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Alors que je m’approche d’elle pour lui parler secrètement, la dénommée Bediheris me toise d’un air de défi, mains sur les hanches. Un défi que je ne comprends guère, en revanche, étant à mille lieues de penser que ma proximité puisse la gêner. Mais alors que j’évoque la raison de notre présence, un instant de doute s’empare de moi, quand je vois ses yeux se remplir de haine et de colère. Un doute qui me contraint à reculer d’un pas, par mesure de sécurité, pour ne pas qu’elle tente de me planter sa dague en travers de la gorge. J’ai beau savoir n’y être pas sensible, ça n’en reste pas moins un réflexe salvateur dont je ne compte pas me débarrasser. Heureusement, cette ire nouvelle ne m’est pas destinée. Là encore, Jillian a visé juste en nous la conseillant. Et moi en faisant jouer la carte de l’appartenance au Royaume d’Arden. Elle n’hésite pas à, sitôt ai-je fini de parler, copieusement insulter les deux souverains responsables du meurtre de sa Reine de Fils de chiennes. Elle me précise même quelques détails sur la manière dont ça s’est produit : ils étaient les invités de la Reine lorsqu’ils la tuèrent. Un manquement des plus irrespectueux. Tuer un hôte qui te reçoit… La honte s’abatte sur eux.
La tenancière poursuit en affirmant vouloir nous aider si notre but est de reprendre Arden à ces foutus envahisseurs, et en précisant qu’elle possède une cave où nous pourrons sans peine ramener Leyla. Un endroit d’où on ne l’entendra pas, même si elle hurle, ce que j’espère éviter grâce à la présence de son oncle. Et à ma persuasion lorsque j’irai la chercher. Elle nous prévient également qu’il ne s’agit pas de la rouler, ni de travailler pour ces deux souverains de malheur. Je la rassure aussitôt :
« N’ayez crainte, dame. Nous empêcherons le mariage de leurs enfants, détruirons leur alliance et leur ferons payer leur impudence et leur traitrise. Arden aura sa vengeance, Bediheris. Je vous en fais le serment. »
Pour ce que ça coûte, autant qu’elle soit convaincue de notre participation active à tout ça. D’autant que c’est bien ce que je compte faire. Quant à me lier à un serment… Ma foi, si je dois échouer, ça sera le dernier de mes tracas. Mais alors que je m’apprête à reprendre la parole, annonçant qu’il me reste à attendre la tombée de la nuit pour partir à la recherche de la princesse, Ixtli me répond via le Pendant d’Uraj. Elle ma taquine sur mon attachement avoué à elle, et affirme être frustrée de ne rien pouvoir faire de plus que ce qu’elle fait, de ne pouvoir quitter Ilmatar, où elle est heureusement plus en sécurité que partout ailleurs sur ce monde. Peut-être. Au moins va-t-elle bien, et j’en suis rassuré. Mais les nouvelles qu’elle m’apporte ne sont guère bonnes : Nous n’avons aucune nouvelle de l’artefact principal. Elle précise également que Leykhsa, alias Pureté, est coincée sur un navire aux alentours d’Arden, bloquée par la flotte de Valmarin qui assiège le port. Elle conclut en disant que la situation empire à Ilmatar, et que des élémentaires disparaissent sans raison. Je pâlis un instant en imaginant que ça puisse se produire pour elle. Aaria’Weïla semble s’occuper du problème, un peu trop apparemment. Je décide de lui rétorquer :
(Je reviendrai à Ilmatar pour gérer tout ça avec vous sitôt que mon rôle aura été terminé dans l’arrestation de l’embrasement d’Elysian par la guerre. Tenez bon jusque-là. Je t’en conjure, Ixtli, fais attention à toi.)
Quant à Leykhsa, puisqu’elle est proche et qu’il reste quelques courtes heures avant que la nuit ne soit tombée, il est de mon devoir d’aller l’aider. Si elle est sur une piste, quelle qu’elle soit, je dois lui venir en aide. Ça sera aussi l’occasion d’en apprendre plus sur ce qui s’est passé à Illyria depuis mon départ, d’une autre bouche que celle de Hrist. Mais pas sans prévenir notre hôte, à Taleb et moi, de mon départ.
« Je m’en vais, pour l’heure. Taleb, veillez à ce que la cave soit prête pour accueillir votre nièce. Lorsque je reviendrai, elle m’accompagnera. »
Je me tourne vers Bediheris.
« La nuit sera alors tombée. Veillez à ce que je puisse accéder à la cave sans me faire voir en la compagnie de la princesse. Quitte à fermer plus tôt l’établissement s’il n’y a pas d’autre moyen. Je vous dédommagerai des pertes. Je vous laisse régler les derniers détails avec Taleb. »
Puis, avant de faire volte-face et disparaitre vers la sortie du bâtiment, je leur lance une formule motivante, les regardant dans les yeux :
« Pour Arden, pour Elysian. Pour la Liberté ! »
Alors que je sors de l’auberge, j’entends de nouveau la voix d’Ixtli qui m’indique que Kerenn a rencontré un sindel. Surprenant, vu ce qu’il reste de leur cité antique, explorée par la jolie aigail et moi, plus tôt dans cette aventure. Il aurait ainsi appris que les deux artefacts sont liés, et nécessaires pour mettre fin à tout cela, et retrouver l’équilibre et la stabilité : l’un reprend, l’autre donne. Il y aurait aussi besoin d’autre chose, mais nous ne savons guère de quoi pour le moment. Sombre, je laisse l’information filer : j’espère que les autres seront plus avancés que moi sur ce point d’enquête. J’ai pris une toute autre voie, pour ma part, non moins essentielle selon moi.
Je prends mon envol sous la forme d’un cormoran noir, aux ailes de nuit, et survole le port d’Arden, assiégé par la flotte de Valmarin. Une idée me traverse l’esprit, m’arrachant un sourire mental. Une idée que je mettrai à exécution sitôt Keykhsa débarquée à Arden, ce soir. Pour l’heure, je dois retrouver son navire. Et je ne tarde pas à le faire : c’est fou ce qu’on peut voir loin quand on parcoure les cieux. J’aperçois un petit navire à la dérive, en train de s’éloigner vers le nord. Sans doute ont-ils décidé de faire demi-tour, ou de jeter l’ancre ailleurs, loin du blocus maritime. Une perte de temps dont je compte bien la débarrasser. Je plonge droit vers le navire, et le survole un instant en essayant de la repérer. Lorsque je la vois sur le pont, j’atterris non loin d’elle, et commet quelques cris glougloutants, typiques à ce type d’oiseau marin, pour attirer son attention. Et lorsque je l’ai, je me change en mon apparence initiale, satisfait de mon petit effet. Aussitôt, j’embraie sans lui laisser le temps de m’enguirlander de l’avoir, sans doute, surprise.
« Bonjour, Leykhsa. Perdue ? »
Un sourire sur les lèvres, taquin, je la regarde un instant sans rien dire avant de poursuivre.
« J’ai su que tu avais quelques soucis pour entrer dans Arden. Alors je suis venu t’aider à le faire. Tu n’as rien contre le fait de voler, n’est-ce pas ? »
Là encore, mon regard sur elle est provocateur. Elle ne doit pas se douter du quart de mes nouveaux pouvoirs. Je la presse néanmoins, n’ayant moi-même pas de temps à perdre.
« Je te laisse prévenir – et rassurer – l’équipage de ce navire, et je t’emmène où tu veux aller. Dans quelle situation as-tu laissée Illyria, avant ton départ ? »
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