ils réellement épargné Lebher, Cheylas, eux, les forces du mal ? Tu n’es qu’un pion qu’ils ont habilement manipulé, et tu dois revenir à la réalité. Regarde la cruauté dont ils font part, crois-tu réellement qu’ils vous auraient donné l’amnistie en échange d’une simple carte visant à être encore plus puissant ? Le règne du Chaos s’étendrait sur tous les peuples libres. Il n’y aurait plus que les orques, ces créatures infectes, à pouvoir errer librement en ce monde, qui serait alors rempli de meurtres et de ténèbres. Lebher serait tombée, comme chacune des autres villes, et aucune résistance n’aurait pu se former, à cause de cette carte que tu allais leur remettre… Tout ce que tu aurais fait en me tuant moi, en nous tuant tous, en tuant Seldell, c’est perpétuer les crimes qu’ils veulent étendre à toutes les contrées libres. En es-tu fière, Cheylas ? »
Mais je suis interrompu par les autres, qui me répondent enfin, chacun à leur tour. D’abord Lothindil, qui refuse d’abandonner celui qu’elle présente comme son père. Mon cœur se serre dans ma poitrine, et je sais que son choix est bien plus dur que celui que j’ai du faire… Vient ensuite Lelma, puis De, qui tous les deux, avec regrets, sacrifient leurs espérances pour s’allier à ma pensée. Je les remercie tous les deux d’une voix chaude, sans lâcher Cheylas.
« Daïo, Lelma, votre sagesse est grande, et s’il est quelque barde inspiré par notre histoire, il devra parler de vous avec un grand respect. Le sacrifice que vous avez fait vous honore, et je vous en remercie. »
Lillith, qui ne semble pas avoir de choix à faire, vient près de moi pour me consoler de mon choix. Je le serre contre moi, relâchant enfin l’elfe grise, pour accueillir ses mots avec un triste sourire. Ainsi, lui aussi m’a compris, a compris mes raisons, et mes actes. Quand il se recule, je lui fais un clin d’œil, pour le remercier de sa présence, et il s’en va consoler la tristesse ô combien douloureuse de mon ami Daïo.
Je me tourne alors vers Lothindil, un air de regret collé à la face… Je m’en approche, doucement, et pose une main contre son épaule blessée.
« Lothindil… Je ne peux te demander de faire ce choix, j’en suis conscient, mais il est inévitable… Soit c’est Andelys qui est sauvé, soit aucun d’entre eux ne le sera. Nous ne pouvons jouer avec la mort, et faire revenir ceux qui sont partis. Phaïtos nous fait un cadeau, mais en est-ce réellement un ? Crois-tu que c’est vraiment la voie que doit suivre ton père, entrer à nouveau dans le monde des vivants, lui qui a trépassé ? J’ignore tout de sa mort, mais celle d’Andelys était injuste, et il était brave et fidèle. Il mérite de vivre pour nous avoir tous sauvé, car si lui ne le mérite pas, aucun n’est apte à pouvoir revivre. Fais appel à ton Dieu, Lothi… Il détient les clés de la vie, n’est-ce pas ? »