Certains des grimoires de piètres qualités ne sont plus que des amas de pages moisies illisibles qui s'effritent sous les doigts, pourtant délicats, de l'elfe grise. Il en est d'autres, de meilleurs qualités, qui ont survécu aux affres du temps et s'ouvrent sans se déchirer. Dans ces derniers, elle y trouve parfois mention d'expériences fluidiques, de magies manipulées et de mariages de sortilèges. Des vieux écrits, d'une époque où la langue commune était très différente de l'actuelle car très souvent les mots n'ont aucun sens pour elle ; mais malgré cela, elle en déchiffre assez pour être troublée par la détermination des auteurs dans leur recherche d'un plus grand pouvoir.
Plusieurs fois aussi, elle découvre des esquisses du médaillon, dont une dessinée sur un parchemin très épais gratté par endroit pour faire disparaître des mots. Le joyau y est représenté agrandit, ainsi que des signes qu'elle ne reconnaît pas mais qui ressemblent aux symboles des runes sur le mur d'enceinte de la tour ; un mot cependant, retient son attention.
((Il est fait en Olath, intervient son Faera, ça veut dire …
- Sombre. En Shaakt, je sais.
- Et sais-tu que ce n'est pas une pierre. C'est un métal, le plus sombre qui soit et où aucune lumière ne s'y reflète. Le même utilisé sur les murailles d'Omyre.
- Et ces signes, ce sont des runes n'est-ce pas ?
- Bien sur. Le …
- Non, ne me dis rien. Je te l'ai dit plusieurs fois …
- "Le chemin jusqu'au savoir est plus important que le savoir lui-même" fait-il comme on conte un vers pompeux … C'est débile !!
- C'est de moi.
- Ben c'est débile. Considère-moi comme un lexique, voilà tout.
- Je ne sais pas ce que c'est. Et j'ai dit non.))
Elle continue ses recherches sans dire un mot de plus. Les textes illisibles succèdent aux textes à peine lisibles, les bouts de phrases à peine utiles aux bouts incompréhensibles. Une impression demeure pourtant, un étrange sentiment mitigé de malaise et d'intérêt. En la voyant ainsi absorbée, elle paraît être dans un endroit paisible, calme, propice à l'étude, mais les ridules entre ses sourcils et ses lèvres pincées sont de meilleurs indices. Elle n'oublie pas que tout ici, même l'illisible ou la phrase anodine, a servit à créer cet endroit, à pervertir la magie pour une vaine recherche de pouvoir et d'éternité. Mais il n'en demeure pas moins que ce qu'ont accompli les jumeaux lui semble incroyable, ils en sont arrivés à une connaissance indescriptible de leurs pouvoirs et n'ont failli devant aucun obstacle pour toucher du bout des doigts leur objectif … et c'est à cette pensée que la Sindel est la plus troublée car à moins d'un bouleversement radical de son être, elle pourrait un jour devenir comme eux, victime de sa soif de savoir et de sa faiblesse quant à ses pouvoirs.
Les minutes passent et finalement, elle trouve un grimoire qui, dès les premières lignes, attire son attention sur les auteurs. Le grimoire a été protégé et même s'il ne reste presque rien de son cocon, le grimoire lui est mieux conservé qu'aucun autre objet ici, à l'exception du pilier et du médaillon ; et il a été écrit à deux mains.
Tout ce qui est encore lisible concerne l'artefact de la Lord, décrit par les frères comme une source de pouvoir. La mort est partout, la mort, la vie et le lien entre les deux ; la Lord aussi y est plusieurs fois nommée, ainsi que son œuvre, sa quête et, comme pour confirmer ce qu'elle savait grâce à cette dernière, il est fait mention d'immortalité à de nombreuses reprises.
- Regarde, dit-elle en réfléchissant à voix haute. Ils parlent ici du corps et de l'âme après la mort. Le corps se détériore, inévitablement. L'âme, dont ils disent qu'elle est immortelle par essence, retourne en enfer et perd la mémoire, ce qu'ils considèrent comme la pire des morts. Mais plus loin ils disent que l'âme, en soi, est immortelle.
Plus loin ils disent que Phaïtos est celui qui cause la véritable mort de l'âme … si j'essaye de suivre leur raisonnement, ils estiment qu'en lui ôtant la mémoire et en la laissant errer librement dans l'au-delà, le Gardien des Enfers tue l'âme ?
Et ce passage, en parlant de la mort "Phaïtos est son gardien. Il est la porte, la clé et le gardien de la porte."
Comment peuvent-ils ensuite considérer pouvoir lutter contre un Dieu omnipotent dans son domaine … il y a presque deux pages entières illisibles, et ensuite ils écrivent "l'issue est évidente". Ils auraient vraiment trouvé comment devenir immortels.
Ils écrivent là que l'âme, "nourrit par la magie de l'objet peut continuer sa quête éternelle, loin de l'enfer" Quelle vie est-ce ? que de passer son temps à attendre.
