Un coup de poing, ou bien pire encore, vient de m’être évité et ce n’est pas grâce à ma langue acérée. N’eut été de l’intervention de cette délicate jeune fille, Shrez le grognon m’aurait maltraité sans aucune tergiversation et avec raison, je dois malheureusement l’avouer. Je suis ainsi fait, une fois irrité, je ne peux plus contrôler le flot de paroles qui sort de ma séduisante bouche. Je suis par conséquent doué, il faut bien l'admettre, pour lancer sans hésiter des répliques cinglantes et suffisamment virulentes pour mettre hors d'eux des êtres de la trempe de drow.
Ainsi, après avoir poussé un autre long soupir d’exaspération, Rosie intervient :
«S’il vous plait, gardons nos forces pour combattre ceux qui sont réellement nos ennemis.»
Cette adorable adolescente à l’allure frêle et au tempérament réservé démontre une force de caractère hors du commun. Sa maturité d’esprit m’impressionne. Certes, elle n’est pas totalement humaine et donc sûrement plus âgée qu’elle ne le paraît, mais cela n’enlève rien de son apparente sagacité.
Par le regard aimable que le drow lance à notre demoiselle habillée de rouge, j’en constate que lui aussi éprouve de l’admiration, et peut-être même plus, envers celle-ci. Depuis notre arrivée à l’entrée de la citadelle, c’est la seule qui semble capable de le calmer et de façon assez admirable. Même notre guerrier tout musclé ne parvient plus à contrôler cet énergumène révolté. Cette belle jeune femme a apparemment dompté cette bête indocile qu’est le shaakt.
Comme si elle n’en avait pas déjà fait assez pour nous, elle reprend d’un ton ferme et posé en s’adressant à tous, mais à Ruméus en particulier :
« Peut être nous enfonçons-nous dans un piège, mais nous ne le saurons jamais si nous n’essayons pas. Nous avons eu le courage de croire en un rêve et par conséquent, de mettre ces masques, couler notre propre navire et ce, sans être certain que toute cette histoire soit véridique. Je ne vois pas d’autres solutions, par conséquent, je vais faire confiance à Hallena et espérer que cela soit la bonne chose à faire. »
Fier et docile, Ruméus méfiant franchit à son tour, mais probablement à contrecœur, la porte de la fameuse chambre de transition, suivi d’Anarazel, capitaine déchu, qui depuis la perte de son navire semble avoir perdu l’esprit.
(Je ne l’entendrai plus de sitôt m’appeler l’ami.)
La colère paraît être pour l’instant sa seule compagne et personne n’ose interrompre son mutisme coupé ponctuellement par des rires inquiétants.
Pour ma part, la chance vient de me quitter, mes doigts si bien entrelacés avec ceux d’Hallena ne le restèrent que très peu de temps. À peine ai-je eu le temps de sentir ce contact si désiré que l’aigle majestueux, dont j’avais oublié la présence, émet un cri perçant et réprobateur à ma tentative de rapprochement. Cet oiseau est-il si intimement lié à cette jeune personne qu’il en éprouve de la jalousie ? Son apparente complicité l’emmène-t-il à la surprotéger ? Ou pire encore, nourrit-il de la méfiance envers ma personne pourtant si bonne ? Quoi qu’il en soit, la réaction d’Hallena ne tarde pas à suivre celle de son fidèle compagnon. En effet, elle retire sa main d’un geste vif et recule de quelques pas pour ensuite m’interroger silencieusement de ses beaux yeux noisette. Je ne peux la laisser m’assassiner ainsi du regard.
(Je ne laisserai pas se dégrader ainsi la situation, je dois clarifier mes intentions.)
