Le néant perdura hors de l’espace et du temps. Lindeniel n’eut su dire combien de temps cet étrange voyage dura, ni même s’il dura tout court, ou n’avait été qu’une illusion instantanée. Les brumes du Vide se dispersèrent pourtant bientôt, laissant les visiteurs du Monde des Rêves dans un décor tout autre que celui de la mine hantée. Il se souvint avoir entendu Netara signaler que son anneau avait le pouvoir de la ramener là où elle se sentait chez elle. Il ne fallait dès lors pas être un esprit brillant pour deviner que l’endroit où ils avaient tous atterris n’était autre que sa chambre. Il fallait peut-être un peu plus de culture pour avoir entendu parler de la fameuse Liseuse de Rêves de la cité d’Oranan, sur Nirtim. Lindeniel, sans la connaître, l’avait toujours considérée comme une parjure de son dieu, comme une faussaire du Destin. Et il n’était pas prêt de changer d’avis, maintenant qu’il la connaissait, si faible, physiquement comme mentalement. Seuls ses gadgets magiques avaient pu la sortir de là. Elle n’avait aucun pouvoir, sans eux. Juste quelques savoirs épars concernant l’art vicié de la magie, et des langues arcaniques.
La pièce était toute à l’image de sa propriétaire : pétée d’objets magiques en tous genres. Des clepsydres ornées, des baguettes de bois ou d’os. De lourds grimoires étaient disposés sur une imposante bibliothèque, alors que plusieurs bijoux étaient enfermés dans une vitrine de verre, à l’opposé de la pièce. Des chandelles, des statuettes, des grigris et autres futiles porte-bonheur. Voilà dans quoi cette prophétesse ratée vivait. Le style architectural de la maisonnée était évidemment Ynorien, donnant un indice supplémentaire sur leur localisation, pour ceux qui n’auraient toujours pas compris. Et il ne doutait aucunement que ce fut le cas des incapables qui l’avaient accompagné tout au long de ce rude périple.
À peine rentrée, la plaintive liseuse sonna un serviteur, qui vint aussitôt, à l’instar d’un fidèle cabot, au pied de sa maîtresse, pour arborer ostensiblement une mièvre béatitude de la revoir en vie, après tout ce temps. Ce sous-homme avait un nom, Orin, et Netare ne tarda pas à lui donner ses ordres, concernant un masque, un messager, une discussion et des invités. Oui, car désormais, elle se présentait comme une maîtresse de maison, et Lindeniel eut presque besoin d’attendre pour que l’on satisfasse ses besoins primaires et cruciaux. Elle était hospitalière, mais d’une manière si misérable que c’en fit presque ricaner l’elfe blanc. C’était néanmoins un agréable retour à un semblant de civilisation, après ce rude périple. Il allait pouvoir se vautrer dans tout le confort que l’on daignait lui offrir, fut-il négligeable et méprisable par sa bassesse. Elle laissa donc les aventuriers aux soins de son servant, alors qu’elle s’en allait avertir les autorités.
Lindeniel inspecta le majordome qui leur avait été confié, pendant que celui-ci s’affairait à mettre en place divers réconforts bienvenus. Toute une troupe d’humains aux yeux bridés et aux cheveux sombres vinrent s’occuper de lui. Il se laissa entraîner dans une salle de bain, où lui fut présentée une baignoire remplie d’une eau propre et chaude. Contrairement aux autres imprudents, il n’avait été que peu blessé par toute cette aventure, et n’en gardait aucun stigmate majeur, à la grande surprise des serviteurs, qui avaient vu les blessures impressionnantes des autres. Il avait su, lui, user de prudence, sans pour autant agir en lâche et en fuyant. Sa supériorité était évidente, même si de telles larves ne le remarqueraient sans doute pas.
Il fut débarrassé de son équipement, et une fois entièrement nu, demanda à ce qu’on le laisse prendre soin de lui tout seul. Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas goûté aux plaisir d’un bain relaxant. Alors qu’il y trempait, ses mains emplies de savon parcouraient sa peau en de délicates caresses qui rafraichissaient le teint laiteux de sa peau de pêche. Plus aucune impureté n’y fut bientôt incrustée, tant il prit soin de la nettoyer avec précaution et détail. Il frissonnait de plaisir sous ses propres caresses, frémissant sous le toucher raffiné de ses doigts exquis. Sa longue chevelure passa aussi au lavage, longuement, et puis, alors qu’il était sorti du bain pour se laisser sécher, assis sur un banc de bois vernis, il se les peigna lentement, longuement, jusqu’à ce qu’ils aient eux aussi séché, et pris une apparence soyeuse, volatile.
Il était encore nu, à admirer sa propre personne, lorsqu’un serviteur revint lui proposer une potion pour lui octroyer un repos rapide et profond. Il l’assimila sans un remerciement, et se laissa doucement couler dans les voiles cotonneux d’un sommeil dûment mérité. Un sommeil dénué de tout songe, de tout cauchemar.
Sa mission était remplie. Il s’était débarrassé définitivement de l’emprise de son paternel sur son être. Il n’avait plus de parents, physiques ou moraux. Il était prêt, désormais, à devenir un Dieu. Mais pour l’heure, il se laissa aller au repos…
_________________ Lindeniel Il Thirnasael, noble Hinïon dans la tourmente d'une quête onirique.
Tous méprisables...
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