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Froid... Froid...
Froid......
Froid...
...
Paysage absurde Océan de neige immaculée
...
Colonnes anciennes à moitié englouties
...
Il y fait si...
Froid...
Un morceau de néant...
Platine...? Un goût de métal sur ta langue... Une désagréable sensation de déjà-vu...
... Invisible et oppressant, un grondement sourd résonne dans le lointain et se répercute dans chacun de tes os...
Un rêve...? Ou une vision...?
...
Étrange personnage qui se dressait à quelques mètres de là. Chevalier à l'armure grise argent, au casque ajouré rabaissé sur son visage inconnu et anonyme... Des failles de sa cuirasse blanche laissaient s'échapper d'insolites vapeurs iridescentes, faites de la même matière qu'un ciel nocturne...
Qui..?
Étrange personnage qui se dressait à quelques mètres. Derrière la visière opaque de son heaume, la menace d'un regard inquisiteur semblait peu à peu devenir palpable...
Est ce le froid ou cette accablante présence qui paralysait jusqu'au dernier de tes muscles...?
Étrange personnage qui se dressait à quelques mètres. Ses bras gantelés croisés sur son buste, la créature onirique semblait attendre quelque chose... Ou quelqu'un...? Une longue épée au pommeau d'argent pendait contre sa cuisse gauche, mais sa seule présence suffit pour te glacer le sang...
Froid...Froid...
Froid...
Lentement, en ne détournant presque pas son obscur « regard »de toi, la créature armurée laissa retomber ses bras en tournant peu à peu son dos... Dans un écho absurde et feutré, les lourdes bottes s'avancèrent l'une après l'autre dans l'espace blanc. Tes jambes commencèrent à suivre la marche, se mouvant à leur tour de façon irrépressible... Ton esprit engourdi semblait peu à peu regagner conscience, mais tu n'arrivais toujours pas à comprendre ce qu'il se passe, à reconnaître ce blason qui orne l'armure du chevalier...
À mesure que ton âme hébétée imprimait dans ta mémoire la vision de la créature en armure, les colonnes qui s'élevaient dans l'espace blanc et vide se couvraient rapidement de lierres et de poussières. Semblant vieillir précipitamment, elles tombèrent peu à peu en morceaux jusqu'à ne devenir plus que de simples ruines recouvertes de plantes fanées...
Ton regard se reporta à nouveau sur le chevalier en armure... Te tournant le dos, immobile et droit comme une stèle de pierre, son armure s'était considérablement ternie et accusait la marque de l'âge et de la rouille. Bientôt, la cuirasse se transforma en amas de ferrailles oranges et brunes, les mailles qui composaient le tissu de nuit de la tunique du chevalier se déliaient et se déchiraient , dévoilant peu à peu à tes yeux une indicible vision...
Un souffle glacée, rythmé et régulier, à l'image d'une inquiétante respiration soufflait contre ton cou...Les morceaux d'armures tombèrent un par un en disparaissant silencieusement en une gerbe d'étincelles bleues électriques avant de toucher le « sol »... Sous les gantelets, les cuissardes et la cuirasse apparaissait un squelette noir, les os aussi sombres que le charbon et la cendre qui les recouvraient... Ton cœur, comme reconnaissant le sinistre spectre, s'affola et se dérégla alors que dans ta gorge se forme une boule d'effroi et de terreur qui n'ose pas éclater...
Tu essaya de t'enfuir, mais tes jambes semblaient ne plus vouloir te répondre. En baissant les yeux, tu remarquas qu'elles étaient prisonnières de deux morceaux de glace blanche, comme les incarnations physiques de la peur que tu ressentais...Dans un lugubre craquement, le crâne du spectre se tourna peu à peu vers toi. Ses orbites vides aspirent les couleurs qui t’entouraient, changeant la blancheur immaculée du néant qui t'englobait en un voile de ténèbres et d'onyx... L'épée qui ornait tout à l'heure son flanc s'était transformée en un improbable poignard d'os. D'un geste, le bras décharné de l'apparition l'agrippa et commença à revenir vers toi...
Tu avais beau te débattre, la glace qui emprisonnait tes jambes remonta peu à peu vers ton bassin, vers tes épaules, jusqu'à ce que tout ton corps devienne l'otage de cette prison glacée... Tes yeux eux-mêmes gelèrent, et tu ne pus qu'observer dans la terreur la démarche tourmentée du squelette noir. Arrivé devant-toi, le crâne sinistrement orné d'un rictus mauvais, la créature leva le poignard de ses deux mains...