Mon geste que je qualifie d’innocent a été injustement interprété. Un léger contact, une petite douceur, une infime chaleur, une discrète tendresse qui me rappelait ma belle jeunesse, c’est tout ce que je souhaitais. Elle ne connaît pas l'isolement, elle ne sait pas ce que c’est d’être laissé à soi-même; cet animal tel son ombre, ne se sépare jamais d’elle. Ce ne sont point des reproches, j’étais aussi ignorant qu’elle avant de déserter ma ville, ma mère et Angélie. Sur le quai, sur le bateau et ici, immergé sous l’eau, j’ai appris à connaître la solitude, cette insolente qui m’importune, moi qui avais toujours profité de la présence de ma mère ou de ma seule amie pour me réconforter. Il ne faut pas se méprendre, je suis un homme courageux, si peu je l’admets à comparer à ce guerrier cornu, mais suffisamment pour un citadin de mon âge. Dans de telles circonstances, la vérité s’avère être toujours la meilleure solution. Il se peut cependant qu’Hallena me considère dorénavant comme un poltron, ce qui est tout de même préférable à la réputation d'homme irrespectueux. J’avoue toutefois que je ne la croyais pas si farouche et je n’aurais jamais pensé que ce geste anodin l’aurait choquée. Je la regarde droit dans les yeux, sans m’approcher, je lui lance d’un ton posé ces douces paroles :
«Par votre contact, je croyais naïvement bénéficier de ce calme désarmant dont jamais vous ne semblez vous départir. » Je marque une légère pause puis je reprends sur ce même ton empreint d’un regret sincère :
«Mais puisque vous semblez offensée, je vous prie sincèrement de m’en excuser. Loin de moi, l’idée de vous faire des avances déplacées. Soyez assuré que si tel est votre désir, je ne recommencerai plus. »
(Espérant secrètement que vous changerez d'idées. À votre appel, je ne saurai résister. )
N’attendant pas de réponses de sa part, je reporte un instant mon attention sur l’être sans nez qui vient de refermer la porte, nous cloisonnant ainsi, temporairement je l’espère, dans cet espace restreint.
Seul, malgré la présence des cinq autres aventuriers, les yeux grands ouverts afin de ne rien manquer, le dos accolé au mur de la prison, par de longues et profondes respirations, j’essaie de contrôler ma peur d’être piégé. Puis progressivement, je vois de petites bulles d’air partir du plancher et monter jusqu’au plafond. Les petits trous détectés par Hallena se sont ouverts permettant ainsi à l’air d’entrer et à l’eau de sortir. Sans un mot, j’observe attentivement l’écoulement de l’eau. Lorsqu’il libère mon visage de son oppression, je pousse un soupir de soulagement. Le masque ne m’est plus utile désormais. Avec un geste à peine retenu, j’enlève enfin cet objet de protection. Ma nuque contre le mur, les yeux fermés, je goûte la douce sensation de l’air sur ma peau veloutée. De l’index, je repousse la mèche de cheveux, qui cachait mes yeux si bleus. Soulagé, je fais pivoter ce visage osseux entre mes mains et l’observe une dernière fois avant de le ranger dans mon sac humide, espérant que bien des jours s’écouleront avant que je m’en serve de nouveau. Glissant mes mains le long de mon crâne, j’essore mes cheveux du mieux que je peux, pour ensuite les placer convenablement. Lorsqu’ils seront secs, ils onduleront légèrement, ajoutant ainsi un peu plus à mon charme naturel.
Le vidage de la salle s’effectue à une bonne allure, le niveau de l’eau se situe maintenant à quelques centimètres au-dessous de ma ceinture. Je profite de ce moment d’attente pour retirer ma chemise et la tordre m’ayant préalablement retourné face contre le mur afin de camoufler ainsi ma demi-nudité pour éviter de commettre un autre impair. Une fois le vêtement vidé de son eau, je l’enfile, renouant ensuite avec soin les lacets de mes poignets.
La pièce est enfin vidangée. Attentif à ce qui m’entoure, je perçois un léger déclic sans pour autant en deviner son origine.
(C’est probablement la porte qui vient de se déverrouiller.)
Enfin prêt, pas parfaitement propre, mais tout de même présentable, je m’approche de la seule issue visible, avant que le drow n’ait l’idée d’aller la défoncer. Empressé de quitter cette petite chambre, mais surtout curieux de voir ce qui s’y cache derrière, je me saisis de la poignée de métal.
« Voyons voir, ce qui nous attend là-dedans ! »
J’hésite un moment puis me tourne vers les autres :
« Pas d’objections ? »
J’attends leur approbation, puis j’ouvrirai cette porte prenant soin de ne pas me placer directement devant l’ouverture, évitant ainsi de m’exposer à toute attaque éventuelle.
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Dernière édition par Mathis le Mar 29 Déc 2009 03:10, édité 2 fois.
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