Et regarde, "Aoy Bet" … des runes, encore. "Que la mort reçoive Dy et se perde dans Mu" et là "Bet Ba". Et apparemment, ils ont tracé un cercle de runes autour du "don de Yatchlas".
Elle emporte le grimoire jusque devant le pilier et y distingue effectivement quelques sigles, reconnaissables mais inconnus. Le cercle éternel, comme ils l'ont nommé, qui aurait alors un pouvoir sur le temps, a priori. Peut être l'une d'elle signifie éternité tant celle-ci est leur obsession.
- La vie pour l'éternité, c'est ce qu'ils veulent. Dominer la mort et vivre éternellement. D'après ce qu'ils disent, la mort ne peut pas entrer dans ce cercle, elle serait aussitôt rejeter à l'extérieur … dans Mu, et pendant ce temps, il leur faudrait trouver un moyen de reprendre corps. C'est comme s'ils cherchaient à maîtriser un pouvoir semblable au notre mais sans servitude, sans inéluctabilité de la mort.
Dans Mu … cela pourrait être ce fluide visqueux à ses pieds, se dit-elle en repensant à cette subite envie de se jeter dedans à peine arrivée à l'étage. Du sang peut être, le sang des victimes de leurs expériences.
((Dans Mu … rejeté dans Mu.)) Une idée commence à naître dans son esprit. Si la mort est rejetée dans Mu, alors elle peut tenter de l'introduire dans le cercle et observer ce qui se passe et, peut être, deviner la signification d'une des runes. Comme ils l'ont eux-mêmes écris, quel dommage qu'ils ne soient pas nécromanciens … mais elle si.
Son passage à l'université de magie n'aura pas été une perte de temps car, grâce à leur bibliothèque, elle connaît déjà la théorie des sortilèges de Nécromancie. Rien de moins qu'un survol, en toute sincérité, qui l'a laissé sur sa faim ; une énumération de noms édulcorés et une description sans saveur des effets de ces derniers. Mais il lui a suffit de savoir qu'elle pouvait ramener une âme des enfers pour créer Stor Varg …
((Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! s'exclame son Faera. T'as rien maîtrisé ma belle, t'as ramené un Liykor décrépit jusqu'au trognon par accident !))
Le temps d'un quart de seconde, une ombre fugace traverse le visage de la Sindel. Une moue à peine distinguable, boudeuse. Une moue jusque là destinée uniquement à sa défunte sœur qui ne pouvait s'empêcher, comme son Faera, de se moquer d'elle quand elle était prise d'un excès d'assurance.
((C'que j'dis moi, c'est fait gaffe à pas trop batifoler avec tes fluides quand tu expérimentes un sortilège. T'as ramené Stor Varg parce que t'étais complètement submergée par la rage, t'as bien failli ramener l'âme d'un tueur en série avec tes conneries … alors vas-pas nous ramener le squelette d'un bibliothécaire aujourd'hui. Y va direct mettre son nez dans les livres et rien branler.))
L'écho de la moue boudeuse fait rouler discrètement sa lèvre inférieure.
((Très bien, je me concentre.
- Concentration, concentration, concentration))
Comme un artiste avant une représentation, elle ferme les yeux, inspire lentement et fait rouler sa tête. Ses fluides s'éveillent et s'activent rapidement, affamés de pouvoir et de puissance. Ils s'infiltrent sous sa peau, zébrant le derme gris pâle de l'elfe d'un noir translucide. La sensation de froid qui l'envahit est électrisante et elle ressent jusqu'à la moindre parcelle de son corps à travers ses fluides. Ses yeux, devenus deux billes noirs insondables, s'ouvrent sur un autre monde où elle se sent chaque fois un peu plus en sécurité malgré les dangers et la noirceur des maléfices errants car ici, tout est affaire de contrôle et la nature même de son pouvoir en est le maître. Sous le regard protecteur du Gardien des morts, elle en appelle aux forces obscures pour tenter d'invoquer un squelette. Elle se concentre alors et laisse sa magie s'enfoncer dans les entrailles de cette caverne maudite.
Un squelette au crâne noirci, fendu à la base et aux orbites vides se présente face à elle, enfanté par les fluides des Dieux maudits. Mais aussitôt, la carcasse grinçante s'effondre et disparaît, comme soufflé par un nuage de cendres.
((Ces choses ne sont que des pantins à ta solde, tu ne peux pas leur lâcher la bride comme ça. Cela demande peu d'effort au départ car tu n'as pas à sonder le monde des esprits ni à te lier à eux … mais ça en demande beaucoup pour les garder sous ton contrôle.))
La jeune nécromancienne recommence, comprenant alors au travers des explications de son Faera que nulle âme n'est renfermée en eux, ils ne sont que des objets, des armes dont elle contrôle les mouvements et que sa magie doit devenir sa main. Elle invoque à nouveau les pouvoirs nécromants et cette fois y injecte une partie de ses fluides, qu'elle peut manipuler par l'esprit, lui commander de traverser ce halo lumineux sans qu'il hésite ou recule.