... Des voix comme venues d'outre-tombes commencèrent à clamer alors ton nom...
"...Baldur...""...Baldur..."
"...Baldur...""...Baldur...""...Baldur..."
"...Baldur..."
"...Baldur...""...Baldur..."
"...Baldur..."
"...Baldur..."
...Baldur...
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Alors que la dague s'apprêtait à frapper le cœur, Baldur s'éveilla en étouffant ses hurlements. Pendant quelques instants qui lui semblèrent durer une éternité, le rôdeur observa les alentours à la recherche du spectre sombre qui l'avait hanté. Sa respiration haletante et irrégulière, ses muscles encore tétanisés par l'effroi l'empêchant de bouger, les yeux brûlant par la transpiration qui y coulait, Baldur se sentait frigorifié... Jamais il n'avait fait cauchemars aussi puissant, aussi réel... Il pouvait à peine réprimer la pensée qui germait dans son imagination qui lui murmurait que ce qu'il avait vu était bel et bien réel. Peu à peu, ses jambes et ses bras retrouvèrent leurs forces, et Baldur chassa suffisamment ses peurs pour enfin se dégager du paresseux balancement de son hamac de toile... Posant ses deux pieds nus sur le plancher de bois froid et humide, le rôdeur appuya sa main contre un morceau de bois et continua d'examiner son environnement, cherchant instinctivement du coin de l'œil le spectre noir, toujours quelques peu alarmé par son apparition...
Mais les colonnes en ruines et les chevaliers squelettiques avaient laissés place à un paysage que Baldur reconnaissait facilement : les cales de l'Hirondelle, le navire appartenant à cette fameuse guilde de magiciens établis aux quarte coins du monde. Tout en se dirigeant en titubant vers un tonneau d'eau ouvert un peu plus loin, Baldur essaya de se remémorer ce qu'il s'était passé ces deux dernières semaines, durant la traversée à bord de ce fier navire...
C'était d'abord l'abominable odeur de poisson, de sel et de bois humide qu'il reconnaissait le plus facilement, un parfum qui l'avait tant accompagné dans les jours et les nuits à contempler ce désert d'eau et ces dunes d'écumes que Baldur en venait à croire qu'elle avait imprégné jusqu'aux plus profondes mailles de ses vêtements... Quelques ronflements attirèrent l'attention du rôdeur qui reconnût là ceux du Quartier-maître Aladric et d'autres marins que Baldur reconnaissait pour avoir régulièrement joué aux cartes et aux dés avec eux durant les interminables soirées qui ponctuaient la traversée. Le quartier-maître, avec ses favoris hirsutes et son visage bonhomme, s'était montré d'ailleurs particulièrement amical en veillant sur la santé du rôdeur au début du voyage, lorsque les vagues et les embruns rendaient Baldur plus ou moins malade. Enfin, c'était la chaleur qui, malgré le vent frais nocturne, devenait de plus en plus étouffante dans la cale... Tulorim était, selon les dires des marins, l'objet d'une canicule sans précédent qui avait particulièrement mis-à-mal les habitants de la riche ville... Une chaleur que le rôdeur ne pouvait que redouter, lui qui était si habitué à l'environnement humide et frais des marais Darhàsmois...
Plaçant ses deux mains de chaque côté du tonneau, Baldur plongea la tête dans l'eau sombre et fraîche, avalant par gorgées goulues le doux liquide que la gorge desséchée du guerrier accueillait comme une bénédiction... Avide de chasser les visions cauchemardesques qui le hantaient encore, Baldur but encore et encore, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus tenir sa respiration...
Relevant la tête, la barbe toute perlée de gouttes d'eau, le rôdeur resta là un moment, immobile et pensif. A méditer sur cette effroyable vision qu'il ne parvenait pas à exorciser... Nerveusement, il porta la main sur le couvercle doré de sa boussole...
Elle ne vibrait plus...
Retournant paresseusement en direction de son hamac, Baldur laissa échapper un grognement en s'affalant dans la toile encore humide de sueurs... Malgré sa fatigue, le rôdeur du Sud n'arriva pas à retrouver le sommeil, préférant la compagnie plus chaleureuse de ce bracelet de perles noires qui ornaient son bras gauche, cadeau de la plus voluptueuses des demi-elfes de Darhàm et gageure de souvenirs bien plus doux que ceux de ces dernières nuits...
Demain, si le Quartier-maître disait vrai, l'Hirondelle arriverait à Tulorim... Mais sera-t-elle vraiment porteuse d'un agréable printemps...?